2018 : points chauds et tendance

...par Jean-Baptise Noé - le 11/01/2018.

Gardons-nous des prévisions hâtives sur ce qui se passera en 2018 du point de vue des relations internationales et des logiques spatiales. Toutefois, quelques grands axes peuvent être signalés qui peuvent contribuer à structurer cette année.

 

Les conflits oubliés

 

Le monde est parcouru de conflits et de guerres, dont la plupart ne font pas la une des médias. Ce sont parfois des milliers de personnes qui décèdent, d’autres qui quittent leur région ou leur pays. Ces conflits, localisés et régionalisés, peuvent s’étendre à l’échelle du pays, voire déstabiliser un continent.

 

Aux Philippes, l’année 2017 a été marquée par la bataille urbaine de Marawi. Il a fallu cinq mois à l’armée du pays pour reprendre cette ville de 200 000 habitants attaquée par trois cents djihadistes en mai dernier. Mais les Philippines, c’est aussi la guerre anti-drogue menée par le président Dutertre. Un homme a poigné qui a donné l’ordre aux forces de police de tuer les dealers et les consommateurs de drogue. Depuis mai 2016, début de cette guerre, ce sont environ 13 000 personnes qui ont été tuées. Les escadrons de la mort multiplient les violences et les bavures. Sous couvert de maintien de l’ordre, ils détruisent des réseaux mafieux ennemis pour imposer leur loi et s’assurer le contrôle de certains quartiers de Manille et des grandes villes des Philippines. De telles violences sont inutiles pour mettre un terme aux trafics de drogue. Mais elles déstabilisent et fragilisent ce pays dont les liens sociaux sont déjà fragilisés. Pour l’instant, Dutertre est un homme fort. Mais rien ne garantit que certaines îles ne demandent à faire sécession ni que les islamistes de Mindanao repassent à l’offensive après la perte de Marawi. Les Philippines sont un point chaud à surveiller pour 2018.

 

Congo, l’anarchie est en vue. Le Congo ne se remet pas de ses troubles. Joseph Kabila s’accroche au pouvoir alors que des mouvements d’opposition se font de plus en plus violents. Le 31 décembre, les catholiques de Kinshasa ont été attaqués par les forces de l’ordre. Des fouilles systématiques ont été menées, des églises ont été fermées, les messes ont été interdites. Le bilan officiel est de deux morts. Deux personnes tuées par balle devant une église. L’accès à internet a été coupé, ainsi que les envois de SMS. Toujours au Congo, la région centrale du Kasaï connait une famine importante. Selon l’Unicef, 400 000 enfants y souffrent de malnutrition aigüe et pourraient mourir en 2018. Le Kasaï s’est embrasé en septembre 2016 après la mort du chef coutumier Kamuina Nsapu, dans un assaut des forces de sécurité. Cela a été suivi de révoltes, de violences, de destruction de la production agricole par les troupes de Kinshasa afin d’affamer les populations. C’est une pratique habituelle en Afrique. Aujourd’hui, les famines sont très rarement dues à des épisodes climatiques, mais à des destructions de nourriture et de l’appareil productif agricole pour les faire périr les civils. Cela permet d’éradiquer une ethnie minoritaire et d’assurer le contrôle militaire et politique d’une zone rebelle. Dans le Kasaï, toujours selon l’Unicef, un tiers des centres de santé ne sont plus opérationnels et les autres manquent des moyens techniques pour fonctionner correctement. En 2017, le Congo est le pays du monde qui a connu le plus de déplacés en interne, plus que le Yémen et la Syrie. L’ONU évalue à 4 millions le nombre de déplacés en interne. Il n’y a aucune raison pour que cette situation s’améliore en 2018. Or, compte tenu de sa position centrale, une déstabilisation du Congo a de lourdes répercussions chez ses voisins. Le risque est la création d’un trou noir géopolitique au centre de l’Afrique et que les déplacés se réfugient dans les pays limitrophes, entrainant la déstabilisation de ces pays.

 

Yémen, l’année noire se poursuit. Voilà un conflit dont on ne parle pas. Commencée en 2014, la guerre civile yéménite s’est internationalisée en 2015 avec l’entrée de l’Arabie Saoudite dans le conflit. À la famine, s’est ajoutée une épidémie de choléra, qui a tué 2 000 personnes, selon des sources issues de l’ONU. Le nombre de morts est estimé à 8 000 depuis 2015. Au Yémen, c’est une guerre froide que se livrent l’Arabie Saoudite et l’Iran, la péninsule étant traversée par la fracture entre chiite et sunnite. L’Arabie a imposé un blocus au Yémen, ce qui aggrave la crise humanitaire. Rien ne permet de prévoir, pour l’instant, une sortie du conflit. Du moins tant que les puissances occidentales ne voudront pas provoquer l’Arabie Saoudite.

 

La Chine, quoi de nouveau ? Il pourra se passer de grandes choses en Chine cette année. Une fois mis de côté les mirobolants chiffres de croissance et les perspectives de marché et de consommation, force est de constater que la Chine est un pays fragile. Le gouvernement mène une lutte contre les immigrés de l’intérieur, ces populations qui quittent les villes du continent pour venir habiter et travailler dans les villes littorales. Les mingong, ces travailleurs migrants qui quittent les campagnes pour venir en ville sont de plus en plus surveillés et contrôlés. Ils n’ont pas le droit de changer librement de ville et de résidence puisqu’ils doivent être inscrits au hukou, un système d’enregistrement qui leur donne droit à un logement et aux services sociaux (hôpitaux, écoles…). Ces mingong sont des travailleurs clandestins, privés de droit dans leur propre pays. Le gouvernement central est en train de les contraindre à quitter les villes en les forçant à partir. Pour cela, il détruit leurs lieux d’habitation, sous prétexte de manque de salubrité et de respect des normes sanitaires. Ce serait plusieurs millions de personnes qui sont ainsi chassées et contraintes d’émigrer dans la Chine de l’intérieur. Ces violences ne peuvent que déstabiliser un pays qui est déjà fortement fragilisé.

 

La Chine prend de plus en plus les allures d’un paravent fragile. Comme le rappelle Jean-Marc Huissoud dans le dernier numéro de Conflits (États-Unis / Chine, qui sera le premier ?), les chiffres statistiques diffusés par Pékin sont très largement faux. La Chine produit ses chiffres en quelques semaines, alors qu’il faut plusieurs mois aux pays occidentaux pour les fournir et qu’ils ne sont consolidés qu’au bout d’un an. Les statistiques fournies sont toujours conformes aux annonces du ministère de la Planification. La croissance chinoise est une intoxication dans laquelle tombent les médias et les gouvernements occidentaux, comme ils sont tombés autrefois dans l’intoxication des statistiques soviétiques. Il est donc difficile de connaître la situation réelle de la Chine, mais ce qui est certain c’est que sa présentation officielle est largement faussée.

 

Corée du Nord, l’inconnu. Jusqu’où est prêt à aller Kim Jong-un ? Dans sa détermination sans faille de se doter l’arme nucléaire est-il prêt à une provocation irréversible avec les États-Unis ? Si un missile est lancé sur l’île de Guam ou si la menace nucléaire devenait trop forte, Washington devrait intervenir. Le dossier coréen n’est pas nouveau, mais chacun se demande s’il peut aboutir à une guerre en 2018.

 

Prévoir le pire, c’est s’y préparer afin de l’éviter. L’analyse des conflits doit permettre au mieux d’y échapper, au pire de les limiter. Mais 2018 aura aussi son lot de surprises.

 

Source : http://institutdeslibertes.org/2018-points-chauds-et-tendance/

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