Terrorisme islamiste en Syrie : quand la Russie appuie là où ça fait mal

par Caroline Galactéros - le 05/05/2016.


Docteur en Science politique, ancien auditeur de l'IHEDN, elle a enseigné la stratégie et l'éthique à l'Ecole de Guerre et à HEC. C

olonel de réserve, elle dirige aujourd'hui la société de conseil PLANETING et tient la chronique "Etat d'esprit, esprit d'Etat" au Point.fr.

Elle a publié "Manières du monde. Manières de guerre" (éd. Nuvis, 2013) et "Guerre, Technologie et société" (avec R. Debray et V. Desportes, éd. Nuvis, 2014).

Polémologue, spécialiste de géopolitique et d'intelligence stratégique, elle décrit sans détours mais avec précision les nouvelles lignes de faille qui dessinent le monde d'aujourd'hui.


L’ambassadeur de Russie aux Nations unies, Vitali Tchourkine, a déposé une requête auprès du Comité antiterroriste pour que ce dernier inscrive les factions rebelles Ahrar al-Sham et Jaïch al-Islam sur la liste des organisations terroristes. L’ambassadeur explique en effet que « ces groupes combattant en Syrie sont étroitement liés aux organisations terroristes, principalement à l’Etat islamique et à Al-Qaïda qui leur fournissent un soutien logistique et militaire ».

 

En réalité, cette requête avait été élaborée il y a plusieurs mois, mais Moscou s’était abstenu de l’adresser à l’ONU par égard pour les « progrès » réalisés dans le cadre des pourparlers de paix de Genève. L’effritement progressif du cessez-le-feu en Syrie pousse les Russes à révéler le pot aux roses car, en réalité, aucun cessez-le-feu n’est tenable tant que les Occidentaux ne reconnaîtront pas la porosité complice entre les prétendument « rebelles modérés » et les méchants islamistes.

 

Il devient difficile et par trop hypocrite pour la coalition dite occidentale de prétendre vouloir la fin des combats et une solution politique viable tout en soutenant matériellement une architecture de groupuscules ultra-violents qui n’existent politiquement que par la guerre et veulent l’éviction pure et simple du régime. Persister à nier la nature terroriste d’Ahrar al-Sham et de Jaïch al-Islam (pourtant sans équivoque si l’on observe leurs combattants, leurs modes d’action et leur objectif commun déclaré d’établir un Etat islamique en Syrie …) relève d’un aveuglement de plus en plus injustifiable.

Ceux qui refusent l’évidence pourraient plus simplement encore observer les coalitions de la rébellion syrienne qui existent dans chaque gouvernorat et qui établissent clairement la complicité entre Ahrar al-Sham, Jaïch al-Islam et Al-Qaïda.

 

Ainsi, à Damas, la coalition Jund al-Malahim (les Soldats de l’Aventure) réunit le Front al-Nosra (la branche syrienne d’Al-Qaïda) et Ahrar al-Sham. Si Jaïch al-Islam ne fait pas partie de cette coalition, en revanche, ce groupe armé fait partie avec Ahrar al-Sham du Front islamique. A Alep, ville martyre quasi vidée de sa population - réfugiée dans les parties du territoire syrien sous contrôle du régime - et que tout le monde manifestement ne veut pas voir libérée de la gangrène islamiste, la coalition Ansar al-Charia (les Partisans de la Charia) regroupe elle aussi Ahrar al-Sham et Al-Nosra.

Ces éléments sont parfaitement connus, les protagonistes eux-mêmes se réclament de cette connivence. mais, dans un tel capharnaüm (on comprend à quelle fin !) médias et dirigeants politiques occidentaux ne se donnent pas la peine de détailler ce camaïeux de vert foncé pour lui préférer l’appellation fourre-tout de « rebelles ».

 

La Russie, en appelant l’ONU à identifier Ahrar el-Sham et Jaïch al-Islam comme organisations terroristes au même titre qu’Al-Qaïda ou que l’EI, ne fait qu’énoncer au grand jour une évidence savamment escamotée ou a minima esquivée par nos chancelleries.

Moscou révèle en creux nos louvoiements et reculades.

Certains pourtant ne s’en laissent pas conter. Nous l’avions rappelé il y a peu sur ce blog, les responsables militaires français, eux, ne tergiversent pas devant la représentation nationale.

 

Ainsi, le général Didier Castres, Sous-chef opérations de l’état-major des Armées, auditionné le 16 décembre 2015 par la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Sénat révélait-il au grand jour qu’« il existe en Syrie une constellation de combattants très divers de l'ordre de 100 000 personnes, dont la France estime que 80 000 d'entre eux appartiennent soit à des groupes terroristes désignés comme tels par les Nations unies, soit à des groupes salafistes extrémistes ».

 

Cette information n’a pas été reprise dans les médias. Elle est pourtant d’une infinie gravité. Au vu de cette déclaration d’un haut responsable militaire français s’exprimant devant le Parlement, C’est la France qui aurait du présenter à l’ONU la requête visant à inscrire Ahrar al-Sham et Jaïch al-Islam sur la liste des organisations terroristes. On aura beau jeu, une fois encore, de dénigrer Moscou pour des actions que nous n’avons pas eu le courage de porter par nous-mêmes.

 


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