À l’heure où j’écris ces lignes, la grande contre-offensive ukrainienne du printemps est peut-être en cours. Je dis « peut-être », car il n’y a rien de plus
incertain qu’une action militaire aussi longtemps planifiée et claironnée. À tel point qu’il est difficile de lire la réalité des événements derrière l’écran de fumée de la propagande
partisane. Laquelle ne tend pas à informer, bien au contraire. La désinformation, c’est ce que les maîtres de l’ombre à l’époque soviétique appelaient la « desinformatzia ».
Cependant, depuis quelques semaines, des actions offensives sont menées par les FAU (Forces armées ukrainiennes). Les Russes y répondent en élargissant la
portée de leurs raids aériens. Compte tenu également du contrôle presque total qu’ils exercent sur l’espace aérien.
Cependant, ces actions, aussi intensifiées soient-elles, ne donnent pas l’impression qu’elles peuvent réellement affecter le cours général du
conflit.
Elles semblent surtout viser à donner un signal aux alliés occidentaux de Kiev. Et à justifier les nouvelles demandes d’argent et d’armement de
Zelensky.
Comme je l’ai dit, le risque paradoxal est que cette contre-offensive ukrainienne pousse Moscou à étendre la zone de conflit. Et à se doter d’armements
toujours plus lourds et dévastateurs. Ce qu’elle semble déjà faire.
Jusqu’à présent, la volonté de Poutine de limiter le conflit, qui n’est pas désigné par hasard par l’euphémisme « opération spéciale », était évidente.
L’objectif russe était de prendre le contrôle de l’ensemble du Donbass. Et, en perspective, d’empêcher l’installation de bases de l’OTAN en Ukraine.
Au-delà de l’armement utilisé, une guerre visant à redéfinir les zones frontalières. Et à avoir des effets diplomatiques. Bref, plus proche des guerres de
succession du XVIIIe siècle que d’un conflit moderne visant à anéantir l’adversaire.
Mais dans les guerres de succession, les belligérants avaient une sorte d’accord tacite. Ou, du moins, une compréhension commune des limites du conflit. Et
de ses objectifs.
Dans le cas présent, en revanche, la vision russe de l’opération dite spéciale n’a pas d’équivalent sur l’autre front.
Par « l’autre front », je n’entends évidemment pas les illusions de Zelensky et de ses hommes au pouvoir à Kiev, ni les forces armées ukrainiennes. Ni aux
forces armées ukrainiennes. Qui, dans ce jeu, ne sont que de la chair à canon consommable.
L’autre front est représenté par Washington. Avec ses satellites européens. Et l’objectif peu subtil de l’élite dirigeante actuelle à la Maison-Blanche (et
derrière elle) est l’anéantissement de la puissance russe. Un dernier redderationem.
Ce qui a été appelé, précisément par les Américains, « la stratégie de l’anaconda ». C’est-à-dire étouffer lentement Moscou, l’envelopper d’ennemis et la
contraindre à des conflits territoriaux permanents. Aujourd’hui l’Ukraine, demain la Transnistrie et la Géorgie… après-demain qui sait ?
On peut donc penser que l’actuel conflit russo-ukrainien n’est qu’une étape, la plus visible à ce jour, d’une longue, très longue guerre. Une guerre que
l’on pourrait qualifier d’interminable. Ou, du moins, dont les limites temporelles sont très éloignées de notre présent. Une nouvelle guerre de Cent Ans, mais à l’échelle mondiale.
Bien sûr, il est aujourd’hui presque impossible de faire des prévisions à long terme.
Moscou pourrait réagir à ce ruissellement par un féroce retournement de situation. C’est-à-dire en déployant tout son potentiel de guerre. Même
nucléaire.
C’est peu probable, du moins tant qu’un homme politique compétent comme Poutine est au Kremlin. Mais, comme je l’ai dit, il est impossible de prédire
l’avenir.
En outre, le risque d’utilisation d’armes nucléaires tactiques se situe plutôt du côté occidental. Du moins tant que les démocrates conserveront le pouvoir
à Washington. Et c’est là qu’il faut faire une, trop longue, réflexion sur la perspective du retour de Trump à la Maison Blanche. Et sur le temps qu’il reste à Biden et aux siens.
Et puis, il y a le Convive de pierre. Pékin.
Les Chinois sont habitués, bien plus que les Américains, les Européens et les Russes, à penser à long terme. Et ils savent comment gérer une guerre sans
fin.
La Chine et la Russie s’allient
militairement. Cela laisse présager un changement de paradigme stratégique qui pourrait obliger les États-Unis à reconsidérer la voie à suivre.
Le sentiment que les choses vont mal, et de plus en plus mal, est palpable. Le zeitgeist actuel est indéniablement teinté d’eschatologie. La spirale des
facteurs géopolitiques laisse présager des turbulences extrêmes.
Biden et les démocrates découvrent – à leur grande surprise – qu’ils sont dans une impasse : L’équipe de Biden, qui pensait se présenter en 2024 en
s’appuyant sur le « bilan économique de Biden », voit ses perspectives s’évanouir face à l’accélération des événements.
Et l’Ukraine – qui devait être le précurseur du renversement de la Russie en tant que telle – semble plus susceptible de sombrer dans la débâcle. La défaite
sur deux fronts (la « guerre » financière et diplomatique) étant déjà établie, et l’entité ukrainienne s’atrophiant
progressivement sous l’effet de l’attrition militaire russe sur un autre front, Washington se demande s’il faut ou non lancer une offensive
ukrainienne, craignant qu’elle ne scelle une catastrophe ukrainienne.
Kiev entend l’équivoque de Washington sur l’issue probable de l’offensive ukrainienne ; Kiev comprend également que cela pourrait signifier
« rideau » pour le « projet » Zelensky – si Biden décidait qu’il est temps de tirer un trait sur ce projet et d’achever le pivot vers la Chine. Cela signifierait
littéralement « la fin » pour la plupart des dirigeants de Kiev.
Le changement de stratégie est déjà évident : John Kirby (porte-parole de Sullivan) a brandi des pertes russes très exagérées à Bakhmout. En même temps, il
laisse entendre que si la Russie semble « gagner », elle a en réalité été vaincue. Blinken a poursuivi sur ce thème le lendemain en affirmant que « la Russie a échoué
dans son objectif d’effacer l’Ukraine » et que, par conséquent, elle a « perdu »,
n’ayant pas atteint ses objectifs.
Il est clair que l’équipe Biden se replie sur le récit d’une « victoire à la Pyrrhus » de la Russie, la survie de l’Ukraine étant considérée comme
une « mission accomplie ».
La conséquence était prévisible : la sortie des États-Unis étant apparemment imminente, il fallait s’attendre à une provocation majeure (à savoir l’attaque
du Kremlin par un drone). Il est clair que « quelqu’un » cherche désespérément à déclencher une réaction russe excessive qui, à son tour, forcerait l’Occident à entrer en guerre
totale contre la Russie.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, nous ne savons pas qui pourrait être responsable de l’attaque du Kremlin. Cependant, la colère est profonde et
passionnée en Russie. Le Kremlin doit reconnaître ce sentiment public. Et il y aura une réponse ; mais en même temps, Moscou ne voudra pas entrer dans le jeu des provocateurs. (Le 9 mai
marque la victoire russe dans la guerre contre l’Allemagne nazie. Ils ne voudront pas que cette journée soit perturbée).
Face à l’imbroglio potentiel en Ukraine, à l’inflation galopante, à la récession imminente, à la ruée sur le système bancaire et à une faible cote de
popularité dans les sondages, « l’équipe Biden » semble avoir un plan. Il s’agit de refaire de Biden un « président de guerre », en mobilisant les États-Unis pour
abattre la Chine, alors que l’establishment pense que les États-Unis ont encore l’avantage (militaire conventionnel). Les « jeux de guerre » du Pentagone impliqueraient que les
États-Unis aient une chance avant que la Chine ne soit totalement préparée à la guerre.
Cela vous semble bizarre ? Eh bien, les autres « fronts » (l’inflation, la bulle financière, la récession, les médicaments et l’éducation
inabordables) n’ont tout simplement PAS de solution. Il s’agit de problèmes structurels profonds. Les États-Unis sont aujourd’hui un endroit où la plupart des gens reconnaissent les
problèmes, mais où le droit de veto, les intérêts bien ancrés et la domination de « l’Uniparti » au Congrès ferment la porte à toute tentative de réforme. Trump a essayé de
sortir de cette impasse, mais il a échoué. Biden échouerait également s’il essayait. Donc, si résoudre les problèmes des États-Unis est « le problème », alors devenir un
« président de guerre » pourrait vraisemblablement être considéré comme la « solution ».
Bien entendu, comme les sociétés occidentales d’aujourd’hui ne peuvent pas regarder la vérité en face, l’Occident doit apparaître comme la
« victime » des événements, et non comme l’auteur de son sort, ce qui permet de justifier la guerre. Et pour s’assurer que ce récit reste dans le domaine public, des coups de
semonce préparatoires ont été tirés à l’intention des médias pour qu’ils « restent dans l’équipe ».
« La rivalité entre
grandes puissances et la concurrence pour des ressources en diminution ne sont que de vieilles réalités qui renaissent », prévient Robert
Kaplan. « Leur retour est la
revanche de l’histoire qui définit maintenant un présent de plus en plus périlleux et incertain. »
« La situation mondiale
est similaire à celle qui prévalait avant 1914. Les nouvelles technologies n’ont pas surmonté la rivalité pour les ressources naturelles rares, elles en ont seulement déplacé le centre
d’intérêt », écrit le
philosophe John Gray.
Une nouvelle version du grand jeu de la fin du XIXe siècle se prépare. Les deux guerres mondiales ont été en partie motivées par le besoin de pétrole. La
conviction des sociétés occidentales que les options peuvent toujours être élargies par l’action humaine a été un élément central du projet politique occidental, ainsi que du libéralisme
progressiste, écrit le
professeur Helen Thompson.
Elle poursuit en disant que « … il manque le fait
que la technologie ne peut pas créer de l’énergie [au moins du type dont la société moderne a besoin]. Cette conviction de l’action humaine s’est longtemps révélée trop optimiste. Ceux
qui partent du principe que le monde politique peut être reconstruit par les efforts de la volonté humaine n’ont jamais eu à parier aussi lourdement sur la technologie – et non sur
l’énergie [fossile] – comme moteur de notre progrès matériel. »
Aahh – Le professeur Thompson vend la mèche. Ce « pari de
guerre » extrêmement risqué – à savoir que nos sociétés complexes peuvent de plus en plus fonctionner grâce aux technologies vertes plutôt qu’aux « ressources naturelles
du XIXe siècle » – est un pari, provoqué, selon Thompson, « par un sentiment
sous-jacent de peur existentielle, un soupçon tenace que notre civilisation pourrait s’autodétruire, comme tant d’autres l’ont fait dans le passé ». (D’où l’impulsion de
réaffirmer la domination – même au prix de l’accélération d’un éventuel auto-suicide de l’Occident).
Ce qu’elle veut dire, c’est que le zeitgeist culturel général tend vers le désespoir et le nihilisme. Oui, mais qui est responsable de la nécessité pour
l’Occident de parier sur la technologie plutôt que sur l’énergie pour assurer son avenir ? L’Europe disposait d’une source d’énergie fiable et bon marché jusqu’à ce qu’elle rejette les
plans des néo-conservateurs américains et européens.
« L’âge d’or » occidental était lié à des taux d’intérêt nuls et à une inflation nulle. Pendant des décennies, l’inflation a été quasiment nulle,
précisément grâce aux produits manufacturés bon marché en provenance de Chine et à l’énergie bon marché en provenance de Russie. Aujourd’hui, l’Occident est confronté au démon de
l’inflation et à des taux d’intérêt plus élevés qui ravagent son système financier. C’était son choix.
Oh oui, le « récit », comme l’explique Robert
Kaplan, est que « le destin est en fin
de compte entre les mains de l’action humaine. Mais l’action humaine ne doit pas nécessairement avoir des résultats positifs. Des individus tels que Poutine et Xi sont des agents humains
qui ont provoqué une guerre vaste et sanglante en Ukraine – et qui conduisent l’Asie vers un conflit militaire de haut niveau à propos de Taïwan ». L’Ukraine et Taïwan n’ont
donc rien à voir avec le projet néoconservateur d’étendre l’hégémonie américaine à une nouvelle ère ?
Incapable d’aborder les questions honnêtement, ce collectif d’intellectuels
occidentaux justifie une future guerre contre la Chine en partant du principe que Poutine, sans raison valable, a simplement choisi d’envahir l’Ukraine le 24 février 2022, et que Xi est
coupable d’avoir l’intention d’envahir Taïwan – ce à quoi l’Occident doit répondre de manière appropriée en stockant « au maximum » des armes à Taïwan.
Cette justification est aussi fallacieuse que celle de la guerre en Irak.
Les préparatifs de cette guerre s’accélèrent : Davantage d’armes à Taïwan ; les forces spéciales américaines organisent des exercices d’infiltration à
Taïwan en cas de prise de pouvoir par les Chinois (probablement pour lancer une guérilla insurrectionnelle). Et comme le relate Andrew
Korybko, les États-Unis rassemblent leurs alliés dans la région Asie-Pacifique : la Corée du Sud a autorisé des sous-marins américains dotés d’armes nucléaires à accoster dans ses ports ;
AUKUS est renforcé ; le Japon est officieusement à bord ; et l’Indonésie et les Philippines subissent la pression des États-Unis pour qu’ils fassent leur part du travail.
En contrepoint de la stratégie habituelle consistant à rassembler les alliés en prévision d’un éventuel conflit, le haut représentant de l’Union européenne,
Josep Borrell, propose que les marines de l’Union patrouillent
dans le détroit de Taïwan. Cette initiative intervient quelques semaines seulement après que le secrétaire général de l’OTAN, Stoltenberg, a déclaré :
« Nous
intensifions actuellement notre coopération avec nos partenaires de la région indo-pacifique : le Japon, la Corée du Sud, la Nouvelle-Zélande et l’Australie. »
« La tendance
indiscutable est que les partenaires européens des États-Unis sont prêts à jouer un rôle militaire plus important dans la région, y compris un rôle provocateur s’ils finissent par
patrouiller dans le détroit de Taïwan », écrit Korybko.
Von der Leyen et l’UE sont également impliquées – son nom a été mentionné trois fois dans le discours de Jake Sullivan sur le « nouveau
consensus de Washington », dans lequel il est prévu d’inverser toute la tendance politique depuis les années Reagan : retour au protectionnisme, intervention du gouvernement
central pour soutenir la politique industrielle, investissement audacieux dans le renforcement des capacités, « résilience » et réappropriation des chaînes d’approvisionnement
internes.
Il ne s’agit toutefois pas d’un véritable plan de réforme de l’économie américaine, bien qu’il soit présenté comme tel. Une véritable réforme nécessiterait
d’énormes changements structurels. Il s’agit de réorienter l’économie en vue d’une éventuelle guerre conventionnelle contre la Chine. (L’une des leçons du conflit ukrainien est que la
capacité industrielle est importante). Il s’agit probablement aussi d’un prétexte pour augmenter les dépenses fiscales (impression monétaire) dans la perspective des élections de
2024.
Inévitablement, ceux qui, au sein de l’UE, sont alliés aux « Verts » allemands et à von der Leyen sont en extase. Les fonctionnaires de Bruxelles
parlaient du « ticket Biden-von der Leyen » (comme s’il s’agissait d’une candidate à la vice-présidence des États-Unis sur le « ticket » démocrate !), et se
réjouissaient d’une alliance de pouvoir entre les États-Unis et l’UE s’étendant jusqu’en 2028 !
Que penser de ces changements ? Je le répète : Biden est dans l’embarras et son équipe bat de l’aile. Il est extrêmement prématuré pour la Maison-Blanche de
parler de « mission accomplie » en Ukraine, mais que peut-elle faire d’autre ? La guerre contre la Chine ne se fera pas uniquement contre la Chine, mais probablement aussi
contre la Russie. Telle était certainement l’essence de
la visite de quatre jours du ministre chinois de la Défense à Moscou (y compris une séance personnelle avec Poutine). Le message était clair : La Chine et la Russie « se donnent la
main militairement ». Cela laisse présager un changement de paradigme stratégique qui pourrait bien obliger les États-Unis à reconsidérer la voie à suivre – ou non.
Une série de développements européens ont récemment montré
l’accélération de la perte d’hégémonie des Etats-Unis face au mouvement sino-russe qui cherche à organiser le “reste” du monde en s’éloignant de l’Occident et du système
hégémonique américain. Aujourd’hui, ce qui était une fuite s’est transformée en une inondation. Le président chinois Xi a pris au lasso le président ukrainien Volodomyr Zelenskiy pour des
négociations visant à mettre fin, ou au moins à arrêter, la guerre entre l’OTAN et la Russie en Ukraine, malgré l’opposition apparente des États-Unis à de tels pourparlers ou même à un
cessez-le-feu, comme l’ont déclaré de nombreux responsables américains au cours des dernières semaines. La défection de l’Ukraine du projet américain OTAN-Ukraine, qui est aussi une tentative de
changement du régime russe, met Washington dans une situation délicate et pourrait donner lieu à des mesures drastiques.
