Le chef d’état-major Saïd Chengriha, en invoquant, au mépris de la réalité historique, les « millions de martyrs » tombés face à la France, ferme la
porte à la réconciliation mémorielle.
L’homme le plus puissant d’Algérie n’est pas le président Abdelmejid Tebboune, bien mal élu en décembre 2019, dans un scrutin marqué par une abstention historique
de 60%. Le véritable « homme fort » du pays demeure son chef d’état-major en tant que dirigeant de fait des « décideurs » militaires qui, sous une forme ou sous une
autre, accaparent le pouvoir depuis des décennies. En ce même mois de décembre 2019 où Tebboune accède à la Mouradia, l’équivalent algérien de l’Elysée, Chengriha succède à la tête des armées
algériennes à Ahmed Gaïd Salah, décédé « des suites d’un arrêt cardiaque à son domicile », selon le communiqué officiel. Gaïd Salah avait contraint le président Bouteflika à
la démission en avril 2019, dans l’espoir d’apaiser la contestation pacifiste du Hirak, avant de pousser la candidature Tebboune pour en finir une fois pour toutes avec la protestation
populaire.
UN PRESIDENT SOUS TUTELLE
La discrétion ostensible de Chengriha tranche avec les interventions brutales et les discours volontiers menaçants de Gaïd Salah, à qui les
« décideurs » ont reproché d’avoir exposé inutilement l’institution militaire. Le nouveau chef d’état-major se veut avant tout le garant d’une réconciliation interne à la clique
dirigeante, avec l’acquittement en janvier dernier des anciens chefs des renseignements militaires, les généraux Mediene et Tartag, condamnés à 15 ans de prison après la démission de
Bouteflika. Mais Chengriha n’hésite pas à brider le président Tebboune qui, après avoir annoncé un remaniement gouvernemental, le 19 février, ne parvient à changer ni le Premier ministre, ni les
titulaires des portefeuilles régaliens. Le chef d’état-major n’est pas non plus favorable à un authentique travail de mémoire sur la « guerre de libération » anti-coloniale, qui
remettrait en cause la propagande officielle, fondamentale pour la légitimation des généraux algériens.
L’Armée nationale populaire (ANP) se pose en effet en héritière de l’Armée de libération nationale (ALN), le bras armé du Front de libération nationale (FLN) depuis
le début, en 1954, de l’insurrection anti-française. Cette ANP émane pourtant d’une seule partie de l’ALN, « l’armée des frontières », qui fit mouvement à partir du Maroc et de la
Tunisie, lors de l’indépendance de 1962, pour étouffer la résistance intérieure des maquis de l’ALN. Une telle militarisation du régime algérien renversa la hiérarchie traditionnelle des pouvoirs
en faisant du FLN, parti unique jusqu’en 1989, le bras civil de l’ANP. C’est pourquoi l’exigence d’un gouvernement pleinement civil, enfin émancipé de la tutelle militaire, est au coeur
des revendications du Hirak, dont les manifestations ont repris depuis plus d’un mois. C’est également pourquoi Chengriha s’efforce de caricaturer la contestation populaire en « complot de
l’étranger », dont la France serait l’inspiratrice. Il a beau être le premier chef d’état-major sans aucun passé anti-colonial, il choisit ainsi de relancer la guerre des mémoires pour
conforter un statu quo aussi favorable aux généraux algériens.
LA SURENCHERE DES VICTIMES
Le 17 mars, Chengriha ouvre avec emphase un séminaire intitulé « Mémoire et unité nationale »: « Les positions du peuple algérien
sont comme les montagnes, immuables et inébranlables, puisqu’elles s’inspirent de notre doctrine nationale et de notre glorieuse révolution de libération, scellée par le sang de millions de
chouhada » (martyrs). L’exaltation de la lutte anti-française comme seule et unique « révolution » est une constante du discours officiel, ne serait-ce que pour
disqualifier toute forme de contestation radicale. L’invocation de « millions » de martyrs est plus troublante dans un pays où, jusque là, était plutôt avancé le chiffre d’un
million, voire d’un million et demi de morts (les historiens français considèrent quant à eux que le nombre d’Algériens tués de 1954 à 1962 est de l’ordre du quart de million, dont
environ un cinquième par le FLN). Une telle inflation victimaire a été encouragée par la polémique entre la France et la Turquie sur le génocide arménien, le président Erdogan ayant révélé
que, selon Tebboune, « la France a massacré plus de cinq millions d’Algériens » en 132 ans d’occupation.
