Xi Jinping et l’image abîmée de la Chine

...par Hélène Nouaille - Le 12/06/2021.

Source : ASAF
GEOPOLITIQUE : Xi Jinping et l’image abimée de la Chine

Branle-bas dans la presse européenne : le président américain Joe Biden est en Europe. Il a atterri le 9 juin au Royaume-Uni, le vieil allié. Au programme, après une rencontre avec Boris Johnson, réunion du G7 ce 11 juin en Cornouailles, puis sommet de l’OTAN à Bruxelles à partir de lundi 14 juin. Autour de quel thème ? « Biden vient dire à l'Europe de se ressaisir dans la course à la suprématie mondiale qui s'annonce avec Pékin », explique le Guardian britannique qui met en avant que « les États-Unis risquent d'être supplantés par la Chine en tant que première puissance mondiale d'ici quelques décennies, et que pour Washington cette idée est tout simplement consternante » (1).

Ce qui est moins traité dans les médias, c’est la réflexion chinoise sur la situation du pays aujourd’hui : où en est la Chine de son rêve de « magistère mondial » ? Où en est son image ? Envisage-t-elle de tenir la même stratégie de puissance affirmée ?

Parce que l’offensive américaine est organisée, après Donald Trump, par Joe Biden. « L’une des premières décisions de son mandat aura en effet été de mettre en place un groupe de travail pour élaborer une stratégie plus ferme à l’endroit de la Chine, dont il est attendu que ses capacités militaires également celles des États-Unis à moyen terme » confirme Laurent Lagneau pour Opex360 (2). En notant que, le 9 juin, « le sénat américain a adopté un plan doté de 170 milliards de dollars afin de financer un effort ambitieux en matière de recherche et de développement… afin de contrer, là encore, la Chine ». En Europe – où il n’y a pas d’unanimité sur la question chinoise, on sait comment les Américains ont réussi à couler l’accord global sur les investissements promu par Angela Merkel – nous l’avons évoqué ici en mai dernier (3).

Du côté asiatique, la tension est montée entre Canberra et Pékin – l’Australie membre du QUAD (Quadrilateral Security Dialogue, créé en 2007) qui réunit les Etats-Unis, l’Inde et la Japon avec pour objectif, selon le communiqué conjoint d’après le sommet du 12 mars dernier (4), de garder « une région libre, ouverte, inclusive, saine, ancrée dans des valeurs démocratiques et non contrainte par la coercition ». Bien que la Chine soit son premier client, le gouvernement australien a pris diverses mesures contre Pékin (veto à une dizaine de projets d’investissements chinois dans les domaines miniers et industriels,  retrait du projet des Routes de la Soie, etc.). Ce à quoi les Chinois ont répliqué en bloquant leurs ports sans préavis, ou en multipliant les taxes sur les importations australiennes. Et, selon le Global Times chinois, en menaçant « d’envoyer des missiles sur l’Australie si celle-ci intervenait dans un conflit sino-taïwanais » - rien de moins (5).
Et si l’on regarde bien, on voit les Allemands eux-mêmes convenir d’un « partenariat stratégique » avec l’Australie : « Une déclaration commune à cet effet a été signée hier par les ministres des affaires étrangères des deux pays » signale le site allemand German Foreign Policy le 10 juin (6). « Le document se concentre sur l'expansion systématique de la coopération militaire et de l'industrie de l'armement et, outre le "renforcement des capacités dans la région indo-pacifique", prévoit la finalisation d'un "protocole d'accord pour un partenariat spatial militaire" entre Berlin et Canberra » (6). Sans oublier, à la mi-mai, les manœuvres conjointes (ARC21) avec des forces françaises, américaines et japonaises au large du Japon, simulant la reconquête d’une île.

