COHÉRENCE

Rétablir une cohérence entre contexte international, politique étrangère, menaces et capacités des forces armées

...par le Gal. J-B. Pinatel - Le 17/01/2022.

Contexte international, politique étrangère, menaces et capacités des forces armées, constituent quatre domaines régaliens de réflexion et d’action qui ne sont pas indépendants. Les décisions qui sont prises ou les actions qui sont conduites dans chacun de ces domaines induisent des contraintes importantes sur les autres.

      Ainsi, les capacités de nos forces armées doivent être en cohérence avec les menaces auxquelles elles sont ou pourraient être confrontées à long terme (20 ans). Or, les menaces contre notre sécurité et nos intérêts résultent d’un contexte international largement déterminé par les décisions des grands acteurs internationaux et aussi par celles de nos gouvernements en matière de politique étrangère. Ces décisions sont elles-mêmes influencées par les courants de pensée, les luttes pour le pouvoir et les lobbies agissant au sein des dirigeants politiques.

      La réponse aux menaces militaires que proposent les institutions militaires au pouvoir politique dépend aussi des décisions prises dans le passé pour l’organisation des forces, des systèmes d’armes existants, des capacités industrielles de défense et de leur dynamique d’évolution ainsi que de l’évolution des concepts des stratégies opérationnelles.

      Le but de cette analyse est de constater l’incohérence totale qui règne aujourd’hui en France dans ce « continuum », notamment à cause de la pollution de l’esprit de nos dirigeants qui, depuis 15 ans, ont renoncé à toute autonomie stratégique, victimes de ce que le Général de Gaulle avait confié à Alain Peyrefitte : « Le grand problème, maintenant que l’affaire d’Algérie est réglée, c’est l’impérialisme américain. Le problème est en nous, parmi nos couches dirigeantes, parmi celles des pays voisins. Il est dans les têtes ».

      Faisons un inventaire rapide des facteurs déterminants cette chaine stratégique.

      Le contexte international est dominé par la compétition pour la suprématie mondiale entre les États-Unis et la Chine. Ces deux superpuissances diffèrent par la civilisation, le régime politique, la langue, l’histoire, la situation géopolitique et rien ne les rapproche sinon leurs capacités à réaliser une combinaison efficace entre une économie d’État[1] et une économie capitaliste. Dans ce contexte, le débat est ouvert aux États-Unis sur la question de savoir s’il faut toujours considérer la Russie comme un ennemi avec le risque de renforcer le camp chinois. Mais un rapprochement avec l’ennemi d’hier, s’il était décidé, devrait, pour les stratèges américains, éviter toute alliance stratégique entre l’Europe et la Russie qui pourrait être un élément perturbateur de la division du monde en deux camps opposés, et compliquerait pour Washington la gestion de cet affrontement bipolaire.

      La politique étrangère de la France n’a plus de ligne directrice depuis 15 ans sinon de ne rien faire qui puisse s’opposer aux Etats-Unis tout en affichant une volonté chimérique de créer « l’Europe de la défense » complémentaire à l’OTAN, dont nos partenaires européens ne veulent pas, et en particulier l’Allemagne qui préfère s’en remettre aux américains pour sa défense. Il est bon de rappeler que l’armée américaine, selon les données qu’elle a publiées, dispose de 29 000 hommes de l’armée de terre en Allemagne, répartis dans cinq garnisons[2], auxquels il faut ajouter le “US Marine Corps of Europe and Africa” avec son siège à Böblingen dans le Sud-Ouest de l’Allemagne et environ 9600 membres de l’US air force se répartissant sur les différentes bases de l’armée de l’air allemande.

      Notre diplomatie poursuit depuis 10 ans, sans aucune avancée significative, le projet affiché par Nicolas Sarkozy lorsqu’il a décidé de réintégrer le commandement militaire de l’OTAN.  En effet, Les 3 et 4 avril 2009, il déclarait : « L’Europe sera désormais un pilier encore plus important, plus fort de l’Alliance. Parce que les États-Unis ont compris que l’Europe de la défense, ce n’était pas en opposition avec l’OTAN, c’était en complément de l’OTAN. Nous voulons les deux : le lien transatlantique et l’Europe de la Défense. » Le Président Emmanuel Macron en a fait le constat amer, dix ans plus tard, en novembre 2019 dans un entretien à The Economist, prenant l’exemple du désengagement américain vis à vis des Kurdes et du comportement de la Turquie, il déclare que l’OTAN est en état de « mort cérébrale ». Explicitant ainsi sa pensée : « Il n’y a aucune coordination de la décision stratégique des États-Unis avec les partenaires de l’OTAN et nous assistons à une agression menée par un autre partenaire de l’OTAN, la Turquiedans une zone où nos intérêts sont en jeu ». Mais à son habitude, après ce constat que je partage, il n’en a tiré aucune décision en matière d’action.

