Géopolitique : Iran - Sécurité et Défense en Asie de L'Ouest

 

...par le Gal. Dominique Delawarde - le 11/01/2018.

 

St. Cyr : Promotion "Souvenir de Napoléon" 1968/1970

 

Ancien chef du bureau "Situation-Renseignement-Guerre Electronique" de l'Etat major Interarmées de Planification Opérationnelle.


Bonjour à tous, 

 

Ayant participé comme "Guest Speaker" à la Conférence Internationale sur la Défense et la Sécurité en Asie de l'Ouest qui s'est tenue le 7 janvier à Téhéran, je viens rendre compte à mes amis de ce qui m'a frappé et qui me semble mériter votre attention.

 

Cette conférence regroupait des représentants de 34 pays, qui comptent 60% de la population mondiale. Asie de l'Ouest = Proche et Moyen-Orients + Asie Centrale

Bonne lecture.

 

DD

 

PS : Vous pouvez évidemment rediffuser mon papier à tous ceux qui pourraient être intéressés.


Iran : témoignage concernant la Conférence Internationale de Téhéran sur les questions de

Défense et de Sécurité en Asie de l'Ouest (Dominique Delawarde : 10 janvier 2019)

 

(Photo)

 

Ayant participé, en qualité de «Guest Speaker» à une Conférence Internationale sur les

questions de Défense et de Sécurité en Asie de l'Ouest (Moyen et Proche-Orients), je viens en

rendre compte à mes amis qui n'ont pas eu la chance d'y participer et n'en auront pas le moindre

écho par la presse mainstream de notre pays, que ce genre de détail de l'histoire n'intéresse pas.

 

La Conférence s'est déroulée le 7 janvier 2019 à Téhéran. Voilà ce qui m'a frappé sur la

forme et sur le fond.

 

1 - Sur la forme, l'organisation des débats et les participations étrangères méritent une

attention particulière.

Les débats se sont déroulés, sécurité d'une conférence internationale oblige, dans les locaux

spacieux et sécurisés du ministère iranien de la défense.

 

(Photo)

 

L'analyse des participations étrangères (présences et surtout absences) me paraît très

éloquente : 34 pays représentant tout de même plus de 60 % de la population mondiale avaient de un à six représentants officiels militaires et/ou diplomates (si l'on excepte l'Iran, pays organisateur, la délégation russe était la plus nombreuse).

 

Parmi les grands pays citons tous les pays BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique

du Sud) et les 8 pays membres à part entière de l'Organisation de Coopération de Shanghai (OCS). (Russie, Inde et Chine, bien sûr, auxquels il faut ajouter le Pakistan, l’Ouzbékistan, le Kazakhstan, le Kirghizistan , le Tadjikistan). La seule présence surprenante pour moi a été celle du Brésil de Bolsonaro, nouvel ami d'Israël et des États Unis, qui, en toute logique, aurait du boycotter une réunion organisée par le plus mortel ennemi de ses nouveaux amis. Sans doute l'invitation avait-elle été acceptée avant l'intronisation de Bolsonaro ?

 

A ces pays, il faut ajouter deux pays importants: L'Iran, membre observateur de l'OCS, pays

organisateur, et la Turquie partenaire de discussion de l'OCS.

 

Chacun ayant sa calculette observera que les 12 pays cités ci-dessus représentent, à eux

seuls, près de la moitié de la population de l'humanité. ......

 

Outre ces 12 pays figuraient les 4 principales victimes du chaos généré par les USA dans

cette région à partir de 2003 avec leur guerre visant à réaliser un changement de régime en Irak au prétexte mensonger des armes de destruction massives. Il y avait donc tout naturellement des

représentants de l'Irak, pays à majorité chiite, de la Syrie, pays multiconfessionnel à majorité

sunnite (à 70%), du Yémen (tendance Ansarrallah), minorité chiite (45%) et de l'Afghanistan,

sunnite à 80%.

