Le sens du retour de Macron au Liban

...par Roland Richa - Le 31/08/2020.

Source : Réseau International

Pourquoi le président français revient-il si promptement à Beyrouth ?

Si, à sa descente de l’avion, une jeune journaliste s’aventure à lui poser innocemment la question, sans doute que Emmanuel Macron lui répondra dans les mêmes termes que lors de sa venue un mois auparavant, à savoir, je cite, « Parce que c’est vous. Parce que c’est nous. »

La formule est chargée d’histoire. Elle n’est de ce fait ni neutre ni innocente.

Au même moment qu’il foulera le sol libanais une force militaire maritime française, sous couvert d’aides sanitaires et humanitaires, sera stationnée au port de Beyrouth. En réalité, elles mouillent à cet endroit précis essentiellement pour des raisons géostratégiques évidentes. Le conflit opposant la Grèce à la Turquie sur la délimitation des frontières maritimes entre les deux pays et dont l’enjeu est l’existence d’un immense gisement de gaz dans cette région de la méditerranée orientale.

Région dont le Liban est au centre ce qui lui octroi un grand intérêt. D’autant qu’encore une fois, comme il y a exactement cent ans, l’ancienne puissance mandataire se retrouve de nouveau opposée aux héritiers de l’empire Ottoman dont le démembrement a donné naissance à des États taillés à la mesure des intérêts de l’ordre colonial de l’époque (1914 – 1940) aujourd’hui révolu.

C’est l’émergence du Grand Liban et de la Syrie (1920).

La formation du Grand Liban consiste à tracer, dans le territoire de l’Empire ottoman déchu, une frontière séparant un État syrien d’un autre libanais annexant à l’ancienne moutassarifiya (circonscription autogérée dans l’Empire ottoman) du Mont-Liban, Beyrouth, les régions de Tripoli, du Akkar, du Hermel et de la Bekaa, ainsi que de Rachaya, Hasbaya, et le Sud-Liban. Ce tracé avait été souhaité par le patriarcat maronite soucieux de la « viabilité » du futur État libanais, qui ne pouvait être assurée sans les ressources agricoles des territoires ainsi rattachés.

C’est aussi et surtout l’émergence d’Israël (1947) en lieu et place de la Palestine occupée. Processus toujours en cours à la date d’aujourd’hui car c’était sans compter avec la résistance du peuple Palestinien.

Il en est de même pour l’ensemble des autres peuples de la région qui aspirent à se libérer du joug de l’impérialisme moderne dirigé par les États Unis d’Amérique à la tête d’un nouvel ordre mondial en lieu et place de l’ancien.

C’est ainsi qu’au Liban, depuis le 17 octobre 2019, une puissante mobilisation populaire vise à en finir avec le confessionnalisme politique qui avait été mis en place avec l’aide de la France en vue de garantir la pérennité de la sauvegarde de ses intérêts.

Avant d’atterrir à Beyrouth pour la seconde fois en un mois M Macron a pernicieusement pris la précaution de faire parvenir sa « feuille de route » aux dirigeants libanais à sa solde en vue, soi-disant, d’accorder au pays une dernière chance avant qu’il ne sombre.

Comme attendu, elle manque d’imagination et d’audace. Elle ne fait que reprendre les directives du Fond Monétaire International. Privatisation à outrance de l’ensemble des secteurs clés de l’économie à commencer par celui de l’électricité accompagnée par une restructuration de la dette. Le tout fondé sur des pseudo réformes politiques qui garantissent la pérennité d’un partage du pouvoir entre les chefs des différentes communautés confessionnelles reconduisant ainsi un système vieux de cent ans et source de toutes les crises qui secouent régulièrement le pays.

Bref, la « feuille de route » de Macron tourne obstinément le dos aux revendications justes et légitimes du mouvement de protestation populaire en cours et qui se résume dans l’exigence d’un Liban laïc, démocratique et résistant.

