par le Contre-amiral Hubert de GEVIGNEY - le 19 septembre 2016
Engagé volontaire au sein des équipages de la flotte (1970)
Officier stagiaire à l’école commando (1984-1985)
Ecole supérieure de guerre navale brésilienne (Rio de Janeiro) (1993-1995)
Officier en troisième puis en second du patrouilleur La Lorientaise (Polynésie Française) (1979-1981)
Officier en second du dragueur océanique Ouistreham (Océan Indien) (1981-1982)
Commandant du bâtiment école Guépard (1982-1984)
Officier en second du commando Jaubert (1985-1987)
Commandant en second de l’aviso-escorteur Cdt Bory (guerre Irak-Iran) (1987-1988)
Commandant le commando Jaubert (1988-1990)
Directeur de l’enseignement de l’école des fusiliers marins (1990-1992)
Commandant la base navale française de Dakar (Sénégal) (1992-1993)
Commandant en second de la frégate Latouche-Tréville (Océan Indien) (1995-1997)
Chef du service intérieur du porte-avions Charles-De-Gaulle (1996-1997)
Commandant du bâtiment de transport spécial Bougainville (Océan Pacifique) (1997-1999)
Officier détaché à Rio de Janeiro (transfert du porte-avions Foch à la marine brésilienne) (2000)
Chef d’état-major de la force des fusiliers marins et commandos (2000-2001)
Attaché naval près l’ambassade de France à Brasilia (2001-2004)
Attaché de défense près l’ambassade de France à Lisbonne (2004-2007)
Contre-amiral (2008)
Ouvrages
Dans les bars des bouts du monde (2010)- Zéraq, la mer sur le vif (2011)- Aux passantes des bouts du monde (2012)- Sorties de
table (2012)- Sur le coffre de l'Homme Mort (2013)- Bras de fer à Moruroa (2013)- La diva, le président et autres face-à-face (2014)
Distinctions
Officier de la Légion d’honneur
Croix de la Valeur militaire
Le sujet est grave, qui ressort régulièrement dans les pages de cette tribune. Aussi, que l’on veuille bien me pardonner ce titre facile, à l’évocation quelque peu
romantique, ainsi que ces lignes à l’abord intimiste ! Au fond pourtant, il s’agit bien de vent, de celui de l’Histoire, en l’occurrence il est même fort probable qu’il s’agisse
d’intempéries…
L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, née deux ans auparavant, avait installé ses quartiers sur notre territoire national l’année de ma naissance. J’ai
donc avec l’OTAN comme un lien entre contemporains. Un de mes oncles, aviateur, héros de mon enfance, m’avait fait approcher l’ambiance des installations du SHAPE de Rocquencourt : puissance
protectrice après les années de guerre, en rempart contre ce qui se tramait derrière le rideau de fer ; décontraction à l’américaine au regard du traumatisme, encore palpable , que reflétait
la société française après les épreuves qu’elle avait vécues ; accès – restreint certes, au "hors tax"» du PX où l’on trouvait Camel sans filtre et tabac de Virginie, et où j’avais eu le
privilège de me voir offrir cet outil Lethearman multifonctions que l’on ne trouverait sur nos étalages que plusieurs décennies plus tard. Aussi, en 1966, dans les balbutiements de ma
jeune "conscience géopolitique", je n’avais pas bien compris pourquoi le général De Gaulle avait exigé que le SHAPE allât planter ses pénates au-delà de nos frontières. Il faut dire que je ne
savais encore rien du projet machiavélique que Roosevelt avait concocté pour accompagner la libération de la France, quelque 20 ans plus tôt.
