« Les
intellectuels sont portés au totalitarisme bien plus que les gens ordinaires ».
George
Orwell
*
« Deux ans déjà. La marche solennelle au son d’un Hymne à la joie traînant, devant une pyramide de verre aux reflets
d’onction divine. L’enthousiasme des commentateurs célébrant ce jeune homme « surgi de nulle part ». Le coup d’arrêt porté à la progression des « populistes » en Europe. Deux ans, ou une
éternité… Au bout de deux ans, rien de concret malgré le lyrisme des discours. La France est isolée sur la scène internationale et fracturée comme jamais sur le plan intérieur… Deux ans
et le paysage politique est toujours un champ de ruines. Encore faut-il comprendre la dimension politique de cette crise qui nous oblige à revenir aux fondements de la démocratie,
c’est-à-dire qu’une voix vaut une autre voix, que le peuple, s’il peut se tromper, n’en est pas moins souverain et que les représentants sont là pour les représenter, c’est-à-dire porter
les aspirations des citoyens et non les options exclusives des supposés ‘gens raisonnables’. Deux ans, et la France est au pied du mur. Bon anniversaire, monsieur le
président »1.
Le moins que l’on puisse dire est que le bilan est largement en-deçà des espérances mises dans le plus jeune président de la Cinquième République2.
Au-delà des échecs largement prévisibles compte tenu du contexte interne et international complexe et évolutif, la plaie de ce début de mandat est
« le totalitarisme de la pensée ». Au-delà d’un propos de campagne excessif, ce jugement de Nicolas Dupond-Aignan traduit parfaitement
l’une des principales dérives de notre temps. Dérive fortement accentuée par la pratique jupitérienne du pouvoir fondée sur le secret et le cloisonnement au cours de la première moitié du
quinquennat. Pour mieux appréhender le bilan de deux années de pouvoir macronien, ce que d’aucuns qualifient de « Macronarchieen marche forcée », il importe de procéder à un diagnostic en deux temps consécutifs : une approche méthodologique ou sémiologique du macronisme
(la théorie si tant est que ce terme soit approprié dans le cas d’espèce) précédant une approche concrète ou praxis du macronisme (la pratique au regard du constat quotidien de l’exercice
du pouvoir de mai 2017 à mai 2019). Pour compléter le tout, nous ferons appel à quelques jugements récents sur la pratique actuelle. Ainsi, nous pourrons appréhender un peu mieux celui
qui est entré à l’Élysée par effraction comme il le reconnait volontiers.
APPROCHE MÉTHODOLOGIQUE OU SÉMIOLOGIQUE DU MACRONISME
Le régime instauré par Emmanuel Macron depuis mai 2017 emprunte à maints égards aux attributs de la monarchie. À l’usage, la monarchie jupitérienne se
caractérise par un double retour en arrière : celui de la verticalité perdue et celui de l’autoritarisme perdu.
De la monarchie jupitérienne : le retour de la verticalité perdue
Contrairement à Nicolas Sarkozy et François Hollande qui cherchaient à renforcer leur légitimité au contact des foules et des écrans, Emmanuel Macron
entreprit de redéfinir la fonction présidentielle en revenant à sa source monarchique, une monarchie des apparences, réduite à ses rituels, son lustre, sa mythologie. De la pyramide du
Louvre au Congrès de Versailles, on assista à cette aspiration vers le haut un peu naïve, à cette mise en scène d’une verticalité perdue dont la « présidence jupitérienne » fut la métaphore maladroite. Théoriquement, la fonction présidentielle devait en sortir renforcée et
recrédibilisée. Alors que les médias officiels s’enivraient, au soir de son élection, de la performance d’Emmanuel Macron au pied de la pyramide du Louvre, il n’est pas sûr que l’exercice
d’autoglorification présidentielle ait été du goût des trois quarts des électeurs qui n’avaient pas voté pour lui au premier tour. La mise en scène fut sans aucun doute perçue comme
prématurée, et elle témoignait d’un déphasage entre l’emphase du nouveau pouvoir et la lucidité de ceux qui savaient qu’on ne peut plus attendre du pouvoir de grands changements. La suite
confirma l’impression de malaise.
