France-Turquie : L’esprit de Munich plane sur la Méditerranée

...par Laurent Chauvet - Le 18/06/2020.

Le ministère des Armées a confirmé, ce mercredi 17 juin, la manœuvre « extrêmement agressive » d’un navire turc à l’encontre d’un bâtiment français, la frégate Courbet, au large de la Libye, alors que cette dernière participait à une opération navale de l’OTAN. Le navire turc mis en cause, la frégate Gökova, escortait un cargo de marchandises, le Cirkin, suivi à la trace depuis plusieurs semaines par la France et ses alliés car suspecté d’être utilisé pour livrer des équipements militaires au gouvernement d’union nationale de Tripoli, en dépit de l’embargo sur les armes imposé à la Libye par l’Union européenne. La frégate française, prenant contact avec le cargo suspect afin de l’arraisonner, subit alors trois « illuminations radar » de la part de la frégate Gökova, qui consistent à accrocher un navire afin de guider un éventuel missile. Cet acte, jugé extrêmement agressif par les autorités françaises, puisqu’il précède en théorie l’ouverture du feu, est rarissime entre des pays théoriquement alliés, puisque tous deux sont membres de l’OTAN.

Cet accrochage entre les marines française et turque n’est pas un fait divers isolé et doit être replacé dans le contexte d’une montée des tensions en Méditerranée orientale qui répond logiquement à la politique expansionniste et nationaliste d’Erdoğan. La Grèce voit ainsi les provocations turques se multiplier, comme le confiait récemment, au Figaro, Níkos Déndias, ministre des Affaires étrangères grec : violations de l’espace aérien et des eaux territoriales de la Grèce, survol des îles grecques par des avions de chasse armés… Souhaitant mettre en garde son homologue français, et plus largement ses alliés européens, contre la menace turque en Méditerranée, le chef de la diplomatie grecque aura sans doute bien du mal à convaincre l’Union européenne de prendre la mesure du danger.

Malgré l’embargo de l’Union européenne et le lancement de la mission navale Irini pour le faire respecter, les tentatives des marines européennes d’inspecter des navires suspects protégés par la marine turque ne débouchent, pour l’instant, que sur un retrait prudent de nos forces face à la véhémence des militaires turcs. Si la France et l’Union européenne entendent faire respecter leurs décisions et maintenir leur crédibilité, il faudra plus qu’une vague et molle « dénonciation » du ministère des Armées.

Nos dirigeants semblent englués dans une vision béate et pacifiste de la diplomatie qui rappelle furieusement la montée des périls des années 1930 : L’esprit munichois a encore frappé, mais en Méditerranée.

 

Laurent Chauvet

professeur d'histoire-géographie

 

Source : https://www.bvoltaire.fr/france-turquie-lesprit-de-munich-plane-sur-la-mediterranee/?utm_source=rss&utm_medium=rss&utm_campaign=france-turquie-lesprit-de-munich-plane-sur-la-mediterranee&utm_source=La+Gazette+de+Boulevard+Voltaire&utm_campaign=50fa4cc436-MAILCHIMP_NL&utm_medium=email&utm_term=0_71d6b02183-50fa4cc436-31040957&mc_cid=50fa4cc436&mc_eid=c2875309d7 

Commentaires: 1
  • #1

    LEROY (samedi, 20 juin 2020 07:50)

    Il est évident que Erdogan surfe sur la paralysie américaine, sur son soutien - car vu de Wahington, seule l'armée turque serait en mesure de s'opposer à la Russie - sur la faiblesse endémique de l'UE, sur les difficultés de l'armée britannique (recrutement notamment, mais aussi finances) et sur les retraits américains tant au Proche Orient qu'en Europe. Cette somme de faits favorables lui permettent de s'engager plus avant.
    Cependant à force d'éparpiller son armée (Chypre, Syrie, Libye, et à présent Irak) on peut espérer des difficultés logistiques, puis financières, puis Moral des troupes et enfin sociétales. C'est tout ce que nous sommes en mesure d'espérer ! car nous sommes, nous français dans l'incapacité d'agir ou même de gesticuler tant nos armées sont affectées sur différents théâtres.