Comme je l’ai noté récemment, une série de dirigeants européens se sont rendus à la Cité interdite pour consulter des responsables chinois sur des questions
économiques et politiques. Le président brésilien a ajouté le poids de l’État le plus puissant d’Amérique du Sud en rencontrant Xi et en appelant à la tenue d’une conférence de paix sur l’Ukraine
sous l’égide de la Chine. Mais il s’est avéré que le pèlerinage le plus important à Pékin a été celui du président français Emmanuel Macron. Le dirigeant de l’un des principaux membres de l’OTAN
et de l’UE et prétendant au leadership en Europe a annoncé ce que de nombreux dissidents conservateurs dans toute l’Europe affirment depuis des années. Après sa rencontre avec XI, Macron a
déclaré dans une interview accordée lors de son retour à Paris que l’Europe devrait éviter le statut de “vassal” et de “suiveur” par rapport aux États-Unis et rechercher plutôt une
“autonomie stratégique” en tant que “troisième pôle” dans le système international, aux côtés des
États-Unis et de la Chine. Une telle évolution représenterait évidemment l’élimination de la pierre angulaire du pôle américain ou occidental du système international. Washington et Bruxelles,
qui jouissaient de l’hégémonie depuis la fin de la guerre froide, verraient la fin du système unipolaire qu’ils dominaient et commenceraient à se disputer les faveurs de Pékin, même si cette
dernière protège les Russes tant détestés.
Voici maintenant l’appel de Zelenskiy à XI et la reconnaissance par ce dernier qu’ils ont discuté de l’implication de l’Ukraine dans la poursuite d’un processus de
paix avec la Russie, ainsi que l’annonce que Pékin nomme un envoyé spécial à Kiev pour coordonner la préparation des pourparlers. Le fait que Zelenskiy ait pris l’initiative du contact avec Xi et
que ce contact ait eu lieu alors que l’Ukraine était en train de perdre complètement son emprise sur la plaque tournante de Bakhmut dans le Donbass suggère que Zelenskiy, comprenant que l’aide
occidentale sera trop faible et trop tardive pour empêcher une marche russe vers le fleuve Dniepr qui forcerait le retrait du gouvernement de Kiev, voit que la défaite totale et complète de
l’Ukraine est écrite sur le mur. C’est une sage décision, mais il est peut-être trop tard pour lui, pour le régime de Maïdan et même pour la souveraineté de Kiev sur le territoire ukrainien, qui
est menacée non seulement par la Russie, mais aussi par la Pologne, voire par les États-Unis et l’OTAN, en raison de la situation désastreuse dans laquelle elle se trouve.
J’ai récemment noté les rapports de Seymour Hersh selon lesquels le directeur de la CIA William Burns, en visite à Kiev au début du mois, a remis à Zelenskiy une
liste de 35 généraux ukrainiens impliqués dans des actions de détournement de l’aide occidentale à l’Ukraine, d’une valeur de 400 millions de dollars depuis le début de la guerre. Burns aurait
dit à Zelenskiy que c’est lui, le président ukrainien, qui aurait dû figurer en tête de liste. Zelenskiy a donc été contraint de licencier le militaire corrompu le plus ambitieux de la liste.
Cela suggère que Washington a une grande emprise sur Zelenskiy et peut contrôler les politiques de guerre de l’Ukraine, sans parler de la dépendance totale de Kiev à l’égard des financements
occidentaux pour son budget d’État. Mais cela signifie non seulement que Washington et Bruxelles peuvent désormais manipuler Zelenskiy encore plus qu’ils ne le faisaient avant de présenter leurs
renseignements obtenus par l’écoute des communications internes de Kiev et que, plus que jamais, l’Ukraine est un membre de facto de l’OTAN et un État satellite de l’Occident dont la survie
dépend entièrement de l’alliance, en particulier de Washington, mais aussi que Washington peut déployer des renseignements pour accroître les tensions dans les relations entre civils et
militaires ukrainiens et, plus particulièrement, entre Zelenskiy et ses généraux. Les éléments compromettants recueillis sur Zelenskiy pourraient être déployés à l’avenir pour faire monter la
température et recruter ensuite des généraux, en particulier le chef de l’état-major ukrainien Viktor Zalyuzhniy, des ultranationalistes, des néofascistes ou d’autres personnes pour monter un
coup d’État contre Zelenskiy et/ou l’assassiner pour toute trahison des intérêts du président américain Joe Biden, de l’OTAN et d’autres intérêts occidentaux fondamentaux, par exemple en faisant
la paix avec Poutine sous les auspices de la Chine. Non seulement cela mettrait fin aux espoirs occidentaux de faire de la guerre contre la Russie en utilisant l’Ukraine et de virer Poutine de sa
position, mais cela placerait Pékin au-dessus de la “nation
indispensable” en tant qu’arbitre principal de la politique internationale. À Washington et à Bruxelles, éviter un tel résultat est bien plus important que la vie de Zelenskiy et la survie
de l’Ukraine.
On ne sait pas exactement quel lien il y a dans l’esprit de Zelenskiy entre sa main tendue à Pékin et les déclarations antérieures de Zelenskiy et du président
polonais Andrzej Duda sur la “dissolution” des
frontières entre la Pologne et l’Ukraine et ce que j’ai suggéré il y a de nombreux mois comme étant la possibilité réelle d’envoyer des forces polonaises ou de l’OTAN en Ukraine occidentale pour
contrer toute avancée russe au-delà du Dniepr. Toutefois, il est clair qu’un tel plan peut être mis en œuvre sans Zelenskiy à la tête de Kiev. En résumé, s’il n’y a pas d’imprimatur américaine
sur les contacts de Zelenskiy avec Pékin et sur les pistes de discussions possibles avec le Kremlin, Zelenskiy s’est mis dans une position très précaire. Qu’il s’agisse de Nord Stream, de Trump,
de son fils Hunter ou simplement d’une approximation de la vérité, Biden a montré qu’il n’était pas moins impitoyable que n’importe quel autre tyran. L’audace de Biden et de ceux qui contribuent
à déterminer ses politiques à Washington, Bruxelles, Davos et ailleurs ne fera que l’encourager à prendre des mesures désespérées, compte tenu de la détérioration rapide de la situation sur le
front ukrainien, alors que l’offensive russe gagne lentement et méthodiquement du terrain et encercle maintenant les troupes à Bakhmut, Avdieevka et ailleurs. Compte tenu aussi du début de la
campagne présidentielle de 2024 et des enjeux élevés des résultats des élections présidentielles et législatives pour Biden, sa famille, ses mécènes et ses alliés.
Gordon
Hahn
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
La montée de la Chine (et la chute des États-Unis ?)
Sur les cendres d’une
guerre mondiale qui a tué 80
millions de personnes et réduit de grandes villes en décombres fumantes, l’Amérique s’est levée comme un légendaire Titan grec, indemne et armée d’une puissance militaire et économique
extraordinaire, pour gouverner le monde. Au cours des quatre années de combat contre les dirigeants de l’Axe, à Berlin et à Tokyo, qui ont fait rage sur toute la planète, les commandants
américains – George Marshall à Washington, Dwight D. Eisenhower en Europe et Chester Nimitz dans le Pacifique – savaient que leur principal objectif stratégique était de prendre le contrôle de
l’immense masse continentale eurasienne. Qu’il s’agisse de la guerre du désert en Afrique du Nord, du débarquement en Normandie, des batailles sanglantes à la frontière entre la Birmanie et
l’Inde, ou de la campagne d’exploration des îles du Pacifique, la stratégie des Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale consistait à limiter l’influence des puissances de l’Axe à l’échelle
mondiale, puis à leur arracher ce continent.
Ce passé, apparemment lointain, continue de façonner le monde dans lequel nous vivons. Ces généraux et amiraux légendaires ont bien sûr disparu depuis longtemps,
mais la géopolitique qu’ils ont pratiquée à un tel prix a encore de profondes implications. De même que Washington a encerclé l’Eurasie pour gagner une grande guerre et l’hégémonie mondiale,
Pékin est aujourd’hui impliqué dans une reprise beaucoup moins militarisée de cette quête de pouvoir mondial.
Et pour être franc, ces jours-ci, le gain de la Chine est la perte de l’Amérique. Chaque mesure prise par Pékin pour consolider son contrôle sur l’Eurasie affaiblit
simultanément la présence de Washington sur ce continent stratégique et érode ainsi sa puissance mondiale autrefois formidable.
La stratégie de la Guerre froide
Après quatre années chargées à assimiler ces leçons de géopolitique en sirotant le café du matin et les capsules de bourbon, la génération des généraux et amiraux
américains du temps de la guerre avait compris, intuitivement, comment réagir à une potentielle alliance entre les deux grandes puissances communistes qu’étaient Moscou et Pékin.
En 1948, après avoir quitté le Pentagone pour Foggy Bottom, le secrétaire d’État George Marshall a lancé le plan
Marshall de 13 milliards de dollars pour reconstruire une Europe occidentale déchirée par la guerre, jetant ainsi les bases économiques de la formation de l’alliance de l’OTAN un an plus
tard. Après un déménagement similaire du quartier général des Alliés à Londres en temps de guerre vers la Maison Blanche en 1953, le président Dwight D. Eisenhower a contribué à compléter une
chaîne de bastions militaires le long du littoral pacifique de l’Eurasie en signant une série de pactes de sécurité mutuelle – avec la Corée du Sud en 1953, Taïwan en 1954 et le Japon en 1960.
Pendant les 70 années qui ont suivi, cette chaîne d’îles a constitué la charnière stratégique de la puissance mondiale de Washington, essentielle à la fois pour la défense de l’Amérique du Nord
et pour la domination de l’Eurasie.
Après s’être battus pour conquérir une grande partie de ce vaste continent pendant la Seconde Guerre mondiale, les dirigeants américains de l’après-guerre savaient
certainement comment défendre leurs acquis. Pendant plus de 40 ans, leurs efforts incessants pour dominer l’Eurasie ont permis à Washington de prendre le dessus et, en fin de compte, de remporter
la victoire sur l’Union soviétique dans le cadre de la guerre froide. Pour contraindre les puissances communistes à l’intérieur de ce continent, les États-Unis ont entouré ses 6 000 miles de
cotes de 800
bases militaires, de milliers de chasseurs à réaction et de trois armadas navales massives – la 6e flotte dans l’Atlantique, la 7e flotte dans l’océan Indien et le Pacifique et, un peu plus
tard, la 5e flotte dans le golfe Persique.
Grâce au diplomate George
Kennan, cette stratégie a été baptisée “endiguement“, ce qui a permis à Washington de rester les bras
croisés pendant que le bloc sino-soviétique implosait à la suite de maladresses diplomatiques et de mésaventures militaires. Après la rupture entre Pékin et Moscou en 1962 et l’effondrement de la
Chine dans le chaos de la révolution culturelle de Mao Zedong, l’Union soviétique a tenté à plusieurs reprises, mais sans succès, de sortir de son isolement géopolitique – au Congo, à Cuba, au
Laos, en Égypte, en Éthiopie, en Angola et en Afghanistan. Dans la dernière et la plus désastreuse de ces interventions, que le dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev a fini par qualifier de
“plaie saignante“, l’Armée rouge avait déployé 110 000
soldats pour neuf années de combats brutaux en Afghanistan, subissant une hémorragie d’argent et d’hommes qui
allait contribuer à l’effondrement de l’Union soviétique en 1991.
Dans cette période grisante de victoire apparente en tant qu’unique superpuissance de la planète Terre, une jeune génération de responsables de la politique
étrangère de Washington, formés non pas sur les champs de bataille mais dans des groupes de réflexion, a mis un peu plus d’une décennie à laisser cette puissance mondiale sans précédent commencer
à s’évanouir. Vers la fin de la guerre froide, en 1989, Francis Fukuyama, un universitaire travaillant dans l’unité de planification politique du département d’État, a acquis une renommée
instantanée parmi les initiés de Washington avec son expression séduisante “la
fin de l’histoire“. Il affirmait que l’ordre mondial libéral de l’Amérique allait bientôt balayer l’ensemble de l’humanité dans une marée sans fin de démocratie capitaliste. Comme il l’a
dit dans un essai souvent cité, “le triomphe de l’Occident,
de la démocratie capitaliste et de l’économie de marché est en marche : “Le triomphe de l’Occident, de l’idée occidentale, est évident… dans l’épuisement total des alternatives systémiques
viables au libéralisme occidental… comme dans la propagation inéluctable de la culture occidentale consumériste“.
Le pouvoir invisible de la géopolitique
En plein milieu de cette rhétorique triomphaliste, Zbigniew Brzezinski, un autre universitaire dégrisé par son expérience du monde, réfléchissait à ce qu’il avait
appris sur la géopolitique pendant la guerre froide en tant que conseiller de deux présidents, Jimmy Carter et Ronald Reagan. Dans son livre « The Great Chessboard » (1997), Brzezinski proposait la
première étude américaine sérieuse de géopolitique en plus d’un demi-siècle. Ce faisant, il mettait en garde contre la profondeur de l’hégémonie mondiale des États-Unis, même à l’apogée de la
puissance unipolaire, qui est intrinsèquement “superficielle“.
Pour les États-Unis et, a-t-il ajouté, pour toutes les grandes puissances des 500 dernières années, l’Eurasie, qui abrite 75 % de la population et de la
productivité mondiales, a toujours été “le principal enjeu
géopolitique“. Pour perpétuer sa “prépondérance sur le
continent eurasien” et préserver ainsi sa puissance mondiale, Washington devra, a-t-il prévenu, contrer trois menaces : “l’expulsion de l’Amérique de ses bases offshore” le long du littoral
du Pacifique ; l’éjection de son “perchoir à la périphérie occidentale” du continent fourni par l’OTAN ; et enfin, la formation d’une “entité unique affirmée” dans le centre tentaculaire de
l’Eurasie.”
Pour justifier le maintien de la centralité de l’Eurasie après la guerre froide, Brzezinski s’est largement inspiré des travaux d’un universitaire britannique
oublié depuis longtemps, Sir Halford Mackinder. Dans un essai datant de 1904 qui a donné naissance à l’étude moderne de la géopolitique, Mackinder observait que,
pendant les 500 dernières années, les puissances impériales européennes avaient dominé l’Eurasie depuis la mer, mais que la construction de chemins de fer transcontinentaux déplaçait le centre de
contrôle vers le vaste “cœur” intérieur de
l’Eurasie. En 1919, au lendemain de la Première Guerre mondiale, il a également affirmé que
l’Eurasie, avec l’Afrique, formait une énorme “île
mondiale” et a proposé cette formule géopolitique audacieuse : “Qui domine le Heartland commande l’île mondiale ; qui domine l’île
mondiale commande le monde“. Manifestement, Mackinder était en avance d’une centaine d’années dans ses prédictions.
Mais aujourd’hui, en combinant la théorie géopolitique de Mackinder et la vision de Brzezinski sur la politique mondiale, il est possible de discerner, dans la
confusion du moment, quelques tendances potentielles à long terme. Imaginons la géopolitique à la Mackinder comme un substrat profond qui façonne des événements politiques plus éphémères, de la
même manière que le lent grincement des plaques tectoniques de la planète devient visible lorsque des éruptions volcaniques percent la surface de la terre. Essayons maintenant d’imaginer ce que
tout cela signifie en termes de géopolitique internationale aujourd’hui.
Le pari géopolitique de la Chine
Au cours des décennies qui ont suivi la fin de la guerre froide, le contrôle croissant de la Chine sur l’Eurasie représente clairement un changement fondamental
dans la géopolitique de ce continent. Convaincus que Pékin jouerait le jeu mondial selon les règles américaines, les responsables de la politique étrangère de Washington ont commis une erreur
stratégique majeure en 2001 en l’admettant au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). De l’avis de
deux anciens membres de l’administration Obama, “tout le
long de son spectre idéologique, la communauté de la politique étrangère américaine partageait la conviction sous-jacente que la puissance et l’hégémonie américaines pouvaient facilement modeler
la Chine à la convenance des États-Unis… Toutes les parties du débat politique se sont trompées“. Un peu plus d’une décennie après son adhésion à l’OMC, les exportations annuelles de Pékin
vers les États-Unis ont presque quintuplé et ses réserves de devises étrangères sont
passées de 200 milliards de dollars à un montant sans précédent de 4 000 milliards de dollars en 2013.
En 2013, s’appuyant sur ces vastes réserves de liquidités, le nouveau président chinois, Xi Jinping, a lancé une
initiative d’infrastructure d’un montant de mille milliards de dollars afin de transformer l’Eurasie en un marché unifié. Alors qu’un réseau de rails et d’oléoducs en acier commençait à sillonner
le continent, la Chine a entouré l’île mondiale tricontinentale d’une chaîne de 40
ports commerciaux – du Sri Lanka dans l’océan Indien, autour de la côte africaine, à l’Europe, du Pirée, en Grèce, à Hambourg, en Allemagne. En lançant ce qui est rapidement devenu le
plus grand projet de développement de l’histoire, dix fois plus important que le plan Marshall, Xi consolide la domination géopolitique de Pékin sur l’Eurasie, tout en répondant aux craintes de
Brzezinski concernant la montée en puissance d’une “entité
unique affirmée” en Asie centrale.
Contrairement aux États-Unis, la Chine n’a pas consacré beaucoup d’efforts à l’établissement de bases militaires. Alors que Washington en entretient
encore quelques
750 dans 80 pays, Pékin ne possède qu’une base militaire à Djibouti, sur la côte est de l’Afrique, un poste
d’interception des signaux sur les îles Coco du Myanmar, dans le golfe du Bengale, une installation
compacte dans l’est du Tadjikistan et une demi-douzaine de petits avant-postes dans la mer de Chine méridionale.
En outre, alors que Pékin se concentrait sur la construction d’infrastructures eurasiennes, Washington menait deux guerres désastreuses en Afghanistan et en Irak
dans une tentative stratégiquement inepte de dominer le Moyen-Orient et ses réserves de pétrole (au moment même où le monde commençait à abandonner le pétrole au profit des énergies
renouvelables). En revanche, Pékin s’est concentré sur l’accumulation lente et furtive d’investissements et d’influence dans toute l’Eurasie, de la mer de Chine méridionale à la mer du Nord. En
modifiant la géopolitique sous-jacente du continent par le biais de cette intégration commerciale, Pékin acquiert un niveau de contrôle jamais atteint au cours des mille dernières années, tout en
libérant de puissantes forces de changement politique.