Un Liban débarrassé du confessionnalisme politique et dans lequel tous ses citoyens seront égaux en droits et devoirs envers un État qui garantit leurs libertés et leur dignité.

Au lieu de cela, le président français arrive en représentant commercial soucieux de faire valoir les intérêts du grand capital financier comme définis dans les différents accords de Paris en complicité avec son ami de toujours le nanti Hariri.

Le président français, comme tous ses prédécesseurs, est en retard d’un siècle et refuse de tourner la page. Il s’accroche à un système à bout de souffle.

Les temps changent. Les peuples s’éveillent et prennent conscience de la nécessité impérieuse pour ces changements.

L’époque des mandats est révolue.

Macron prévoit de rester trois jours au Liban, du lundi 31 août au mercredi 02 septembre. Dans ces conditions, ce sont trois jours de trop.

source : https://assawra.blogspot.com


La vraie raison de la colère de Macron contre Georges Malbrunot

...par Michel Janva - Le 04/09/2020.

La vraie raison de la colère de Macron contre Georges Malbrunot

Au Liban, Emmanuel Macron s’en est pris au journaliste Georges Malbrunot :

Selon la presse, Macron reproche au journaliste d’avoir évoqué sa rencontre avec le chef bloc Hezbollah au Parlement libanais.

Sophie Akl Chedid, journaliste à Présent, corrige :

En fait, la véritable raison de la colère jupitérienne se trouve dans un article publié le 31 août par Le Figaro et intitulé « Macron revient au Liban, face aux chefs de clan ». Malbrunot y raconte, et c’est autrement savoureux, comment le Premier ministre sunnite Saad Hariri, le ministre des Affaires étrangères chrétien Gebran Bassil et le président du Parlement chiite Nabih Berri, réunis à Paris lors de la conférence CEDRE de soutien économique pour un Liban déjà agonisant en avril 2018, avaient tranquillement exigé pour eux-mêmes et leurs partis une commission de 20 % sur les 11 milliards d’aide promis en échange de reformes structurelles, soit la bagatelle de 700 millions de dollars chacun…

Cela donne une idée du bien-fondé des réclamations du peuple libanais qui exige depuis le 17 octobre 2019 le départ de toute la classe politique sans exception, ou voleuse ou complice. Dans la foulée, le journaliste a également évoqué la question des sanctions économiques dont les Libanais attendent la mise en œuvre depuis des semaines pour enfin étrangler financièrement cette mafia, et que Macron aurait fait suspendre : « S’il y a corruption ou encore des choix illégaux, les sanctions seront adoptées mais cela n’est pas la dynamique actuelle », a-t-il précisé alors qu’il se trouvait sur le perron de la Résidence des Pins.

Source : Le salon beige



Lettre ouverte au Président Macron

...par Hassan Hamadé - Le 07/09/2020.

[Publiée à la veille de la deuxième visite présidentielle suite à l’explosion du port de Beyrouth]

*

Monsieur le Président,

Soyez le bienvenu au Liban.

Qu’il est intelligent le préambule de votre visite historique au cours de laquelle vous espérez annoncer le lancement du deuxième centenaire du « Grand Liban » à la suite du général Gouraud qui lança son premier centenaire, en ce même jour de 1920, et ainsi entrer dans l’Histoire avec ses avantages et ses inconvénients !

L’intelligence revient à votre choix de la beauté en réservant à notre icône nationale, Madame Fayrouz, la toute première étape de votre visite dans la continuité de l’événement ayant eu lieu en 1989 à l’occasion du bicentenaire de la Révolution française, lorsque sa voix magique fut choisie pour accompagner le spectaculaire défilé sur les Champs-Elysées ; les plus belles initiatives politiques étant, en effet, celles qui se drapent du grand art.

