Emmanuel Macron : Au-delà des mots

...par Jean-Luc Baslé - Le 11/11/2019.

Le 7 novembre, Emmanuel Macro a donné un interview à The Economist. Chacune des deux parties est resté dans son rôle. Le président s’est présenté en Européen convaincu dans une vision française de l’Europe, c’est-à-dire une Europe dirigée en sous-main par la France, en raison de sa force de frappe nucléaire, de son siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, de son armée et de sa capacité à se projeter à l’étranger. De son coté, The Economist a soulevé les questions habituelles sur les divisions européennes et la réalité de l’Europe en tant qu’entité politique.

 

 

La déclaration du président sur la mort cérébrale de l’OTAN a suscité beaucoup de commentaires, y compris à l’étranger. Elle n’est étayée par aucun fait, hors l’attitude ambigüe de la Turquie, et les déclarations de Donald Trump. Elle vise à donner corps à son projet d’Europe de la défense. C’est une chimère. Une défense commune n’est possible que s’il existe une politique étrangère commune, définie sur la base d’intérêts ou d’ennemis communs. Ce n’est pas le cas. Les intérêts des pays européens, bien que proches, ne sont pas identiques. La Russie n’est pas l’ennemi de l’Union européenne. Elle est diabolisée par les néoconservateurs parce qu’elle se met en travers de leur projet hégémonique. Le complexe militaro-industriel s’en sert comme chiffon rouge pour justifier l’augmentation du budget américain de la défense. Une politique étrangère exige aussi une industrie de l’armement indépendante. A nouveau, ce n’est pas le cas. L’Europe s’approvisionne pour partie aux Etats-Unis. Les trois premiers importateurs sont la Grande-Bretagne, la Norvège et l’Italie. On sait les pressions exercées par Washington pour obliger un certain nombre de nations à acheter le F-35 – un avion au coût exorbitant dont le sénateur John McCain, ancien de l’aéronavale, avait demandé à ce qu’il soit abandonné !

Une industrie de l’armement indépendante suppose une industrie nationale. Or, la France ne cesse de voir disparaître ses champions nationaux : Alstom, Technip, Lafarge, Dentressangle, etc. et demain Latécoère ! Ne faudrait-il protéger ces entreprises avant de parler de défense européenne ?

Emmanuel Macron justifie la nécessité d’une défense européenne par l’émergence d’une nouvelle guerre froide sino-américaine qui n’existe pas encore, et qui n’existera sans doute jamais tant les liens économiques et financiers entre ces deux nations sont forts. Les Etats-Unis ont tout autant besoin de la Chine que la Chine des Etats-Unis. La relation sino-américaine est l’histoire d’un pari américain qui a mal tourné. Les Etats-Unis ont parié que l’inclusion de la Chine dans les relations économiques occidentales au travers de l’Organisation mondiale du commerce et du Fonds monétaire international, transformerait le système politique chinois. Ils se sont trompés. Les dirigeants chinois se sont servis de cette ouverture pour moderniser leur pays, en se gardant bien de reléguer leur pouvoir au peuple. C’est un pari de dupes. Les Américains ont été dupés par les Chinois qu’ils pensaient duper ! La politique de Donald Trump est un combat d’arrière-garde, une guerre économique mal conçue qui ne peut conduire qu’à des résultats désastreux pour les deux protagonistes, et pour le reste du monde, s’il n’y est pas mis fin rapidement.

Revenons à la défense européenne. Les Etats-Unis qui considèrent l’Europe comme un sous-continent à leur main, ne tolérerons jamais une défense européenne indépendante. Qu’arriverait-il si cette Europe s’alliait à la Russie ? Les Etats-Unis seraient marginalisées. La crainte, exprimée jadis par Halford Mackinder, se réaliserait (1). Précisons enfin que le souhait du président d’inclure la Grande-Bretagne dans la défense européenne ne fait pas sens. Ce pays a délégué pour partie sa défense aux Etats-Unis. Elle en serait donc le cheval de Troie.

En matière de politique étrangère, le discours du président a des accents gaullistes avec cependant une dose de néoconservatisme, comme l’indique ses remarques sur Bachar al Assad, la Turquie et la Russie. La présence de la France en Syrie est illégale. Rappelons qu’il n’a jamais été démontré que le président syrien avait utilisé des armes chimiques en 2013. C’est pourquoi Barack Obama a considéré que la « ligne rouge » n’avait pas été franchie, et a renoncé aux frappes aériennes. Emmanuel Macron est tout aussi gaullien lorsqu’il déclare vouloir améliorer les relations de la France avec la Russie, mais son analyse s’appuie sur une vision néoconservatrice de ce pays.