Ce qui faisait sèchement réagir le quotidien China Daily (7). « L'implication des armées française et australienne dans ces eaux est sans précédent. Mais pour justifier ces jeux de guerre, qui comprennent des exercices d'avions de chasse et d'opérations amphibies, le ministre japonais de la défense, Nobuo Kishi, a déclaré que Tokyo cherchait à étendre ses liens militaires avec des pays "partageant les mêmes idées" que les Etats-Unis ». Ajoutant – on connaît le différend opposant Chinois et Japonais sur les îles Senkaku : « le Japon pourrait également vouloir faire passer le message que davantage de membres du système d'alliance américain le soutiennent désormais, dans l'espoir que cela contribue à renforcer sa position dans les différends maritimes avec la Chine concernant les îles de la mer de Chine orientale ». Et concluant : « Par conséquent, les jeux de guerre en cours aux portes du Japon et en mer de Chine orientale peuvent être perçus comme une étape dans la mise en œuvre de la politique américaine de confrontation avec la Chine (…). Mais la Chine ne se laissera pas intimider par la pression stratégique exercée par les États-Unis seuls ou par tout groupe d'alliés qu'elle pourrait former. Il est loin le temps où la Chine était un pays faible qui n'avait d'autre choix que de céder à l'invasion et aux brimades des puissances occidentales ».

Vraiment ? Parce que le sinologue François Danjou (8) remarquait, lui, un infléchissement dans le discours du président Xi Jinping – et même ce qui pourrait être une « volte-face », sans qu’on sache à ce point si cette « bascule » est de sa propre initiative ou due à des dissensions internes à l’appareil inquiet de l’isolement du pays. Ni son effet réel sur la politique étrangère chinoise.

C’est au cours d’un séminaire du Bureau politique le 31 mai dernier que le président a appelé les cadres du parti à « élargir le cercle des amis » du pays, précisant que « le pays devrait se montrer ouvert et confiant dans sa communication avec le monde en même temps que modeste et humble » - propos rapportés par l’agence chinoise Xinhua. Un retour à la prudence de Deng Xiaoping, n° 1 de 1978 à 1992 et promoteur de la réforme économique chinoise ? Il prônait, repris par ses successeurs, Hu Jintao compris (2002-2012) une habileté habillée d’humilité. Or, rappelle François Danjou, « Xi Jinping avait », dès 2012 et plus encore lors du 19e Congrès en 2017, « tourné le dos aux conseils de prudence stratégique et de patience de Deng Xiaoping – ‘‘cachez l’éclat de votre puissance et cultivez l’ombre’’ ». Son attitude, si elle a pu rencontrer quelques réserves au sein du parti, a servi de « principal carburant interne au nationalisme exacerbé de l’opinion ». Et depuis 2012, l’opinion patriote et les nationalistes chinois « avancent aux côtés du n°1 sur le chemin de gloire du ‘‘rêve chinois’’ balisé par le ‘‘double centenaire’’ de la création du Parti cette année et de son accession à la tête de la Chine en 2049 ». Dans ce contexte, « revenir à une stratégie mondiale apaisée, alors que perdurent les contentieux en mer de Chine du sud et dans le Détroit de Taïwan, tandis que les envoyés de Pékin continueraient depuis leurs ambassades à exercer leur charge sur le mode du « loup guerrier » pourrait s’avérer difficile ».

Mais ce qui pourrait s’avérer plus difficile encore, sinon catastrophique, serait que soit avéré le soupçon occidental sur l’origine du coronavirus, soupçon initié très tôt par Donald Trump et alors moqué par les Démocrates puis repris avec force par Joe Biden devenu président. Serait-il effectivement originaire de Chine, et plus précisément du laboratoire de Wuhan, ce qu’a toujours nié Pékin ? Parce qu’il a provoqué plus de trois millions de morts – et une catastrophe économique planétaire. « La féroce résistance du régime à toute nouvelle investigation sur place pourtant réclamée par l’OMS et récemment par un groupe de scientifiques indépendants, signale que l’appareil voit dans la persistance de la rumeur une puissante menace politique. Si la preuve en était établie – à la suite par exemple de confidences de chercheurs chinois eux-mêmes – les dégâts pour la réputation du Parti à l’intérieur même déclencheraient un cataclysme politique ».