Des bouleversements tectoniques qui ébranlent la puissance américaine
Après une décennie d’expansion économique ininterrompue de Pékin en Eurasie, les bouleversements tectoniques du substrat géopolitique de ce continent ont commencé à
se manifester par une série d’éruptions diplomatiques, chacune effaçant un autre aspect de l’influence américaine. Quatre des éruptions les plus récentes peuvent sembler, à première vue, sans
rapport entre elles, mais elles sont toutes motivées par la force implacable du changement géopolitique.
Tout d’abord, l’effondrement soudain et inattendu de la position américaine en Afghanistan a contraint Washington à mettre fin à 20 ans d’occupation en août 2021
par un retrait humiliant. Dans le cadre d’un jeu de pression géopolitique lent et furtif, Pékin a signé des accords de développement massifs avec toutes les nations environnantes d’Asie centrale,
laissant les troupes américaines isolées dans cette région. Pour assurer le soutien aérien indispensable à l’infanterie, les chasseurs à réaction américains étaient souvent contraints de
voler à 2 000 miles de leur base la plus proche dans le golfe Persique – une situation insoutenable à long terme et dangereuse pour les troupes sur le terrain. Alors que l’armée afghane formée
par les États-Unis s’effondrait et que les guérilleros talibans pénétraient dans Kaboul à bord de Humvees capturés, la retraite chaotique des États-Unis en signe de défaite devenait
inévitable.
Six mois plus tard, en février 2022, le président Vladimir Poutine massait une armada de véhicules blindés chargés de 200 000 soldats à la frontière de l’Ukraine. À
en croire Poutine, cette “opération militaire
spéciale” visait à saper
l’influence de l’OTAN et à affaiblir l’alliance
occidentale – l’une des conditions posées par Brzezinski pour l’éviction des États-Unis de l’Eurasie.
Mais Poutine s’est d’abord rendu à Pékin pour courtiser le soutien du président Xi, une tâche apparemment ardue compte tenu des décennies de commerce lucratif entre
la Chine et les États-Unis, d’une valeur
hallucinante de 500 milliards de dollars en 2021. Pourtant, Poutine a obtenu une déclaration
commune selon laquelle les relations entre les deux pays étaient “supérieures aux alliances politiques et militaires de l’époque de la
guerre froide” et une dénonciation de “la poursuite de
l’expansion de l’OTAN“.
En l’occurrence, Poutine a obtenu ce résultat à un prix périlleux. Au lieu d’attaquer l’Ukraine dans les glaces de février, alors que ses chars auraient pu
manœuvrer hors route en direction de Kiev, la capitale ukrainienne, il a dû attendre la fin des Jeux olympiques d’hiver de Pékin. Les troupes russes ont donc envahi le pays en mars, dans la boue,
laissant ses véhicules blindés coincés dans un embouteillage de
40 miles sur une seule autoroute, où les Ukrainiens ont facilement détruit plus
de 1 000 chars. Face à l’isolement diplomatique et aux embargos commerciaux européens, alors que l’invasion défaite dégénérait en une série de massacres
vengeurs, Moscou a transféré une grande partie de ses exportations vers la Chine. Les échanges bilatéraux ont ainsi rapidement augmenté de
30 % pour atteindre un niveau record, tout en réduisant la Russie à une pièce de plus sur l’échiquier géopolitique de Pékin.
Puis, le mois dernier, Washington s’est retrouvé diplomatiquement marginalisé par une résolution tout à fait inattendue du sectarisme qui a longtemps défini la
politique du Moyen-Orient. Après avoir signé
un accord d’infrastructure de 400 milliards de dollars avec l’Iran et fait de l’Arabie saoudite son principal
fournisseur de pétrole, Pékin était bien placé pour négocier un rapprochement
diplomatique majeur entre ces rivaux régionaux acharnés, l’Iran chiite et l’Arabie saoudite sunnite. En l’espace de quelques semaines, les ministres des affaires étrangères des deux pays
ont scellé l’accord par un
voyage profondément symbolique à Pékin – un rappel doux-amer de l’époque, encore récente, où les diplomates arabes faisaient la cour à Washington.
Enfin, l’administration Biden a été stupéfaite ce
mois-ci lorsque le dirigeant prééminent de l’Europe, le Français Emmanuel Macron, s’est rendu
à Pékin pour une série de discussions intimes en tête-à-tête avec le président chinois Xi. À l’issue de ce voyage extraordinaire, qui a permis aux entreprises françaises de remporter des
milliards de dollars de contrats lucratifs, Macron annonçait “un partenariat stratégique global avec la Chine” et a promis
qu’il ne “s’inspirerait pas de l’agenda des
États-Unis” concernant Taïwan. Un porte-parole de l’Élysée a rapidement publié une clarification pro forma indiquant que “les États-Unis sont notre allié, avec des valeurs partagées“.
Malgré cela, la déclaration de Macron à Pékin reflète à la fois sa
propre vision à long terme de l’Union européenne en tant qu’acteur stratégique indépendant et les liens économiques de plus en plus étroits de ce bloc avec la Chine
L’avenir de la puissance géopolitique
Si l’on projette ces tendances politiques dans une décennie, le sort de Taïwan semble, au mieux, incertain. Au “Chock and awe” des bombardements aériens, mode par défaut du
discours diplomatique de Washington en ce siècle, Pékin préfère une pression géopolitique furtive mais constante. En construisant ses bases insulaires en mer de Chine méridionale, par exemple,
elle a avancé progressivement – d’abord en draguant, puis en construisant des structures, ensuite des pistes d’atterrissage, et enfin en plaçant des missiles
antiaériens – évitant ainsi toute confrontation sur sa capture fonctionnelle d’une mer entière.
N’oublions pas que Pékin a construit sa formidable puissance économique, politique et militaire en un peu plus d’une décennie. Si sa puissance continue de croître
dans le substrat géopolitique de l’Eurasie, ne serait-ce qu’à une fraction de ce rythme effréné, pendant une autre décennie, elle pourrait être en mesure d’exercer sur Taïwan une pression
géopolitique habile, comme celle qui a poussé les États-Unis à quitter l’Afghanistan. Qu’il s’agisse d’un embargo
douanier, de patrouilles navales incessantes ou d’une autre forme de pression, Taïwan pourrait tomber tranquillement dans l’escarcelle de Pékin.
Si une telle manœuvre géopolitique devait prévaloir, la frontière stratégique des États-Unis le long du littoral du Pacifique serait brisée, ce qui pourrait
repousser la marine américaine vers la “deuxième
chaîne d’îles“, celle allant du Japon à Guam – le dernier des critères de Brzezinski pour le véritable déclin de la puissance mondiale des États-Unis. Dans ce cas, les dirigeants de
Washington pourraient à nouveau se retrouver assis sur la proverbiale ligne de touche diplomatique et économique, se demandant comment tout cela a bien pu arrivé.
Alfred
McCoy est historien et éducateur. Il est professeur d’histoire à l’université du Wisconsin-Madison et auteur de « To Govern the Globe : World Orders and Catastrophic
Change ».
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
« Notre sécurité est entre nos mains et la défaite de l’ennemi est entre les siennes »
« Notre sécurité
est entre nos mains et la défaite de l’ennemi est entre les siennes. »(Sun Tzu,
mort en 496 avant notre ère)
Xi et Poutine montent plusieurs « chevaux ». L’un a peut-être besoin d’un coup d’éperon, l’autre d’un coup de frein.
Si l’évolution structurelle vers un monde multipolaire est désormais bien comprise en termes géopolitiques, ses autres dimensions sont peu remarquées. Les
médias se concentrent tellement sur la situation militaire en Ukraine qu’il est facile d’oublier que le président Poutine mène également une guerre financière – une guerre contre la
théorie économique libérale – et une guerre diplomatique pour obtenir le soutien des pays non occidentaux et de ses principaux alliés stratégiques, la Chine et l’Inde.
En outre, Poutine doit gérer la situation psychologique à l’intérieur de la Russie. Son objectif est de restaurer le patriotisme et une culture nationale
russe reconnectée à ses racines dans le christianisme orthodoxe. Pour y parvenir, il doit la laisser évoluer dans un contexte civil. Laisser l’aspect militaire prendre le dessus
reviendrait à biaiser la conscience russe d’une manière très particulière.
Le président Poutine a évoqué à plusieurs reprises la nécessité pour la « Russie civile » de disposer de moyens pour évoluer à sa manière – en se
réappropriant son héritage culturel passé sous une nouvelle forme – et pour que ce processus ne soit pas entièrement subordonné aux besoins et à l’ethos militaires.
Le projet est donc, en fait, totalement multiforme – même si la lutte pour restaurer le respect de la souveraineté et de l’autonomie dans les affaires
intérieures représente indubitablement la « pierre angulaire » du projet.
Cependant, une partie importante de la réappropriation de la souveraineté nécessite le changement de la structure économique de la Russie, qui doit échapper
à l’emprise du modèle néo-libéral « anglo », pour aller vers une plus grande autosuffisance nationale. Par conséquent, la simple remise en question des fondements philosophiques du
système politique et économique « anglo » – qui sous-tend l’ordre des règles – est aussi importante, à sa manière, que le champ de bataille ukrainien.
Comme tout système, l’Ordre mondial repose sur des principes philosophiques que l’on croit universels, mais qui, en vérité, sont spécifiques à un moment
particulier de l’histoire européenne.
Aujourd’hui, l’Occident n’est plus ce qu’il était. C’est un espace de combat idéologique fracturé. Le reste du monde n’est pas « ce qu’il était ». Et les
tiraillements idéologiques occidentaux d’aujourd’hui ne sont plus considérés comme une préoccupation majeure pour le monde.
Toutefois, il s’agit ici d’un projet conçu pour apporter un changement à ce qui n’a pas changé. Il s’agit autant d’une guerre pour la conscience mondiale
que d’une guerre d’usure sur le front (bien qu’il s’agisse là aussi d’un élément essentiel pour modifier l’état d’esprit mondial). Si un ordre multipolaire doit être construit sur la base
d’une souveraineté autosuffisante, d’autres devraient également quitter le système économique néolibéral (s’ils le peuvent). D’où la nécessité d’une initiative diplomatique majeure de la
part de la Russie et de la Chine afin de créer une profondeur stratégique pour une nouvelle économie.
Ensuite, il y a les tactiques derrière la stratégie : Comment aider les États à recouvrer leur souveraineté, sans se contenter de « tracer la voie » d’une
nouvelle économie ? Comment briser l’emprise hégémonique du « avec nous, ou contre nous » ? Comment faciliter les complémentarités mutuelles qui peuvent faire évoluer un groupe d’États
vers un cycle vertueux de souveraineté auto-génératrice – même si ce cycle est renforcé par des corridors de transport et assisté par la construction d’une « auto-sécurité » autonome. La
Chine, par exemple, est en train de construire un vaste réseau africain de trains à grande vitesse pour le commerce interafricain.
Le projet sino-russe ne peut donc que remettre en question les prémisses financières et économiques sur lesquelles repose l’ordre des règles – et contribuer
à l’élaboration d’une alternative.
James Fallows, ancien rédacteur de discours à la Maison-Blanche, a noté que
le système économique anglo-américain, comme tout système, repose sur certains principes et croyances :
« Mais plutôt que
d’agir comme s’il s’agissait des meilleurs principes, ou de ceux que leurs sociétés préfèrent, les Britanniques et les Américains agissent souvent comme s’il s’agissait des seuls
principes possibles : Et que personne, sauf erreur, ne pouvait en choisir d’autres. L’économie politique devient une question essentiellement religieuse, sujette à l’inconvénient habituel
de toute religion – l’incapacité à comprendre pourquoi les gens en dehors de la foi peuvent agir comme ils le font. »
« Pour être plus précis
: La vision du monde anglo-américaine d’aujourd’hui repose sur les épaules de trois hommes. Le premier est Isaac Newton, le père de la science moderne. L’autre est Jean-Jacques Rousseau,
le père de la théorie politique libérale. (Si nous voulons rester purement anglo-américains, John Locke peut le remplacer). L’autre est Adam Smith, le père de l’économie du laissez-faire.
C’est de ces titans fondateurs que proviennent les principes selon lesquels la société avancée, selon la vision anglo-américaine, est censée fonctionner… Et elle est censée reconnaître
que l’avenir le plus prospère pour le plus grand nombre de personnes provient du libre fonctionnement du marché. »
Pour en revenir à ce qui n’a pas changé, la secrétaire d’État Yellen a récemment prononcé un discours sur
les relations entre les États-Unis et la Chine, laissant entendre que la Chine avait largement prospéré grâce à l’ordre de marché anglo-saxon « libre », mais qu’elle s’orientait à présent
vers une position étatique, qui « est conflictuelle
avec les États-Unis et leurs alliés ». Les États-Unis veulent coopérer avec la Chine, mais entièrement et exclusivement selon leurs propres conditions, a-t-elle déclaré.
Les États-Unis recherchent un « engagement
constructif », mais qui doit être subordonné à la garantie par les États-Unis de leurs propres intérêts et valeurs en matière de sécurité. « Nous ferons
clairement part à la RPC de nos préoccupations quant à son comportement… Et nous protégerons les droits de l’homme ». Deuxièmement, « nous continuerons à
répondre aux pratiques économiques déloyales de la Chine. Et nous continuerons à faire des investissements cruciaux chez nous, tout en nous engageant avec le monde à faire progresser
notre vision d’un ordre économique mondial ouvert, équitable et fondé sur des règles ». Elle conclut en disant que la Chine doit « jouer selon les
règles internationales d’aujourd’hui. »
Comme on pouvait s’y attendre, la Chine ne veut rien entendre et fait remarquer que les États-Unis cherchent à tirer des avantages économiques de la Chine,
tout en exigeant d’avoir les coudées franches pour poursuivre des intérêts exclusivement américains.
En d’autres termes, le discours de Mme Yellen montre une incapacité totale à reconnaître que la « révolution » sino-russe ne se limite pas à la sphère
politique, mais qu’elle s’étend également à la sphère économique. Il montre à quel point « l’autre guerre » est importante pour Poutine et Xi – la guerre pour sortir de l’emprise du
paradigme néolibéral financiarisé.
Xi l’avait clairement indiqué en 2013, lorsqu’il avait demandé :
« Pourquoi l’Union
soviétique s’est-elle désintégrée ? Pourquoi le parti communiste de l’Union soviétique s’est-il effondré ? Répudier complètement l’expérience historique de l’Union soviétique, répudier
l’histoire du PCUS, répudier Lénine, répudier Staline – c’était semer le chaos dans l’idéologie soviétique et s’engager dans le nihilisme historique. »
En clair, Xi laissait entendre que, compte tenu des deux pôles de l’antinomie idéologique : celui de la construction anglo-américaine, d’une part, et la
critique eschatologique léniniste du système économique occidental, d’autre part, les « couches dirigeantes » soviétiques avaient cessé de croire à ce dernier et avaient par conséquent
glissé dans un état de nihilisme (avec le pivot vers l’idéologie du marché libéral occidental de l’ère Gorbatchev-Eltsine).
Le point de vue de Xi : La Chine n’a jamais fait ce détour désastreux.
Ce changement de paradigme géostratégique est totalement absent du discours de Mme Yellen : Poutine a ramené la Russie sur le devant de la scène et l’a
alignée sur la Chine et d’autres États asiatiques sur le plan économique.
Ces derniers affirment en effet depuis un certain temps que la philosophie politique « anglo-saxonne » n’est pas nécessairement la philosophie du
monde. Selon
Lee Kuan Yew, de Singapour, et d’autres, les sociétés fonctionneraient mieux si elles accordaient moins d’attention à l’individu et davantage au bien-être du groupe.
Le président Xi ne mâche pas ses mots : « Le droit des peuples
à choisir de manière indépendante leur voie de développement doit être respecté… Seul celui qui porte les chaussures sait si elles lui vont ou non. »
Marx et Lénine n’ont pas été les seuls à remettre en cause la version anglo-libérale. En 1800, Johann Fichte publiait L’État commercial fermé. En 1827,
Friedrich List publie ses théories qui s’opposent à « l’économie cosmopolite » d’Adam Smith et de JB Say. En 1889, le comte Sergius Witte, Premier ministre de la Russie impériale, publie
un article qui cite Friedrich
List et qui justifie la nécessité d’une industrie nationale forte, protégée de la concurrence étrangère par des barrières
douanières.
Ainsi, à la place de Rousseau et de Locke, les théoriciens allemands avaient offert Hegel. À la place d’Adam Smith, ils proposent Friedrich List.
L’approche anglo-américaine part du principe que la mesure ultime d’une société est son niveau de consommation. Or, selon List, à long terme, le bien-être
d’une société et sa richesse globale ne sont pas déterminés par ce que la société peut acheter, mais par ce qu’elle peut produire (c’est-à-dire la valeur découlant d’une économie réelle
et autosuffisante). L’école allemande, profondément sceptique à l’égard de la « sérendipité » du marché d’Adam Smith, a fait valoir que l’accent mis sur la consommation finirait par aller
à l’encontre du but recherché. Elle détournerait le système de la création de richesses et rendrait finalement impossible de consommer autant ou d’employer autant de personnes.
List était prémonitoire. Il a vu la faille, aujourd’hui si clairement exposée dans le modèle anglo-saxon : une atténuation de l’économie réelle, aujourd’hui
aggravée par une financiarisation massive. Un processus qui a conduit à la construction d’une pyramide inversée de « produits » financiers dérivés qui aspirent l’oxygène de la fabrication
de la production réelle. L’autosuffisance s’érode et une base de création de richesses réelles de plus en plus réduite soutient un nombre toujours plus restreint d’emplois correctement
rémunérés.
