Tchéquie, l'ennemi n'est plus...

...par Renaud Girard - le 22/08/2018.

 

Journaliste, reporter de guerre et géopoliticien français

 

Ecole normale supérieure (Ulm)

Ecole nationale d'administration (ENA)

Officier de réserve (après une formation à l’École Spéciale Militaire de Saint-Cyr)

 

Grand reporter international et reporter de guerre au journal Le Figaro depuis 1984

 

A couvert la quasi-totalité des grandes crises politiques et des conflits armés depuis trente ans.

Notamment reconnu pour sa couverture des guerres

     à Chypre, en Asie centrale, en ex-Indochine, au Maghreb et au Sahel, dans les Balkans, au Proche et au Moyen-Orient, Afrique subsaharienne, dans le Caucase et en Libye.

Se rend en Afghanistan pour y couvrir la lutte contre les Soviétiques et y rencontre le commandant Ahmed Chah Massoud (années 1980).

En Somalie au moment de l'intervention militaire des États-Unis (1993).

Au Rwanda dès le début du génocide de 1994.

Coincé en Tchétchénie, traverse à pied dans la neige (avec le photographe Olivier Jobard) la chaîne du Caucase vers la Géorgie afin d'échapper à l'Armée russe (hiver 1999-2000)

Au Venezuela pour y couvrir le référendum sur la modification de la Constitution et passe plusieurs jours au contact d'Hugo Chavez, le chef d’État vénézuélien (2007)

A nouveau en Somalie puis en Égypte au Caire au moment du renversement du Président Mohamed Morsi, évènement qu'il a couvert pour Le Figaro (2013) 

Se rend dans la bande de Gaza pour y couvrir le conflit entre Israël et le Hamas (2014)

En Libye, (2011, 2013 et 2015)

En République Démocratique du Congo où il rencontre Moïse Katumbi, alors gouverneur de la province du Katanga (2015)

 

Conférencier et médiateur international

Professeur de stratégie, de géostratégie et de relations internationales à l'Institut d'études politiques de Paris (Sciences Po)

Membre du Comité de rédaction de la Revue des deux Mondes, éditorialiste à Questions Internationales

Auteur de livres sur le Moyen-Orient, le Pakistan et l'Afghanistan et d'essais sur les relations internationales, a également développé sa propre théorie géopolitique

 

 

Ouvrages

Pourquoi ils se battent ? : Voyage dans les guerres du Moyen-Orient (2005) Prix Montyon de l'Académie française

La guerre ratée d'Israël contre le Hezbollah (2006)

Retour à Peshawar  (2010)

Le Monde en marche (2014)

Que reste-t-il de l'Occident ?, avec Régis Debray (2014)


our la République tchèque, l'ennemi principal n'est plus le Russe
 
CHRONIQUE - La Russie n'est plus ressentie par les Tchèques comme leur ennemi principal. "L'ennemi, c'est cette anticivilisation qui s'étend de l'Afrique du Nord à l'Indonésie", proclama, dès 2011, Milos Zeman, le président de la République tchèque.
 
Dans l'inconscient collectif des Tchèques durant toute la seconde moitié du XXe siècle, l'ennemi principal de leur nation siégeait à Moscou. Deux années étaient traumatisantes pour eux : 1948 et 1968. En février 1948, Staline avait ordonné au Parti communiste le sabotage du gouvernement d'union nationale d'après-guerre et sa prise de pouvoir par la force, quitte à défénestrer Jan Masaryk, le ministre des Affaires étrangères pro-occidental. Le 21 août 1968 à l'aube, sur ordre de Leonid Brejnev (un communiste ukrainien qui était alors le maître du Kremlin), les chars du pacte de Varsovie envahirent la Tchécoslovaquie, pour tuer le vent de liberté du Printemps de Prague. À cette occasion, Brejnev avait élaboré sa théorie de la "souveraineté limitée" des pays de l'Est, formellement alliés de l'Union soviétique au sein du pacte de Varsovie.
 
