Le retour du vieux "concert des nations"

par Renaud Girard - le 07/09/2016.


 

GIRARD Renaud

 

Journaliste, reporter de guerre et géopoliticien français  

Ecole normale supérieure (Ulm)

Ecole nationale d'administration (ENA)

 

Officier de réserve (après une formation à l’École Spéciale Militaire de Saint-Cyr)

 

Grand reporter international et reporter de guerre au journal Le Figaro depuis 1984

 

A couvert la quasi-totalité des grandes crises politiques et des conflits armés depuis trente ans.

Notamment reconnu pour sa couverture des guerres  à Chypre, en Asie centrale, en ex-Indochine, au Maghreb et au Sahel, dans les Balkans, au Proche et au Moyen-Orient, Afrique subsaharienne, dans le Caucase et en Libye.

Se rend en Afghanistan pour y couvrir la lutte contre les Soviétiques et y rencontre le commandant Ahmed Chah Massoud (années 1980).

En Somalie au moment de l'intervention militaire des États-Unis (1993).

Au Rwanda dès le début du génocide de 1994.

Coincé en Tchétchénie, traverse à pied dans la neige (avec le photographe Olivier Jobard) la chaîne du Caucase vers la Géorgie afin d'échapper à l'Armée russe (hiver 1999-2000)

Au Venezuela pour y couvrir le référendum sur la modification de la Constitution et passe plusieurs jours au contact d'Hugo Chavez, le chef d’État vénézuélien (2007)

A nouveau en Somalie puis en Égypte au Caire au moment du renversement du Président Mohamed Morsi, évènement qu'il a couvert pour Le Figaro (2013)

Se rend dans la bande de Gaza pour y couvrir le conflit entre Israël et le Hamas (2014)

En Libye, (2011, 2013 et 2015)

En République Démocratique du Congo où il rencontre Moïse Katumbi, alors gouverneur de la province du Katanga (2015)

 


 

"Vladimir Poutine a perdu tout contact avec la réalité. Il vit dans un autre monde", avait expliqué, le 3 mars 2014, la chancelière d’Allemagne au président Obama. En pleine crise ukrainienne, Angela Merkel trouvait absurde la prétention du président russe à revenir au "concert des nations".

 

Ce système, qui avait prévalu du Congrès de Vienne (1815) jusqu’au déclenchement de la Première Guerre mondiale (1914), était fondé sur un équilibre des forces, où les grandes puissances respectaient leurs intérêts respectifs, quitte à le faire sur le dos des petites nations.

Lorsqu’on observe le déroulement du sommet du G20 à Hangzhou (Chine) des 4 et 5 septembre 2016, lorsqu’on se penche sur la forme et le contenu des entretiens bilatéraux - qui furent beaucoup plus lourds de signification géopolitique que les discours convenus des sessions multilatérales - on n’a pas du tout l’impression que Poutine vive dans un "autre" monde que le monde réel, c’est-à-dire celui des intérêts à moyen et long terme de la Russie. S’il y avait deux personnes à donner l’impression de vivre dans un autre monde - celui des Bisounours -, c’était plutôt Merkel elle-même, ainsi que l’homme qu’elle imposa à la tête de la Commission européenne.

 

À ce sommet économique réunissant les 20 pays les plus riches du monde, Jean-Claude Juncker, évoquant la surcapacité chinoise dans l’acier, déclara qu’il était "inacceptable" qu’elle ait fait perdre tant d’emplois à la sidérurgie européenne. En tant que citoyens européens, nous avons envie de lui demander : mais pourquoi diable, monsieur le président, l’avez-vous accepté, avec tant de constance, depuis vingt-sept ans que vous participez, à un titre ou à un autre, à la prise de décision à Bruxelles ? Vous a-t-on jamais entendu exiger davantage de protection aux frontières de l’Europe, face au dumping chinois ? Il est affligeant de voir comment l’Union européenne a accepté d’affaiblir sa sidérurgie, mais, monsieur Juncker, n’en êtes-vous pas l’un des premiers responsables ?

 

Fascinés par l’ "émergence" de la Chine à partir des années 1980, les Européens lui ont tout accordé (en termes de facilités financières, de transferts de technologie, d’abaissement des droits de douane, etc.). Ils croyaient naïvement être payés en retour. Ils ne l’ont pas été. Bienvenue dans le monde réel, monsieur Juncker.

Le G20 était censé s’occuper de la question des réfugiés dans le monde. Au-delà du rappel de quelques vœux pieux, rien de concret n’a été décidé dans les réunions multilatérales de Hangzhou. Comme madame Merkel s’est aperçue que sa générosité à l’égard des migrants musulmans n’était pas partagée pas beaucoup d’autres nations et qu’elle commençait à être mal perçue en Allemagne, elle est revenue à la géopolitique classique et est allée, en marge du sommet, supplier le sultan Erdogan de tenir son engagement du 18 mars 2016 de contrôler l’immigration illégale partant des rivages turcs.

 

Après la fin de la guerre froide (1989), les penseurs et les médias anglo-saxons nous ont annoncé l’avènement d’un monde régi par des "valeurs universelles", ayant pour noms droits de l’homme, démocratie politique, économie de marché, droit international, libre-échange commercial. Après Maastricht (1992), une nouvelle fédération, fondée sur ces valeurs, devait grandir, et aider sa sœur aînée américaine à les imposer à toute la planète. C’est très regrettable, mais cela n’a pas marché. À Hangzhou, il était terrifiant de constater à quel point la voix de Theresa May, représentant le seul Royaume-Uni, portait davantage que celle des malheureux représentants de l’UE, Juncker et Tusk. Certes elle y développait une diplomatie classique de défense des intérêts de son pays, renonçant à faire la leçon au Kremlin pour renouer avec la Russie, vantant Londres comme capitale mondiale des affaires, incitant les multinationales de tous les pays à y installer leurs sièges sociaux.

 

On aimerait vivre dans un monde réglé par le droit et le fair-play, où Pékin accepterait un partage équitable des eaux de la mer de Chine méridionale ; où Moscou s’accommoderait d’une Otan s’avançant jusqu’au Don ; où le fardeau des réfugiés serait partagé par tous les pays du monde ; où Washington renoncerait au privilège exorbitant du dollar ; où Londres abandonnerait son dumping fiscal ; où Riyad arrêterait de financer l’expansion du wahhabisme. Hélas, ce monde de Bisounours n’est pas celui qu’on a vu au G20 d’Hangzhou. Nous sommes revenus au concert des nations du Congrès de Vienne - où quelque 200 mini-États européens étaient invités mais où tout fut décidé par les grandes puissances. Nous ne recherchons plus le droit, mais seulement l’équilibre des forces. Au Moyen-Orient, en Europe de l’Est, en Asie du Sud-Est, nous avons renoncé à la justice, pour ne penser qu’à la paix. C’est triste, mais c’est comme ça. Comme cela ne changera pas de sitôt, il ne reste plus à nos diplomates qu’à s’adapter.

 

Paru dans Le Figaro, 6 septembre 2016


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