En d’autres termes, Poutine et Xi Jinping se rejoignent : Là où Poutine et Xi Jinping se rejoignent … c’est dans leur appréciation commune de l’étonnant
sprint de la Chine vers le rang de superpuissance économique. Selon Poutine, la Chine « a réussi de la meilleure façon possible, à mon avis, à utiliser les leviers de l’administration
centrale (pour) le développement d’une économie de marché … L’Union soviétique n’a rien fait de tel, et les résultats d’une politique économique inefficace se sont répercutés sur la
sphère politique. »
Washington et Bruxelles n’ont manifestement pas compris. Et le discours de Yellen est la première « pièce à conviction » de cet échec analytique :
L’Occident avait compris l’implosion soviétique et le chaos financier des années Eltsine d’une manière exactement opposée à l’analyse de Xi, et à l’accord de Poutine avec le verdict
sévère de Xi.
En clair, l’évaluation de Xi et de Poutine est que le désastre russe est le résultat du tournant vers le libéralisme occidental, alors que Yellen considère
clairement que « l’erreur » de la Chine – pour laquelle elle la réprimande – est de s’être éloignée du système mondial « libéral. »
Ce décalage analytique explique en partie la conviction absolue de l’Occident que la Russie est un État si faible et si fragile sur le plan financier (en
raison de son erreur primordiale d’avoir rejeté le système « anglo »), que tout revirement sur le front ukrainien aujourd’hui pourrait entraîner un effondrement financier panique (comme
en 1998) et une anarchie politique à Moscou, semblable à celle de l’ère Eltsine.
Paradoxalement, les observateurs non occidentaux voient aujourd’hui l’inverse de ce que Yellen « voit » : Elle voit la fragilité financière de l’Occident
contre la stabilité économique de la Russie.
Enfin, l’autre dimension « moins remarquée » de la « révolution » sino-russe est la dimension métaphysique – la réappropriation de la culture politique
nationaliste qui est quelque chose de plus que la « souveraineté ». Le philosophe politique Alasdair MacIntyre, dans After Virtue, affirme que c’est le récit culturel qui fournit une
meilleure explication de l’unité d’une vie humaine :
« Les récits de vie
individuels des membres d’une communauté s’entremêlent et s’entrelacent. Et l’enchevêtrement de nos histoires surgit pour former la trame et le tissage de la vie communautaire. Cette
dernière ne peut jamais être une conscience unique générée abstraitement et imposée par un « commandement central ». »
Ce qu’il faut retenir ici, c’est que seule la « tradition culturelle » et ses contes moraux fournissent un contexte à des termes tels que « bien », «
justice » et « telos. »
« En l’absence de
traditions, le débat moral n’a plus lieu d’être et devient un théâtre d’illusions dans lequel la simple indignation et la simple protestation occupent le devant de la scène »
[c’est-à-dire comme dans l’Occident d’aujourd’hui].
Il n’est pas surprenant que ceux qui ne vivent pas en Occident – et qui ne se sont jamais sentis intérieurement partie prenante de cette modernité
occidentale contemporaine, mais qui se sentent plutôt appartenir à un monde culturel différent, dont le fondement ontologique est très différent – considèrent ce dernier comme la source
d’énergie à partir de laquelle ils peuvent dynamiser une nouvelle vie communautaire.
Ils se tournent vers les vieux mythes et les histoires morales précisément pour injecter de l’énergie dans la culture politique – une tendance qui s’étend
de la Chine à la Russie, à l’Inde et au-delà. Il semble que Poutine s’efforce de faire en sorte que la culture russe soit virile, mais non militarisée.
Xi et Poutine montent plusieurs « chevaux » : L’un a peut-être besoin d’un coup d’éperon, l’autre d’un peu de retenue. Le fait est qu’ils devraient arriver
plus ou moins ensemble.
La politique de l’administration Biden
consistant à affronter simultanément la Russie et la Chine est vouée à l’échec, a déclaré Pepe Escobar, analyste géopolitique et journaliste chevronné, à l’émission New Rules de Radio
Sputnik.
« C’est tellement
absurde, évidemment ces néocons, ils n’ont même pas lu [Zbigniew] Brzezinski », a déclaré Escobar, faisant référence à l’ex-conseiller à la Sécurité nationale des États-Unis et
à un stratège influent.
« Ok, disons que
c’était un néoconservateur lié aux démocrates, mais il en parlait déjà dans les années 90 lorsqu’il a écrit « Le grand échiquier », publié en 1997. Il disait déjà : « Nous
devons empêcher l’émergence d’un concurrent en Eurasie par tous les moyens nécessaires ». Qu’en est-il aujourd’hui ? Nous avons l’émergence d’un partenariat stratégique de
concurrents homologues en Eurasie et la réponse des néocons est : « D’accord, partons en guerre contre les deux en même temps ». Même un enfant sait que c’est complètement
absurde. »
Comment le cauchemar de Brzezinski est
devenu réalité
Sous l’administration Biden, les relations de Washington avec Moscou et Pékin ont atteint un nouveau seuil. Après avoir rejeté les projets de propositions
de sécurité de la Russie concernant l’élargissement de l’OTAN et la neutralité de l’Ukraine, les États-Unis ont augmenté leur aide militaire au régime de Kiev après le début de
l’opération militaire spéciale de Moscou visant à démilitariser et à dénazifier l’Ukraine. L’administration Biden a non seulement imposé des sanctions à la Russie et fait échouer les
accords de paix préliminaires d’Istanbul de mars 2022 entre Moscou et Kiev, mais elle a aussi ouvertement appelé à saigner
la Russie à blanc et à lui imposer une défaite stratégique.
Parallèlement, Washington a eu recours à une série de provocations à l’encontre de la Chine au sujet de Taïwan, l’île située à la jonction des mers de Chine
orientale et méridionale, que Pékin considère comme une partie inaliénable de la République populaire. Les présidents de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi et Kevin McCarthy, ont
rencontré la
dirigeante taïwanaise Tsai Ing-wen dans ce qui a été perçu par Pékin comme un défi clair au principe d’une seule Chine, tandis que le président Joe Biden a publié des
« gaffes » répétées selon lesquelles les États-Unis sont prêts à « protéger » militairement l’île contre la République populaire. Récemment, le Pentagone
a accéléré
la fourniture d’armes à Taipei, qui se prépare aux élections présidentielles de janvier 2024.
Malgré ces provocations, l’armée des États-Unis n’est pas prête pour une confrontation à part entière avec la Chine, selon Escobar.
« Ils ne veulent pas
mener de vraies guerres », a déclaré le journaliste. « Et maintenant, ils
sont encore plus effrayés parce qu’ils savent, par exemple, que s’ils tentent quelque chose en mer de Chine méridionale, les Chinois ont les fameux porte-avions tueurs tout le long de la
côte. Ainsi, si trois ou quatre complexes américains naviguent là-bas, ils peuvent être coulés en 30 minutes. Le Pentagone le sait, ils ont été déjoués. »
De même, Washington n’a pas réussi à vaincre Moscou, que ce soit sur le plan militaire ou économique, malgré un ensemble de mesures sans précédent prises
par les États-Unis, leurs alliés de l’OTAN et leurs partenaires contre la Russie.
« La Russie a survécu à
tout ce que l’Occident a lancé contre elle après le début de l’opération militaire spéciale, en particulier la guerre économique, la guerre financière », a déclaré Escobar.
« La
Russie a survécu et résisté. Aujourd’hui, elle renoue même avec la croissance avec une inflation de 3%, alors que certains pays d’Europe connaissent une inflation de 10 à 20-30% et sont à
la dérive. »
De plus, les provocations et la rhétorique belliqueuse de l’administration Biden à l’égard de la Russie et de la Chine ont contribué à rapprocher les deux
grandes puissances. En mars, le président chinois Xi Jinping a effectué une visite
de trois jours à Moscou à l’invitation de son homologue russe, Vladimir Poutine. Les observateurs ont attiré l’attention sur le fait que la Russie était le premier État étranger
visité par Xi après sa réélection historique le 10 mars.
Des observateurs chinois ont déclaré à Sputnik que
la Russie et la Chine « sont entrées dans une
nouvelle phase de coopération
globale et de partenariat stratégique ». C’est ainsi que l’équipe Biden a transformé en réalité le scénario cauchemardesque de Brzezinski d’une « grande
coalition » entre Moscou et Pékin.
Qu’est-ce qui explique la résistance
de la Russie ?
Selon Escobar, Moscou a passé la majeure partie de la dernière décennie à se préparer à la guerre hybride et financière de l’Occident. Les décideurs
politiques russes ont commencé à planifier le jeu en vue d’une éventuelle épreuve de force peu après qu’un coup d’État soutenu par les États-Unis à Kiev a usurpé le pouvoir en
Ukraine.
« Si l’opération
militaire spéciale avait été lancé en 2014, la Russie n’aurait pas été prête économiquement, financièrement et même militairement. Aujourd’hui, elle l’est. Je suis sûr qu’Elvira
Nabiullina, à la banque centrale russe, savait exactement ce qu’elle faisait. Cela a probablement été discuté pendant au moins deux ans au plus haut niveau du Conseil de
sécurité », a-t-il déclaré.
Le scepticisme d’Escobar quant à l’efficacité des sanctions occidentales a été confirmé lorsque le journaliste chevronné est arrivé à Moscou en février
2023. Il a déclaré à Sputnik qu’il
avait été stupéfait de voir à quel point la vie était normale dans la capitale russe malgré une pression extérieure sans précédent.
« Le premier jour où je
suis arrivé à l’aéroport de Vnoukovo, j’ai laissé mes bagages dans mon studio et j’ai fait une promenade de sept heures dans la ville, non pas pour avoir une expérience intellectuelle,
mais pour avoir une impression générale », s’est souvenu le journaliste. « Comment se sent-on à
Moscou aujourd’hui ? Je n’ai pas vu une économie fragile et anéantie. Je n’ai pas vu un pays soumis à des sanctions comme je me souviens avoir vu l’Iran soumis à des sanctions, et c’était
très, très dur. Je n’ai pas ressenti cela ici. J’ai vu l’une des plus belles villes du monde, dotée d’une infrastructure absolument incomparable. Partout, elle est extrêmement propre.
C’est très important pour nous tous qui vivons à l’Ouest. »
« Comparé à New York,
comparé à Paris, comparé à Londres. Les gens sont très bien habillés, il y a de très bons restaurants, les supermarchés sont remplis de tout. Les grands magasins comme GUM ou TSUM
proposent tout ce que l’on peut trouver dans n’importe quelle grande capitale du monde. Les gens étaient détendus et n’avaient pas l’impression d’être en guerre. Ma première impression a
donc été saisissante », poursuit-il.
La fin de la domination technologique
occidentale
L’administration Biden a insisté à plusieurs reprises sur le fait que les États-Unis et leurs alliés européens resteraient les centres de l’innovation
technologique mondiale dans un avenir indéterminé. Escobar, qui a passé beaucoup de temps au Moyen-Orient et en Asie, considère ces affirmations comme de l’esbroufe.
« En fait, un grand
nombre de chercheurs et d’experts en technologie de la Silicon Valley viennent de Chine et d’Inde. Et [regardez] le niveau d’excellence de l’armée russe en termes de systèmes de défense
antimissile et d’armes hypersoniques », a déclaré Escobar. « Lorsque vous parlez à
un très bon analyste militaire comme mon ami Andrei Martyanov, par exemple, qui vit aux États-Unis et écrit en anglais, mais qui connaît le système militaire soviétique et russe sur le
bout des doigts, il dit : « Écoutez, l’écart est d’au moins deux générations, si ce n’est plus, et [les États-Unis] ne seront pas en mesure de le faire ». »
« Et les dirigeants
politiques [des États-Unis] ne comprennent pas les mathématiques simples, ni la physique d’ailleurs. Et le système américain, en termes de complexe militaro-industriel, est
essentiellement axé
sur le profit, et non sur la fabrication d’armes capables de mener des guerres, ce qui est exactement ce que font les Russes. La Russie dispose d’une expertise technique depuis
l’époque soviétique. Les bases du système de missiles hypersoniques ont été jetées dès l’ère Brejnev », a déclaré Escobar.
L’échec collectif de l’Occident à contraindre Moscou, Pékin et la plupart des puissances du Sud mondial à se soumettre indique clairement que le monde a
changé de manière irréversible. Le monde traverse une période historique qui implique un bouleversement de l’ensemble de l’ordre existant. Escobar partage l’avis du président chinois Xi
Jinping, qui a récemment déclaré que nous semblions assister à des changements que nous n’avions pas vus depuis 100 ans.
« Lorsque nous
regardons ce qui se passe aujourd’hui, cet ordre ancien est complètement bouleversé », a déclaré Escobar. « La Chine est la
nation commerciale la plus importante de la planète. En termes de parité de pouvoir d’achat (PPA), elle est déjà la première économie du monde. La Russie, après avoir été dévastée dans
les années 1990, est devenue la première superpuissance militaire du monde. »
Caroline Galactéros est géopolitologue, spécialiste affaires diplomatiques et stratégiques, présidente PoleGeopragma,
Docteur en Sciences politiques et enseigne à l’IHEDN.
Elle revient sur la disparition catastrophique de la France dans le concert international des grandes puissances.
Washington ne semble pas pouvoir
atteindre ses objectifs en Ukraine, ayant été au préalable convaincu que sa mise sera gagnante rapidement. Plus que cela, les alliances de la multipolarité et les autres événements en
cours à l’échelle planétaire détruisent les projets washingtoniens de maintien de son diktat mondial.
Le pari des États-Unis sur l’Ukraine commence à se retourner contre eux car n’ayant pas pu atteindre les objectifs souhaités – écrit le
journaliste serbo-américain Nebojsa Malic pour le quotidien chinois anglophone Global Times.
Selon l’auteur, lorsque la Russie lance l’opération militaire spéciale en février 2022 – l’ambiance à Washington est presque festive. En effet et pour les États-Unis,
alors que Moscou avait refusé durant huit ans à tomber dans le piège tendu par la révolution de couleur soutenue par les USA à Kiev – le Kremlin avait selon les convictions étasuniennes
fini par mordre à l’hameçon.
L’establishment US ayant été convaincu que l’économie russe serait détruite par les sanctions occidentales et que la monnaie nationale du pays – le rouble –
se transformerait en décombres. Seul problème pour les instigateurs : Rien de tout cela n’est arrivé, rappelle l’auteur de l’article. Moscou ayant bien mieux résisté aux
sanctions unilatérales occidentales que l’espace bruxellois – allié des USA, dont les économies se sont taries sans les importations d’énergie russe. Sur le plan militaire – le conflit
n’a pas épuisé le potentiel armé de la Russie, tandis qu’au contraire les stocks d’armes et de munitions en Occident comme en Ukraine se réduisent drastiquement.
Et pendant ce temps, les dirigeants russe et chinois n’ont fait que confirmer leur engagement commun en faveur du monde multipolaire. Et bien même que les
responsables washingtoniens continuent d’insister sur le fait que le conflit se déroule de manière positive, que l’Ukraine serait prétendument en train de gagner, que les sanctions contre
la Russie seraient en train de fonctionner et que la production militaro-industrielle US augmentera comme par magie d’un jour à l’autre – de plus en plus d’Américains, commencent à
remarquer bien que lentement que ce n’est pas le cas.
Du côté justement de l’élite politique étasunienne – Robert Francis Kennedy Junior, annonçant sa participation à la course présidentielle la semaine
dernière – avait fait valoir qu’il n’est pas dans l’intérêt national américain de rapprocher la Russie de la Chine, car cela représente un véritable cataclysme. Tout en notant que les
Chinois viennent de négocier un accord de paix entre l’Iran et l’Arabie saoudite, que la stratégie US au Moyen-Orient s’est complètement effondrée et que l’économie étasunienne allait
également suivre une pente négative si quelque chose n’est pas fait rapidement pour stopper tous ces processus néfastes pour les USA.
Un argument similaire avait été avancé dans le magazine American
Thinker plus tôt ce mois-ci, où les auteurs de l’article Patricia Adams et Lawrence Solomon qualifient les
sanctions imposées par l’Occident à la Russie d’erreur de calcul la plus monumentale de l’histoire moderne.
Nebojsa Malic rappelle également qu’en 1972 – Henry Kissinger avait cherché à adoucir l’aiguillon de la défaite US au Vietnam en établissant des relations
avec la Chine et en exploitant la scission de l’époque entre Pékin et Moscou. Et que durant les 50 années qui s’en ont suivi – la politique washingtonienne avait été justement d’empêcher
tout ce qui pouvait ressembler à une alliance entre la Chine et la Russie.
Pourtant et à mesure que 2022 avançait – Washington a fait tout son possible pour contrarier Pékin, dont les représentants politiques n’avaient cessé de
déclarer que l’île de Taïwan était une autre Ukraine, ayant besoin d’armes occidentales contre une prétendue invasion chinoise.
Pour l’auteur de l’article de Global
Times l’une des explications possibles aux actions washingtoniennes est que l’establishment étasunien en matière de politique étrangère se compose désormais principalement des
disciples de Zbigniew Brzezinski, et non pas de Kissinger. En 1997, Brzezinski avait écrit justement un manuel pour l’hégémonie mondiale des États-Unis intitulé « Le Grand
Echiquier » (The Grand Chessboard), se concentrant sur le contrôle de l’Ukraine comme moyen d’empêcher la résurgence de la Russie.
Nebojsa Malic conclut son article par un rappel de la sagesse ancienne. Plus particulièrement celle rapportée par l’historien grec antique Hérodote lorsque
le roi Crésus de Lydie avait demandé à l’Oracle de Delphes des conseils pour partir en guerre. Il a été dit au roi qu’il détruirait un grand empire. Le roi Crésus déclara alors la guerre
à Cyrus le Grand de Perse – et perdit la guerre. La prophétie s’est bien réalisée, tant bien que mal : L’empire détruit par Crésus ayant été le sien.
Ce qu’il serait certainement juste de rajouter – c’est que les prévisions de Washington et de ses suiveurs européistes non seulement ne se sont pas
réalisées, ayant considéré durant de longues années que l’économie était prétendument le maillon faible de la Russie – mais plus que cela tournent de plus en plus au
ridicule. Ayant souhaité isoler la Russie du commerce international – les ennemis occidentaux de Moscou lui une fois de plus rendu, malgré eux, un grand service. Celui d’avoir
accélérer la diversification massive des relations économiques de l’État russe avec le monde non-occidental, représentant l’écrasante majorité de l’humanité.
