Edouard Philippe sur Fessenheim

Source : Mythes, Mancies & Mathématiques 

Par Rémi Prud'homme - Le 23/09/2022.

 

Edouard Philippe est le premier ministre qui a fermé les deux réacteurs de la centrale nucléaire de Fessenheim, sur ordre du président Macron (qui mettait en œuvre une décision du président Hollande) afin de plaire aux écologistes, et en particulier au ministre Nicolas Hulot, alors chouchou du président, et numéro 3 du gouvernement. Edouard Philippe ne regrette pas sa décision. Il déclare (16 septembre 2022) : « Est-ce que notre situation serait sensiblement meilleure si on n’avait pas fermé [Fessenheim] » ? La forme interrogative vaut ici litote. L’ancien premier ministre veut clairement dire que notre situation ne serait pas sensiblement meilleure dans cette hypothèse. Il justifie cette réponse d’une façon un peu spécieuse en notant : « On aurait 28 réacteurs sur 58. On en a aujourd’hui 26 sur 56 ». Entendez : la différence est négligeable. Qu’en est-il ?

Il est facile de calculer la quantité annuelle d’électricité dont nous prive la mise au rebut de ces deux réacteurs. Il suffit de faire le produit leur puissance (1,8 GW (1)) par le nombre d’heures de fonctionnement (8760 heures multiplié par un taux de charge de 0,85) pour obtenir une production de 13,4 TWh. Est-ce négligeable ? On peut comparer cette production avortée à sa valeur actuelle sur le marché, ou à l’effet d’une mesure très médiatisée comme la diminution de la température des logements de 1 degré centigrade.

Si EDF (c’est-à-dire les Français) avait eu, et vendu ces 13 TWh sur le marché en 2022, combien est-ce que cela aurait rapporté ? Le prix de l’électricité sur le marché européen varie d’un jour à l’autre. Il a dépassé 1000 euros/MWh fin août. Il est d’environ 400 euros aujourd’hui. Postulons 500 euros. Cela rapporterait 6,7 milliards en 2022. Soustrayons 10% pour les coûts de fonctionnement (uranium, transport). On obtient un gain net annuel d’environ 6 milliards. Fermer Fessenheim revient à jeter quelques 6 milliards d’euros par les fenêtres. Est-ce négligeable ? On aurait pu faire beaucoup de choses utiles ou indispensables avec cette somme. Par exemple, abonder le budget de la Justice (judiciaire plus pénitentiaire), qui est actuellement d’environ 9 milliards d’euros.

Une autre comparaison moins dépendante de la danse du prix de gros de l’électricité, peut être esquissée. L’un des piliers, ou des marqueurs, de la sobriété proclamée à grand son de trompe par le gouvernement est la baisse de la température des logements à 19 degrés centigrades ou moins. L’ADEME nous affirme qu’une diminution de 1 degré dans un logement entraine une diminution de 7% de la consommation d’énergie, et donc d’électricité dans les logements chauffés à l’électricité. La consommation d’électricité pour le chauffage résidentiel est légèrement inférieure à 41 TWh. Une baisse de 1 degré entrainera donc une diminution de la consommation d’électricité d’un peu moins de 3 TWh. Cette économie est à comparer avec les 13 TWh jetés au vent d’Alsace par la fermeture de Fessenheim. Ils auraient permis – très largement – d’éviter la baisse des températures qui nous attend, et les rhumes ou pneumonies que cette baisse va causer chez certains enfants et certains vieillards. Est-ce vraiment « négligeable » ? 

Tour cela était évident, connu, calculable, calculé, publié, avant la décision de fermeture. Mais rejeté en dehors du fameux « Cercle de la raison » personnifié et monopolisé par le gouvernement de M. Philippe. Rejeté par ignorance ou opportunisme ou dogmatisme ou les trois, on ne sait. Tout le monde peut se tromper. Mais le plus lamentable est l’incapacité des responsables de ce mégaspillage à reconnaitre leur erreur. Cela ne surprend pas trop chez le président. Mais cela étonne dans la bouche de son ancien premier ministre, qui passe pour un homme sage, modéré, intelligent, informé, réaliste. Si même Edouard Philippe ne peut pas, ou ne veut pas, voir qu’il s’est trompé, qu’en sera-t-il des politiciens ou des journalistes macronistes qui n’ont pas toujours toutes ces qualités-là ? Errare humanum est sed perseverare diabolicum.

 

 

 

(1)  La puissance se mesure en Watts (W), la production en watts-heures (Wh). M veut dire : million (106) ; G, comme giga, veut dire : milliard (109) ; T, comme tera, veut dire : mille milliards (1012)

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