      La poursuite par François Hollande et par Emmanuel Macron du projet du Président Sarkozy a induit des conséquences néfastes pour notre doctrine militaire et nos capacités militaires. En effet, il oblige nos armées à disposer d’une gamme complète de capacités militaires pour pouvoir intervenir dans un environnement stratégique qui couvre un quart de cercle d’un rayon de 6000 km de l’Est vers le Sud.

      Nos armées doivent pouvoir s’opposer, avec des forces aéroterrestres à dominantes spéciales, en France et en Afrique, aux actions actuelles et futures des organisations islamiques soutenues par des États comme la Turquie et l’Algérie et par des sponsors privés fortunés de la péninsule arabique. Elles doivent parallèlement être en mesure, dans le cadre de l’OTAN, de faire face à un combat aéroterrestre classique de « haute intensité » contre une hypothétique menace russe.  Et cela, alors même qu’une intervention contre la Turquie, membre de cette organisation, qui menace la Grèce et Chypre et qui soutient les milices islamiques en Afrique ne peut être exclue. Elle prendrait alors surement la forme d’une action de nature aéromaritime. Comme le serait aussi une action de soutien au Maroc si d’aventure l’oligarchie algérienne, pour créer un réflexe patriotique dans une population qui la rejette, transformait le différend concernant le Sahara occidental en crise chaude avec le Maroc comme ce fut le cas à la fin des années 1970 et 80.   

      Il résulte de ce contexte stratégique et d’une politique étrangère alignée sur celle des États-Unis que, malgré le début de rattrapage de notre effort militaire depuis 2018, nous avons une « armée d’échantillon » avec des trous capacitaires très importants qui nous interdisent toute autonomie stratégique.

      En effet, une partie de notre effort militaire, comme celui des huit autres acteurs possédant l’arme atomique[3], est consacré à notre dissuasion nucléaire. Héritage de la guerre froide, celle-ci nous donne la capacité de dissuader toute agression majeure contre nos intérêts vitaux dont la définition reste volontairement imprécise mais que l’on peut raisonnablement limiter à notre territoire.

      Cette dissuasion nucléaire, qui est la garantie d’interdire toute agression majeure contre son propre territoire, ne peut être étendue pour protéger d’autres États amis d’une agression classique conduite par un autre État disposant lui aussi de capacités nucléaires. En effet, qui peut penser que le Président américain risquerait d’exposer les États-Unis à une riposte nucléaire chinoise en déclenchant une frappe nucléaire contre une attaque des troupes chinoises visant à s’emparer de Taïwan.

      Cette capacité nucléaire, qui reste le socle de notre défense et qui nous confère un statut de grande puissance, nous fournit, comme aux autres puissances nucléaires, un avantage stratégique considérable : la liberté stratégique de mener des interventions classiques ou par acteurs interposés dans des régions qui ne mettent pas en cause les intérêts vitaux des autres puissances nucléaires[4].

Alors que faire ?

      Dans la hiérarchie des menaces, il faut afficher clairement que la menace immédiate et future est le projet politico-religieux porté par les organisations islamistes radicales et les états, organisations ou sponsors qui les aident. Sur notre sol, ces organisations islamiques ne visent pas à créer des clusters « séparatistes » comme l’a déclaré le Président Macron, à qui il faut cependant rendre hommage d’avoir identifié pour la première fois le radicalisme islamique comme une menace pour la France. Mais comme l’écrit Marie-Thérèse Urvoy[5] : « l’islamisme ne vise pas à séparer mais à conquérir. » Il veut s’emparer de pans entiers de notre territoire pour y faire régner La loi islamique[6]. Cette guerre, qui est de nature révolutionnaire dans le sens premier de ce terme, se déroule principalement dans la communauté algérienne et turque dont les imams venant de ces pays contrôlent « les grandes mosquées » grâce au soutien financier important que leur fournissent les pouvoirs algérien et turc. Ces pays disposent ainsi sur notre sol d’une véritable « cinquième colonne ». On a pu constater le pouvoir que cela confère à Erdogan sur la politique allemande où la communauté turque se chiffre en millions d’individus.

      Lutter contre ces organisations qui visent, par la prédication, la menace et la terreur à radicaliser nos compatriotes musulmans, mobilise une partie de nos forces armées pour des missions de garde quasi-statiques (opération sentinelle) avec un impact négatif sur le moral de nos soldats et sur leur préparation opérationnelle pour les missions extérieures qui sont leur vocation.