Plus que cela encore, le ridicule est d’autant plus palpable que les Occidentaux, et notamment les régimes européistes, se retrouvent obligés à répondre à
leurs besoins énergétiques en achetant les produits pétroliers et d’autres en provenance de Russie via justement des nations non-occidentales. Sapant ainsi leurs propres efforts en
matière de sanctions, auxquelles pour rappel l’écrasante majorité des pays du monde n’a pas adhéré.
Et là aussi ce n’est pas tout. Comme Observateur
Continental l’avait récemment rappelé – la montée en puissance des BRICS à l’échelle mondiale est elle aussi en partie le résultat des mauvais calculs occidentaux. Et ce non
seulement dans le cadre de l’attractivité montée en flèche pour les BRICS de la part d’autres nations non-occidentales, mais également des résultats obtenus récemment par l’alliance
pro-multipolaire. Faudrait-il rappeler que selon les prévisions des principaux économistes occidentaux – le PIB combiné des cinq pays BRICS devait dépasser celui du G7 pas avant 2030.
Pourtant cela est devenu réalité à l’issue de l’année 2022.
De manière générale, l’arrogance extrême de l’Occident et des quelques acteurs acquis à sa cause – n’a fait de-facto qu’accélérer des processus qui de toute
manière allaient voir le jour. Mais certainement et seulement des années plus tard. Et non pas sous nos yeux aujourd’hui. Peut-être que pour cela, il serait juste de « remercier » en
quelque sorte les nostalgiques de l’unipolarité, ayant été aveuglés par la conviction à pouvoir maintenir leur domination planétaire et se retrouvant désormais obligés à observer les
événements actuels sans réellement savoir quoi entreprendre.
La Russie et la Chine disposent d’armements bien supérieurs à ceux des Occidentaux. La première a gagné la guerre en Syrie et s’apprête à vaincre en Ukraine.
Malgré tous ses efforts, l’Otan, qui a déjà échoué au Moyen-Orient par jihadistes interposés, ne parvient pas à renverser la réalité sur le champ de bataille.
La manière de penser des anciennes puissances coloniales les poussent à imaginer que la Russie et la Chine vont utiliser leur supériorité militaire pour imposer
leur mode de vie au reste du monde. Or, ce n’est pas du tout leur intention et ce n’est pas ce qu’elles font.
Moscou et Beijing ne cessent de réclamer l’application du Droit international. Rien de plus. Les Russes aspirent à être tranquilles chez eux,
tandis que les Chinois espèrent pouvoir commercer partout.
Les évènements en Ukraine nous ont fait oublier les demandes maintes fois réitérées depuis 2007 de la Russie : Elle exige des garanties de sécurité qui lui
sont propres, notamment l’absence d’arsenaux appartenant à des pays tiers stockés chez ses voisins. La Russie n’a pas les moyens de défendre ses frontières, les plus grandes du monde. Elle ne
peut donc assurer sa sécurité si des armées ennemies se massent sur plusieurs fronts à ses frontières, sauf à pratiquer la « stratégie de la terre brulée » du maréchal Fédor
Rostopchine. C’est le sens de toutes les négociations pour la réunification de l’Allemagne. L’URSS y était opposée, sauf à ce que la Nouvelle Allemagne s’engage à ne pas entreposer d’armes de
l’Otan à l’Est. C’est le sens de toutes les négociations avec les anciens États du Pacte de Varsovie. Et ce fut encore le sens des négociations avec tous les États de l’ex-URSS. Jamais Moscou
ne s’est opposé à ce qu’un État choisisse ses alliés et, éventuellement, adhère à l’Otan. Toujours, il s’y est opposé si l’adhésion à l’Otan impliquait l’installation de stocks
d’armement de l’Otan sur son territoire.
Moscou ne s’est montré satisfait qu’en 1999, lorsque 30 États membres de l’OSCE ont signé la Déclaration
d’Istanbul, dite « Charte de la Sécurité en Europe », qui pose deux principes majeurs : - le droit de chaque État de choisir les alliés de son choix et - le devoir de chaque État de ne pas menacer la sécurité des autres en assurant la sienne.
C’est la violation de ces principes, et elle seule, qui a conduit au conflit ukrainien. C’était le sens du discours du président Vladimir
Poutine à la Conférence sur la sécurité de Munich, en 2007 : Il y a dénoncé le non-respect des engagements de l’OSCE et l’établissement d’une gouvernance « monopolaire » du
monde.
Les Occidentaux, qui considéraient la Russie comme un pays en faillite, ont certes convenu qu’elle avait raison, mais se sont moqués de son impuissance. Ils ont
eu tort : La Russie s’est relevée et les a dépassés. Aujourd’hui, elle utilise sa force pour nous faire respecter les principes que nous avons signés, pas pour nous
imposer sa manière de penser.
Depuis l’effondrement de l’Union soviétique, l’Occident a négligé les engagements auquel il avait souscrit durant la Guerre froide, afin de construire un
« Nouvel Ordre Mondial », selon la formule de Margaret Thatcher et de George Bush Sr. ; un Nouvel Ordre Mondial « fondé sur des règles » que les Occidentaux ont
eux-mêmes définies. Nous avons donc cumulé les violations de notre signature et, partant de là, du Droit international.
Il existe une incompatibilité fondamentale entre le Droit international, issu de la Conférence de La Haye de 1899, et le Droit anglo-saxon : Le Droit
international est une convention positive. Il est élaboré à l’unanimité. C’est-à-dire qu’il est accepté par chacun de ceux qui l’appliquent. Au contraire, le Droit anglo-saxon est fondé sur
les usages. Il est donc toujours en retard sur l’évolution du monde et privilégie ceux qui l’ont dominé.
À partir de 1993, les Occidentaux ont commencé à remplacer, un à un, tous les Traités internationaux pour les réécrire en droit anglo-saxon. Madeleine Albright,
qui représentait alors les États-Unis du président Bill Clinton au Conseil de sécurité de l’Onu, était la fille du professeur Josef Korbel. Ce diplomate tchèque, devenu professeur à
l’université de Denver, enseignait que le meilleur moyen pour les États-Unis de dominer le monde n’était pas de le conquérir militairement, mais de lui faire adopter son propre système
juridique, ainsi que la Couronne britannique l’avait fait dans son empire. Après avoir été ambassadrice à l’Onu, Madeleine Albright devint secrétaire d’État. Lorsque le président George W.
Bush succéda à Bill Clinton, c’est la fille adoptive de Josef Korbel, Condoleezza Rice, qui prit sa place après l’intermède Colin Powell. Dans la pratique, durant deux décennies l’Occident a
patiemment détruit le Droit international et imposé ses règles, au point que désormais, il s’arroge seul le titre emphatique de « Communauté internationale ».
Le 21 mars 2023, à Moscou, les présidents russe et chinois, Vladimir Poutine et Xi Jinping, sont convenus d’une stratégie commune pour faire triompher le Droit
international. Il s’agit dans leur esprit, ni plus, ni moins, que de démanteler tout ce que Madeleine Albright et Condoleezza Rice ont réalisé.
La Russie, qui présidait le Conseil de sécurité des Nations unies durant le mois d’avril, a décidé d’organiser un débat public sur le thème :
« Maintien de la paix et de la sécurité internationales : un multilatéralisme efficace reposant sur la défense des principes consacrés dans la Charte des Nations
Unies ».
La séance, présidée par le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, ne visait pas à déballer le linge sale accumulé depuis la disparition de
l’Union soviétique, mais à commencer à mobiliser le plus d’États possible. Dans la note de cadrage (S/2023/244), diffusée par la Russie avant le débat, Moscou explicitait comment l’ordre
unipolaire occidental se substituait au Droit international. Il alertait en outre sur le rôle d’acteurs non-gouvernementaux, les fameuses « ONG », dans ce dispositif. Il soulignait
aussi que faire des Droits de l’homme un critère de bonne gouvernance et non pas un objectif à atteindre, les transforme en arme politique et nuit gravement à leur amélioration. D’une manière
générale, les Tribunaux internationaux sont utilisés pour dire le Bien et non pas le Droit. Ils ne servent presque plus à résoudre des différends, mais surtout à créer des hiérarchies ;
à diviser et non plus à unir. La Note se terminait par une série de questions dont :
« Que pourrait-on faire pour rétablir la culture du dialogue et du consensus au sein de
l’Organisation [des Nations unies], y compris au sein du Conseil de sécurité ?
Quel est le meilleur moyen de démontrer que la situation actuelle, marquée par une approche sélective des normes et principes du Droit international, y
compris de la Charte, est inacceptable et ne peut plus durer ? ».
L’intervention du secrétaire général de l’Onu, le Portugais António Guterres, n’a pas permis d’avancer. Il s’est borné à présenter le programme à venir des
Nations unies. Les très nombreux participants au débat se sont alors divisés en trois groupes.
La Russie a fait l’éloge de la Charte des Nations unies et déploré son évolution au cours des trente dernières années. Elle a plaidé pour l’égalité entre tous
les États souverains et dénoncé le pouvoir exorbitant des Occidentaux et de leur organisation unipolaire. Elle a rappelé que l’opération militaire spéciale en Ukraine était la conséquence
d’un coup d’État, en 2014 à Kiev, et que donc le problème n’était pas l’Ukraine, mais la manière dont nous conduisons les relations internationales. Au passage, la Russie a mis en garde le
secrétaire général de l’Onu et lui a rappelé son devoir d’impartialité. Elle a souligné que si les documents des prochains sommets de l’Organisation ne respectaient pas ce principe, ils
diviseraient un peu plus le monde au lieu de l’unir. Le Groupe des Amis pour la défense de la Charte des Nations Unies et le Groupe des 77 ont repris à leur compte la démarche russe.
Un second groupe, composé par les Occidentaux, a dévié sans cesse le débat vers la question ukrainienne, refusant de prendre en compte le coup d’État du
Maïdan, soulignant la violence de l’« invasion » russe et rappelant son prix humain.
Un troisième groupe a décoché des flèches plus acérées. Le Pakistan a dénoncé la notion de « multilatéralisme en réseau », contraire à un ordre
international constitué d’États souverains et égaux. Il a aussi rejeté toute perspective d’un monde « unipolaire, bipolaire ou même multipolaire s’il doit être dominé par quelques
États ultra-puissants ». L’Éthiopie et l’Égypte ont dénoncé le rôle dévolu par les grandes puissances à des protagonistes non-étatiques.
Alors que la Russie et la Chine avaient rappelé avant le débat à diverses délégations les traités internationaux que le Nouvel Ordre Mondial viole de manière
éhontée, il n’a pas été question de cas particuliers dans ce débat, à l’exception de l’Ukraine abordée par les Occidentaux.
On doit cependant anticiper les multiples réclamations des non-Occidentaux, c’est-à-dire des gouvernements représentant 87 % de la population
mondiale.
Ainsi :
- La Finlande s’est engagée par écrit en 1947 à rester neutre. Son adhésion à l’Otan est donc une violation de sa propre
signature.
- Les États baltes se sont engagés par écrit, lors de leur création en 1990, à conserver les monuments honorant les sacrifices de l’Armée rouge. La
destruction de ces monuments est donc une violation de leur propre signature.
- Les Nations unies ont adopté la résolution 2758 du 25 octobre 1971 reconnaissant que Beijing, et non pas Taïwan, est le seul représentant légitime de
la Chine. À la suite de quoi, le gouvernement de Tchang Kaï-chek a été expulsé du Conseil de sécurité et remplacé par celui de Mao Zedong. Par conséquent, par exemple, les récentes manœuvres
navales chinoises dans le détroit de Taïwan ne constituent pas une agression contre un État souverain, mais un libre déploiement de ses forces dans ses propres eaux
territoriales.
- par le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires de 1968, les États signataires se sont engagés à ne pas transférer d’armes
nucléaires dans un pays tiers. Or, dans le cadre de l’Otan, les États-Unis ont transféré des bombes nucléaires tactiques (et non pas stratégiques) sur certaines de leurs bases à l’étranger.
En outre, ils ont formé des militaires étrangers à leur maniement. Ceci constitue une violation de leur signature par les États-Unis aussi bien que par l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, les
Pays-Bas et la Turquie. etc, etc.
En définitive, ce que nous, « Occident », avons à craindre de la Russie et de la Chine, c’est qu’ils nous obligent à être nous-mêmes et à
respecter notre parole.
En février 1917, l’ambassadeur britannique à Saint-Pétersbourg, Sir George Buchanan, a orchestré un coup d’État, mis en œuvre par des aristocrates, des
politiciens et des généraux russes traîtres et assoiffés de pouvoir, pour renverser le tsar Nicolas II. La révolte de palais qui s’ensuivit fut « réussie », le tsar fut
illégalement usurpé et l’élite britannique pernicieuse empêcha la victoire imminente de la Russie dans la Première Guerre mondiale inspirée par l’Occident. Il était donc certain que la
guerre se poursuivrait pendant encore dix-huit mois et ferait encore trois millions de morts, et que les États-Unis interviendraient avec leurs troupes infectées par la grippe
« espagnole », qui tueraient des millions d’autres personnes. Cependant, les traîtres qui avaient renversé le tsar en pleine guerre étaient si totalement incompétents qu’au lieu
de remplacer le dirigeant russe par un monarque constitutionnel ou un président occidental complaisant, qui remettrait les ressources de son immense pays à l’Occident, les bolcheviks se
sont emparés de l’empire russe en l’espace de sept mois. Les machinations de l’Occident ont incroyablement mal tourné.
Les bolcheviks ont dûment mis fin à la guerre contre l’Allemagne, ce qui a conduit le monde occidental à envahir la Russie et des millions de personnes à
mourir dans des conflits internes. Une génération plus tard, 27 millions de personnes supplémentaires sont mortes lorsque l’Occident a encouragé son cerveau antibolchevique, Hitler, à
envahir et à génocider le successeur de l’Empire russe, l’URSS. Merci, Buchanan et la cabale de la Table ronde anglo-américaine1.
Ce n’est qu’en 1992, après l’effondrement de l’URSS, que l’Occident a enfin pu commencer à dépouiller l’ancien Empire russe et l’ancien Empire soviétique, comme il l’avait prévu de longue
date. Toutefois, cette brève période n’a pas duré, car en 2000, Vladimir Poutine est devenu président de la Fédération de Russie. C’était la première fois qu’un patriote était à la tête
de la Russie depuis le tsar Nicolas II. Tout allait changer.
En 2022, la Russie montre qu’elle a tiré les leçons de la Première Guerre mondiale et de la chute de l’URSS. En raison des sanctions occidentales illégales
imposées après l’opération militaire spéciale visant à libérer l’Ukraine du nazisme en 2022, il n’y aurait pas de révolution de février, pas d’effondrement par des traîtres, manigancé par
l’ambassade des États-Unis à Moscou et ses « diplomates » de la CIA (le successeur des espions britanniques de la Première Guerre mondiale). La condamnation, il y a quelques
jours, du célèbre traître et espion de la CIA, Vladimir Kara-Murza, à 25 ans de prison, n’a pas été une surprise. La seule surprise est peut-être qu’il s’en soit tiré à si bon compte. La
haute trahison en temps de guerre est généralement passible de la peine de mort. Le président Poutine a le vent en poupe, avec un taux d’approbation de 80%. Il n’y a pas d’opposition, il
n’y aura pas de renversement du gouvernement néo-tsariste russe. Le président a préparé très soigneusement la guerre contre les États-Unis et leurs vassaux de l’OTAN/UE sur le champ de
bataille de l’Ukraine. Les leçons de la trahison occidentale ont été tirées.
Leçons non retenues
Cependant, l’Occident n’a pas tiré les leçons de l’invasion de la Russie par Napoléon en 1812 ou par Hitler en 1941. Le renversement du gouvernement
ukrainien démocratiquement élu en 2014, à l’occasion du centenaire de la Première Guerre mondiale, et l’installation d’un régime nazi à Kiev l’ont prouvé. Depuis quatorze mois, les forces
soutenues par la Russie combattent les troupes nazies sur les mêmes champs de bataille ukrainiens que ceux où leurs ancêtres ont combattu les nazis entre 1941 et 1944. À
Bakhmout-Stalingrad, sept mois de combats rue par rue et maison par maison seront enfin bientôt terminés, car 90% de la ville a déjà été libérée. Les pertes nazies colossales sont
estimées à 30 000 morts et 120 000 blessés. Une autre armée ukrainienne a disparu. Les troupes de l’armée russe n’ont même pas été engagées. Les combats entre alliés ont été menés par les
milices ukrainiennes du Donbass, les troupes sous contrat du groupe Wagner et les combattants tchétchènes.
Nous pouvons ici ignorer les fuites de Jack « get a girl-friend » Teixeira. Elles ne sont qu’un mélange des mensonges les plus absurdes du
ministère ukrainien de la Propagande (probablement imaginé par les sociétés de relations publiques des États-Unis qui le dirigent) et de l’espionnage de la CIA sur les Ukrainiens et les
« alliés » de l’OTAN. Pendant ce temps, plus de 500 000 soldats de l’armée russe attendent autour des frontières ukrainiennes que le reste du Donbass et les provinces de Kherson
et de Zaporijia soient entièrement libérés. Il s’agit d’une armée d’occupation qui attend de dénazifier l’Ukraine sur le point d’être démilitarisée. La future Ukraine, sans la Crimée et
les quatre provinces qui ont déjà décidé à une écrasante majorité de rejoindre la Fédération de Russie, et probablement sans Mykolaïv et Odessa et peut-être sans les deux provinces de
Kharkov et Dniepropetrovsk, sera beaucoup plus petite que l’Ukraine soviétique (voir carte).