 

Il y avait également des états que l'on peut considérer comme solidaires de l'Iran parce que victimes, comme l'Iran, des sanctions US : Le Venezuela et la Corée du Nord par exemple ou

pour tout autre raison : l'Algérie (pays musulman, proche de la Russie, de 42 millions d'habitants

majoritairement sunnites), et l'Indonésie (pays de 265 millions d'habitants majoritairement

sunnites).

 

Il y avait enfin 4 pays de la coalition occidentale qui ne font pas semblant, eux, de soutenir l'accord sur le nucléaire iranien et qui marquaient, par leur présence, leur réelle volonté

de construire la paix aux Proche et Moyen-Orient et de continuer à faire des affaires avec l'Iran : Le Japon, l'Allemagne, l'Autriche et l'Italie. Ces quatre états prennent évidemment aujourd'hui, avec les pays BRICS et l'OCS, les places laissées vacantes par les entreprises des pays les plus soumis à l'influence des lobbies pro-israéliens (USA, UK et FR).

 

A ces 24 états s'ajoutaient une dizaine d'états non UE dont je n'ai pas identifié les drapeaux.

 

(Photo)

 

Les absences officielles les plus marquantes, pour ne pas dire les plus choquantes, mais tout

à fait prévisibles pour la raison indiquée ci dessus, étaient donc celles des États Unis, de la France et du Royaume Uni. Peut être craignaient-ils, pour les deux derniers, de se retrouver aux bancs des

accusés pour leurs frappes conjointes et illégitimes d'avril 2018 . Nous étions, mon ami Alain

Corvez et moi, invités en tant qu'experts de la région et nous ne parlions évidemment pas au nom de notre pays.

 

Rien de surprenant à l'absence des USA qui se sont retirés de l'accord sur le nucléaire.

 

Mais quid de la France qui prétend soutenir l'accord sur le nucléaire iranien et qui «en même temps» ne trouve personne dans son ambassade de Téhéran, pour la représenter

officiellement dans une conférence internationale sur les questions de Défense et de Sécurité aux

Proche et Moyen-Orients, conférence qui réunit les représentants de 60 % de la population de

l'humanité ? Il est vrai que la France n'a plus d'ambassadeur en Iran depuis le départ de François

Sémenaud le 27 juin 2018. A ma connaissance, cet ambassadeur n'a pas encore été remplacé.

Décidément l'élite qui nous gouverne et qui continue de se soumettre aux USA et aux lobbies pro-

israéliens ne comprend pas bien ce qu'est la cohérence en matière de politique étrangère. La France dit «soutenir» l'accord et «en même temps» elle cède aux pressions des USA et des lobbies pro-Israéliens sur à peu près tout, y compris en retardant la nomination d'un ambassadeur, en rechignant sur la nomination d' un attaché de défense et en brillant par son absence dans une simple conférence sur la Sécurité en Asie de l'ouest où elle aurait pu envoyer ne serait-ce qu' un simple conseiller ou chargé d'affaire de son ambassade.

 

Voir:

https://www.lopinion.fr/blog/secret-defense/bras-fer-autour-l-envoi-d-attache-defense-en-iran-140067

 

Il faut savoir ce que la France veut : peser ou non de manière indépendante dans les affaires

de l'Asie de l'Ouest. Si oui, il faut évidemment avoir une ambassade dans cette grande puissance

régionale qui constitue un acteur clef dans la lutte contre le terrorisme et le maintien, ou non, de la stabilité dans la région.

 

L'influence désastreuse de la «secte» est donc plus que jamais d'actualité au ministère

des affaires étrangères français. Cette «secte» d'obédience néoconservatrice et pro-israélienne a

été identifiée par le journaliste d'investigation du Journal Libération Vincent Jauvert et a été

dénoncée en avril 2016 dans un livre intitulé «La face cachée du Quai d’Orsay : Enquête sur un

ministère à la dérive». C'est elle qui est responsable de cette absence des représentants français en Iran. Cette absence profite évidemment à l'état hébreu puisque la France n'a plus de grand témoin susceptible de faire évoluer la position française, et susceptible de favoriser d'éventuelles

négociations directes entre l'Iran et la France.

