Les cinq fautes de l'Occident...

...envers la Russie de Poutine.

par  Pierre Beylau - le 30/11/2016.



« C'est maintenant ou jamais que l'on doit prendre la défense de la Russie, sinon ils auront notre peau. Cela fait des siècles qu'on la couvre de calomnies. » Cette exhortation pourrait avoir été lancée par Vladimir Poutine. Elle a été prononcée par Alexandre Soljenitsyne. Du rescapé du goulag à l'ancien officier du KGB devenu tsar, un même nationalisme angoissé, une même conviction que l'éternelle Russie aux frontières incertaines est incomprise et assiégée par des forces hostiles.

Les Russes admettent mal la fin de leur empire. Ils ne veulent pas être relégués en deuxième division sur la scène internationale. « La fin du communisme a été une bénédiction, la fin de l'URSS une malédiction » : cette formule à l'emporte-pièce résume bien leur état d'esprit. La chute du système soviétique n'était pas la fin de l'histoire mais le début d'une autre. Les Occidentaux ne l'ont pas compris et ont multiplié les fautes politiques envers le Kremlin.

L'élargissement anarchique de l'Otan

L'Alliance atlantique avait été créée pour endiguer la menace existentielle que l'Union soviétique faisait peser sur l'Europe libre. L'Otan était un enfant de la guerre froide. Son article 5, voulu par les Européens, garantit une automaticité de riposte en cas d'agression contre l'un de ses membres. L'organisation aurait pu disparaître après l'implosion de l'URSS. Mais trois facteurs ont contribué à la sauver.

D'abord, les pays de l'Est européen libérés de la tutelle communiste avaient des raisons historiques de continuer à se méfier de leur voisin russe. Ils ont donc réclamé à cor et à cri la protection de l'Otan. Ensuite, la majorité des États d'Europe de l'Ouest voyaient dans le parapluie de l'Alliance un prétexte commode pour ne pas prendre en main leur propre défense. Enfin, la bureaucratie otanienne a habilement planifié sa propre survie en élargissant la compétence géographique de l'Alliance et en s'inventant de nouvelles missions, garantissant ainsi la pérennisation de fructueuses carrières civiles et militaires.

Les Occidentaux avaient cependant implicitement promis aux Russes que les anciennes Républiques d'URSS n'avaient pas vocation à rejoindre l'Otan. Notamment lors d'une conversation le 9 février 1990 entre le secrétaire d'État américain James Baker et Mikhaïl Gorbatchev. Au sommet de Londres, les 5 et 6 juillet de la même année, l'Otan semblait vouloir se transformer en une alliance politique. En 1997, à Paris, était signé, sous la houlette de Jacques Chirac, « l'acte fondateur Otan-Russie » et en 2002 le Conseil Otan-Russie était créé. Le temps paraissait au beau fixe. Pas pour très longtemps. Dès 2004, les trois pays baltes (Lituanie, Lettonie, Estonie) adhéraient à l'Otan. Fin de la lune de miel.

La provocation du bouclier antimissile

À partir de 2007, les Américains se mettent en tête de déployer dans l'est de l'Europe un bouclier antimissile. Les Russes voient dans cette initiative une véritable provocation et une rupture de l'équilibre stratégique, même si Washington assure que la Russie n'est pas visée, mais plutôt l'Iran. Après un interminable feuilleton, le projet prend corps et les premiers systèmes (batteries et radars) sont en voie d'être opérationnels en Roumanie et en Pologne. Moscou vient de répliquer en installant dans l'enclave de Kaliningrad (l'ex-Königsberg, la ville natale de Kant...) des missiles à courte portée Iskander et SS-400. Une douloureuse épine enfoncée au cœur de l'Europe entre la Pologne et la Lituanie.