En effet, la Russie pourrait décider de restituer trois provinces galiciennes démilitarisées, Volyn, Lviv et Ivano-Frankivsk, à la Pologne, la Transcarpatie
(Zakarpat’e) à la Hongrie (la plupart des habitants ont déjà acheté leur passeport hongrois) et le Tchernivtsi de Bucovine à la Roumanie, en échange de la Transnistrie. La Moldavie
roumaine devrait alors décider si elle souhaite rester indépendante ou devenir une partie autonome de la Roumanie. Dans ce cas, avec seulement onze provinces, la Nouvelle Ukraine forte de
dix millions d’habitants sera moins de la moitié de l’Ukraine d’avant 2014, un parallèle à la Biélorussie au nord, un bastion contre l’Occident toujours agressif à la frontière russe.
Elle pourrait alors être rebaptisée République de Kiev, ou simplement Malorossiya, comme elle l’était avant 1917, après que les dictateurs soviétiques non russes, Lénine, Staline et
Khrouchtchev, l’eurent tant agrandie en volant des territoires ailleurs, en particulier à la Russie.
D’autres leçons non
apprises
Cependant, l’Ukraine n’est pas le vrai problème. Le vrai problème, ce sont les 12,5% de la population mondiale qui vivent sous l’oppression séculaire de
l’élite occidentale et l’oppression séculaire de cette élite à l’égard des 87,5% de la population qui vivent dans le reste du monde. La vraie question est la suivante : Allons-nous voir
la fin du gangstérisme américain ou non ? Les BRICS, groupe multipolaire en pleine expansion, répondent : « Oui, nous serons libres ».
Avec la quasi-alliance imposée par l’Occident entre la Russie et la Chine, il semblerait en effet que ce soit le cas. La Russie envoie maintenant des
missiles, des avions et des navires pour défendre la Chine contre une éventuelle attaque américaine – après tout, aucun avion ou navire américain n’a été envoyé en Ukraine, ils doivent
être gardés en réserve pour la guerre prévue par les États-Unis contre la Chine en 2024/5. En outre, la manipulation par les Chinois du président français Macron, toujours vindicatif,
montre également que tous les vassaux en Europe ne vont pas soutenir la guerre prévue par les États-Unis contre les ballons du « péril jaune », comme les médias racistes et
contrôlés par l’État américain le promeuvent actuellement. C’est une répétition du manque de soutien européen à l’invasion et au génocide de l’Irak par les États-Unis il y a vingt
ans.
Le récent retour de Macron de Chine a montré que les Chinois l’avaient flatté en lui faisant croire que l’Europe (sous la présidence de Macron, bien sûr)
devait montrer une « troisième voie », en négociant la paix entre les États-Unis et la Chine. C’est le vieux rêve français de retrouver la première place qu’elle occupait sur la
scène mondiale avant la suicidaire Révolution française de 1789. Lorsque l’élite française est frustrée dans cette ambition, elle souffre de la pétulance gauloise à la De Gaulle.
Narcissique prétentieux, Macron, le banquier des Rothschild et l’homme le plus détesté de France, plébiscité par seulement 18% de l’électorat français – son épouse retraitée
ultra-botoxique est la femme la plus détestée – n’a pas été difficile à flatter pour les Chinois.
Les illusions
européennes
Les Chinois savent que Macron, surnommé « le Pharaon » en France et dont le nom signifie « grand » en grec, est finalement le plus grand
des pygmées européens actuels. Nordstream Scholz ? Une blague de potache. Le banquier Sunak ? Un fils d’immigrés qui aime l’argent. Et l’élite économique sait aussi que l’Europe sans la
Chine, avec une Chine attaquée par une marine des États-Unis en passe d’être coulée, ne durera tout au plus que quelques semaines. C’est pourquoi Macron est revenu en Europe en déclarant
que la Chine peut avoir Taïwan si elle le souhaite. Pour la première fois de sa vie, il a fait preuve de bon sens. Mais même cela n’est pas pertinent. Le Taïwan chinois retournera de
toute façon à la Chine, quoi qu’en pense un banquier français impopulaire. Ce n’est qu’une question de quelques années, tout au plus. Il est vrai que les États-Unis ne veulent pas que
Taïwan retourne à la Chine, après tout l’élite taïwanaise est un gros acheteur d’armes américaines inutiles, mais qui se soucie des États-Unis ? Saigon, Kaboul, Kiev…
Macron a été contraint d’entraîner dans sa fuite de Paris poubelle vers la Chine la vassale des États-Unis, la présidente de la Commission européenne,
Ursula von der Leyen. Les Chinois ont ignoré cette non-entité et elle est rapidement revenue à bord d’un avion de ligne ordinaire, la queue entre les jambes. Répétant le point de vue très
français selon lequel l’Europe devrait être une troisième puissance, un contrepoids à Washington et à Pékin, Macron l’a ignorée. Après tout, c’est lui le véritable président de l’Europe,
pas elle. Du moins, dans son imagination. Il considère que l’Europe doit développer « notre propre
autonomie stratégique ou nous deviendrons des vassaux, alors que nous pourrions devenir le troisième pôle si nous avons quelques années pour le développer ». Il n’avait pas
remarqué que l’Europe était devenue vassale depuis trois générations. Tel est l’aveuglement du narcissisme.
En termes polis, l’élite française a une imagination très vive ou, en termes moins polis, elle souffre de la plus fantastique folie des grandeurs. En 2019,
Macron a mis en garde contre la « mort cérébrale » de l’OTAN. Cependant, depuis lors, Macron n’a fait qu’encourager le patient en état de mort cérébrale à mener sa guerre par
procuration contre la Russie. En entendant les opinions de Macron, un sénateur républicain, Marco Rubio, a déclaré : « Si Macron parle au
nom de toute l’Europe, et que leur position est maintenant qu’ils ne vont pas prendre parti entre les États-Unis et la Chine au sujet de Taïwan, peut-être que nous ne devrions pas non
plus prendre parti ». Le délire de Rubio : les États-Unis financent une guerre européenne. Bien sûr, même s’il ne le sait pas encore, il ne s’agit pas d’une guerre européenne.
Tout comme l’Afghanistan et l’Irak, il s’agit d’une autre guerre des États-Unis et en Europe encore.
Plus d’illusions pour la Turquie et la
Russie
Entre-temps, lors d’une réunion avec des jeunes à Istanbul le 19 avril, le ministre turc de l’Intérieur, Suleyman Soylu, a déclaré que « les États-Unis
continuent à perdre leur réputation », que « le monde entier
déteste les États-Unis » et que « l’Europe est un pion
des États-Unis en Afrique et tous les pays africains détestent les États qui les exploitent et ils reviennent à leurs langues locales »2.
« L’Europe n’existe
pas… Il y a les États-Unis. L’Europe est un train qui suit les États-Unis… Les dirigeants européens sont constamment discrédités et la population vieillit… Les Européens ont des problèmes
de production économique et en auront encore ». Rien de nouveau ici, nous disons la même chose depuis toujours. Cependant, jusqu’à récemment, ultra-fidèles aux États-Unis, aucun
homme politique turc n’aurait tenu de tels propos en public. Mais voilà, les États-Unis ont bien tenté d’assassiner le président Erdogan en 2016 (sauvé par le président Poutine) et l’an
dernier, Soylu a bien demandé à l’ambassadeur américain « d’enlever ses sales
pattes de la Turquie ».3
En ce qui concerne la Fédération de Russie, 300 ans se sont écoulés depuis 1721, date à laquelle la Russie est devenue un empire russe de type occidental,
repris en 1922 lorsqu’elle est devenue un empire soviétique de type occidental. La Fédération de Russie est aujourd’hui confrontée à la réalité : la Russie slave orientale, la Biélorussie
et cet autre fragment de la Russie slave orientale, l’Ukraine, sont en guerre simplement parce qu’ils se sont laissés diviser par la politique mondiale du monde occidental, qui consiste à
« diviser pour régner ». Cependant, la Russie impériale et l’Union soviétique impériale sont bel et bien révolues. C’est pourquoi la Russie, avec la Biélorussie, qui est
également revenue à la raison après avoir été tentée par l’Occident ces dernières années, a pu revenir à son destin historique et à sa mission de retenir le mal mondial des États-Unis (2
Thess 2, 6). Puis elle s’effondrera à son tour, tout comme l’Union soviétique.
Au cours des quatorze derniers mois, « l’État de l’Union » de la Fédération de Russie et de la Biélorussie s’est débarrassé de la colonisation et
de la vassalité des États-Unis. Tout ce que l’Occident a mis sur le dos de la Slavonie orientale, de la Russie et de la Biélorussie avec sa cinquième colonne de libéralisme à la Navalny
et Kara-Murza, de l’Ukraine nationaliste avec le nazisme, et partout avec les néo-aristocrates empoisonnés et parasites, connus sous le nom d’oligarques, est en train d’être rejeté. Mais
plus important encore, la Fédération de Russie montre la voie et appelle le reste du monde, la Chine, l’Inde et en fait toute l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine, et d’ailleurs toute
personne en Europe ou ailleurs dans le monde occidental qui a des oreilles pour entendre et des cerveaux non zombifiés pour penser, à se libérer aussi. On peut en effet dire, comme Marx,
que « vous n’avez rien d’autre à perdre que votre vie » : « Vous n’avez rien à perdre que vos chaînes ». Ou encore, comme le Christ : « La vérité vous
libérera ».
Le président russe Vladimir Poutine s’est rendu lundi dans les « nouveaux territoires » du pays, les régions de Lougansk et
de Kherson/Zaporozhye, afin d’évaluer la situation militaire.
Le compte à rebours a
commencé pour la « contre-attaque »
ukrainienne. L’arrivée de systèmes de missiles Patriot en Ukraine témoigne de l’ampleur de la mobilisation pour imposer de lourdes pertes à la Russie. Le secrétaire général de l’OTAN,
Jens Stoltenberg, a effectué aujourd’hui une visite surprise à Kiev, la première depuis le début de la guerre.
Les documents divulgués
montre que le Pentagone est sceptique quant au succès de la contre-offensive ukrainienne, mais Moscou procède à ses propres évaluations. En premier lieu, les néoconservateurs ne vont pas
débrancher le régime Zelensky, car cela reviendrait à ouvrir la boîte de Pandore alors que le président Biden est sur le point d’annoncer sa candidature à un second mandat présidentiel et qu’il
ne peut accepter que l’Ukraine soit en train de perdre la guerre.
En réalité, l’Ukraine subit une hémorragie. Il est dans la nature des guerres d’usure qu’à un moment donné, le côté le plus faible cède et que la fin arrive très
vite. C’est ainsi qu’en Syrie, après avoir remporté la bataille d’Alep, qui a duré cinq ans, en décembre 2016, les forces gouvernementales ont balayé le pays dans une série de victoires
militaires qui ont mis fin au conflit.
La guerre d’usure en Ukraine peut sembler « dans l’impasse« , mais le point décisif sera de savoir quel
camp inflige le plus grand nombre de pertes. Il ne fait aucun doute qu’en dépit de l’aide militaire, économique, financière et de renseignement massive fournie par l’Occident, les forces russes
ont écrasé la partie ukrainienne tout au long de la ligne de contact.
L’ambassadeur russe au Royaume-Uni a récemment déclaré que le ratio des pertes dans la guerre d’usure était d’environ sept soldats ukrainiens pour un soldat russe.
Pour mettre les choses en perspective, les médias occidentaux estiment qu’environ 35 000 soldats ukrainiens participeront à la prochaine contre-offensive le long de la ligne de front de 950 km,
alors que Poutine a déclaré que les forces de réserve russes sur la ligne de front s’élèvent à 160 000 soldats !
Le système de défense aérienne ukrainien est dans un état critique. Les Russes disposent d’une artillerie prédominante et ont fortement fortifié la ligne de front
au cours des 5 à 6 derniers mois en y ajoutant de multiples couches de défense telles que des mines, des remblais et des bornes pour entraver l’avancée des chars, etc.
La ligne de fortification russe
Il s’agit d’un pari désespéré pour l’Ukraine, qui a perdu une grande partie de ses soldats les plus expérimentés (environ 120 000 victimes), pour affronter les
Russes qui ont la supériorité aérienne, la supériorité balistique, la supériorité de la défense aérienne, et la supériorité d’hommes entraînés, par-dessus tout.
Les régions que Poutine a choisi de visiter – Kherson / Zaporozhya et Lugansk – sont celles où la contre-offensive ukrainienne est la plus attendue. Poutine a
entendu les commandants lui parler de la situation militaire et, bien entendu, cela constituera très certainement une base pour ses décisions concernant les contre-stratégies russes, tant
défensives qu’offensives.
Malgré les fuites du Pentagone et le désarroi et la confusion qui s’ensuivent à Washington et dans les capitales européennes (et à Kiev), la contre-attaque
ukrainienne se poursuivra afin de regagner au moins une partie du territoire perdu. Il s’agit d’un coup de poker désespéré.
Cependant, la pensée délirante prévaut toujours à Washington. C’est ce qui ressort d’un récent article publié dans Foreign
Affairs et cosigné par deux vétérans de l’establishment américain – l’ancien fonctionnaire du département d’État Richard Haass et Charles Kupchan, chercheur principal au Council on
Foreign Relations – intitulé The West Needs a New
Strategy in Ukraine : A Plan for Getting From the Battlefield to the Negotiating Table (L’Occident a besoin d’une nouvelle stratégie en Ukraine : un plan pour passer du champ de
bataille à la table des négociations).
L’article s’en tient largement aux mythes engendrés par les néoconservateurs, à savoir que les opérations militaires spéciales de la Russie ont échoué et que la
guerre s’est « révélée bien meilleure pour l’Ukraine
que ce que la plupart des gens avaient prédit« , mais il contient parfois des éclairs de lucidité. Il s’appuie sur le refrain actuellement en vogue à Washington selon lequel
« l’issue la plus probable du conflit n’est pas une
victoire totale de l’Ukraine, mais une impasse sanglante« .
Haas et Kupchan ont écrit que « d’ici la fin de l’offensive prévue par l’Ukraine, Kiev pourrait
également se rallier à l’idée d’un règlement négocié, après avoir donné le meilleur d’elle-même sur le champ de bataille et avoir été confrontée à des contraintes croissantes en termes
d’effectifs et d’aide extérieure« .
Les auteurs notent en passant que les dirigeants russes ont des options et des calculs, car les sanctions occidentales n’ont pas réussi à paralyser l’économie
russe, le soutien populaire à la guerre reste élevé (plus de 70 %) et Moscou sent que le temps joue en sa faveur, car la capacité de résistance de l’Ukraine et de ses partisans occidentaux et
leur détermination vont diminuer et la Russie devrait être en mesure d’étendre ses gains territoriaux de manière substantielle.
Fondamentalement, Haas et Kupchan viennent d’une autre planète. Ils ne peuvent pas comprendre que la Russie n’acceptera jamais un scénario dans lequel le conflit se
termine par un cessez-le-feu, mais où l’OTAN continue à renforcer les capacités militaires de l’Ukraine et à intégrer progressivement Kiev dans l’alliance.
Pourquoi la Russie voudrait-elle jouer à un nouveau jeu de chaises musicales pendant que l’Occident officialise l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, c’est-à-dire
accepter de revivre le grotesque interrègne entre les accords de Minsk de 2015 et les opérations militaires spéciales de la Russie ?
La visite de Poutine dans les nouveaux territoires à ce moment crucial, alors que la guerre d’usure est à un point de basculement, envoie un signal fort : la Russie
a elle aussi un plan offensif et ce n’est pas à Biden de tirer la sonnette d’alarme et de mettre fin à la guerre par procuration – par pure fatigue ou en raison de distractions pressantes en
Asie-Pacifique, de fissures dans l’unité occidentale ou de toute autre chose.
De même, il est improbable que la Russie puisse un jour se réconcilier avec le régime Zelensky, que Moscou considère comme une marionnette de l’administration
Biden. Mais comment Biden pourrait-il se débarrasser de Zelensky ou le perdre de vue alors que de nombreux squelettes s’agitent dans le placard familial ?
Plus important encore, l’opinion publique russe attend de Poutine qu’il honore la promesse qu’il a faite en ordonnant les opérations militaires spéciales. Si ce
n’est pas le cas, des dizaines de milliers de Russes auront perdu la vie en vain.
La personnalité politique de Poutine ne permet pas d’ignorer la vague de fond de l’opinion russe, ni de négliger les blessures de la psyché nationale, alors que défilent les images de l’expulsion forcée de centaines de moines de Pechersk Lavra, un complexe de monastères troglodytes
orthodoxes du XIe siècle situé au cœur de Kiev, qualifiés de cinquièmes colonnes russes. Il s’agit d’une manœuvre politique calculée par Zelensky avec l’encouragement tacite de l’Occident.
(ici et ici)
Ce que les néoconservateurs américains n’ont pas encore compris, c’est qu’ils n’ont pas réussi à soumettre la Russie malgré toutes les humiliations infligées à son
honneur national, à sa fière histoire et à sa culture d’une richesse enviable. Pourquoi la Russie se normaliserait-elle avec des États qui se sont appropriés sa richesse souveraine et ont imposé
des sanctions aussi draconiennes pour saigner et affaiblir son économie ?
La secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, a admis sur CNN que les sanctions pourraient à terme menacer
l’hégémonie du dollar américain. Mais ses remarques ne vont pas assez loin.
Entre-temps, le partenariat stratégique entre la Russie et la Chine s’est renforcé, le signal de cette semaine étant la volonté de Moscou de se coordonner avec
Pékin pour relever les défis militaires en Extrême-Orient. (Voir mon article sur la Chine et la Russie en Asie-Pacifique)
La Russie est loin d’être isolée et jouit d’une profondeur stratégique au sein de la communauté internationale. En revanche, au cours de l’année écoulée, le déclin
systémique de l’Occident et l’affaiblissement de l’influence mondiale des États-Unis sont devenus un processus historique inexorable.
M.K.