 

2 – Sur le fond, la conférence était intéressante tant dans les interventions officielles que dans les conversations entre les membres des délégations en marge des débats. J'ai eu la chance de pouvoir échanger longuement (près d'une heure) avec le chef de la délégation russe, (Sergey

ORDZHONIKIDZE, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire qui m'a offert l'original du texte

de son intervention (en anglais). J'ai pu aussi échanger plus brièvement avec le vice ministre de la

défense syrien, représentant son pays à la conférence.

 

Je retire de tout cela les conclusions suivantes.

 

1ère conclusion: Aucune mésentente entre sunnites et chiites n'a été perçue parmi les pays

musulmans représentés (Afghanistan, Algérie, Indonésie, Pakistan, Turquie, pays d'Asie centrale,

Syrie majoritairement sunnites ont fait bon ménage avec l'Iran, l'Irak, le Yémen-Ansarrallah

majoritairement chiites.

 

Sunnites et chiites se sont entendus sur deux points lors de la conférence :

1 - il faut lutter ensemble contre l'extrémisme islamiste en Asie de l'Ouest mais sans les

sempiternelles ingérences étrangères qui ne font qu'empirer les choses.

 

2 - Les ingérences US et occidentales en Asie de l'Ouest et les dégâts collatéraux des

bombardements qui tuent souvent des innocents, femmes et enfants, sont à l'origine de la montée de l'islamisme intégriste par la haine qu'ils suscitent contre les USA.

 

L'intervention du représentant afghan a été particulièrement claire à cet égard. Il est vrai que

la multiplication par huit du nombre de bombes larguées sur l'Afghanistan par les forces

aériennes US entre 2015 et 2018 dans le cadre des opérations Freedom Sentinel et Resolute Support n'arrange manifestement pas les choses (voir les statistiques officielles US ci dessous

référencées). De 947 bombes larguées sur l'Afghanistan en 2015, le total devrait dépasser les 7000 en 2018 ! (On ne connaît pas encore les chiffres des 2 derniers mois de l'année 2018).

 

http://www.afcent.af.mil/Portals/82/Documents/Airpower%20summary/Airpower%20Summary%20Oct%202018.pdf?ver=2018-11-29-005759-743

 

Peut être faut-il se rendre à l'évidence. Après 17 ans d'ingérence, d'actions au sol et de

bombardements, les USA ne parviennent pas à solutionner le problème de l'islamisme

intégriste en Afghanistan au point qu'ils en sont réduits à bombarder toujours plus, et, par

conséquent, à multiplier les bavures et les dégâts collatéraux. La montée en puissance de

l'islamisme intégriste a encore de beaux jours devant elle.......0

 

2 ème conclusion : L'ingérence des USA dans les pays de la région est clairement perçue d'abord

comme l'expression d'un soutien inconditionnel à l'état hébreu mais aussi comme la volonté de

contrôler, au profit des USA, des zones riches en ressources naturelles. Cet ingérence, créatrice de chaos, de haine, de mort et de sang a été évidemment dénoncée par les intervenants des pays qui en sont les premières victimes (Irak, Syrie, Yémen, Afghanistan).