Le discours du 17 mars de Chengriha est d’autant plus combatif qu’il appelle à « préserver le citoyen des dérives alternatives influencées par différents
canaux médiatiques ». Là aussi, c’est la France qui est dénoncée pour l’écho qu’elle accorderait aux revendications et aux manifestations du Hirak. Le chef d’état-major balaie les
gestes déjà accomplis par Emmanuel Macron en vue d’une réconciliation des mémoires entre la France et l’Algérie, qu’il s’agisse du rapport de l’historien Benjamin Stora, de l’ouverture
relative des archives publiques ou de la reconnaissance de la responsabilité de l’armée dans la mort d’Ali Boumendjel. Tebboune, malgré les échanges directs qu’il a eus avec son homologue
français à ce sujet, est contraint de s’aligner, le 22 mars, par la voix d’Abdelmajid Chikhi, son « conseiller pour la mémoire nationale », directeur des archives: le rapport Stora
ne serait qu’un « rapport franco-français » et « officiellement, c’est comme si ce rapport n’existait pas ». Un tel verrouillage au sommet indigne les historiens
algériens qui, le 25 mars, demandent publiquement à Tebboune un accès enfin libéré aux archives nationales.
Il est malheureusement à craindre que les généraux algériens continuent de promouvoir leur propagande d’auto-justification, au détriment d’un regard apaisé sur
l’histoire partagée entre leur pays et la France.
PS : Le 8 avril, un ministre de Tebboune traite la France d’ « ennemi traditionnel et éternel » de l’Algérie.
La France est un «ennemi traditionnel et éternel»
...déclare un ministre algérien - Le 10/04/2021
Hachemi Djaâboub, ministre du Travail et de la Sécurité sociale, a ainsi qualifié la France alors que Jean Castex et trois autres ministres devaient se
rendre en Algérie dimanche.
Les relations franco-algériennes semblaient s'apaiser ces derniers temps. AFP
Le ministre du Travail et de la Sécurité sociale algérien, Hachemi Djaâboub, a qualifié la France «d'ennemi éternel et traditionnel» de l'Algérie au cours d'une
séance de questions orales au Sénat jeudi 8 avril, rapporte le site d'information TSA.
Alors qu'un sénateur l'interpellait sur le déficit de la caisse nationale des retraites, Hachemi Djaâboub a pris la France pour exemple : «pour ce qui
est du déficit de la CNR, je voudrais dire que toutes les caisses de retraite dans le monde souffrent. Je peux donner quelques chiffres qu'on peut vérifier sur internet : notre ennemi
traditionnel et éternel, la France, a un déficit de 44,4 milliards d'euros dans sa caisse des retraites» a lâché de manière tout à fait inattendue le ministre du Travail.
Une sortie d'autant plus surprenante que que les relations franco-algériennes semblaient s'apaiser ces derniers temps. «Nous n'avons actuellement aucun problème
avec la France», déclarait lui-même le 2 avril le président algérien Abdelmadjid Tebboune, interrogé sur le rapport rendu par l'historien français Benjamin Stora visant à la
réconciliation des mémoires entre la France et l'Algérie. Le président algérien a ainsi qualifié les relations bilatérales de «bonnes».
La visite de Castex reportée
Les propos de Hachemi Djaâboub interviennent alors qu'au même moment le chef d'État-major des armées français, le général François Lecointre, était reçu à Alger par
le chef d'état-major de l'Armée nationale populaire (ANP) Saïd Chanegriha pour un déplacement non annoncé au cours duquel le militaire algérien a sollicité l'assistance de Paris pour
la «réhabilitation» des sites des essais nucléaires français effectués au Sahara il y a 60 ans. Cette visite était un préambule à celle initialement prévue
dimanche de Jean Castex.
Officiellement reportée pour causes sanitaires, la visite du premier ministre français aurait aussi été reportée pour des raisons diplomatiques. «Le format de
la délégation n'est pas à la hauteur» selon Alger, a indiqué une source française proche du dossier. Jean Castex devait coprésider avec son homologue Abdelaziz Djerad un «Comité
intergouvernemental de haut niveau» pour la première fois depuis décembre 2017. Plusieurs sujets devaient être abordés - économique, sécuritaire, éducation, culture - et des accords signés,
avaient indiqué les services du premier ministre français.
