Les pleins pouvoirs du président états-unien ?

...par Jean-Claude Paye - le 19/11/2016.

 

Sociologue.

Dernier ouvrage publié en français : De Guantanamo à Tarnac . L’emprise de l’image(Éd. Yves Michel, 2011).

Dernier ouvrage publié en anglais : Global War on Liberty (Telos Press, 2007).


Depuis l’élection de Bush père, la fonction de président des États-Unis a considérablement évolué. Alors que jusque là, il s’agissait surtout de nommer 40 000 hauts-fonctionnaires, il s’agit désormais d’utiliser l’exécutif sans avoir à rendre de compte à quiconque. Lorsqu’il promulgue de nouvelles lois, le président a la possibilité d’en modifier le sens à son profit. En outre, la « théorie de l’exécutif unifié » décourage de Congrès de se mêler des décisions du « commandant en chef ». Le rôle du parlement se borne désormais à voter le budget. 

 

Source : http://www.voltairenet.org/article194114.html


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Après des élections états-uniennes, dont les résultats ont créé la surprise chez la plupart des observateurs, le moment est opportun de rappeler de quels pouvoirs réels dispose ce président. Suite à cet évènement, opposé à leurs attentes, de nombreux « analystes », après avoir fait une campagne unilatérale contre Donald Trump ont tenté de se rassurer, en stipulant que les prérogatives du président des États-Unis sont strictement limitées par la Constitution et que, ainsi, celui-ci « n’a pas tous les pouvoirs » [1]. Cette perception d’une séparation rigoureuse des pouvoirs aux États-Unis pourrait s’appuyer sur le fait que, contrairement aux membres de l’Union européenne, l’institution parlementaire est formellement valorisée.

 

Valorisation de l’image du pouvoir législatif états-unien

En opposition aux pays membres de l’Union européenne, l’institution parlementaire apparaît davantage mise en avant. Ainsi, des membres du Congrès peuvent être directement associés aux négociations d’accords commerciaux de portée internationale. À l’inverse, les Parlements nationaux européens et celui de l’UE interviennent seulement en phase finale d’accords comme celui du CETA, uniquement pour ratification. Cette dernière prérogative n’était d’ailleurs pas prévue. Après quatre ans de négociation, elle résulte, afin de donner une légitimité à un texte contesté, d’un changement de statut en juillet dernier, le passage d’un accord commercial simple à un accord mixte [2].

Un exemple en matière de coopération pénale permet également de saisir la différence entre les États-Unis et les pays membres de l’Union européenne. Les accords d’extraditions signés en 2003, entre l’UE et les USA, ont été négociés en toute autonomie par l’Office européen de police, sans avoir besoin de l’avis du Parlement européen, ni de la ratification des Parlements nationaux. Malgré des négociations sous le sceau du secret, les citoyens européens ont finalement pu avoir connaissance du texte, car une partie du document a dû être déclassifié, afin d’être signé par le Congrès états-unien [3].

Rappelons également que, tous les quatre ans, les dispositions provisoires du Patriot Act doivent rituellement être renouvelées par le Congrès, même si elles se réduisent actuellement à deux mesures, les autres étant devenues permanentes.

 

Dévalorisation permanente des parlements européens

Les États membres de l’Union européenne ont, au contraire, adopté une démarche de dévalorisation systématique de l’institution parlementaire. Au niveau du processus législatif national, il s’agit, pour le gouvernement, de montrer qu’il passe en force. En France, l’exécutif peut utiliser la procédure accélérée qui permet de réduire le débat parlementaire, en imposant un seul passage par Chambre [4]. De manière plus radicale encore, le gouvernement peut recourir à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution pour faire adopter une loi, sans passer par le vote du Parlement [5]. Cette procédure a été utilisée 85 fois depuis 1958 et déjà 5 fois par le gouvernement de Manuel Valls. Ces procédures, de contournement des Chambres ou d’évitement de tout débat parlementaire, sont utilisées alors que le pouvoir législatif ne manifeste aucune velléité de résistance. L’objectif gouvernemental n’est donc pas de surmonter une opposition, mais de montrer, non pas aux parlementaires qui ont acceptés depuis longtemps de jouer un simple rôle d’enregistrement de décisions prises ailleurs, mais aux populations que, selon la formule de Boris Eltsine lui-même : « Un bon Parlement est un Parlement qui vote les lois et ne fait pas de politique ». Il s’agit de faire accepter aux citoyens que la structure de l’État national n’est plus un cadre de prise de décision, mais un lieu de ratification de politiques émanant de la superpuissance états-unienne et de ses organisations internationales. L’exhibition et la ritualisation, de la soumission des parlementaires aux impératifs de l’exécutif et des instances internationales, forment une image, à laquelle les populations sont conviées à s’abandonner.