Un choix qui témoigne aussi d’un peu d’audace étant donné que Madame Fayrouz est la plus célèbre parmi ceux qui ont chanté pour la Palestine et pour la Syrie, le timbre somptueux de sa voix ayant anticipé la disparition de l’ennemi du soleil et la libération de la terre du Christ de son oppression et de son racisme, le jour où elle a chanté :

Et tu laveras, ô fleuve du Jourdain, mon visage avec tes eaux sacrées

Et tu effaceras, ô fleuve du Jourdain, les traces de pas de la barbarie

Monsieur le Président

Qu’il est plaisant aussi pour une personne ordinaire, comme l’auteur de ces lignes, de s’adresser à un esprit brillant tel que le vôtre en un temps tel que le nôtre où ses paroles ont l’effet de la foudre sur le monde de la politique et l’arène du jeu des nations !

Un plaisir d’autant plus intense que cet auteur est fondamentalement un amoureux, parmi d’autres amoureux, de la belle France installée dans son esprit et son imaginaire par le biais de sa littérature, de sa poésie et de son théâtre. Un théâtre, qui a contribué à préparer les transformations majeures sur les plans politique et social, lesquelles ont abouti à ce que l’on entend par « la séparation de la religion et de l’État ». Ainsi, le grand écrivain et poète, Pierre Corneille, n’éprouva aucune gêne en faisant dire au Cid, devant le roi Louis XIV et sur la scène de son propre théâtre au château de Versailles : « Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes… Ils peuvent se tromper comme les autres hommes ». Et le « Roi Soleil » l’applaudit tandis que le public l’ovationnait debout.

Or vous n’êtes pas, Monsieur  le Président, Louis XIV, tout comme l’auteur de ces lignes n’est pas Pierre Corneille. Nous sommes plus proches l’un de l’autre que ne l’étaient ce roi et cet écrivain-poète dans leur implacable proximité. Il nous suffit de vivre au temps de la « République ». Alors, parlons en toute franchise car rien ne préserve l’amitié, n’entretient l’affection et ne jette les bases du respect mutuel, autant que la sincérité d’un discours empreint de politesse et de courtoisie.

Monsieur le Président,

Vous avez bien fait de dénoncer la corruption endémique et le clientélisme ayant mené au désastre économique, financier et monétaire qui assassine les Libanais. J’ai écouté votre allocution du samedi 29 août 2020 [*]. J’en suis sorti doublement convaincu que les relations libano-françaises sont nimbées de nuages quelque peu obscurs et qu’il nous faut les dissiper, si nous voulons que cette amitié se poursuive et se développe. Il s’agit de zones d’ombre ou d’ambiguïtés qu’il est possible de résumer en six points :

1. L’ambiguïté a commencé dans le cadre de l’État du « Grand Liban » avec le premier Haut Commissaire, Henry de Jouvenel, aussi bien au niveau de sa mission que de son départ du Liban. Malgré le peu de temps que ce diplomate a passé à Beyrouth, il est apparu que sa première mission était, selon son propre aveu, de faire du Liban une « base française ». Il a ainsi supervisé l’élaboration de la Constitution libanaise, sur le modèle de la Constitution de la Troisième République française qui était plus que bonne, mais il l’a délibérément minée par l’article 95 connu sous le nom de « l’article confessionnel », le confessionnalisme étant à la base de tous les maux de 1926 à nos jours.

Un deuxième chapitre de sa mission serait resté secret et complètement méconnu, sans les mémoires de certains dirigeants sionistes engagés dans les préparatifs de l’usurpation de la Palestine et de l’établissement de l’entité sioniste sur sa terre. Ces mémoires révèlent que Henry de Jouvenel était chargé d’un plan consistant à établir un réseau de colonies juives en territoire syrien, tout le long de l’Euphrate, avant de s’étendre vers l’ouest autour de Hama et de Homs, puis vers l’est en direction de la Badiya et de la frontière avec l’Irak. Ici, il est frappant de constater que la propagation territoriale de l’organisation terroriste Daech ne fut pas loin des zones concernées par le plan précité, abstraction faite de ses répercussions sur les frontières et la composition sociopolitique du Liban.