Bhadrakumar
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
Le nombre de ballons d’essai pour une intervention polonaise en Ukraine augmente
Par Conor Gallagher – Le 16 avril 2023 – Source Naked Capitalism
Depuis près d’un an,
l’administration Poutine est accusée d’utiliser une « logique tordue » pour diffuser le « faux récit » disant que la
Pologne pourrait rejoindre le combat en Ukraine. Rappelons que le vice-président du Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, Dmitri Medvedev, a publié la carte suivante l’année dernière
:
Nous disposons désormais d’un nombre croissant de signes indiquant que
quelque chose de ce genre est en préparation. L’ambassadeur polonais en France a déclaré en mars que la Pologne serait contrainte d’entrer en guerre si l’Ukraine échouait. Voici ce qu’il a dit :
Par conséquent, soit l’Ukraine défend son indépendance aujourd’hui, soit nous devrons entrer dans ce conflit. Parce que nos principales valeurs, qui étaient la
base de notre civilisation et de notre culture, seront menacées. Par conséquent, nous n’aurons pas d’autre choix que d’entrer dans le conflit.
L’ambassade de Pologne en France a ensuite retiré cette déclaration, mais d’autres signes indiquent que Varsovie joue un rôle de plus en plus important. Lors de son
récent voyage en Pologne, le président ukrainien Vladimir Zelensky a fait un commentaire lourd de sens : « Vous avez été à nos côtés et nous vous en sommes
reconnaissants« , et il a ajouté qu’il n’y avait « pas de frontières politiques, économiques et – surtout –
historiques » entre les deux pays.
Le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki vient d’aller aux États-Unis où il a critiqué la France et l’Allemagne et rendu visite à la vice-présidente Kamala
Harris à la Maison Blanche. Il a déclaré que la Pologne était le « leader de la nouvelle Europe » après « l’échec de la vieille Europe » .
Plus d’informations :
«La vieille Europe croyait en un accord avec la Russie et la
vieille Europe a échoué« , a déclaré le premier ministre polonais. « Mais il y a
une nouvelle Europe, une Europe qui se souvient de ce qu’était le communisme russe, et la Pologne est le leader de cette nouvelle Europe. La Pologne veut devenir un pilier de la sécurité
européenne et nous sommes sur la bonne voie. »
« La Pologne veut construire l’armée la plus forte
d’Europe, c’est pourquoi nous voulons coopérer avec l’industrie de défense la plus avancée au monde, à savoir l’industrie américaine » , a-t-il poursuivi.
En effet, Morawiecki a également rencontré des représentants de l’industrie de la défense américaine pour discuter du financement des milliards de dollars que représente l’achat prévu par Varsovie d’avions
de chasse F-35, de chars Abrams, de systèmes d’artillerie HIMARS et d’unités de lancement de missiles Patriot. En outre, Morawiecki a annoncé que la Pologne entendait devenir le « centre de service » européen pour les chars Abrams
fabriqués aux États-Unis.
L’idée selon laquelle Varsovie sera le nouveau centre de pouvoir européen de l’OTAN parce qu’elle adopte une sorte de position courageuse que les Allemands, les
Français et une grande partie de l’UE refusent de faire a pris de l’ampleur au cours des dernières semaines. Prenons l’exemple suivant :
Le 26 mars, Dalibor Rohac, chercheur à l’American Enterprise Institute, a publié dans Foreign Policy un article d’opinion intitulé « Il est temps de rétablir l’Union
polono-lituanienne« .
S’appuyant sur un exemple vieux de 700 ans, lorsque le souverain de Lituanie, Jogaila, a épousé la princesse de Pologne, Jadwiga, pour créer une union politique
entre la Pologne et la Lituanie qui comprenait également de grandes parties du Belarus et de l’Ukraine d’aujourd’hui, Rohac préconise ce qui suit :
Avance rapide jusqu’à aujourd’hui et l’avenir proche. Les deux pays sont confrontés à la menace russe. Aujourd’hui, la Pologne est un membre en règle de l’UE et
de l’OTAN, tandis que l’Ukraine est désireuse d’adhérer à ces deux organisations, un peu comme le Grand-Duché d’antan, désireux de faire partie du courant dominant de l’Europe christianisée.
Même si la guerre de l’Ukraine contre la Russie se termine par une victoire ukrainienne décisive, chassant les forces russes vaincues du pays, Kiev est confronté à une lutte qui pourrait
durer des décennies pour rejoindre l’UE, sans parler de l’obtention de garanties de sécurité crédibles de la part des États-Unis. Les pays mal gouvernés et instables des Balkans occidentaux,
sujets à l’ingérence de la Russie et de la Chine, constituent un avertissement quant à l’issue d’un « statut de candidat » prolongé et
de l’indécision européenne. Une nation ukrainienne militarisée, aigrie par l’inaction de l’UE et peut-être lésée par la conclusion insatisfaisante de sa guerre contre la Russie, pourrait
facilement devenir un handicap pour l’Occident.
Imaginons plutôt qu’à la fin de la guerre, la Pologne et l’Ukraine forment un État fédéral ou confédéral commun, fusionnant leurs politiques étrangères et de
défense et faisant entrer l’Ukraine dans l’UE et l’OTAN presque instantanément. L’Union polono-ukrainienne deviendrait le deuxième plus grand pays de l’UE et sans doute sa plus grande
puissance militaire, fournissant un contrepoids plus qu’adéquat au tandem franco-allemand – quelque chose qui manque cruellement à l’UE après le Brexit.
Timothy Less, chercheur principal du projet du Centre for Geopolitics sur les études de désintégration à Cambridge, estime que Varsovie tente de créer un groupe
OTAN dissident avec les « Neuf de
Bucarest« , qui se composent de la Pologne, de la Bulgarie, de la République tchèque, de l’Estonie, de la Hongrie, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Roumanie et de la Slovaquie.
D’après Unherd :
Timothy Less, spécialiste des Balkans, parle d’un « nouveau Pacte de
Varsovie » qui, au lieu de défendre les intérêts de la Russie, cherche à protéger l’Europe centrale et orientale des Russes. Pour Less, cette stratégie fait écho au
Commonwealth polono-lituanien né à la fin du Moyen-Âge, ainsi qu’à l’Intermarium, un projet fantaisiste du dirigeant polonais Józef Piłsudski visant à former un super-État de la
Baltique à la mer Noire après la Première Guerre mondiale. Derrière chacune de ces alliances se cachait la crainte d’être malmené par ses voisins au fil des siècles – la Prusse, le
Reich allemand, l’Autriche-Hongrie et, bien sûr, la Russie.
Selon Less, l’alliance polonaise en Europe de l’Est « marginaliserait la France et l’Allemagne,
menacerait la position prédominante de l’UE en Europe et galvaniserait son déclin apparemment au ralenti« . C’est une vision qui plaira aux eurosceptiques du continent : Une
nouvelle ère dans laquelle les États-Unis déplacent progressivement leurs ressources militaires de l’Allemagne vers la Pologne, un centre de pouvoir et d’influence de plus en plus
important.
En février dernier, Joe Biden a rencontré à Varsovie des représentants des Neufs de Bucarest afin de les rallier à la cause de la guerre. Il existe toutefois des
divisions évidentes au sein du groupe, des pays comme la Hongrie et la Bulgarie remettant en cause la guerre, tandis que la Pologne et les États baltes comptent parmi ses plus
fervents partisans.
Un autre article de Foreign
Policy datant de février s’intitule « Comment la Pologne et l’Ukraine pourraient saper les rêves impériaux
de Poutine« . Il est rédigé par Pawel Markiewicz, directeur exécutif du bureau de Washington de l’Institut polonais des affaires internationales, et Maciej Olchawa, chercheur à la Fondation Kosciuszko de l’Université Loyola de Chicago. Il est rempli de pensée magique et aboutit à la même idée que la Pologne joue un rôle clé
dans la chute de Poutine :
La Pologne sait que si on lui donne les outils et le savoir-faire, l’Ukraine passera rapidement du statut de consommateur de la sécurité occidentale à celui
de fournisseur essentiel de cette sécurité pour la communauté euro-atlantique. Ces anti-impérialistes aux vues similaires menacent non seulement de mettre fin une fois
pour toutes à la volonté revancharde du président russe Vladimir Poutine, mais accélèrent également le déplacement du centre de gravité politique et militaire de l’Europe vers l’est, ce qui redéfinira l’Union européenne et l’OTAN pour les décennies à venir. L’Occident doit se préparer
aux éventualités qui suivront la chute de l’empire de Poutine, dont l’une est une Europe d’après-guerre soutenue par une alliance stratégique polono-ukrainienne.
L’ancien directeur de Stratfor, George Friedman, estimant que l’OTAN était obsolète, a ressuscité cette idée d’un « Intermarium » dès 2010. Très influent dans les cercles
politiques de Washington, Friedman a écrit ce qui suit dans son « Geopolitical Journey, Part 2 : Borderlands » (Voyage
géopolitique, partie 2 : zones frontalières)
Une Pologne soutenue par les États-Unis et gardant la plaine nord-européenne, avec la Slovaquie, la Hongrie et la Roumanie gardant les approches des Carpates,
empêcherait ce que les États-Unis devraient craindre le plus : une alliance entre la Russie et l’Allemagne plus l’Europe de l’Ouest.
L’idée selon laquelle Varsovie sera le nouveau centre de pouvoir européen de l’OTAN parce qu’elle adopte une sorte de position courageuse que les Allemands, les
Français et une grande partie de l’UE refusent de faire, prend de l’ampleur.
Aujourd’hui, après que Varsovie a poussé l’Allemagne à accepter d’envoyer des chars Leopard 2 après des semaines de pression, les responsables polonais
exhortent les États-Unis et leurs alliés européens à fournir conjointement à l’Ukraine des chasseurs à réaction F-16, a déclaré Andrzej Zybertowicz, conseiller au Bureau de la sécurité
nationale polonaise.
La Pologne est « un défenseur important du flanc oriental de
l’OTAN« , a déclaré M. Zybertowicz, ajoutant que la position avancée de la Pologne signifie qu’elle doit agir avec plus d’audace que d’autres alliés européens, tels que
l’Allemagne.
« La Pologne fait cavalier seul après des
décennies passées à suivre les courants au sein de l’UE parce qu’elle comprend maintenant que suivre les autres en Europe est dangereux non seulement pour la prospérité de la Pologne, mais
aussi pour son existence même« , a-t-il déclaré.
…
« Nos lignes rouges sont de nature pratique,
[déterminées par] la capacité opérationnelle de nos forces armées« , a déclaré Jacek Siewiera, le chef du bureau de la sécurité nationale du pays. « Mais si la Pologne recevait l’aide de ses
alliés, sous la forme d’un processus de compensation, nous pourrions encore faire plus« , a-t-il ajouté.
Le leadership polonais contribue à combler un vide géopolitique créé par le déclin de l’influence des forces traditionnellement dominantes de la politique
étrangère de l’Europe. La Grande-Bretagne a voté pour quitter l’Union européenne en 2016, réduisant considérablement la capacité du Royaume-Uni à façonner la réponse de l’Europe à la menace
russe. Pendant ce temps, tout au long de son règne, Poutine a démontré sa capacité à coopter les hommes politiques et les hommes d’affaires français et allemands avec des accords commerciaux,
des oléoducs et d’autres incitations. Ce n’est pas une coïncidence si le dictateur russe a choisi l’Allemagne et la France en 2014 pour participer aux pourparlers du format Normandie visant à
mettre fin à la guerre déclenchée par la Russie dans l’est de l’Ukraine. Cette approche a abouti à l’échec des accords de Minsk et a préparé le terrain pour l’invasion totale de l’Ukraine en
2022.
Dans son émission du 5 avril, Alexander Mercouris a évoqué la possibilité d’une implication de la Pologne et a détaillé les obstacles auxquels les faucons polonais sont confrontés,
à savoir
Les militaires polonais sont opposés à toute confrontation avec la Russie, car ils ont vu leur armement détruit par la Russie sur le champ de
bataille ukrainien.
De nombreux militaires polonais ont déjà été tués en Ukraine et beaucoup d’autres, craignant une confrontation avec la Russie, ont
déserté.
Le manque de soutien de l’opinion publique. L’accueil par la Pologne d’un si grand nombre de réfugiés ukrainiens et l’importation de blé
ukrainien ont nui au marché de l’agriculture polonaise, ce qui a mécontenté les agriculteurs polonais. (Varsovie a depuis suspendu les importations de céréales ukrainiennes).
Le parti au pouvoir en Pologne, Droit et Justice, devra bientôt affronter les prochaines élections, ce qui compromettrait ses chances en
s’engageant davantage en Ukraine.
Mais les décisions rationnelles se font rares ces jours-ci.
Ce que je pense avant tout, c’est que l’empire cherche désespérément à gagner du temps. Il s’est rendu compte qu’il n’est littéralement pas en mesure de
s’engager dans un quelconque conflit de haute intensité contre la Russie – ou contre qui que ce soit d’autre d’ailleurs.
En théorie, la Pologne aurait beaucoup à gagner du déplacement du centre de gravité de l’Europe vers l’est, ce qui explique probablement ses visions de grandeur. C’est la France et l’Allemagne qui
auraient le plus à perdre. Le président français Emmanuel Macron a semblé prendre ses précautions lors de son passage à Pékin, en déclarant que l’UE ne devait pas devenir le « suiveur de l’Amérique« . Il est un peu tard pour
cela. En attendant, il y a un nouveau ballon d’essai dans l’air :
Whoa ! Je n’avais pas vu ce rebondissement ! Les Polonais sont d’accord avec les Russes pour dire que l’Ukraine doit être dé-nazifiée.
La Pologne envoie-t-elle un signal à la Russie afin de parvenir à un accord territorial sur l’Ukraine occidentale ?
La visite officielle du conseiller d’État et ministre de la défense chinois, le général Li Shangfu, en Russie, du 16 au 19 avril, a mis en évidence le besoin des deux pays
d’approfondir leur confiance militaire et leur étroite coordination dans le contexte de l’aggravation des tensions géopolitiques et de l’impératif de maintenir l’équilibre stratégique
mondial.
Cette visite s’inscrit
dans le prolongement des décisions essentielles prises lors du tête-à-tête intensif entre le président russe Vladimir Poutine et le président chinois Xi Jinping, qui s’est tenu à Moscou les 20 et
21 mars. Rompant avec le protocole, la visite de quatre jours du général Li a commencé par une « réunion de travail » avec Poutine, selon les termes du
porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov. (ici et ici)
Li n’est pas un étranger à Moscou, ayant déjà été responsable du département de développement de l’équipement de la Commission militaire centrale, qui a été
sanctionnée par les États-Unis en 2018 pour avoir acheté des armes russes, notamment des avions de combat Su-35 et des systèmes de missiles sol-air S-400.
Song Zhongping, éminent expert militaire et commentateur de télévision chinois, a expliqué que le voyage de Li montre la qualité des liens militaires bilatéraux avec la Russie, et conduira à « davantage d’échanges mutuellement bénéfiques dans de nombreux
domaines, y compris les technologies de défense et les exercices militaires. »
Mercredi dernier, le ministère américain du commerce a annoncé l’imposition de contrôles à l’exportation à une douzaine d’entreprises chinoises pour avoir
« soutenu les industries militaires et de défense de
la Russie« . Le Global
Times a répliqué de manière provocante que « la Chine est une grande puissance indépendante, tout comme la Russie.
Il est de notre droit de décider avec qui nous allons mener une coopération économique et commerciale normale. Nous ne pouvons pas accepter que les États-Unis nous montrent du doigt, ni même
qu’ils exercent une coercition économique« .
Lors de sa rencontre avec Li, en plein dimanche de Pâques, Poutine a déclaré que la coopération militaire jouait un rôle important dans les relations entre la Russie et la Chine. Les analystes chinois ont déclaré que la visite de Li est
également un signal envoyé conjointement par la Chine et la Russie que leur coopération militaire ne sera pas impactée par la pression américaine.
En octobre 2019, Poutine avait révélé que la Russie aidait la Chine à créer un système d’alerte antimissile précoce qui renforcerait considérablement la capacité défensive de la Chine. Les observateurs
chinois ont noté que la Russie était plus expérimentée dans le développement et l’exploitation d’un tel système, qui est capable d’identifier et d’envoyer des avertissements immédiatement après
le lancement de missiles balistiques intercontinentaux.
Une telle coopération témoigne d’un niveau de confiance élevé et nécessite une intégration des systèmes russes et chinois. L’intégration des systèmes sera
mutuellement bénéfique : les stations situées au nord et à l’ouest de la Russie pourraient fournir à la Chine des données d’alerte et, en retour, la Chine pourrait fournir à la Russie des données
collectées par ses stations situées à l’est et au sud. En d’autres termes, les deux pays pourraient créer leur propre réseau mondial de défense antimissile.
Ces systèmes font partie des domaines les plus sophistiqués et les plus sensibles de la technologie de défense. Les États-Unis et la Russie sont les seuls pays à
avoir été capables de développer, de construire et d’entretenir de tels systèmes. Il est certain qu’une coordination et une coopération étroites entre la Russie et la Chine, deux puissances
dotées de l’arme nucléaire, contribueront profondément à la paix mondiale dans les circonstances actuelles en contenant et en dissuadant l’hégémonie américaine.
Ce n’est pas une coïncidence si Moscou a ordonné un contrôle soudain des forces de sa flotte du Pacifique du 14 au 18 avril, qui coïncidait avec la visite de Li. L’inspection a eu lieu dans le contexte de
l’aggravation de la situation autour de Taïwan.
En effet, au début du mois d’avril, on a appris que le porte-avions américain USS Nimitz s’approchait de Taïwan ; le 11 avril, les États-Unis ont entamé un exercice
militaire de 17 jours aux Philippines impliquant plus de 12 000 soldats ; le 17 avril, on a appris l’envoi de 200 conseillers militaires américains à Taïwan.