N’étions-nous pas prévenus ? Lorsque l’on choisit ses initiales pour nommer son propre mouvement, il ne faut pas s’attendre de la part de ce dernier à
une quelconque humilité dans l’exercice du pouvoir. Son mouvement En Marche ! apparut très vite comme une armée de godillots qui représentait moins la mise en mouvement de la société que
la mise au pas de la majorité présidentielle. En Marche ! prit un autre sens : « En Majesté »3.
De la monarchie jupitérienne : le retour de l’autoritarisme perdu
La nouvelle présidence empruntait ses traits à la monarchie, mais seulement ses traits, son étiquette et son protocole. Pour le reste, c’est-à-dire les
formes de gouvernement, on s’en remit aux règles du management (la « start up » nation). Elle adopta une forme hybride qui réconciliait le
passé de la monarchie et le modernisme du néomanagement. Un néolibéralisme à visage jupitérien. La « start–up » monarchie. Invoquer la monarchie en convoquant des images ou en rejouant des rituels ne confère pas une autorité réelle sur les choses et les gens.
Il y manque la puissance d’agir. Emmanuel Macron ne faisait que mimer les gestes de la monarchie. Jupiter n’était qu’un figurant. Que cela s’accompagne d’une perte de crédibilité n’est
pas une surprise, sauf peut-être pour Emmanuel Macron. L’essence de son pouvoir, ce n’est pas l’absolutisme mais la simulation. Il substitue la mise en scène à l’action
gouvernementale, le monologue à la délibération, la simulation à l’action. Simulation de la délibération démocratique parodiée dans le « grand
débat » national. Simulation de l’opposition entre la gauche et la droite, du contrôle de l’exécutif par le législatif. Simulation du contre-pouvoir de la presse… Emmanuel
Macron se voyait en monarque éclairé, porteur d’un grand récit qui allait marquer les dix prochaines années. Deux ans après, le voici embourbé dans un quinquennat interminable, contraint
de faire campagne inlassablement face à la colère populaire qui ne faiblit pas (crise des « Gilets Jaunes » qui en est l’expression la plus
aboutie). Son absolutisme, son autoritarisme ne prend plus. Il indispose par son arrogance, son défaut d’humilité. Tout ce qu’il dit et fait est perçu comme autant de signes de sa
duplicité, de sa politique du en même temps qui conduit le pays droit dans le mur tout en faisant le lit des extrêmes (Cf. le résultat des élections européennes du 26 mai 2019).
Comment ce socle conceptuel qui constitue la marque de fabrique du macronisme se traduit-il dans les faits ? En France, on sait bien qu’il existe
souvent un fossé entre les principes et la réalité. Comme le déclarait Winston Churchill : « il est toujours plus facile d’inventer ou de
proclamer des principes généreux que de les appliquer ». Nous sommes là au cœur de la politique de la communication et de l’incantation qui ne parvient pas à combler le déficit
de stratégie, de vision, de cap qui est la marque d’un homme d’État.
APPROCHE CONCRÈTE OU PRAXIS DU MACRONISME
La mécanique du nouveau monde est fragile, construite sur du sable, sur une illusion. Elle risque de s’effondrer en un rien de temps comme un vulgaire
château de cartes. Ne seraient-ce pas les premiers signes de la faillite de la « start-up nation » ? En nous retournant sur les deux
années écoulées, une question se pose dès lors qui va au-delà de toutes les approches théoriques de sciences politiques : comment se met en œuvre la monarchie jupitérienne ? En
forçant le trait, mais pas tellement, elle se caractérise par une double dictature : de et de …
De la monarchie jupitérienne : la dictature du manichéisme et du bobard
Le bien et le mal. Opposer le bien et le mal renforce les régimes autoritaires. Ceci constitue une vérité
d’évidence. Il ne revient pas à Emmanuel Macron de décider de ce qui constitue le bien et le mal, un bon et un mauvais savoir. « Une pensée
critique du monde et une compréhension rigoureuse de nos sociétés ne sauraient être l’apanage des plus riches »4,
de La Caste, pour reprendre le titre de l’ouvrage de Laurent Mauduit. La République française est aujourd’hui l’otage d’une « caste médiatico-politique fermée »5 Un
piège diabolique pour l’exécutif qui ne dispose d’aucune marge de manœuvre ? Emmanuel Macron ne se contente pas de faire la pédagogie de ses réformes, il instaure un certain ordre de
langage, traçant la frontière entre le permis et l’interdit, le licite et l’illicite… Il joue volontiers les instituteurs (« la réforme, les
enfants, c’est pas open bar »), sermonnant les consciences, distribuant les mérites (les « premiers de cordée ») et
déniant ses responsabilités. Emmanuel Macron met en œuvre une stratégie cohérente de dénégation et de délégitimation. Les généreux idéaux du candidat se caractérisent par la brutalité des
pratiques et l’omniprésence des énarques. Il y a d’un côté les discours (libéraux) et de l’autre une pratique (autoritaire). En campagne pour les européennes, le chef de l’État fait mine
de tenir tête à l’Allemagne et joue en solo sur des sujets aussi cruciaux que le Brexit ou le commerce avec les États-Unis. Mais pour quels résultats ?6 Le
néant et l’étrange défaite.