      En matière de politique étrangère, tout en affirmant son soutien total aux États-Unis face à la Chine, la France doit prendre la tête d’un rapprochement avec la Russie en s’opposant résolument à toutes les provocations de l’OTAN et à la volonté des dirigeants ukrainiens de rejoindre l’alliance atlantique. Elle doit mettre son appartenance à l’organisation militaire intégrée de l’OTAN dans la balance pour en exiger l’exclusion de la Turquie qui mène une politique d’agression caractérisée contre nos intérêts et ceux de nos alliés de l’Union européenne.

      Cet impératif diplomatique doit être accompagné d’un effort militaire important pour combler nos impasses capacitaires et améliorer la condition militaire car aujourd’hui les armées ont du mal à fidéliser leurs personnels sur lesquels pèsent des contraintes sans commune mesure avec celles des autres agents de l’État.

      Sur le plan intérieur il est essentiel que nos leaders politiques ne confondent pas dans leurs discours les musulmans, la pratique de leur foi et ces déviances radicales de l’Islam.

      Parallèlement, il faut compléter la législation sur le terrorisme qui est apparue en France après la vague d’attentats de 1986. Cette législation a été renforcée après les attentats de 2015, par la promulgation de la loi relative au renseignement ; par la loi de prorogation de l’état d’urgence en juillet 2016 avec le retour de la « double peine » pour les terroristes de nationalité étrangère et par la loi SILT du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme qui institue des mesures de prévention contre le terrorisme, comme les périmètres de protection, les assignations individuelles à un périmètre géographique, ou des perquisitions. Cette dernière vise à mettre fin à l’état d’urgence en reprenant une partie de ses dispositions[7].

      Parmi les mesures fortes que plusieurs candidats à l’élection présidentielles proposent, Il y en a trois qui me paraissent essentielles. Il faut donner à l’État la possibilité d’expulser sans délai tous les étrangers qui sont délinquants récidivistes ou qui se livrent à des actions de prédication islamique ou à des actes terroristes et appliquer le même traitement aux binationaux après les avoir déchus de leur nationalité française. Il faut rétablir dans notre législation le délit d’immigration clandestine, ce qui permettra à l’administration de placer ceux qui le commettent dans des camps de rétention en attendant de les expulser vers leur pays d’origine. Il est nécessaire de limiter l’immigration légale en adoptant par voie parlementaire des quotas, comme le font les pays anglo-saxons, en fonction de nos besoins.  Ces trois mesures sont essentielles pour diminuer la pression qui s’exerce sur tout le système policier et pénal et qui conduit leurs responsables à prendre des décisions de gestion ubuesques qui font perdre aux français la confiance dans les institutions de la République. Les débats qui préparent l’élection présidentielle sont l’occasion d’une mise à plat de cette politique régalienne incohérente qui, si elle se prolonge en l’état, conduira au délitement total de l’autorité de l’État et à des situations intérieures incontrôlables qui mettront en cause gravement la sécurité des français et l’identité même de la France.


[1] Le complexe militaro-industriel américain qui dispose d’un budget de l’ordre de 1000 milliards mérite ce terme soit près de 5 fois le PIB Russe 2019

[2] Bayern : 10750 ; Rheinland-Plalz :7000 ; Stuttgart : 4700 ; Ansbach :4450 ; Wiesbaden : 2100

[3] Etats-Unis, Chine, Russie, Grande-Bretagne, France, Inde, Pakistan, Israël, Corée du Nord

[4] C’est ce que la France a fait seule en 1978 à Kolwezi contre des forces encadrées par des cubains alors qu’elle avait dû stopper l’intervention de Suez menée conjointement avec la Grande-Bretagne devant la menace des deux grands

[5] Islam et Islamisme, frères ennemis ou frères siamois, Artége, Octobre 2021 ;

[6] Théorisée par AL Banna, le fondateur des Frères Musulmans. Al Banna voulait imposer le TAMKINE mondial (la prise de pouvoir et sa possession), en sept étapes : 1. Eduquer l’individu musulman; 2. Eduquer le foyer musulman ; 3.  Composer le peuple musulman ;4.  Installer un gouvernement musulman en Egypte ; 5. Etendre le gouvernement musulman au monde musulman (aujourd’hui près de deux milliards d’individus) ;    6. Permettre à la bannière d’Allah de flotter sur toutes les contrées occidentales qui avaient connu le bonheur de l’Islam (notamment la France jusqu’à Poitiers et à Sens). 7. Proclamer notre appel à l’Islam dans le monde entier

[7]L’état d’urgence est une forme d’état d’exception permettant aux autorités administratives (ministre de l’Intérieur, préfet) de prendre des mesures restreignant les libertés ( interdiction de la circulation, remise de certaines catégories d’armes, assignations à résidence, fermeture de certains lieux, interdiction de manifester, perquisitions administratives de jour et de nuit. Ainsi, il dessaisit l’autorité judiciaire de certaines de ses prérogatives. Contrairement à l’état de siège, il n’implique pas les forces armées

 

Source : Geopragma

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