Attaque du commissariat de Champigny : L'arbre qui cache la forêt

...par Pierre-Marie Sève - Le 12/10/2020.

FIGAROVOX/TRIBUNE - Une quarantaine de personnes se sont attaquées samedi 10 octobre au soir au commissariat de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne) avec des tirs de mortier d’artifice. Selon Pierre-Marie Sève, la justice doit se réformer afin d’assurer une réponse pénale forte et le respect de l’État.

Source :

Figaro Vox

- Institut pour la justice

 

 

Le 10 octobre au soir, le commissariat de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne) a été attaqué par des tirs de mortier d’artifice.
Le 10 octobre au soir, le commissariat de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne) a été attaqué par des tirs de mortier d’artifice. MARTIN BUREAU/AFP

Pierre-Marie Sève est délégué général de l’Institut pour la Justice (IPJ).


Le 6 octobre au soir, à Herblay, dans le Val d’Oise, deux policiers ont subi une tentative de meurtre. Au cours d’une enquête banale, trois hommes se sont rués sur les fonctionnaires, les ont sortis de leur voiture, leur ont fracturé le crâne et tiré dessus au moins 7 fois avec leurs propres armes de service.

Dans la nuit du 10 au 11 octobre, toujours en région parisienne, ce sont une quarantaine de personnes qui se sont attaquées au commissariat de Champigny-sur-Marne. Avec des dizaines de tirs de feux d’artifice, ce que l’on peut littéralement appeler un «siège» a duré près d’une heure. Il n’y a toutefois eu aucun blessé dans l’attaque, même si les locaux et de nombreux véhicules de police ont été dégradés.

Un rapport de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice fait état d’une hausse de 60 % entre 2017 et 2018 du nombre de policiers blessés par arme en mission.

Ces attaques sont intolérables et choquantes, mais ne sont qu’une infime partie de ce qui se passe au quotidien en France. S’ils font la une des journaux aujourd’hui, ces phénomènes sont en explosion depuis des années et les statistiques le prouvent.

Faut-il rappeler qu’en juin dernier, lors d’une manifestation pour Adama Traoré, c’était le commissariat de Clichy qui s’était fait attaquer en plein jour au vu et au su de tous? Faut-il rappeler que le commissariat de Champigny-sur-Marne avait subi une attaque selon le même mode opératoire déjà en avril dernier?

Un rapport de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice fait état d’une hausse de 60 % entre 2017 et 2018 du nombre de policiers blessés par arme en mission. Ce malaise peut être mis en parallèle avec le nombre de suicides que vit la police. Un rapport parlementaire de 2018 faisait état d’un taux de suicide 36 % plus élevé dans la police que dans la population générale.

Ce sont également les agressions contre les pompiers qui provoquent l’incompréhension dans la population en général. Selon l’ONDRP, ils sont 3411 à avoir déclaré une agression en service en 2018, soit en hausse de 21 % sur un an. Sur 10 ans, la hausse est encore plus spectaculaire avec une augmentation de 213 % des faits d’agressions. Le constat pourrait être produit pour les médecins qui déclarent année après année une hausse continue des agressions qu’ils subissent.

Le nombre de faits de cette nature est inquiétant, mais c’est également la forme qu’ils prennent qui doit retenir l’attention. Lors de son audition au Sénat, le criminologue Alain Bauer évoquait cette profonde mutation de l’opposition que subissent les policiers: «Auparavant, les policiers ou les gendarmes étaient la cible de violences lorsqu’ils intervenaient de manière impromptue, au milieu d’une situation où leur présence était perturbatrice. (...) La donne est nouvelle: l’on est mis en cause dans sa propre identité, alors même que l’on n’est pas générateur d’un élément qui justifiait jusqu’à présent la confrontation due à la surprise». Il prophétisait ainsi les agressions de ces derniers jours où les policiers ont été attaqués sans même avoir été impliqués dans un incident direct.

Ces gangs sont entrés dans un rapport de force avec l’État, signe qu’ils sont ont atteint un certain niveau de confiance en leur force et en l’impuissance de l’institution.