Le vrai et le faux. Encore plus inquiétant semble être l’éthos du
nouveau personnel politique du « macronisme ». La capacité de ces gens à mentir, à biaiser avec la réalité disponible, à distiller avec
culot et détermination des « éléments de langage » (la nouvelle religion du « macronisme »), est à tout prendre affolante, inquiétante pour l’avenir de la démocratie et de l’état de droit en France. Nous sommes là devant des
exemples parfaits de politiciens maximisateurs (à court terme) de leur carrière et de leurs subordonnés. Emmanuel Macron leur demanderait de dire publiquement tous en chœur pour le
soutenir que « la Terre est plate », nul doute qu’ils le feraient avec un bel élan de sincérité. Cela fait penser au rapport à
la réalité des apparatchiks dans les régimes communistes finissants des années 1970-1980. Formons le vœu que tous ces gens savent tout de
même qu’ils mentent, biaisent, manipulent, communiquent, sinon il faudrait s’inquiéter pour leur santé mentale. La porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, n’a eu aucun complexe
qu’elle n’hésitait pas à mentir pour protéger le chef de l’État. De facto, le « macronisme »
représente un pari sur l’absence totale d’informations pertinentes sur ce qui se passe de la part du gros de la population. Ces gens s’autorisent à mentir, à biaiser, à déformer,
parce qu’ils parient, non sans raison d’ailleurs, que les médias fréquentés par la plus grosse part de la population
électorale (télévision, presse régionale, grandes radios) ne font pas bien leur travail, ou plutôt qu’ils se livrent avec l’excellence souhaitée par tout pouvoir en place à
l’exercice d’une information biaisée au possible.
De la monarchie jupitérienne : la dictature de la « hanounacratie »
Le bilan de ces deux premières années de la Présidence Macron apparait à la fois comme la continuation de dérives déjà anciennes de la Vème République et
comme l’apparition de nouveautés pour le moins peu rassurantes.
La continuation des dérives de l’Ancien monde. Du côté des dérives anciennes, il faut bien sûr commencer par
la « présidentialisation »de la Vème République sans contreparties institutionnelles, pour ne pas dire la montée en puissance de plus
en plus évidente du « bon plaisir monarchique » sous couvert de démocratie. Le quinquennat n’avait certes déjà rien arrangé en
la matière pour ses prédécesseurs immédiats à la tête du régime conçu comme un « coup d’État permanent », mais, avec la Présidence
Macron, la disparition d’un vrai parti présidentiel a réduit à rien toute dialectique interne à la majorité qui permette d’aller au- delà des intuitions, tocades, et autres coups de
génie présidentiels (ou de son entourage ?). C’est le grand retour du monarchique « L’État, c’est moi. », avec la logorrhée
présidentielle en prime. Le « macronisme » apparait du coup comme la réactualisation continue de la phrase (attribuée) à Bossuet
: « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ». Emmanuel. Macron et Nathalie Loiseau prétendent
faire de la lutte contre le populisme et le nationalisme l’alpha et l’oméga de leur « progressisme ».. Leur capacité à apaiser la
société française à coup de « réformes », aussi anxiogènes que pleines de chausse-trappe dans les petits détails qui changent
tout en pire, risque bien de les amener là où ils ne souhaitaient pas aller. Nous en avons vu les premiers effets lors des élections européennes. Par ailleurs, le « macronisme » représente une caricature de ce que peut faire en France un scrutin majoritaire à deux tours en termes de restriction de la base électorale
du détenteur du pouvoir. Si Emmanuel Macron réussit à faire passer la réduction du nombre de parlementaires, jointe à sa pincée demowashing de scrutin proportionnel, la possibilité de créer une majorité parlementaire avec une minorité d’électeurs sera encore accentuée.