Arrivé sous le pavillon de la Marine Nationale, je suis tombé tout naturellement dans le bain "otanien". Au cours du brevet élémentaire, on nous a fait apprendre le
jargon opérationnel de l’Organisation, présenté sous forme de "romans" (sic) propres à chaque type de lutte : langage souvent bon-enfant mais efficace, plantant un décor qui ne faisait aucun
doute sur qui étaient les bons et qui étaient les méchants. De quoi douter d’ailleurs ? Au dehors, le monde était solidement divisé en deux camps et la légitimité des peuples de l’Est
subissait le même traitement que celui réservé à la cause amérindienne (1) dans les productions hollywoodiennes. Ainsi, une grande moitié de ma carrière militaire, je me suis satisfait du confort
intellectuel et moral qu’offrait ce que l’on appelait "l’équilibre de la terreur", d’autant plus que la France – vraie fierté, conservait cette singularité de rester en dehors du commandement
militaire intégré. Quand, à la surprise générale, le monde soviétique s’est effondré et que le Pacte de Varsovie s’est dissous naturellement, on s’attendait à ce que l’OTAN, peut-être pas en fît
autant, mais au moins changeât de nom et de mission puisque la grande menace avait disparu. Quelques "grandes consciences", sur le mode prophétique, évoquaient alors les "dividendes de la paix",
mais on nous a très vite expliqué qu’il serait dommage de perdre l’interopérabilité acquise entre les différents membres de l’organisation durant les 40 ans de son existence, que, certes, la
menace n’était plus aux frontières mais "qu’elle n’avait plus de "et que, contrairement à ce qu’on laissait entendre jusque-là, l’OTAN n’avait pas été créée en réaction au Pacte de Varsovie, mais
– ce qui pouvait encore apparaître comme un détail, lui était antérieure…
Au cours de la décennie 1990-2000, alors que la situation de la Russie confinait au désastre – cette phase de descente aux enfers culminant, si l’on puit dire, avec
le naufrage (2) du sous-marin à propulsion nucléaire "Koursk", l’OTAN poussait politiquement ses pions bien au-delà de la promesse faite par James Baker à MikhaÏl Gorbatchev en 1990, de ne pas
étendre l’Alliance atlantique plus à l’Est si la Russie acceptait la réunification de l’Allemagne au sein de la dite Alliance. On pouvait encore se dire que, certes la parole de l’Occident
n’avait pas été tenue, mais qu’il s’agissait-là d’une sorte de compensation pour avoir été maintenus, pendant de longues décennies, dans la peur de voir déferler les spetsnaz (3) dans un de
nos petits matins calmes, comme c’était arrivé à la Hongrie en 1956. Mais cela ne suffisait pas, et sur le plan militaire les affaires allaient bon train. Le dépeçage de l’ex-Yougoslavie
s’opérait, sans mandat de l’ONU et dans un parti pris qui, entre autres, a fini par valoir à l’Europe géographique l’installation d’une république musulmane en son sein, après que les Serbes,
alliés historiques de la France, ont subi presque trois mois de bombardement des avions de l’Alliance. Y compris des avions français, trahison que ne parvient toujours pas à comprendre le peuple
de Serbie… Gonflé par la lourde propagande de l’époque, un de mes camarades, pilote de chasse, se souvient de son émotion de combattant auquel on fournissait pour la première fois une opération
en vraie grandeur. Très vite, il n’a plus aimé qu’on lui en parle et ce n’est pas l’acquittement posthume, en mars de cette année, de Slobodan Milosevic, déclaré innocent par le TPIY, dans le
silence médiatique le plus absolu, de tous les crimes dont on l’avait accusé, qui sera de nature à calmer le trouble de sa conscience abusée. Au cours de la même guerre, quand les commandos sont
entrés en précurseur au Kosovo et que, censés trouver des charniers laissés par les Serbes, ils ont découvert les horreurs perpétrées par les bandes de l’UCK (à commencer par des officiers serbes
crucifiés dans les arbres), on leur a expressément demandé de faire grâce au commandement de leurs comptes rendus. Par la suite, quand on leur a donné pour mission la recherche des criminels de
guerre, étrangement il n’y avait que des Serbes sur la liste. Entre temps, on avait installé ceux de l’UCK au pouvoir, lesquels, à l’heure qu’il est, poursuivent leur purification ethnique contre
les Serbes dans l’indifférence générale. C’est ainsi que l’on a compris que, pour le moins, l’OTAN n’était pas le gage de "stabilité du continent" comme sa charte le laisse entendre…
Est-ce l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine au début des années 2000, et la perception immédiate de sa volonté de redresser la dérive mortifère prise par la
Russie en une décennie, qui ont fait accélérer l’Alliance atlantique dans son entreprise de "stabilisation" ? Les historiens jugeront. Toujours est-il qu’à peine les Balkans "stabilisés", on a