Parallèlement, l'Otan a cru bon d'organiser en juin dernier en Pologne de spectaculaires manœuvres militaires, un mois avant le sommet de l'organisation à Varsovie. Nom de l'opération : « Anaconda ». Thème : « l'Union des bleus » repousse une invasion de « l'Union des rouges ». Excellent pour énerver un peu plus l'ours russe. Toutes ces gesticulations sont bien sûr plus politiques que militaires : Moscou est un partenaire difficile, pas un ennemi. Personne n'envisage une guerre contre la Russie. Ces bruits de bottes ne font que compliquer cependant les relations avec le Kremlin.

La gestion calamiteuse de la crise ukrainienne

L'Ukraine est un pays souverain. Mais des liens historiques, économiques et humains étroits unissent cet État à la Russie depuis la nuit des temps. Quant à la Crimée, elle était russe depuis sa conquête par la Grande Catherine au XVIIIe siècle. En 1954, un décret de huit lignes signé par Nikita Khrouchtchev la rattache à l'Ukraine pour des raisons obscures. L'Union européenne aurait dû prendre en compte ces données incontournables, marcher sur des œufs et associer Moscou au processus lorsqu'il s'est agi de signer un partenariat entre Kiev et Bruxelles.

Au lieu de cela, l'Europe a agi avec la délicatesse d'un éléphant dans un magasin de porcelaine, enclenchant une machine infernale qui a conduit à l'annexion russe de la Crimée et à la partition de facto du pays entre l'Ouest et l'Est russophone. Avec pour conséquences des sanctions contre la Russie qui pénalisent lourdement les agriculteurs français. Sans compter la vente annulée des deux navires de guerre Mistral.

Tromperie sur la Libye ?

Le 17 mars 2011, le Conseil de sécurité de Nations unies vote la résolution 1973 instituant une zone d'exclusion aérienne dans le ciel libyen et prévoyant d'utiliser tout moyen pour assurer la protection des populations civiles. Le texte n'autorise pas explicitement des frappes aériennes et exclut en revanche l'envoi de troupes étrangères. Il n'est évidemment pas question de renverser Kadhafi. Russie, Chine et Allemagne s'abstiennent. Les Russes affirmeront ensuite avoir été bernés et ne jamais avoir donné le moindre feu vert à une opération visant à changer le régime libyen. Ils accuseront les Occidentaux, Français et Britanniques en tête, d'avoir outrepassé le mandat de l'ONU. Les Russes étaient-ils véritablement dupes ? Peu importe, cette affaire pèsera lourd dans la crise syrienne, renforçant la suspicion de Moscou envers toute démarche internationale.

La pétaudière syrienne

En Syrie, les Occidentaux ont systématiquement utilisé une boussole indiquant le sud. Ils ont misé sur une fantomatique résistance « démocratique », puis se sont accommodés d'alliés encombrants, tel Al-Nosra, devenu Fatah al Cham, filiale d'Al-Qaïda. Ils se sont appuyés sur des partenaires ambigus, Qatar ou Arabie saoudite. Ou sur les Kurdes qui constituent une bombe à fragmentation pour tous les États de la région, dont la Turquie.

La France s'est gravement trompée sur l'analyse de Barack Obama. Celui-ci n'a pas considéré que la crise syrienne menaçait les intérêts vitaux des États-Unis. Et, en août 2013, François Hollande s'est retrouvé abandonné en rase campagne quand il a voulu déclencher des frappes contre les troupes de Bachar el-Assad.

Surtout, la France a sous-estimé la détermination des Russes. Ceux-ci ont une vision binaire de la situation : si Bachar tombe, l'État syrien s'effondre, comme en Irak, et les islamistes prennent le pouvoir. La Russie a de graves soucis, sur son propre territoire, avec les mouvements fondamentalistes musulmans, notamment au Daguestan. Elle veut être partie prenante dans les affaires du Proche-Orient et renoue avec sa tradition historique de protection des chrétiens orthodoxes du Levant.

Le bilan des relations de ces dernières années entre l'Occident et la Russie s'apparente au désastre. Il est donc urgent, pour la France en particulier, de retisser la trame d'un dialogue réaliste. Sans se coucher, la tête haute et le regard fixé sur nos seuls intérêts.

 


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