Très bon connaisseur de la vie intérieure chinoise, François Danjou sait bien qu’en dépit d’un contrôle féroce, des voix dissidentes du pouvoir s’expriment en Chine. Si les médias et leurs journalistes « se sont alignés sur les réseaux sociaux dont le patriotisme exacerbé » a été attisé par le pouvoir lui-même, « il est faux de croire que la mouvance des journalistes, universitaires et même hommes politiques, attachés à la critique, au doute et au débat, a disparu ». Ainsi s’exprime parmi d’autres un analyste indépendant, Wu Qiang, qui résume parfaitement la position difficile de Xi Jinping : « La Chine est confrontée au pire isolement international depuis la réforme et l’ouverture de la fin des années 1970 ». Mais si « Xi a effectivement admis l’échec de la relation avec l’étranger et l’isolement du pays », et parce qu’il a lui-même encouragé l’humeur belliqueuse de l’opinion chinoise, « il lui sera difficile de modifier », hors quelques « ajustements, la stratégie globale du pays ». Il a peu de marge de manœuvre pour associer humilité et modestie aux rêves de grandeur, au désir de revanche de l’opinion – une humeur qui lui a permis d’étouffer les critiques des dissidents.

Xi Jinping est tombé dans le piège que Deng Xiaoping recommandait d’éviter. La Chine n’est plus un pays faible, mais un pays mal aimé.

Hélène NOUAILLE
La lettre de Léosthène,
(12 juin 2021)
http://www.leosthene.com 

 

Notes 

(1) RFI, le 9 juin 2021, Véronique Rigolet, A la Une : la menace chinoise au cœur de la tournée européenne du président Biden
https://www.rfi.fr/fr/podcasts/revue-de-presse-internationale/20210609-%C3%A0-la-une-la-menace-chinoise-au-c%C5%93ur-de-la-tourn%C3%A9e-europ%C3%A9enne-du-pr%C3%A9sident-biden

(2) Opex360, le 10 juin 2021, Laurent Lagneau, Le Pentagone adopte une directive pour mettre ses troupes en ordre de marche face à la Chine
http://www.opex360.com/2021/06/10/le-pentagone-adopte-une-directive-pour-mettre-ses-troupes-en-ordre-de-marche-face-a-la-chine/ 

(3) Voir Léosthène n° 1563/2021 du 19 mai 2021, Accords UE-Chine : les Américains l’emportent

(4) White House, le 12 mars 2021, Quad’s Leaders Joint Statement : « The spirit of the Quad »

https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2021/03/12/quad-leaders-joint-statement-the-spirit-of-the-quad/

(5) Le Figaro, le 8 juin 2021, Armelle Bohineust, Chine contre Australie: les raisons de l’escalade
https://www.lefigaro.fr/conjoncture/embargos-surtaxes-intimidation-un-an-d-escalade-entre-la-chine-et-l-australie-20210607

(6) German Foreign Policy, le 11 juin 2021, Fähigkeitsaufbau im Indo-Pazifik (Le renforcement des capacités dans la région indo-pacifique)
https://www.german-foreign-policy.com/news/detail/8624/ 

(7) China Daily, le 13 mai 2021, Game players must be wary of miscalculation : China Daily editorial
https://www.chinadaily.com.cn/a/202105/13/WS609d1158a31024ad0babdbc0.html

(8) Question Chine, le 9 juin 2021, François Danjou, Xi Jinping met en scène une très aléatoire volte-face stratégique. Elle n’est pas sans risques
https://www.questionchine.net/xi-jinping-met-en-scene-une-tres-aleatoire-volte-face-strategique-elle-n-est-pas

 

 

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