 

Une image de puissance adéquate à la structure impériale

Contrairement aux États de l’ancien continent, l’institution parlementaire US est sous les feux des projecteurs. Elle a une fonction d’icône de la souveraineté états-unienne, à usage interne, mais, aussi et surtout, externe. Il s’agit d’abord d’indiquer aux États subalternes, que seuls les États-Unis restent un État au sens plein du terme, conservant une structure intacte, garante d’un pouvoir souverain fondamental, celui de la « nation américaine », auquel les autres pays doivent allégeance. Ce qui explique que, contrairement à la plupart des nations de l’ancien continent, le Congrès garde un rôle formel incontournable

La spécificité états-unienne résulterait ainsi dans le caractère exceptionnel de ses institutions, dans le fait que celles-ci ne seraient pas formellement soumises aux réformes que les USA ont imposées aux autres États, comme la liquidation du pouvoir judiciaire et l’affaiblissement du Parlement. Le commandement sur la structure impériale suppose l’édification iconique de indépendance de l’État US par rapport aux structures internationales que le pouvoir états-unien a lui-même installées.

Cette image d’une institution parlementaire états-unienne omniprésente et formellement valorisée a pu laisser penser à certains observateurs que les pouvoirs du Président sont contrôlés par le pouvoir législatif et strictement limités par la Constitution. Cependant, la puissance du pouvoir législatif est déjà tempérée par la loi fondamentale elle-même qui donne des prérogatives exceptionnelles au Président, en lui accordant un droit de veto sur la production législative.

 

Les « Signing Statements » présidentiels

Surtout, les actes du pouvoir législatif peuvent être facilement minorés par de l’utilisation des « Signing Statements », permettant de renverser le caractère contraignant de la loi vis-à-vis de la fonction exécutive. La déclaration présidentielle, jointe à l’acte de promulgation de la loi, a généralement pour effet de modifier substantiellement cette dernière.

Depuis Ronald Reagan, s’est installée la tradition d’une suite ininterrompue de déclarations présidentielles interprétatives, de la légalité et de la constitutionnalité, des lois proposées à la signature du chef de l’État. Cette procédure autorise le Président à émettre des réserves sur le texte et lui permet de ne pas appliquer loyalement les lois qu’il a lui-même promulguées. Ainsi, c’est lui qui fixe les conditions et le contexte dans lesquels il est susceptible d’appliquer certaines dispositions législatives. Cette procédure a été largement utilisée par les présidents H.W. Bush, B. Clinton et surtout G. W. Bush. Le président Obama n’a pas été en reste. Par exemple, en apposant sa signature au National Defense Authorization Act, le 31 décembre 2011, il déclara que son administration « interprétera et appliquera les dispositions décrites ci-dessous de manière à préserver la flexibilité dont dépend notre sécurité et de maintenir les valeurs sur lesquelles est fondé ce pays » [6]. Il s’est opposé à l’obligation légale de détenir militairement les terroristes étrangers, ce qui limiterait la « flexibilité » de l’action de l’exécutif. Au nom de « la séparation des pouvoirs » qu’il conçoit comme stricte indépendance de la fonction exécutive vis-à-vis de l’institution parlementaire, il défend le choix administratif de maintenir les prisonniers, par exemple, dans des camps « offshore » de la CIA. Ici, la primauté ne réside plus dans le texte législatif, mais dans l’initiative présidentielle.

 

Un renversement de la séparation des pouvoirs

Ainsi, Obama, de par l’utilisation de la procédure des « Signing Statements », renverse le principe de séparation des pouvoirs, ce mode d’organisation issu des Lumières. Pour Montesquieu, l’objectif poursuivi est d’empêcher la concentration de la puissance politique en une seule autorité. Pour ce faire, les pouvoirs s’équilibrent et se limitent mutuellement. Au contraire, la séparation des pouvoirs, telle que la conçoit le président états-unien, opère un clivage dans l’exercice de la puissance étatique, de manière à ce que le législatif ne puisse pas exercer de contrôle sur l’exécutif. Pour le pouvoir exécutif US, il s’agit de rétablir la primauté de la décision par rapport à la norme et d’affirmer qu’il n’est pas strictement tenu par les lois émanant de l’institution législative. Dans ce contexte, la séparation des pouvoirs devient absence de limite posée à l’action présidentielle.

L’utilisation des « Signing Statements » est devenu un fondamental états-unien. Le président Reagan y a eu recours 250 fois durant son double mandat présidentiel. H.W. Bush continua cette pratique à 228 reprises. Le président démocrate Bill Clinton ne fût pas en reste en utilisant 381 « Signing Statements ». Le président George W. Bush prolongea la tradition, d’une manière un peu plus limitée, en signant 152 commentaires portant sur les lois soumises à sa signature. Les déclarations signées des présidents, en rapport aux textes législatifs qui leur sont soumis, contiennent à la fois des commentaires sur la légalité ou la constitutionnalité des dispositions légales et des oppositions au contenu de certains articles. Le pourcentage d’objections présidentielles est variable. Chez George W. Bush, il a porté sur 78 % des lois promulguées durant ses deux mandats .

Quant à Barack Obama, après avoir fait part de son opposition à cette procédure durant sa première campagne électorale présidentielle, il l’utilisa, à son tour, à 33 reprises. En ce qui concerne la future présidence de Donald Trump, rien ne l’empêchera de s’inscrire dans la voie tracée par ses prédécesseurs et d’avoir recours à cette pratique limitative du contrôle des Chambres sur l’action présidentielle, en lui permettant ainsi de ne pas être soumis à certaines dispositions de lois que les présidents antérieurs ont signées en émettant des réserves ou que lui-même aura promulguées, en recourant également à des « Signing Statements ».

 

Jean-Claude Paye


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