En revanche, il est tout à fait dans son rôle lorsqu’il souligne la nécessité pour l’Europe d’être à la pointe des nouvelles technologies, en particulier dans le domaine des télécommunications avec la venue du 5G.

Au-delà des mots échangés lors de l’interview, il apparaît que dans sa définition de la politique étrangère de la France, Emmanuel Macron fait face à un double dilemme. Il ne peut être Européen et gaulliste, et il ne peut être l’un ou l’autre sans irriter l’ami américain. C’est le dilemme de la France.

 

Jean-Luc Baslé

 

(1) Halford Mackinder, géographe anglais, postule que qui contrôle les plaines s’étendant de l’Europe centrale à la Sibérie – région qu’il appelle l’île-monde – contrôle l’Eurasie, et donc le reste du monde.

 

Source : https://www.iveris.eu/list/tribunes_libres/460-_emmanuel_macron__audela_des_mots

 

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Le New York Times évoque un conflit entre Macron et Merkel à propos de l’Otan

...le 24/11/2019.

https://fr.sputniknews.com/international/201911241042480185-macron-et-merkel-saffrontent-publiquement-au-sujet-de-lotan/

Alors que les relations franco-allemandes seraient déjà au plus bas, la chancelière Angela Merkel a de nouveau critiqué le Président Emmanuel Macron après ses commentaires sur la «mort cérébrale» de l’Otan, relate le journal New York Times.

Angela Merkel s’est montrée inhabituellement furieuse le 10 novembre alors qu’elle assistait, aux côtés d’Emmanuel Macron, au dîner célébrant le 30e anniversaire de la chute du mur de Berlin, annonce le New York Times.

Ce dernier cite les paroles suivantes de la chancelière allemande:

«Je comprends votre désir de mener une politique déstabilisatrice. Mais je suis fatiguée de ramasser les morceaux. Encore et encore, je dois recoller les tasses que vous avez cassées pour que nous puissions ensuite nous asseoir et prendre une tasse de thé ensemble».

Elle aurait tenu ces propos peu après l’interview où le Président français a évoqué la «mort cérébrale» de l'Otan.

 

M.Macron se serait défendu en affirmant qu'il ne pouvait pas simplement se rendre à une réunion de l'Otan à Londres début décembre, prétendre que les États-Unis et la Turquie s'étaient comportés dans l'intérêt collectif en Syrie et agir comme si de rien n’était, toujours d’après le New York Times.

 

Le journal qualifie cette conversation de preuve de la dégradation des relations entre l’Allemagne et la France.

Selon le New York Times, elle reflète aussi les tensions autour de la prochaine réunion de l’Otan au Royaume-Uni, les 3 et 4 décembre. Annoncé comme un sommet, cet événement a plus tard été rétrogradé au niveau de simple rassemblement des dirigeants, destiné à célébrer le 70e anniversaire de l’Alliance, rappelle le journal.

«Je n’ai pas vu les relations franco-allemandes à un point aussi bas depuis très longtemps. J'ai rarement vu une telle amertume et un tel désaccord», a déclaré Claudia Major, analyste en sécurité à l'Institut allemand pour les affaires internationales et de sécurité (SWP) de Berlin, citée par le New York Times.

«Mort cérébrale» de l’Otan et douche froide pour Skopje

En octobre, M.Macron a été le seul dirigeant à s’opposer à l’ouverture des négociations d'adhésion de la Macédoine du Nord à l'Union européenne et l’un des trois à être contre l’adhésion de l’Albanie. L'Allemagne de Merkel, quant à elle, s'y montrait plus favorable, selon les médias. Le ministre allemand des Affaires européennes, Michael Roth, s'est notamment dit «très déçu» par la position de la France, relatent Les Échos.

Le représentant spécial des États-Unis pour les Balkans occidentaux, Matthew Palmer, a qualifié d’«erreur historique» le blocage par l’UE de l'ouverture des négociations d’adhésion de ces deux pays balkaniques.

Le chef de l’État français a en outre provoqué en novembre une discussion sur l’Otan, évoquant «la mort cérébrale» de l’Alliance dans un entretien à l'hebdomadaire The Economist.

Il a également noté que l’Europe ne pouvait plus compter sur une défense militaire de la part des États-Unis et devait commencer à se considérer comme une force géopolitique autonome pour être en mesure d’influer sur son propre sort.

Le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, et la chancelière allemande, Angela Merkel, ont contesté les estimations de M.Macron concernant l’Alliance.

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