En 1948, une partie non négligeable de l'intelligentsia tchèque était acquise à l'idéologie du communisme moscoutaire. En revanche, en 1968, la quasi-totalité des intellectuels tchèques se trouvèrent du côté du Printemps de Prague. La "normalisation" qui suivit l'invasion soviétique ne fut pas aussi impitoyable que la conversion forcée au communisme de 1948, mais elle fut quand même sévère : tous les intellectuels qui n'avaient pas choisi de s'exiler furent chassés de leurs emplois de professeurs, de chercheurs, d'éditeurs, de cinéastes ou de journalistes ; ils furent contraints d'exercer des travaux manuels subalternes.
C'est ce qui arriva par exemple à Milos Zeman, l'actuel président de la République tchèque, réélu à son poste au mois de janvier dernier. Jeune économiste, Zeman avait adhéré au Parti communiste réformateur de Dubcek pendant le printemps de Prague. En 1970, il en fut exclu, en raison de son opposition à l'invasion de son pays par les pays "frères" du pacte de Varsovie, et il perdit son emploi. En 1989, il participe à la Révolution de velours. À la tête du Parti social-démocrate, il gagne les élections législatives de 1998 et devient premier ministre de son pays, fonction qu'il exercera jusqu'en 2001. Après avoir un moment quitté la politique, Zeman y revint en 2013, pour gagner la première élection présidentielle organisée au suffrage universel.
 
Dans sa carrière politique, Zeman milita avec efficacité pour l'adhésion de la République tchèque à l'Otan et à l'Union européenne. Après l'annexion de la Crimée par la Russie en 2014, et au moment où on pensait encore que les chars russes pouvaient à tout moment déferler en Ukraine, Zeman préconisa publiquement un déploiement préventif de l'Otan à l'ouest de ce pays. Zeman n'est donc clairement pas un pion du Kremlin.
 
Mais ce qui est intéressant chez lui est qu'il se refuse à être antirusse de manière systématique. Le 9 mai 2015, alors qu'il est devenu clair que l'armée russe n'envahira pas l'Ukraine, il se rend à Moscou pour assister au défilé célébrant le 70ème anniversaire de la victoire sur le nazisme. À ceux qui le critiquent, il répond : "N'est-ce pas grâce aux Russes que nous, Tchèques, ne sommes pas obligés de dire “Heil Hitler” ?" Il interdit de palais présidentiel l'ambassadeur américain à Prague qui a critiqué publiquement son voyage à Moscou. "Que diraient les Américains si l'ambassadeur tchèque à Washington se permettait de dire à leur président où aller ou ne pas aller en voyage ?" explique-t-il.
En novembre 2017, il se rend en visite d'État en Russie, accompagné par 140 hommes d'affaires tchèques. Devant Poutine, il déclare publiquement que "le futur de l'Union européenne réside dans de bonnes relations avec la Russie !". De nombreux Tchèques reprochent alors au russophone Zeman de faire une politique étrangère divergente de celle de son premier ministre, demeuré dans une ligne otanienne classique. En dépit de ses sentiments prorusses clairement affichés, Zeman est réélu au suffrage universel en janvier 2018.
 
Comment expliquer un tel tournant stratégique au sein de la population tchèque, pourtant restée très attachée à l'Union européenne ? La Russie n'est plus ressentie par les Tchèques comme leur ennemi principal. "L'ennemi, c'est cette anticivilisation qui s'étend de l'Afrique du Nord à l'Indonésie. Deux milliards de gens y vivent et elle est financée en partie par les ventes de pétrole, et en partie par le trafic de drogue", proclama, dès 2011, Milos Zeman.
Comme leurs voisins du groupe de Visegrad, les Tchèques sont effarés par les problèmes que se sont créés les Européens occidentaux avec leur immigration musulmane. Jamais ils n'auraient pu imaginer qu'un massacre comme celui du Bataclan puisse arriver à Paris. Ils refusent donc les migrants que la France et l'Allemagne leur demandent d'accueillir chez eux. Comme réfugiés du Moyen-Orient, ils n'acceptent que les chrétiens. Entre 1968 et 2018, le ressenti de la menace venue de l'étranger a totalement changé au sein de la population tchèque.


Paru dans Le Figaro, 21 août 2018

 

Source : http://www.magistro.fr/index.php/template/lorem-ipsum/avec-l-europe/item/3420-tchequie-l-ennemi-n-est-plus

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