Le Mali sombre.

par Bernard Lugan - le 24/09/2016.



Ifora contre Imghad, 

Peul contre Bambara et contre Dogon.

 

Un an après les « accords d’Alger » qui devaient acter la réconciliation entre les belligérants maliens, un peu plus de trois ans après des élections qui devaient faire couler le lait et le miel du consensus démocratique, le Mali est plus que jamais à la veille d’exploser. Or, ce n’est pas une guerre de religion qui le menace, l’islamisme n’y étant que la surinfection d’une plaie ethnique, mais un conflit ethno-racial sur lequel les trafiquants de toutes sortes ainsi que les islamistes se greffent avec opportunisme.

 Le Mali subit deux guerres. L’une entre Touareg, l’autre entre Bambara-Dogon et Peul.

 

 

Le nord du pays : le monde touareg

La première déchire le monde touareg. Elle oppose les "nobles" Iforas composant le noyau dur du MNLA (Mouvement national de libération de l'Azawad), à leurs anciens tributaires Imghad du GATIA (Groupe d'auto défense touareg Imghad et alliés) dirigés par le colonel Ag Gamou.

Le MNLA est divisé en de multiples courants et dissidences. A preuve, la création à Ménaka, du MSA (Mouvement pour le salut de l’Azawad). Cette fragmentation, consubstantielle aux Touareg, est certes à base clanique, mais elle s’explique également par la volonté de contrôler les routes de la drogue qui passent par le nord du Mali.

Divisés, les Touareg du MNLA sont aujourd’hui quasiment assiégés à Kidal, leur bastion, par le GATIA qui est armé et soutenu par Bamako. Conscientes que leur armée ne parviendrait pas à vaincre le MNLA, les autorités maliennes ont en effet décidé de combattre ce dernier à travers les  milices du GATIA associées au MAA (Mouvement arabe de l'Azawad). L’anarchie qui découle de cette situation profite naturellement aux jihadistes.

 

Le centre du pays : la région du Macina

Après le nord qui a échappé à l’Etat malien, c’est le centre du pays, l’ancien Macina historique, qui est aujourd’hui en état de quasi sécession. La région est en partie composée du delta intérieur du Niger, immense zone inondée une partie de l’année. Fertiles, les terres exondées sont convoitées à la fois par les agriculteurs Dogon, Songhay ou Bambara, et par les éleveurs Peul.

Or, le Macina, partie centrale du Mali, fut, des décennies durant, à la fois négligé par l’Etat malien et pillé par ses fonctionnaires. Dans les années 2011-2013, la guerre qui se déroulait dans le nord du Mali a permis à ses habitants de chasser ces prédateurs. De retour dans les fourgons de l’armée française, les FDS (Forces de sécurité), à savoir les FAMA (Forces armées maliennes), la police, la gendarmerie et la garde nationale, ont reproché aux Peul d’avoir soutenu les rebelles nordistes. Elles se sont donc vengées, pratiquant des exécutions sommaires, violant les femmes, volant le bétail et rackettant les populations. La réaction des indigènes a fait qu’aujourd’hui, les FDS ont été chassées et sont cantonnées dans quelques postes dont elles ne sortent guère. Les populations sont donc laissées seules aux prises avec les voleurs de bétail, les trafiquants et les jihadistes. Ces derniers offrent leur alliance aux Peul afin de les protéger durant les transhumances. C’est ainsi que fut créé le FLM (Front de libération du Macina).

 

Le recrutement de certains Peul par les jihadistes est favorisé par le problème social qui se pose au Macina où les individus marginalisés voient dans l’islam jihadiste le moyen d’une revanche contre les aristocraties locales. La démarche est identique à celle des Peul des XVIII° et XIX° siècles qui trouvèrent dans l’islam le levier leur permettant de renverser les autorités locales. En réalité, nous sommes d’abord face à une révolte des « petits » peul voulant l’abolition des droits fonciers traditionnels. Nous sommes en présence d’une forme de jacquerie religieuse, d’un conflit entre peul transhumants et peul sédentarisés, les premiers contestant les droits fonciers des seconds. A cela, s’ajoute la question globale de la rivalité des agriculteurs et des pasteurs. Ces multiples conflits constituent naturellement un terreau favorable aux jihadistes.