Et le mystère demeure quant à son départ soudain au bout d’à peine huit mois. En effet, Henry de Jouvenel a quitté Beyrouth à la surprise générale, sans prévenir qui que ce soit, y compris ceux qui travaillaient dans sa délégation. Quoi qu’il en soit, il nous faut remarquer que le piège constitutionnel qu’il a mis en place a inspiré, 33 ans plus tard, le Haut Commissaire britannique à Chypre, Sir Hugh Foot, lequel a également miné la Constitution chypriote sur une base confessionnelle, ce qui a conduit au désastre bien connu. Tandis que l’élève de ce dernier, Jeremy Greenstock, s’est à son tour inspiré du piège de la Constitution chypriote et l’a posé dans la Constitution irakienne, connue sous le nom de « Constitution de Bremer ».

2. La deuxième ambiguïté, Monsieur le Président, réside dans le fait que le régime français nous a imposé ce qu’il a refusé pour lui-même. D’une part, par sa force de puissance occupante, il nous a obligés à adhérer à sa règle confessionnelle malgré la nette volonté d’une majorité libanaise de passer outre en 1932, puis a définitivement consacré le système des communautés confessionnelles par le sinistre arrêté du 13 mars 1936. D’autre part, les gouvernements français qui clament leur respect dû à l’histoire résistante de la France pendant la Seconde Guerre Mondiale, ne nous font confiance qu’à la condition de nous voir adopter le comportement des traîtres de Vichy ayant collaboré avec l’occupation nazie. N’est-ce pas là un nuage noir très sombre dans les relations libano-françaises ?

3. L’ambiguïté l’emporte aussi lorsqu’il s’agit des relations franco-turques et des désaccords aigus entre les deux pays. À la lumière de l’expérience, Monsieur le Président, nous nous méfions de vos relations avec la Turquie même quand vous n’êtes pas d’accord avec elle.

En 1915, pendant la Première Guerre Mondiale, lorsque « le blocus de la grande famine » nous a été imposé entraînant la mort de plus de 250 000 personnes, le siège terrestre le long de la côte de Sidon à Lattaquié était turc et les flottes britannique et française s’étaient chargées du siège maritime. Et après la signature de l’accord de Sèvres en 1920, il est apparu que Jamal Pacha al-Saffâh avait secrètement tissé des relations étroites avec Paris avant de s’y rendre ouvertement et à plusieurs reprises, au point que la presse française de l’époque avait mis en garde contre ses multiples rendez-vous à l’Elysée.

Toujours dans le contexte des désaccords déclarés entre vos deux pays, les Libanais et les Syriens ont été surpris par la décision de la France d’arracher le Sandjak d’Alexandrette à la Syrie pour l’offrir en cadeau à la Turquie. Lequel cadeau a entraîné la disparition de la majestueuse ville d’Antioche, capitale de la chrétienté orientale, flambeau de la culture et des arts, ville des théâtres et des tumultes culturels, et surtout…surtout, le siège de plusieurs patriarcats des Églises d’Orient, à commencer par le Patriarcat maronite habituellement considéré comme le bénéficiaire d’une relation singulière et à nulle autre pareille avec la France !

Et parce que nous nous limitons à la seule période du premier centenaire du Liban, je ne trouve pas nécessaire de parler du projet infernal qui a failli se concrétiser au milieu du XIXème siècle, celui de déraciner les Maronites du Liban et de les implanter en Algérie ; projet désormais connu en tant que « Projet Baudicour de 1848 ».

4. Toujours à propos des zones d’ombre qui couvrent les relations libano-françaises et de votre allocution du 29 août, je note un exemple parmi d’autres, celui de considérer que la mère des problèmes dans notre région et autour se trouve en Syrie et en Libye. Comme s’il n’existait pas de problème concernant une cause palestinienne, un peuple condamné à l’errance, déplacé hors de sa terre -la Palestine- dans les camps de la misère au Liban, en premier lieu, et même sur sa propre terre où il subit la torture permanente de la plus sauvage des occupations racistes de l’Histoire. Une occupation traditionnellement et paradoxalement considérée en Occident comme la seule démocratie du Moyen-Orient.