À quand donc 10% des électeurs déterminant en France une majorité politique stable contre 90% d’opposants ? Voilà qui serait disruptif.
L’apparition des dérives du Nouveau monde. Enfin, comme le terme de « néo-libéralisme autoritaire » dont l’usage se répand à juste titre le synthétise, le moins que l’on puisse dire, c’est que le
« macronisme » sait réprimer le Français « qui manifeste et qui
proteste ». Notre pays vit d’évidence une crise de l’expression citoyenne par la manifestation ou par toute autre action dans l’espace public physique. On peut commencer à
parler d’un début de « prétorianisation » du régime – du mot « prétoriens » (sic), terme utilisé ici en un sens neutre, se voulant non péjoratif, et bien sûr exploratoire. C’est plutôt nouveau en France que de voir
un pouvoir politique devenu si dépendant de sa police. En même temps, cette importance accrue des forces de sécurité dans l’équilibre général du pouvoir d’État deviendra de plus en
plus inévitable si la répression reste la seule réponse, à la fois prophylactique et curative, à toute protestation un peu hors les
clous de la société civile7.
Il faut bien que l’autoritarisme du néo-libéralisme dispose de personnes à la base pour le mettre effectivement en œuvre8.
Pire encore est le contrôle des esprits, de la recherche prétendument indépendante dans notre pays ! Terrorisme intellectuel et excommunication constituent deux des principaux
marqueurs de ces deux premières années de l’actuel quinquennat (Cf. les affaires de l’article du colonel Legrier dans la Revue Défense nationale critiquant la stratégie suiviste des
Américains en Irak prestement censuré comme ceux d’Afrique contemporaine sur notre stratégie mortifère dans le Sahel). À la veille de son premier 14 juillet de président de la République
en 2017, on se souvient de sa sortie contre le chef d’État-major de l’Armée, Pierre de Villiers qui a conduit à sa démission précipitée. Une première sous la Cinquième République9.
DE QUELQUES JUGEMENTS RÉCENTS SUR LA PRATIQUE ACTUELLE
Afin de compléter ce bref panorama, nous ferons appel aux jugements de quelques experts en la matière au moment où le président de la République est
contraint d’adapter sa garde prétorienne à l’Élysée10.
Nous y ajouterons quelques exemples récents tirés de la pratique qui donnent froid dans le dos à tous les bons démocrates qui existent encore dans l’hexagone.
Spécialiste de sciences politiques et du Comte de Saint-Simon, Pierre Musso nous livre une fort utile clé de lecture de la pratique du chef de l’État :
« Macron a bien tenté de restaurer une présidence jupitérienne, mais cela ne peut plus marcher. Ce qui advient, c’est une surincorporation dans la figure du chef et donc l’hyperpersonnalisation du pouvoir. Je définirai le présent comme un moment césariste, mélange de
charisme et d’autoritarisme défendu au nom de l’efficacité politique ».11
Journaliste d’investigation, Marc Endeweld, auteur de L’ambigu Monsieur Macron (Flammarion, 2015) récidive
en 2019 avec un ouvrage particulièrement documenté sur la pratique jupitérienne et sur ses dérives. Nous retiendrons quelques citations choisies : « La pratique du pouvoir de Emmanuel Macron se fonde d’abord sur le secret et le cloisonnement… Il séduit, utilise et jette. Sans état d’âme… Si tout le monde se
prosterne devant lui, il finira par s’isoler, car par nature l’Élysée isole… Macron exige toujours des autres une ‘sincérité’ qu’il n’a pas, puisque sa seule boussole est celle du rapport
de force… Une certitude qui frôle l’inconscience ou la mégalanomanie… »12.
