Budget


Intervention de François Cornut-Gentille sur le budget 2017 de la défense :

« jamais la situation de la Défense n’a été rendue aussi critique »



 

 

 

Monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a deux façons de regarder ce dernier budget de la Défense du quinquennat.

 

La première, en écrivant une belle histoire. On raconte alors :

  • que vous avez obtenu quelques beaux succès à l’export ;
  • que vous avez mis fin à l’incertitude des recettes exceptionnelles ;
  • que vous avez également stoppé la déflation des effectifs ;
  • Enfin, que vous avez obtenu une nouvelle LPM ambitieuse et conforté le budget avec 600 millions d’euros supplémentaires. 

Tout cela n’est pas faux, mais présente une version très édulcorée (voire hagiographique) de la réalité. En effet, ce tableau ne tient que si l’on considère :

  • que l’essentiel de l’effort est passé ;
  • que les difficultés ont été gérées, voire maîtrisées ;
  • et que les armées sont désormais sur des rails solides. 

Or, il n’en est rien. Tout indique au contraire qu’un mur de difficultés est devant nous. Car si nous considérons votre budget, sans aucun catastrophisme mais tel que l’avenir se présente à nous, une vision beaucoup plus préoccupante s’impose. L’urgence et la préparation de l’avenir demanderaient en effet une mobilisation de tous pour surmonter des fragilités grandissantes et à ce jour sans remède.

Pourtant, alors qu’il faudrait créer les conditions d’un débat responsable pour évaluer ces risques et construire des solutions, votre ministère semble désormais placer toute son énergie à construire un bilan flatteur.

Quelle est en effet la dure situation à laquelle nous sommes confrontés ?

Il est possible de résumer simplement les choses : alors que l’objectif principal d’une loi de programmation militaire est de préserver voire de renforcer les équipements, la dégradation dans ce domaine semble désormais s’accélérer à un rythme angoissant.

Je dois reconnaître que vous semblez vous-même prendre acte de cette situation en dénonçant aujourd’hui la faible performance du MCO.  Soit ! Mais avouez que l’on est en droit d’attendre des décisions de la part d’un ministre en place depuis 5 ans. Et l’aimable invitation faite à votre successeur d’augmenter le budget n’est-elle pas un peu courte ?

Permettez-moi de souligner l’impasse actuelle en me limitant à quelques exemples.

Ainsi, en 2015, plus d’un tiers des équipements attendus n’ont pas été livrés. Il s’agit du taux de réalisation le plus faible depuis 2008, confirmant une baisse continue depuis 2012. En clair, les forces ne réceptionnent pas les nouveaux équipements pourtant promis pour remplacer des matériels à bout de souffle.

Ces matériels, âgés pour certains de plusieurs décennies, sont arrivés à la fameuse rupture capacitaire annoncée depuis 10 ans. Ceci explique certainement pourquoi vos services n’ont pas voulu rendre publics les taux de disponibilités de certains matériels pourtant publiés les années passées.

Dans ce contexte, les chefs d’Etat-major, unanimes, demandent l’accélération du renouvellement de leur matériel. La question est maintenant : comment combler le retard accumulé et répondre à cette nouvelle demande pressante ? Il est à craindre que nos fantassins continuent à user jusqu’à la corde les bons vieux VAB qui viennent de fêter leur 40 ans.

En outre, lorsque les nouveaux équipements arrivent,  ceux-ci montrent d’inquiétants signes de faiblesse. J’en veux pour preuve les hélicoptères Tigre qui affichaient une disponibilité inférieure à 20 % en 2014. En 2015, le chiffre est subitement classifié.

Dois-je enfin évoquer l’A400M sur lequel votre silence est assourdissant ? Peut-on encore se taire lorsque l’on sait qu’à l’heure actuelle, seul un appareil sur 10 est en état de voler. Depuis 2012, nous sommes dans le brouillard. Nous ne savons toujours pas quand l’avion volera à pleine capacité et à quel coût ?

Pour pallier cette rupture capacitaire, la DGA est contrainte d’acquérir des C130-J chez nos concurrents américains. Plus grave encore, dans l’urgence, nos armées en sont réduites à faire appel à des affréteurs russes ou ukrainiens.

Chacun peut mesurer ici le degré de notre autonomie stratégique.

Au total, un énorme malentendu s’est installé : sollicitées de toute part, les armées bénéficient à juste titre du soutien de l’opinion publique. Mais chacun pense que les militaires disposent dans la durée de tous les moyens humains, techniques et budgétaires nécessaires. Or, vous le savez, nous sommes bien loin du compte.

Pire, sans même tenir compte des sérieuses menaces qui pèsent sur la fin de gestion 2016, jamais la situation de la Défense n’a été rendue aussi critique par l’effet conjugué de trois éléments :

  • la dérive du titre 2 et du fonctionnement ;
  • la rupture des équipements ;
  • le défi du renouvellement nucléaire qui se profile.

En cette période électorale, on assiste à une fuite en avant à coup de promesses mais également de crédits supplémentaires lâchés au plus juste. C’est sympathique mais cela n’engage pas à grand-chose. Ainsi les rallonges budgétaires arrivent comme autrefois le rabot : au hasard et sans cap.

La vérité, c’est que nous sommes aujourd’hui engagés à pleine vitesse dans la même et dangereuse spirale que les anglais après l’IrakCe qu’il nous faut, c’est un diagnostic et une stratégie pour gagner, dans la durée, la bataille budgétaire et capacitaire.

Monsieur le ministre, pourquoi esquivez-vous ce débat ?

 

 

François CORNUT – GENTILLE
Rapporteur spécial depuis 2012 pour les crédits de la Défense « préparation de l’avenir » de la commission des finances de l’Assemblée nationale.


Vidéo de la commission élargie du 02/11/2016.


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