5. Et l’ambiguïté devient encore plus ambigüe lorsque l’on arrive au plus grand mensonge entretenu par les relations internationales sous le titre de la lutte contre le terrorisme. Ce n’est un secret pour personne que les organisations terroristes les plus redoutées de l’Histoire, telles que Daech et ses sœurs, bénéficient du soutien, de la couverture, du parrainage et du recrutement de l’OTAN ; les effets de ce qui précède étant évidents en Syrie et en Irak.

6. Vous avez aussi évoqué, Monsieur le Président, la nécessité de désassocier le Liban du reste de la région et de ses grandes tensions. Là encore, c’est une vieille histoire qui revient de temps à autre, alors que le problème réside dans le concept de la géopolitique qui fait qu’une telle désassociation n’est possible qu’aux yeux de certains Libanais maîtrisant l’art de pratiquer la politique en dehors de la géographie. Tant que personne n’aura réussi à installer des roues sous le sol libanais pour le transporter dans une autre région du monde, la question que je vous pose, Monsieur le Président, est : qui nous garantit la neutralité du Liban ? Une question que je vous pose en précisant que je crois à la neutralité comme je crois qu’elle n’existe que lorsqu’elle dispose d’une protection. L’expérience de Chypre qui était protégée et parrainée par trois pays membres de l’OTAN, n’est pas rassurante quant aux garanties avancées à ce sujet. Au contraire, elle suscite l’anxiété et la suspicion.

Monsieur le Président,

Nous avons besoin de transparence et d’un dialogue franc. Ignorer la cause palestinienne, comme c’est le cas, est facteur de déflagration et non d’accalmie. Tout comme la poursuite de l’agression contre la Syrie, via des gangs dont il a été dit qu’ils faisaient « du bon boulot », menace l’avenir du Liban et exacerbe les affrontements internationaux.

Et la transparence suppose le retour vers une approche sage, telle celle qui fut proposée par l’un des éminents hommes d’État français, Maurice Couve de Murville, lequel s’est abstenu d’encourager l’ensemble des Libanais à opter pour l’aventure en ce domaine. Je vous conseille, Monsieur le Président, de lire l’analyse de ce Monsieur respecté, car elle vous sera beaucoup plus bénéfique que d’écouter celui-ci et celui-là.

Veuillez recevoir mes meilleures salutations et encore une fois, bienvenue à vous parmi nous.

Hassan Hamadé

Écrivain et journaliste libanais – Membre du Conseil national de l’audiovisuel (CNA)

Traduction de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal

Source : Al-Intichar

http://alintichar.com/117172

[*][Notre Méditerranée gronde. Écoutez le message du Président Emmanuel Macron au Forum Moyen-Orient Méditerranée de Lugano (29 août 2020)]

Liban : Après la visite d'E. Macron, quel est le coup d'après ?

... par R. Labévière - Le 07/09/2020.

Pour la diplomatie française, le Liban ne peut pas être un pays comme les autres. En se rendant à Beyrouth le 1er septembre dernier – après une première visite le 6 août, le lendemain des explosions qui ont ravagé le port -, le président de la République a, ainsi salué le centième anniversaire de la création – par la France – du « Grand Liban », du Liban dans ses frontières actuelles.

Le 1er septembre marque le centenaire de la création en 1920 du « Grand Liban » par le haut-commissaire français, le général Henri Gouraud, en tant qu’entité distincte de la Syrie et que la France avait été chargée de gouverner par la Société des Nations (SDN). Le Grand Liban combinait le Mont Liban – où les populations étaient et sont principalement chrétiennes et druzes avec des zones à l’ouest et au sud où les communautés sont principalement sunnites et chi’ites. Le général Gouraud avait fait sa déclaration depuis la Résidence des Pins – qui est aujourd’hui la résidence de l’ambassadeur de France au Liban, là où le président Macron a récemment rencontré des responsables politiques libanais.