Auteur de Contre Macron13,
Juan Branco nous livre un portrait sans concession du chef de l’État qui ne manque pas de pertinence : « le révélateur d’une conception
de politique qui éloigne, écrase tout rapport démocratique, et menace notre édifice… Ce courage démocratique, c’est celui qui manque et manquera à un être, Emmanuel Macron… cherchant
simplement à se donner l’apparence de l’élaboré… Le ridicule ne pourra que croître avec le temps… abandonnée à de vagues paroles toujours plus insignifiantes… Le goût du banal et de la
vacuité… c’est-à-dire montrer l’importance de l’écart entre notre fiction politique et sa réalité ».
Après la théorie, qu’en est-il de la pratique ? Elle ne fait que conforter la première.
Nous apprenons de la bouche de la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye que lors du Conseil des ministres du 29 mai, « le président de la République a souhaité que les nominations à la tête des administrations centrales puissent refléter notre volonté » que
les réformes soient « accélérées », avec « une traduction perceptible par nos
concitoyens ». « Il y aura probablement des annonces et des mouvements à partir de la semaine prochaine et dans le courant du mois de juin », a-t-elle ajouté. La
porte-parole précise quelques jours plus tard les objectifs de cette inquiétante initiative : « Il faut pouvoir ajuster les choses avec
la haute fonction publique. Nous avons besoin que les directeurs d’administration centrale soient très à l’aise avec les feuilles de route. Les ministres seront appelés à faire des
propositions pour dire si nous sommes allés assez vite par rapport à ce qu’ils évaluent de leurs politiques publiques »14.
Rappelons que, dès le tout début de son quinquennat, le chef de l’État avait annoncé vouloir remplacer les hauts fonctionnaires réticents, à qui, selon son entourage, il reproche
régulièrement de freiner ses réformes. Une forme de spoils system à la française (littéralement « système des dépouilles », pratique américaine consistant à remplacer les responsables clés des administrations par des personnalités dont la loyauté est
acquise au nouveau pouvoir)15.
Et revient désormais de manière récurrente l’idée qu’il va falloir sévir contre les esprits indépendants au pays de la liberté d’expression !
Cela ressemble à s’y méprendre à une chasse aux sorcières qui ne porte pas son nom…16 Quelle
est la définition d’un « fonctionnaire désobéissant » ? Selon quels critères objectifs évaluer la dangerosité d’un agent
public ? Qui sera chargé, à l’issue d’un procès équitable conduit par une structure administrative indépendante et impartiale (les juridictions administratives ?), de prononcer
le degré de déviance de tels fonctionnaires ? De quels recours effectifs les fonctionnaires visés disposeront-ils pour faire entendre leur cause de manière équitable ? De proche
en proche, les hauts fonctionnaires ne devront-ils pas prêter serment d’allégeance au président de la République, Emmanuel Macron et à tous ses représentants de la République en
godillots. Cela ressemble à s’y méprendre à l’époque du maréchal Pétain sous Vichy (le serment au maréchal moustache) et à une forme d’évaluation par la délation ! Cela tombe à point
nommé, le Quai d’Orsay, dont la conduite n’a pas été des plus reluisantes lorsqu’il avait élu domicile dans cette charmante petite ville d’eau du centre de la France, la pratique déjà
avec la procédure dite de l’évaluation à 360°17.
Haut lieu de la pleutrerie, le Conseil d’État la juge parfaite. Quant aux fonctionnaires non « récalcitrants », pour ne pas dire serviles,
adeptes de la servitude volontaire, ils seront amplement récompensés de leurs éminents services à la cause du nouveau Prince, en particulier par quelques postes d’ambassadeurs thématiques
au Quai d’Orsay. Nous en avons quelques exemples récents18.
Le pire est que ces atteintes graves aux principes républicains sacrés ne fassent pas les gros titres de la presse de la bienpensance aux ordres d’un pouvoir autoritaire qui semble
pratiquer une politique des bons sentiments19.