Les exercices stratégiques américains Global Thunder 23 à la base aérienne de Minot dans le Dakota du Nord (qui est le commandement des frappes globales de l’armée
de l’air américaine) ont commencé la semaine dernière par un entraînement au chargement de missiles de croisière à ogive nucléaire sur des bombardiers. Les images montrent des bombardiers
stratégiques B-52H Stratofortress équipés par le personnel technique de la base de missiles de croisière AGM-86B capables d’emporter des ogives nucléaires sous les ailes.
Là encore, les exercices de l’aviation et de la flotte américaines ont été de plus en plus remarqués à proximité immédiate des frontières russes ou dans des régions
où la Russie a des intérêts géopolitiques. Le 5 avril, des B-52 Stratofortress ont survolé la péninsule coréenne, prétendument « en réponse aux menaces nucléaires et de missiles de la Corée du
Nord« . Au même moment, la Corée du Sud, les États-Unis et le Japon menaient des exercices navals trilatéraux dans les eaux de la mer du Japon avec la participation du porte-avions USS
Nimitz.
Le secrétaire du Conseil de sécurité russe, Nikolai Patrushev, a récemment attiré l’attention sur la capacité croissante du Japon à mener des opérations offensives,
ce qui, selon lui, constitue « une violation flagrante
de l’un des résultats les plus importants de la Seconde Guerre mondiale« . Le Japon prévoit d’acheter aux États-Unis environ 500 missiles de croisière Tomahawk, qui peuvent menacer
directement la majeure partie du territoire de l’Extrême-Orient russe. Mitsubishi Heavy Industries travaille à la mise au point de missiles antinavires terrestres de type 12 « afin de protéger les îles éloignées du Japon« .
Le Japon développe également des armes hypersoniques conçues pour mener des opérations de combat « sur des îles éloignées« , ce que les Russes considèrent
comme des options pour la prise éventuelle des Kouriles du Sud par le Japon. En 2023, le Japon disposera d’un budget militaire supérieur à 51 milliards de dollars (à égalité avec celui de la
Russie), qui devrait passer à 73 milliards de dollars.
En fait, lors de la dernière inspection surprise, les navires et les sous-marins de la flotte russe du Pacifique ont quitté leurs bases pour la mer du Japon, la mer
d’Okhotsk et la mer de Béring. Le ministre de la défense, Sergei Shoigu, a déclaré que « dans la pratique, il est nécessaire de trouver des moyens d’empêcher
le déploiement de forces ennemies dans la zone opérationnelle importante de l’océan Pacifique – la partie sud de la mer d’Okhotsk – et de repousser leur débarquement sur les îles Kouriles du Sud
et l’île de Sakhaline« .
Le silence se fait entendre…
Passant en revue les alignements régionaux, Yuri Lyamin, expert militaire russe et Senior Fellow au Centre d’analyse des stratégies et des technologies, un groupe
de réflexion de premier plan du complexe militaro-industriel, a déclaré au journal Izvestia :
« Étant donné que nous n’avons pas réglé la question territoriale, le Japon revendique nos Kouriles du Sud. À cet égard, des contrôles sont très
nécessaires. Il est nécessaire d’accroître le niveau de préparation de nos forces en Extrême-Orient…Dans le contexte actuel, nous devons renforcer la coopération avec la Chine en matière de
défense. En fait, un axe est en train de se former contre la Russie, la Corée du Nord et la Chine : les États-Unis, le Japon, la Corée du Sud, Taïwan, puis l’Australie. La Grande-Bretagne
tente également d’y participer activement… Il faut tenir compte de tout cela et établir une coopération avec la Chine et la Corée du Nord, qui sont, pourrait-on dire, nos alliés
naturels ».
Lors d’une réunion au Kremlin avec Shoigu le 17 avril, alors que Li était à Moscou, Poutine a fait remarquer que les priorités actuelles des forces armées russes étaient « principalement axées sur la voie ukrainienne… (mais) le théâtre
d’opérations du Pacifique reste pertinent » et qu’il fallait garder à l’esprit que « les forces de la flotte (du Pacifique) dans ses différentes
composantes peuvent certainement être utilisées dans des conflits dans n’importe quelle direction« .
Le lendemain, Shoigu a déclaré au général Li : « Dans l’esprit de l’amitié indéfectible entre les nations, les peuples
et les forces armées de la Chine et de la Russie, je me réjouis de la coopération la plus étroite et la plus fructueuse avec vous…« . Le compte-rendu du ministère russe de la
défense indique que :
« Sergei Shoigu a souligné que la Russie et la Chine pouvaient stabiliser la situation mondiale et réduire les risques de conflit en coordonnant leurs
actions sur la scène internationale. Il est important que nos pays partagent le même point de vue sur la transformation en cours du paysage géopolitique mondial… La réunion que nous avons
aujourd’hui contribuera, à mon avis, à renforcer davantage le partenariat stratégique Russie-Chine dans le domaine de la défense et permettra une discussion ouverte sur les questions de
sécurité régionale et mondiale ».
Pékin et Moscou estiment que les États-Unis, qui n’ont pas réussi à « annuler » la Russie, se tournent vers le théâtre de
l’Asie-Pacifique. La visite de Li montre que la réalité de la coopération russo-chinoise en matière de défense est complexe. La coopération militaro-technique entre la Russie et la Chine a
toujours été assez secrète, et le niveau de secret a augmenté à mesure que les deux pays s’engagent dans une confrontation plus directe avec les États-Unis.
La signification politique de la déclaration de Poutine de 2019 sur le développement conjoint d’un système d’alerte précoce pour les missiles balistiques va bien
au-delà de sa signification technique et militaire. Elle a montré au monde que la Russie et la Chine étaient sur le point de conclure une alliance militaire formelle, qui pourrait être déclenchée
si les pressions américaines allaient trop loin.
En octobre 2020, Poutine avait suggéré la possibilité d’une alliance militaire avec la Chine. La réaction du ministère chinois des affaires étrangères a été
positive, même si Pékin s’est abstenu d’utiliser le mot « alliance« .
Une alliance militaire opérationnelle et efficace peut être formée rapidement si le besoin s’en fait sentir, mais les stratégies respectives des deux pays en
matière de politique étrangère rendent une telle initiative peu probable. Toutefois, le danger réel et imminent d’un conflit militaire avec les États-Unis peut déclencher un changement de
paradigme.
M.K.
Bhadrakumar
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
Entrevue avec Piotr Tolstoï à Moscou
De passage à Moscou, Anne-Laure Bonnel s’entretient avec Piotr Tolstoï, le vice-président de la Douma, rappelant d’entrée de jeu que Libre
Média valorise le dialogue.
Au programme : L’Ukraine, le nouvel ordre international et la liberté d’expression.
Washington peut se satisfaire de présenter les changements survenus
au Moyen-Orient comme le fait que les Saoudiens ont équilibré leur sécurité en jouant les États-Unis contre la Chine. Toutefois, la vérité brutale est que cette transformation s’est produite
parce que les États-Unis et leur doctrine toxique « avec nous ou contre nous » ont été totalement exclus.
Par Alastair Crooke – Le 1e avril
2023 – Source Al Mayadeen
Pour de nombreux membres de la
classe dirigeante américaine, l’entente Chine-Russie conclue à Moscou au début de ce mois n’aurait jamais dû se produire – elle n’aurait d’ailleurs jamais pu se produire, car les réseaux de
Washington étaient obsédés par toutes les raisons qui font de la Chine et de la Russie des adversaires. Le choc a donc été profond et le scepticisme règne encore dans l’air printanier de
Washington.
Néanmoins, on y est. C’est fait. Indépendamment des documents historiques signés à Moscou, tout doute persistant quant à la nature transformatrice de l’accord
sino-russe aurait dû être dissipé par une analyse rapide de la récente succession d’événements : Ce mois-ci, la Chine a conclu un accord pour une nouvelle architecture de sécurité régionale en réunissant l’Arabie saoudite et l’Iran. Toujours en mars, le président Assad – longtemps paria de l’Occident – a pu être vu en visite
d’État à Moscou, avec tous les honneurs.
Peu après, le président Assad a effectué une visite très médiatisée aux Émirats arabes unis avec son épouse Asma. Au même moment, l’Irak et l’Iran ont signé un
accord de coopération en matière de sécurité destiné à mettre un terme à l’insurrection kurde, inspirée par les États-Unis, qui frappe l’Iran.
En clair, l’Arabie saoudite a déposé son arme salafiste wahhabite et l’Iran a donné des garanties qui ont dissipé les inquiétudes saoudiennes concernant son
programme nucléaire, pour la sécurité de l’infrastructure énergétique saoudienne. Les deux pays ont accepté de mettre fin à leurs guerres de propagande respectives et de cesser ensemble la guerre
au Yémen.
Ce qui, d’un seul coup, fait perdre tout intérêt au JCPOA. En effet, si le Conseil de coopération du Golfe est rassuré par l’« accord » conclu avec la Chine, quel est le
besoin d’un JCPOA (l’Iran reste signataire du traité de non-prolifération) ? Bien entendu, les États du CCG n’ont jamais pensé que les armes nucléaires étaient réellement viables dans le contexte
surpeuplé et entremêlé de la région, pas plus qu’ils n’ont cru que l’Iran était sur le point de garer des chars d’assaut « sur leur pelouse » .
Ce que les États du Golfe craignaient, c’était le fanatisme révolutionnaire chiite qui menaçait les monarchies, tout comme l’Iran se voyait pris dans les mâchoires
d’un encerclement pernicieux par des extrémistes djihadistes sunnites. Ces armes ont maintenant été mises de côté.
Le président Raïssi a été invité à Riyad par le roi Salman après l’Aïd. Aurait-on pu imaginer une telle chose il y a deux ans ?
Et n’oublions pas que la médiation, bien que menée par la Chine, est garantie implicitement par la Chine ET la Russie. Ce n’est pas rien. Cependant, les Américains
risquent de ne pas voir la partie la plus importante de cet accord : L’évolution des rôles régionaux de l’Arabie saoudite et de l’Iran. Quelques mois de diplomatie bien intégrée ont non seulement montré que les deux parties étaient des « acteurs habiles » , mais aussi qu’elles étaient
créatives et qu’elles savaient comment faire « le
gros du travail » de la vraie diplomatie. Comme l’a reconnu un éminent commentateur néo-conservateur américain, « aussi frustrant que cela puisse être, il y a une méthode dans
la folie des partenaires américains » .
Le rapprochement entre la Chine et la Russie a entraîné de grands changements : Des avions de chasse russes survolent régulièrement la base militaire américaine
d’al-Tanf, aux frontières de la Jordanie et de la Syrie, qui abrite une petite ville de forces « insurgées » entraînées par les
Américains.
Cette situation, ainsi que les fréquentes attaques à la roquette des milices contre les bases américaines dans le nord-est de la Syrie, indiquent que l’Amérique est
confrontée à une« fin de partie » en ce qui concerne son déploiement en Syrie.
« Il fut un temps où
toutes les routes passaient par Washington » , note Trita Parsi,
Mais au fil des ans, alors que la politique étrangère américaine s’est militarisée et que le maintien du prétendu ordre fondé sur des règles
signifiait de plus en plus que les États-Unis se plaçaient au-dessus de toutes les règles, l’Amérique semble avoir renoncé aux vertus d’un rétablissement honnête de la paix : nous avons
délibérément choisi une autre voie. L’Amérique s’enorgueillit de ne pas être un médiateur impartial.
Nous abhorrons la neutralité. Nous nous efforçons de prendre parti afin d’être « du bon côté de l’histoire » , car nous considérons la gestion de
l’État comme une bataille cosmique entre le bien et le mal, plutôt que comme la gestion pragmatique d’un conflit où la paix se fait inévitablement au détriment d’une certaine justice…
Mais tout comme l’Amérique a changé, le monde a également changé. Ailleurs, la « logique des films Marvel » apparaît pour ce qu’elle est : Des contes
de fées où la simplicité du combat du bien contre le mal ne laisse aucune place au compromis ou à la coexistence. Peu de gens ont le luxe de prétendre vivre dans de tels mondes
imaginaires.
Aujourd’hui, la région a collectivement décidé de « passer à autre chose » . Elle voit que le monde
est à l’aube d’une nouvelle ère. Washington peut être satisfait en présentant ces changements comme s’il s’agissait d’une forme de « triangulation » à la Henry Kissinger (comme le
suggère David Ignatius) : « Les Saoudiens
équilibrent désormais leur sécurité en jouant les États-Unis contre la Chine » .
La vérité brutale, cependant, est que cette transformation s’est produite parce que les États-Unis et leur doctrine toxique « avec nous ou contre nous » ont été totalement
exclus,et parce qu’« Israël » est trop occupé par
l’introspection.
L’Entente devrait entraîner des changements plus importants qu’une nouvelle architecture de sécurité régionale. Fareed Zakaria, de CNN, a lancé un avertissement :
Voici ce que j’en pense… Le résultat le plus intéressant du sommet Xi-Poutine, qui a été à peine rapporté, a été la déclaration de Poutine : « Nous sommes
favorables à l’utilisation du yuan chinois pour les règlements entre la Russie et les pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine. »
Ainsi, la deuxième économie mondiale (sic !) et son plus grand exportateur d’énergie tentent activement d’affaiblir la domination du dollar en tant que point
d’ancrage du système financier mondial. Y parviendront-ils ? … Le dollar est le dernier super pouvoir américain encore en vie. Il donne à Washington une puissance économique et politique
inégalée… La guerre en Ukraine, combinée à l’approche de plus en plus conflictuelle de Washington à l’égard de la Chine, a créé une tempête parfaite dans laquelle la Russie et la Chine
accélèrent leurs efforts pour se diversifier et s’éloigner du dollar…
La militarisation du dollar par Washington a conduit de nombreux pays importants à chercher des moyens [d’éviter les sanctions américaines]. La monnaie
américaine pourrait-elle être affaiblie par « mille coupures » ? C’est un scénario probable. Pour la première fois de mémoire d’homme, nous sommes confrontés à une crise financière
internationale dans laquelle le dollar s’affaiblit au lieu de se renforcer. Signe d’une prise de conscience à venir ?
« Les
Américains devraient s’inquiéter » , c’est ainsi que Zakaria termine son émission.
Alastair
Crooke
Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
« L’UE veut utiliser
l’argent des sanctions contre la Russie pour financer la reconstruction de l’Ukraine. Mais il faut d’abord trouver l’argent, et la situation juridique n’est pas claire, comme le montrent
des documents non publiés. Mais Bruxelles a trouvé une astuce ».
Mais, mais… maintenant ils concluent que l’UE ne peut pas toucher à ces fonds et qu’ils doivent être rendus à la Russie une fois les hostilités terminées,
en admettant qu’ils les trouvent. Comme le chantait Carole King, il est trop tard. L’Occident combiné a volé cet argent à la Russie et maintenant toute tentative de jouer
« judiciairement » est risible – il est trop tard. L’UE a montré ce qu’elle était et il n’y a rien à dire : L’UE paiera pour la restauration du pays 404, y compris pour les
territoires qui ont été rattachés à la Russie, et cela ne se fera pas en « investissant » les fonds de la Russie dans les plans foireux de l’UE et en utilisant les intérêts de
ces fonds pour payer la restauration de 404. L’UE, tout comme les États-Unis, est incapable de conclure un accord, un point c’est tout. La Russie a tiré les conclusions qui
s’imposaient.
Dans le même ordre d’idées, le grand patron de la CIA, Burns, a remarqué :
« Le rôle dominant des
États-Unis dans le monde ne peut plus être garanti, car le pays connaît une période de changement « qui n’arrive que deux fois par siècle », a déclaré Bill Burns, directeur de
la CIA. S’exprimant à l’Institut Baker en début de semaine, Burns a déclaré que même si Washington « a toujours une meilleure carte à jouer que n’importe lequel de ses rivaux »,
il n’est « plus le seul grand enfant du bloc géopolitique et notre position en haut de la table n’est pas garantie ». Le chef de la CIA a souligné les liens croissants entre la
Chine et la Russie, qui, selon lui, constitueront un « formidable défi » pour son agence dans les années à venir. Selon Burns, Pékin « ne se contente pas d’avoir un siège à
la table ; il veut prendre le contrôle de la table », tandis que la Russie cherche à « bouleverser la table ». »
Bonne chance pour essayer d’« espionner » la Russie ou la Chine. Mais j’ai des nouvelles pour la CIA et son Livre des Faits mondial : la plupart des
données économiques sur la Russie qui y figurent sont essentiellement des conneries écrites par les adeptes des « méthodes » de Wall Street, tout comme, d’ailleurs, les données
sur l’économie américaine qui est beaucoup plus petite qu’elle n’est décrite. Ils devraient oublier d’utiliser le dollar américain comme mesure de tout ce qui a trait à l’économie réelle,
car ce n’est rien d’autre qu’un tour de passe-passe pseudo-économique utilisé par les États-Unis pour diriger les institutions financières. Et oui, la table a été complètement renversée
et c’est un fait accompli. Mais même le FMI ne peut
plus cacher les faits, même s’il trafique ses propres données :
« Le Fonds monétaire
international (FMI) a revu à la hausse son estimation de la croissance économique russe en 2023, a indiqué le Fonds dans son rapport sur les perspectives de développement économique
mondial publié le 12 avril. Le FMI s’attend à ce que le PIB national russe augmente de 0,7% en 2023, contre une précédente prévision de croissance de 0,3% pour cette année. Il s’attend
également à ce que la croissance soit de 1,3% l’année prochaine, soit moins que la prévision précédente de 2,1%, les sanctions continuant à faire sentir leurs effets. L’inflation en
Russie a été de 13,8% en moyenne l’année dernière, selon le FMI. L’inflation devrait tomber en dessous du taux cible de 4% de la Banque centrale russe (BCR) dans les mois à venir, en
raison de faibles effets de base, mais elle augmentera à nouveau au cours du second semestre de cette année pour atteindre environ 8%, selon la BCR. Le Fonds prévoit que l’inflation
tombera à 7% en 2023 et à 4,6% en 2024. »