Fin des manoeuvres et début de la violence ?

...par le Dr. Abderrahmane Mekkaoui -  (CF2R/Note d'actualité n°548 - 07/2019

Après quatre mois de contestation en Algérie, l’analyse objective de l’évolution de la situation indique que le pays traverse une crise profonde touchant aux fondements politiques du système. Il ne s’agit point de question constitutionnelle ou sociale. Mais d’un conflit qui oppose le commandement de l’armée représentée par 22 officiers supérieurs et le peuple algérien. Et le rapport de force commence à s’installer entre les deux parties antagonistes.

 

Après les menaces considérant les manifestants comme des égarés et manipulés par des « mains étrangères », le chef de la junte militaire, devant l’ampleur du soulèvement, a opéré un coup d’Etat en douceur, le 4 avril, contre l’ex président Bouteflika et son clan pour satisfaire les revendications politiques de la population algérienne qui ne voulait ni d’un cinquième mandat, ni de la prolongation due quatrième.

 

Mais en coupant les branches mortes du système, l’institution militaire n’a pas réussi à apaiser des revendications politiques énoncées lors de chaque vendredi et dans les 48 wilayas du pays. Et la principale est le « dégagement » de tous ceux qui occupent le pouvoir et la fin de la primauté du militaire sur le politique. Comme le disait Mohamed HARBI « Tous les Etats ont créé leur propre armée, c’est l’ANP qui a créé l’Etat algérien ».

 

Dans ce rapport de force musclé avec le peuple, le commandement militaire a utilisé toutes les manœuvres et les ruses possibles et imaginables pour faire avorter cette révolution du « sourire ».

 

Les militaires se sont d’abord appuyés sur la Constitution – d’ailleurs violée à plusieurs reprises -, notamment sur l’article 102 qui définit la vacance du pouvoir. L’éviction d’Abdelaziz Bouteflika leur a permis de ne pas lâcher l’autorité et ses privilèges en présentant de nouveaux visages en façade d’un système inchangé.

 

Leur seconde tactique a été de parier sur l’affaiblissement dans le temps du mouvement protestataire, notamment son essoufflement pendant le mois sacré du ramadan. Mais la température et la canicule estivale n’a modifié en rien la détermination du peuple de changer radicalement le système « corrompu et assassin ».

 

Devant cette résistance l’institution militaire, afin de renforcer sa popularité, va alors tenter une nouvelle approche, fondée sur trois mesures :

 

– en premier lieu, l’activation de la justice et l’arrestation très médiatisée des anciens responsables militaires et civils de l’ère Bouteflika (opération « mains propres »). Cette mesure, applaudie par l’ensemble des Algériens, a néanmoins été jugée par eux insuffisante car elle a épargné les barons de la corruption proches du chef de l’état-major des armées et vice-ministre de la Défense, le général Ahmed Gaïd Salah, présenté comme l’officier supérieur le plus corrompu d’Afrique et le plus proche de la France et des Emirats arabes unis.

 

– La seconde mesure prise a été la mobilisation des médias publics et privés ainsi que les réseaux sociaux avec l’appui des médias étrangers, notamment ceux du Golfe et d’Egypte, ce que l’opposition appelle « les mouches électroniques ». Mais l’impact des médias contrôlés par le pouvoir reste limité car ils sont largement boycottés par la masse et que leur discours n’est guère attractif pour les jeunes Algériens.

 

– La troisième mesure des militaires a été d’utiliser la menace du régionalisme et de l’amazighité utilisée comme facteur de violence et de chaos, véritable arme de destruction massive de l’Algérie. Ils ont accusé les manifestants d’être des « zouaves » et des « harkis » (insultes graves en Algérie) en raison de leur attachement à leur identité millénaire et culturelle berbère. L’interdiction de l’utilisation du drapeau amazigh a déclenchée un véritable tsunami au sein de la population algérienne qui considéré cet acte comme une manœuvre venant des militaires.

 

Les militaires Algériens ont été avertis solennellement par les Etats-Unis et la France que toute recours à la violence devait être exclu, car une nouvelle situation de guerre civile dans le pays déclencherait une vague d’immigration sans précédent dont l’Europe ne veut pas. Le souvenir du coup d’Etat Turc ainsi que la « décennie noire » hantent toujours les esprits des militaires Algériens. Si l’Armée nationale et populaire (ANP) compte un demi-million de soldats, de sous-officiers et d’officiers lourdement armés, la majorité d’entre eux ne partagent pas les sentiments du commandement ni sa feuille de route qui a été déjà tracée secrètement : il semblerait en effet que le futur Président du pays soit d’ores et déjà désigné. Ce plan caché de sortie de crise vient d’être dénoncé par le Commandant Lakhdar Bourgaâ, chef historique de la quatrième région de l’ALN, homme respectable et respecté par l’opposition et les militaires. Mais en raison de cette prise de position médiatique, il a été incarcéré.

 

L’alliance entre les laïcs et les islamistes, la mobilisation active des étudiants et des cellules dormantes du DRS, la présence de près d’un demi-million de retraités de l’ANP dans la rue, sont autant de facteurs qui ont permis de déjouer toutes les mesures rusées du commandement de l’armée. Il convient d’ajouter à cela le mécontentement et la colère répandus dans les rangs de la police et la gendarmerie. En conséquence, l’institution militaire algérienne se trouve aujourd’hui dans l’impasse et en panique totale. Le recours à la force durant le dix-neuvième vendredi de manifestation, la mise en état de siège de la capitale et l’incarcération de nombreux militants prouve que le pouvoir militaire est aux abois.

 

La situation est aujourd’hui confuse. Le 26 juin dernier, le commandant des forces aériennes Hamid Maizi aurait tenté un coup de force contre le chef d’état-major à partir de l’hôpital militaire de Ain Nadja. Ce putsch a été neutralisé à la dernière minute par la mise aux arrêts de plusieurs officiers et sous-officiers sous prétexte de lutte anti-corruption. L’opposition laïque et islamique demeure toujours active dans l’orientation des manifestants par le biais des réseaux sociaux. Toutefois, selon certains observateurs, il semblerait que le hirakse soit scindé en plusieurs mouvements de contestation. Le chef d’état-major des armées est devenu un élément de blocage. Il est encombrant pour ses collègues qui semblent désormais prêts à le sacrifier sur l’autel du changement. Le forum de dialogue initié par le système à partir du 6 juillet, réunissant partis politiques et société civile, a déjà reçu une fin de non-recevoir de la part de la diaspora ainsi que de l’opposition en exil qui demeure le dynamo et le fer de lance de cette révolution dite du « sourire ». L’avenir de l’Algérie apparaît plus incertain que jamais…

 

Source : https://www.cf2r.org/actualite/algerie-fin-des-manoeuvres-et-debut-de-la-violence/

 

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