Jusqu’au président de la Cour des comptes, Didier Migaud qui s’alarme publiquement de voir le pouvoir macronien mettre au pas la juridiction
financière20.
Le nouveau secrétaire d’état au numérique, Cédric O n’envisageait-il pas, pour mettre au pas la chaîne Russia
Today accusée de diffuser « fake news » et « deep fakes » à jet continu de créer
un « Conseil de l’Ordre des journalistes » ? Il a été contraint de faire prestement marche arrière devant le tollé général suscité par ce projet baroque qui relève d’une
approche liberticide du droit de la presse21.
Cela commence à faire des vagues justifiées tant toute opinion non conformiste est poursuivie22.
Quant aux macronistes purs et durs, une frange de LRM s’est radicalisée en ligne, adoptant comme dans d’autres camps politiques, anonymat, représailles
ciblées, faux comptes… Ne serait-il pas plus juste dans un état de droit de porter les affaires devant les tribunaux en lieu et place de se faire justice soi-même ? La République en
marche pense-t-elle que le chef de l’État va regagner la confiance des Français grâce à ce genre de procédés qui ne la grandit pas ?23 Tout
ceci est le signe patent d’un régime aux abois. Il n’y a qu’à voir le vocabulaire ordurier employé par Benjamin Griveaux à l’encontre de ses compétiteurs pour le poste de Maire de
Paris : « abruti », « fils de p… »24 pour
prendre conscience que l’anathème est dans l’ADN de cette cohorte de macroniens qui marchent sur la tête.
En dernière analyse, le macronisme ne serait-il pas définitivement « out » à en croire certains
membres éminents de la LREM ?25 Dans
ce contexte, est-il possible pour la France de retrouver une politique de puissance à l’extérieur alors qu’elle est si affaiblie à l’intérieur26.
Alors qu’elle donne les preuves quotidiennes de son arrogance, de son inefficacité et de son autoritarisme débridé qui ne semble gêner personne27 avec
l’adoption de cette loi contre la haine en ligne28.
Une belle manière de museler toutes les opinions divergentes comme dans les bonnes dictatures et autres démocratures que nous n’avons de cesse de dénoncer pour leurs pratiques
antidémocratiques. Oubliez l’ivresse des cimes, voici l’ivresse de la Chute.
L’ENVERS DE LA MAGINIFICENCE
« À force de tout voir, l’on finit par tout supporter… À force de tout supporter, l’on finit par tout tolérer… À
force de tout tolérer, l’on finit par tout accepter… À force de tout accepter, l’on finit par tout approuver ! » (Saint Augustin). Après le temps de l’euphorie vient celui
de la malédiction des deux ans !29 Le
président de la République séduit de moins en moins à droite30 et
à gauche quoi que laisse penser son opération dynamitage réussie de cette même droite et cette même gauche. Emmanuel Macron l’a promis : finies la présidence « jupitérienne » et les décisions imposées d’en haut. Après deux ans d’exercice solitaire du pouvoir, le chef de l’État juge que tout se fera désormais
dans la « concertation ». « Je souhaite que les partenaires sociaux, les associations, les élus
puissent travailler ensemble avec le gouvernement » (conférence de presse du 25 avril 2019). Dans l’entourage du chef de l’État, on jure que le président veut partager les
responsabilités avec le premier Ministre. N’est-ce pas inscrit dans la Constitution de 1958 ? Il veut se recentrer sur le cap et la vision, place au président manageur, animateur
d’une équipe31.
Au titre de cette nouvelle pratique, en compagnie de son épouse Brigitte, il épingle le ruban rouge sur le revers de la boutonnière de l’équipe de France de football, cérémonie digne de
la ministre des Sport, et encore. Toutefois, on peut raisonnablement douter de cette conversion soudaine tant on ne change pas sa nature à quarante ans. « Le simple désir de légitimité ne constitue pas à lui seul une politique capable de résoudre tous les problèmes » comme le rappelle Dominique
Moïsi32.
Dans la vie, il ne faut pas attendre des gens qui sont à l’origine des problèmes qu’ils puissent les résoudre surtout dans la Macronarchie33.