 

3 ème conclusion : En marge de la conférence, mes discussions avec le chef de la délégation russe, m'ont convaincu que les russes connaissent parfaitement les responsables qui agissent en coulisse et qui suscitent la russophobie ambiante dans quelques pays occidentaux (USA, UK et France). Ils connaissent les lobbies tenant le haut du pavé dans ces trois pays (et dans quelques autres: Canada, Australie, Brésil de Bolsonaro). Ils connaissent les lobbies qui contrôlent aujourd'hui les médias mainstream et la politique étrangère dans ces pays. Ils connaissent l'action de manipulation des opinions publiques via des outils de type Cambridge Analytica, créés et contrôlés par des membres éminents de ces mêmes lobbies. Ils connaissent l'importance du rôle de ces outils anglosaxons pour promouvoir ou détruire des candidats dans les grandes élections de 2016, 2017 et 2018. Ils connaissent le chef d’État qui anime et influence, en coulisse, ces réseaux d'influence très puissants.

Ils confortent les attendus et conclusions de mon article de février 2017 :

 

 https://reseauinternational.net/analyse-des-relations-etats-unis-russie-israel-general-dominique-delawarde/

 

Ceci explique peut-être la tension croissante qui se développe dans les relations entre la

Russie et l’État hébreu, nettement perceptible aujourd'hui à la lecture quotidienne de la presse

israélienne et de la presse russe.

 

4 ème conclusion : Si la responsabilité du chaos dans la région a été très majoritairement imputée au duo USA-UK, la France n'a guère été évoquée dans le débat. En clair, absente à la conférence, elle était aussi quasiment ignorée dans les interventions. Elle semble simplement être sortie du cercle des acteurs majeurs aux yeux des états de la région présents à la conférence.

 

A ceux qui rêvent encore d'un retour de l'influence de la France en Syrie, je réponds : c'est

bel et bien fini et pour longtemps, très longtemps. La France n'aura que les miettes et le rôle que

voudra bien lui accorder la Russie, si et seulement si, elle donne quelques gages d'indépendance vis à vis des USA. La France apparaît aujourd'hui comme un pays affaibli, diplomatiquement,

économiquement, militairement, socialement : bref, un pays dépendant, vassal soumis des USA, un pays qui ne compte plus vraiment par lui même. La France bénéficiera peut-être de l'indulgence et de l'intelligence de Poutine qui reste encore plutôt francophile et aspire toujours à développer des relations amicales et d'intérêt commun avec l'UE.

 

5 ème conclusion : L'affaire des gilets jaunes (Yellow Vest, Yellow Jackets) a été évoquée en

marge de la conférence. Les images tournent en boucle sur les télévisions iraniennes. Cela ne

grandit pas l'image de la France et de l'occident tout entier. La gouvernance française qui s'est

souvent posée en modèle et en donneur de leçon est décrédibilisée. La gouvernance iranienne a

beau jeu de dénoncer le «merveilleux modèle démocratique occidental» qui génère des révoltes

populaires. Cela conforte évidemment les tenants du régime en montrant à la fraction du

peuple iranien qui fantasme sur le modèle occidental que celui-ci n'est pas aussi idyllique

qu'elle ne se l'imagine.

 

Certains ne sont pas fâchés, en regardant ces images, de prendre leur revanche sur les

«révolutions colorées» et autres «printemps arabes» souvent suscitées et/ou soutenues de

l'étranger.

 

L'«automne-hiver français» et la contagion qui affectent d'autres pays de l'Ouest, les gilets

jaunes, les stylos et les foulards rouges, l'action des forces de l'ordre avec utilisation massive de

gaz (tiens donc !), tout cela divertit beaucoup les téléspectateurs en Asie de l'Ouest et rend de plus en plus inexportable notre modèle social et surtout notre système représentatif et de

gouvernance qui semble bien à bout de souffle.

 

C'est volontairement que je ne conclurai pas. Chacun des lecteurs arrivé à ce stade de mon

exposé est capable de réfléchir et de conclure par lui même. Je constaterai simplement que les

équilibres économique, géopolitique et démographique du monde sont en cours de bascule. Peut

être est-il grand temps de revoir, en profondeur, notre politique étrangère, et de retrouver notre indépendance, si la France ne veut pas s'assurer, demain, une place de choix dans le camps des perdants.

 

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Politique de défense et de sécurité en I
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