Hormis cette résonnance historique, la visite présidentielle tombait doublement à propos : le Pays du Cèdre traverse la plus grave crise économique et sociale depuis la guerre civile (1975 – 1990) ; avec la démission du gouvernement d’Hassan Diab – pourtant le meilleur qu’ait connu le pays depuis l’intermède du général Fouad Chéhab (1958 – 1964) -, l’instabilité prévaut plus que jamais. Par conséquent, les différentes manifestations françaises de solidarité étaient particulièrement bienvenues : le porte-hélicoptère-amphibie (PHA) Tonnerre a débarqué plusieurs dizaines de tonnes d’aide humanitaire et d’autres bâtiments de la Marine nationale ont débarqué nombre de spécialistes en catastrophes et reconstructions.

LA SECTE CONTRE L’ELYSEE

Par ailleurs, et hormis quelques voix minoritaires dénonçant une « ingérence », la population libanaise – dans sa majorité – a salué les gestes de solidarité de la France éternelle. Cela dit, cette posture n’est pas sans ambiguïté, révélant notamment quelques contradictions franco-françaises… La principale exprime une divergence d’approche et d’agenda entre l’Elysée et le Quai d’Orsay. En effet, Emmanuel Macron a mis un point d’honneur à rencontrer l’ensemble des composantes de la classe politique libanaise, y compris le Hezbollah, le parti chi’ite restant toujours copieusement démonisé par Washington et Tel-Aviv1. Quelques jours auparavant, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian avait soigneusement boycotté les représentants de ce parti.

Conseillant aux députés du Hezbollah « d’être davantage libanais », l’Elysée cherchait à faire savoir qu’il reconnaissait enfin cette incompressible évidence : composante majeure de la vie politique libanaise, le parti chi’ite est parfaitement incontournable, tandis que le Quai d’Orsay restait et reste actuellement encore sur la ligne américano-israélienne de son boycott, affirmant que cette organisation politico-militaire n’est qu’une « organisation terroriste », courroie de transmission de Téhéran.

Au Quai, la « Secte » ou la « Meute » – une bande de néo-conservateurs à la française – fait toujours la loi, sans que l’Elysée ne puisse faire grand-chose, d’autant que cette association de diplomates – ayant été en poste à Washington, Bruxelles-Otan et Tel-Aviv – se tient fermement les coudes et partage les mêmes relations affairistes.

« Ils sont de plus en plus nombreux à aspirer à vendre leurs services en fin de carrière », écrit Marc Endeweld dans une remarquable enquête2 : « ancien secrétaire général du Quai, M. Gérard Errera conseille le groupe financier américain Blackstone et l’opérateur téléphonique chinois Huawei. M. Jean-David Lévitte, qui fut conseiller diplomatique des présidents Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, a été recruté comme conseiller spécial par Rock Creek Global Advisors, une société de conseil fondée par M. Joshua Bolten, ancien directeur de cabinet du président George W. Bush. Plus récemment, l’ancien ambassadeur de France à Tel-aviv et Washington, M. Gérard Araud, a rejoint la société de communication de Richard Attias, qui appartient aujourd’hui pour moitié à un fonds souverain saoudien ».

Dès juin 2017 – sitôt élu président – Emmanuel Macron promettait dans un entretien au Figaro3 : « avec moi, ce sera la fin d’une forme de néo-conservatisme importée en France depuis dix ans. La démocratie ne se fait pas depuis l’extérieur à l’insu des peuples. La France n’a pas participé à la guerre en Irak et elle a eu raison. Et elle a eu tort de faire la guerre de cette manière en Libye. Quel fût le résultat de ces interventions ? Des Etats faillis dans lesquels prospèrent les groupes terroristes. Je ne veux pas de cela en Syrie… ».