C’est un phénomène de fond: l’État français n’est plus respecté en général, et en particulier dans certaines enclaves du territoire français.

Aujourd’hui, il y a 1 400 quartiers relevant de la politique de la ville, soit cinq millions et demi de personnes, et il y a 60 quartiers qualifiés de manière éloquente de «reconquête républicaine». C’est dans ces enclaves que l’autorité de l’État n’est plus respectée. 29 % des violences contre les dépositaires de l’autorité publique ont lieu en agglomération parisienne, et 94 % sont en milieu urbain. Les policiers, les pompiers, les médecins qui s’aventurent dans ces enclaves se font attaquer sans raison apparente et sans riposte quelconque de l’État français. L’ancien préfet Michel Aubouin le diagnostiquait déjà dans son livre 40 ans dans les cités: il y a, en France, des territoires que l’État ne contrôle pas. Y prolifèrent le trafic de drogue, le développement de l’islamisme radical, l’incivilité au quotidien et un sentiment de haine anti-flics.

Le choix de l’arme a également tout d’un symbole. Quoi de plus ostensible qu’un feu d’artifice? La volonté de mise en scène de l’impuissance de l’État face à ces gangs est flagrante. Ces gangs sont entrés dans un rapport de force avec l’État, signe qu’ils sont ont atteint un certain niveau de confiance en leur force et en l’impuissance de l’institution.

La Justice doit être réformée et a, avant tout, besoin d’un changement de mentalité.

Gérald Darmanin souhaite ainsi interdire les mortiers d’artifice à la vente au public. Si elle est la bienvenue à court terme, cette mesure en dirait long sur l’état de la France, pays dans lequel la violence a atteint un niveau tel que les feux d’artifice sont interdits. C’est, en outre, le genre de mesure qui ne traite que la surface du problème.

La gestion des violences faites contre les policiers est ensuite l’affaire des Ministères de l’Intérieur et de la Justice. Gérald Darmanin l’a bien compris, mettant en avant un positionnement commun avec Éric Dupond-Moretti. Le respect de l’État réside en effet en grande partie dans la force de la réponse pénale. Problématique que je connais bien par l’Institut pour la Justice: la réponse pénale est littéralement vidée de l’intérieur par des mesures alternatives aux poursuites, à mille lieux d’une quelconque réponse concrète.

Lorsqu’il a été interrogé par question écrite sur les violences faites aux policiers, le ministre de l’Intérieur répondait, en 2019, que tout serait réglé par une augmentation des moyens policiers. C’est, à mon sens, une erreur. C’est la Justice qui doit être réformée et qui a, avant tout, besoin d’un changement de mentalité.

La libération, par exemple, pendant le confinement, de plusieurs milliers de prisonniers a envoyé un message délétère aux délinquants: être condamné à de la prison en France ne vous enverra pas en prison. Comment pourraient-ils avoir peur des conséquences si ces conséquences n’existent plus?

C’est également par exemple la Justice des mineurs qui illustre cette mentalité. Alors que, lors de l’attaque sur le commissariat de Champigny en avril, des mineurs avaient été arrêtés, la justice des mineurs continue de rester trop symbolique. Le pédopsychiatre Maurice Berger, responsable d’un Centre éducatif fermé estime pourtant que «seule une mesure matérialisée, c’est-à-dire concrète, a un sens pour beaucoup de ces jeunes».

La pratique de la correctionnalisation judiciaire, qui consiste à requalifier des crimes en délits pour que la sanction soit moins forte, doit être abandonnée. Mais, entre autres mesures, il faut également sortir, au moins provisoirement, de la Convention européenne des Droits de l’Homme, véritable porte d’entrée d’une idéologie laxiste.

Ce qu’il faut espérer désormais, c’est que les paroles de l’ancien préfet Michel Aubouin ne soient pas vérifiées lorsqu’il termine son livre par ces paroles: «La France se redressera, comme elle l’a toujours fait, mais au prix de nombreux morts et de beaucoup de souffrances.» Voilà où nous en sommes.

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