Et, c’est tout le problème du régime autoritaire, quasi-dictatorial instauré par Emmanuel Macron l’arrogant34 depuis
un beau mois de mai 2017 ! Au-delà de l’assonance35,
ne peut-on pas légitimement s’interroger sur le point de savoir si le macronisme ne serait-il pas un maccarthysme ?
Guillaume Berlat
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1Natacha
Polony, Illusions perdues, Marianne, 3-9 mai 2019, p. 3. 2Franck
Dedieu/Louis Haushalter, Le bilan économique de deux ans. Macron, pire que Sarkozy et aussi mauvais que Hollande, Marianne, 3-9 mai 2019, pp. 10 à 15. 3Christian
Salmon, Portrait du président en ventriloque, www.mediapart.fr ,
11 mai 2019 4Collectif
d’universitaires, Au Brésil, les sciences sociales et les humanités ne sont pas un luxe, Le Monde, 10 mai 2019, p. 25. 5Nicolas
Dupond-Aignan (propos recueillis par Amaury Bucco/Tugdual Denis/Patricia de Sagazan/Baudoin Wisselmann), « Je suis victime d’une caste
médiatico-politique fermée », Valeurs actuelles, 9 mai 2019, pp. 16-19. 6Louis
Haushalter/Soazig Quéméner, Macron, le don Quichotte de l’Europe, Marianne, 3-9 mai 2019, pp. 17-19. 7Henri
Vernet, Article 36, JC Lattès, 2019. 8Bouillaud, Bilan
de deux ans de macronisme, régime néolibéral en voie de prétorianisation, Le Blog de Bouillaud, www.mediapart.fr ,
17 mai 2019. 9Nathalie
Guibert, Macron, un chef des armées mal compris, Le Monde, 14 mai 2019, p. 4. 10Virginie
Malingre/Cédric Pietralunga/Marc Semo, Macron bouscule son dispositif à l’Élysée, Le Monde, 19-20 mai 2019, p. 7. 11Pierre
Musso, « M. Macron est un président manageur qui reprend le dispositif de la télé-réalité », Le Monde, Idées, 16 mai 2019, p.
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Bourmaud, « Conseil de l’ordre des journalistes » : l’exécutif contraint de jouer l’apaisement, Le Figaro, 28 juin 2019, p.
6. 22Éditorial, Sauvegarder
la loi de 1881 sur la presse, Le Monde, 3 juillet 2019, p. 27. 23Samuel
Laurent, Plongée dans le Web des ultramacronistes, Le Monde, 7-8 juillet 2019, p. 8. 24Alexandre
Lemarié, Griveaux, à peine en campagne et déjà en difficulté, Le Monde, 20 juillet 2019, p. 8. 25Ivan
Rioufol, Message à ceux qui ont maltraité la France, Le Figaro, 10 mai 2019, p. 17. 26Luc
Ferry (propos recueillis par Paul Sugy), « Il faut renouer avec une politique de puissance », Le Figaro, 6 mai 2019, p.
20. 27Envoyez
la censure, Le Canard enchaîné, 10 juillet 2019, p. 8. 28Martin
Untersinger, L’Assemblée vote la loin contre la haine en ligne, Le Monde, Économie & Entreprise, 10 juillet 2019, p. 13. 29Guillaume
Tabard, Le président face à la malédiction des deux ans, Le Figaro, 6 mai 2019, p. 3. 30Olivier
Faye, Macron séduit moins, notamment à droite, Le Monde, 14 mai 2019, p. 8. 31Cédric
Pietralunga, La fausse fin de la présidence « jupitérienne », Le Monde, 10 mai 2019, p. 8. 32Dominique
Moïsi, Leçons des Lumières, éditions de l’Observatoire, 2019. 33Renaud
Dély/Thierry Soulcié, Macronarchie. En marche forcée, Humour (Glénat BD), mai 2019. 34Olivier
Faye/Cédric Pietralunga, Cette arrogance qui menace de nouveau Macron, Le Monde, 2 juillet 2019, p. 10. 35L’assonance (substantif
féminin), de l’espagnol asonancia, asonar (verbe) vient du latin adsonare (« répondre à un son par un autre son ») est une figure de style qui consiste en la répétition
d’un même son vocalique (phonème) dans plusieurs mots proches.