E.MACRON va-t-il ENFIN réaliser la portée de ses "envolées" sur la décolonisation, leurs conséquences s'ajoutant aux effets pervers
induits par la repentance et le rapport "Stora" ?
Voici quinze jours qu’Alger et ses relais idéologiques multiplient les attaques contre Paris. Alors que, le 8 avril dernier, l’Algérie réitérait sa demande à
la France de lui livrer ses cartes des sites d’essais nucléaires du Sahara – afin de dépolluer la zone –, l’agence de presse du gouvernement turc, Anadolu, commentait : « La colonisation française de l’Algérie a duré entre 1830 et 1962. Les autorités et historiens algériens affirment que cette période a été marquée par les meurtres de près
de 5 millions de personnes, ainsi que des campagnes de déplacement et de pillage des richesses. » Quel rapport avec l’atome ?
Aucun. Le but est d’instiller, dans l’opinion, l’idée d’une nation criminelle. Et, ce samedi, Abdelmadjid Chikhi, conseiller aux « questions mémorielles » du président Tebboune, accuse encore la France coloniale
d’avoir « éliminé les personnes qui lisaient et écrivaient » en Algérie et
d’avoir propagé
l’analphabétisme. Accusation voilée-dévoilée de génocide culturel après celle d’un génocide physique !
La propagande tiers-mondiste a inoculé dans l’esprit de nos élites de pouvoir les bacilles de culpabilité et de repentance pour ce prétendu comportement génocidaire des bâtisseurs coloniaux. Le candidat Macron, par une sorte de trahison spirituelle, semblait l’admettre sans détour en allant se soumettre aux injonctions d’Alger, lorsqu’il déclarait là-bas, le 15 février
2017, que la colonisation était un « crime contre l’humanité », « une vraie barbarie » qui nécessitait « nos excuses ».
Cinq millions de personnes assassinées, rapporte Anadolu. Génocide « partiel » ? Que dit l’historien honnête ? Jacques Frémeaux évalue les morts
de la conquête à 400.000. En y ajoutant les milliers de victimes des grandes famines, dont celle de 1868, liées à la destruction des modes de production ancestraux, on arriverait, peut-être,
à un million de morts vers 1870. Bouleversement tragique dû au choc des cultures et population réduite d’un tiers. Mais sans volonté directe d’anéantissement. Si l’on peut estimer la
population indigène à 3 millions, en 1830, et à 10 millions, en 1962, avec une augmentation de 233 %, le génocide n’y est pas.
Et la « guerre d’indépendance » ? Elle aurait fait, selon Charles-Robert Ageron, dans les 250.000 victimes algériennes ; 2,5 à 3 % de la population totale.
Trop. Mais on est loin des 63 % des juifs d’Europe disparus dans les camps nazis. En cumulant les conflits sur le temps long des 132 ans de présence française, sans tenir compte des victimes des famines
précitées, on pourrait atteindre le chiffre approximatif – intégrant les massacre intracommunautaires – de 700.000 victimes, si l’addition avait un sens. Ce calcul n’est pas fondé. Mais le
pouvoir algérien y a tout intérêt. Et même à l’amplifier jusqu’au chiffre symbolique des 5 millions de la Shoah !
Début avril, le ministre du Travail, El Hachemi Djaâboub, se lançait devant le Conseil de la nation dans une diatribe
sur l’ennemi « éternel » et torpillait la venue de Jean Castex à Alger. Les déclarations agressives et pseudo-historiques du conseiller « mémoriel » du président Tebboune vont dans le même sens : désigner à la jeunesse
inculte le bouc émissaire français massacreur, pillard, pollueur et génocidaire reste le dernier argument cohésif pour espérer ressouder dans « l’arabité » et l’islam une « nation » orpheline de la France qui ne croit plus en ses dirigeants corrompus.
« L’Allemagne paiera », disaient les Français, en
1919. « La France paiera », pensent toujours les « autorités » d’Alger qui
épousent voluptueusement la thèse antifrançaise régénérée, pour leur seul bénéfice, par le candidat Macron. Les kleptocrates d’Alger méprisent nos dirigeants pétris
de repentance. Ils ont raison. L’apaisement serait leur fin. L’instrumentalisation du passé et la dénonciation de l’« ennemi éternel »leur permet de durer. Et d’alimenter la haine.