CASSER LES ETAT-NATIONS !

N’oublions pas que cette divergence Quai/Elysée, que la Secte a pris naissance lorsque Bernard Kouchner était ministre des Affaires étrangères (entre 2007 et 2010)4. Derrière tous ses boniments sur « l’action humanitaire » et les « ingérences » toutes aussi généreuses, l’agenda était parfaitement clair : fragiliser, sinon casser les Etat-nations du Sud – retribaliser les populations – afin de perpétrer l’influence, sinon l’hégémonie des pays occidentaux, au premier desquels les Etats-Unis et leur satellite israélien.

Dans ce jeu de massacre, le Liban constitue toujours un merveilleux laboratoire où il suffit d’attiser quelque peu les fractures confessionalo-communautaires pour atteindre la Syrie, l’Iran, sinon la Russie voire la Chine. Emmanuel Bonne, le conseiller diplomatique du président de la République en sait quelque chose, lui qui fût ambassadeur de France au Liban (2015 – 2017). Aujourd’hui à contre-emploi, puisqu’il est chargé d’accompagner la « nouvelle approche diplomatique du Proche-Orient » que veut incarner Emmanuel Macron, Emmanuel Bonne fût, tout comme Gérard Araud, un farouche partisan du renversement de Bachar al-Assad… sans doute pour offrir le pouvoir syrien aux Frères musulmans ou à d’autres « révolutionnaires » jihadistes – qui au même moment assassinaient nos enfants dans les rues de Paris, de Londres et d’autres cités occidentales !

Comprenne qui pourra, toujours est-il que les principaux conseillers du Quai en charge des Proche et Moyen-Orient, continuent à soutenir et promouvoir les factions libanaises qui cherchent à renverser le président Michel Aoun parce que ce dernier a eu le grand tort – à leurs yeux – de nouer une alliance avec le Hezbollah dès novembre 2006. Comment Emmanuel Macron peut-il s’émanciper de cet « Etat profond », qui favorise d’abord les intérêts américano-israéliens avant d’oeuvrer à la défense de ceux de la France ? Grande question… dont le début d’une réponse possible commence par la pensée, sinon la mise en œuvre d’une diplomatie française réellement adaptée à la région.

Ainsi, il ne suffit pas de réclamer des réformes – des ré-for-mes – en sautant comme un cabri ! Quelles réformes ? Dans quels secteurs ? Avec qui ? Et dans quel ordre. L’ensemble des classes politiques libanaise et française réclament des « réformes », mais sans jamais n’en rien dire de précis et de concret. Comme des perroquets, les journalistes répètent à tous vents que les gouvernements libanais sont corrompus depuis la nuit des temps… La belle affaire et quel scoop ! Ils étaient moins loquaces lorsque Jacques Chirac soutenait, mordicus, son grand copain, l’affairiste Rafic Hariri, lorsque Nicolas Sarkozy et François Hollande faisaient de même avec son fils Saad, tout aussi voyou que les Nabih Berry, Walid Joumblatt, Gemayel et autres Samir Geagea !

Etrangement la rengaine est repartie de plus belle alors que le dernier gouvernement d’Hassan Diab était certainement l’un des plus compétents depuis la fin de la guerre civile (1975 – 1990). Alors des réformes – lesquelles ? – et après ? Le coup d’après, ce serait justement de fixer des objectifs et une méthode pour les atteindre. Le ministre plénipotentiaire (1ère classe) Pierre Duquesne vient d’être nommé ambassadeur chargé de la coordination du soutien international au Liban. C’est bien ! Bon travail, en vous souhaitant pleine réussite Monsieur l’Ambassadeur.