entendu dans les couloirs des rédactions, comme de certains états-majors, qu’il fallait "sauver l’OTAN", en d’autres termes lui trouver une mission, pour ne pas dire une petite guerre à se mettre
sous la dent. Le 11 septembre 2001 est arrivé à point… En novembre de la même année, sous prétexte de "combattre le terrorisme" les troupes américaines, suivies d’autres sous l’égide de l’OTAN,
intervenaient en Afghanistan – Kaboul est sur la route de Mourmansk, c’est bien connu ! - avec un mandat limité de l’ONU, qui fut rapidement transgressé. Deux ans plus tard, une coalition
comparable (de laquelle s’est soustraite la France dans un dernier sursaut de lucidité et d’indépendance) intervenait en Irak, cette fois-ci sans aucun mandat, accomplissant la "stabilisation"
(4) que l’on sait. Et l’on ne parle pas de celle "réussie" en Libye, dont on a délégué les opérations (5) à l’inoxydable auxiliaire anglais et au tout nouveau revenant dans le commandement
militaire intégré de l’OTAN, lequel n’a pas épargné son zèle pour faire oublier ses quarante ans d’égarement. Ni de celle, sous l’habit d’une coalition improbable et en violation de toutes les
règles internationales, qui rencontre de grosses difficultés dans sa tentative, aux côtés de Daesh et consorts, de faire tomber le président légitime de la république arabe syrienne, et qui a
révélé l’énorme mensonge sur lequel surfe l’OTAN, fer de lance - entre autres grands "humanistes", d’une certaine finance, du complexe militaro-industriel américain et des idéologues
néo-conservateurs, dans leur entreprise de pillage des ressources de la planète. Ni enfin, dernier avatar, pour le moment, de ces opérations de "stabilisation", celle qui a renversé le
président élu d’Ukraine, pour le remplacer par un régime dont on ne sait qui du mafieux ou du néo-nazi est le plus qualifié pour le représenter. Jeu provocateur aux portes de la grande Russie
(chef naturel des nations qui refusent d’adhérer au système), auquel se joint benoitement une Europe qui, à l’exception de la France et de la Grande-Bretagne, n’a jamais fait l’effort financier
de sa défense. C’est le cas, plus particulièrement, de certains petits pays qui, dans une sorte d’hystérie post-guerre froide désuète, ont accepté - voire réclamé, l’installation des missiles
nucléaires de l’OTAN, se désignant d’emblée comme cible en cas de réponse à une première frappe que les (apprentis) sorciers atlantistes n’estiment plus impossible de déclencher. Tout va très
bien, comme dirait la chanson…
De rassurante au temps de la guerre froide, l’Organisation apparaît désormais comme un outil militaire relevant plus d’une gouvernance (6) supranationale que de la
maîtrise des Etats - y compris de celui des Etats-Unis d’Amérique, lesquels, pour la plupart, ont abandonné leurs pouvoirs à leurs créanciers. Le monde dit libre a cessé de l’être dès lors que
leurs dirigeants, au mépris de leur peuple, n’ont plus su résister au mirage de l’argent facile et à la planche à billets. Et l’on imagine que la pression a dû être forte pour qu’un diplomate de
haut vol comme celui qui a été chargé d’étudier le dossier, en soit venu à conseiller au président de la république de l’époque, que la France rejoigne le commandement militaire intégré,
précisément au moment où la singularité de son indépendance lui aurait permis d’échapper à un suivisme mortifère, dans des combats qui ne sont pas de son intérêt.
La France dans ce qu’est devenu l’OTAN… C’est comme si j’avais réalisé, la mort dans l’âme, qu’au fil du temps, criblé de dettes, emporté par la folie
meurtrière de ses créanciers, ayant abandonné l’idéal de sa jeunesse et renié sa culture, poussant parfois le zèle jusqu’à précéder les intentions du caïd, mon père avait fini par être complice
d’une bande d’assassins.
(1) On remarquera que le genre western a disparu subitement des écrans dès lors que l’Indien n’était plus forcément le méchant.
(2) Dans des conditions qui restent à éclaircir…
(3) Depuis, j’ai appris d’un camarade attaché de défense russe que de l’autre côté du rideau de fer, on vivait aussi dans la crainte de voir débarquer
les G.I.
(4) Avec, à la clef, la mort des suites de violences et de privations, de 500 000 enfants irakiens, "le prix de la démocratie" nous a dit Madeleine
Albright.
(5) Opérations au cours desquelles nos forces armées ont prouvé leur compétence et leur haut degré de préparation, malgré de cruelles carences logistiques
dont on ne peut leur imputer la responsabilité.
(6) Néologisme auquel on nous a peu à peu habitués, illustration de ce besoin de créer des mots quand on a décidé de bafouer le bon sens, la réalité ou la
vérité.
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