 

La parcellisation du Mali

Abandonnée, la région échappe donc elle aussi à l’Etat malien. Désemparé et ayant perdu le contrôle du nord et du centre du pays, ce dernier tente de sous-traiter la question à des milices ethniques locales, à l’image de ce qu’il fait au nord avec le colonel Ag Gamou et ses touareg Imghad contre le MNLA.

C’est en ce sens que l’on doit comprendre la création du MDP (Mouvement pour la défense de la patrie) par Hama Founa Diallo, un mouvement armé peul que Bamako tente d’utiliser contre le FLM. C’est également ainsi que nous devons analyser la naissance de plusieurs groupes d’auto-défense bambara ou dogon.

 

Dans l’état actuel des choses, rien ne semble pouvoir freiner la parcellisation du Mali, son émiettement ethnique et bientôt tribal. Le danger serait donc que les islamistes proposent aux populations le dépassement de ces divisions mortifères dans un califat trans-ethnique qui viendrait les coaguler.

 

Bernard LUGAN


Le Gabon après les élections.

par Bernard Lugan - le 24/09/2016.

Vaste de 267 000 kilomètres carrés, le Gabon est peuplé par moins de deux millions d’habitants divisés en une multitude de tribus qu’il est possible de rattacher à huit principaux groupes linguistiques eux-mêmes subdivisés tout en étant régulièrement entrecroisés. Il s’agit des Fang 32%, des Mpongwe 15%, des Mbédé 14%, des Myéné 10%, des Shira-Punu 12%, des Kota, des Tsogo, des Njabi et des Bété qui totalisent environ 90% de la population du pays. 

Ce désert humain recèle des richesses pétrolières. Depuis 1967, elles profitent au clan présidentiel gravitant autour de la famille Bongo, d’origine téké (Batéké), une des plus petites ethnies du pays.

Lors des élections présidentielles du 27 août dernier, le président sortant, Ali Bongo Ondimba né en 1959 et qui avait succédé à son père en 2009, avait face à lui Jean Ping Okoka, né en 1942.

Ce dernier, ancien haut fonctionnaire de l’ONU et de l’Union africaine est de père chinois et de mère Nkomi-Myéné de la région de Lambaréné.

C’est un vieux cheval de retour, pur produit du clan Bongo puisqu’il fut ministre d’Omar Bongo durant 18 ans, de 1990 à 2008, tout en étant le compagnon de sa fille Pascaline Bongo avec laquelle il eut deux enfants. Or, paradoxalement, toute sa campagne qui fut d’une grande violence de ton et d’une rare vulgarité, fut orientée sur deux thèmes: - La dénonciation du clan qu’il a si longtemps servi et grâce auquel il a bâti sa fortune. - L’accusation portée contre  Ali Bongo Ondimba de n’être pas le fils de son père, ni même d’être d‘origine gabonaise.

Qu’un fils de Chinois accuse le président sortant d’être étranger prêterait à rire si les thèmes de la campagne étaient oubliés au lendemain du scrutin ; or, il est à craindre que tel ne soit pas le cas…

Les principaux soutiens de Jean Ping étaient des caciques du clan Bongo qui, sentant le vent tourner, avaient décidé de trahir celui auquel ils devaient tout. Ainsi, l’ancien Premier ministre fang, Casimir Oyé Mba. Comme à cet apport ethnique déterminant s’est ajouté celui des Myéné, le candidat du « renouveau » et de la « rupture » était donc assuré d’obtenir au minimum 40% des suffrages. 

Les résultats du scrutin étant contestés, force est donc de constater que l’impératif démocratique vient donc de déstabiliser un nouveau pays d’Afrique.

 

Bernard LUGAN 


La déstabilisation libyenne


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