Cette nomination est un bon signe, mais une vraie diplomatie française pour le Liban et le Proche-Orient : c’est quoi au juste ? D’abord revenir à la centralité du conflit israélo-palestinien qui déstabilise l’ensemble de la région depuis la naissance du régime de Tel-Aviv (1948). Il fût un temps où Elysée et Quai d’Orsay condamnaient – certes en des termes soigneusement pesés – les bombardements israéliens sur Gaza et la Cisjordanie. Aujourd’hui, la soldatesque israélienne peut commettre n’importe quelle forfaiture en violant allègrement les eaux territoriales et l’espace aérien libanais : pas un mot, ni du Quai, ni de l’Elysée.

Dans un deuxième temps, il s’agirait de tirer toutes les conséquences de l’invasion anglo-américaine de l’Irak au printemps 2003, afin de corriger rapidement les mêmes désastres en cours aujourd’hui en Syrie et en Libye. En se rendant en Irak afin de conforter les efforts de restauration d’un Etat stato-national, Emmanuel Macron envoie quelques messages politiques forts, mais qui resteront abstraits s’ils ne sont pas suivis de coopérations économiques conséquentes. Et pourquoi se sent-il obligé de le faire en critiquant la présence d’intérêts iraniens dans ce pays ? Quand la diplomatie française cessera-t-elle de donner des gages à Washington pour voler de ses propres ailes ?

Enfin, dans un troisième mouvement, il s’agirait de revisiter et de hiérarchiser les intérêts français dans la région pour les consolider en communiquant davantage sur leurs implications et les perspectives qu’elles ouvrent. Ces dossiers sont trop rarement évoqués à l’Assemblée nationale et au Sénat…

Non seulement, il y aurait urgence à rouvrir notre ambassade à Damas, mais également une même nécessité s’impose pour refonder notre relation avec Téhéran, sur d’autres bases que celles d’une hostilité américaine invariable depuis la révolution islamique de 1979 – et surtout qui ne correspond pas – pas du tout – aux intérêts de notre pays.

NOUS NE DEFENDONS PAS GEORGES MALBRUNOT

Comme beaucoup, nous avons jugé plutôt déplacé le recadrage public du journaliste du Figaro Georges Malbrunot par le président de la République. Si ce dernier avait des choses importantes à reprocher au premier, il aurait pu le faire entre quatre yeux plutôt que de se donner ainsi en spectacle devant les caméras accompagnant son déplacement au Proche Orient. Cette perte publique de nerf n’est certainement pas à mettre au bénéfice de l’Elysée, mais ne blanchit pas pour autant sa victime dont les entorses déontologiques sont couvertes depuis des années par l’establishment parisien !

Et nous en savons quelque chose pour avoir employé la personne en question – il y a quelques années – au service étranger de Radio France Internationale (RFI). Sans détailler l’ensemble des forfaitures professionnelles du personnage, il faut comprendre la colère présidentielle après la parution d’un article dans Le Figaro du mardi 1er septembre. Celui, enchaîne les contre-vérités, les erreurs factuelles et les hypothèses les plus farfelues. Dans le même article, Georges Malbrunot prétend avoir interrogé le politologue libanais Walid Charara, ce que ce dernier dément formellement. Malbrunot a tout simplement volé les propos d’une conversation à bâtons rompus entre le politologue et des membres de la délégation française.

Depuis des années, sous couvert du Figaro, Georges Malbrunot fait plus du tourisme que du journalisme, n’hésitant pas au passage à régler quelques comptes personnels. Alors si, au passage, il lui arrive de se faire baffer par le Président, on ne va pas pleurer.

Malgré tout, bonne lecture et à la semaine prochaine.

Richard Labévière


Source : Proche Moyen-Orient - Le 7 septembre 2020

1 Relire l’excellent ouvrage de Frédéric Domont et Walid Charara : Le Hezbollah, un mouvement islamo-nationaliste. Editions Fayard, 2004.
2 « Emmanuel Macron et l’« Etat profond », dans Le Monde Diplomatique de septembre dernier.
3 Le Figaro, 22 juin 2017.
4 Pierre Péan : Le monde selon K. Editions Fayard, février 2009.

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