Une revue stratégique de la défense :

alibi ou instrument du sursaut ?

...par Cédric PERRIN, Sénateur LR et Vice-président de la Commission de Défense du Sénat et de Bruno ALOMAR économiste. - le 09/07/2017.


La France vient de lancer le chantier d’une Revue stratégique. Un tel document, qui fait suite à une série de Livres Blancs de la Défense Nationale, est essentiel. Il n’existe en effet aucun domaine de l’action publique dans lequel un document de cette nature a un effet structurant aussi lourd.

 

Disons-le tout net : les évolutions récentes tant au plan géopolitique que sur le territoire national, frappé par la violence terroriste, justifient pleinement qu’une telle réflexion soit lancée. Pourtant, la prudence s’impose. Car une telle Revue Stratégique a le visage de Janus. Elle peut être l’alibi commode de la poursuite de nos renoncements. Elle pourrait aussi marquer enfin le début d’un sursaut pour notre pays.

 

Le risque de n’être qu’un alibi est grand, si l’on considère le destin des derniers documents de ce type. Les derniers Livres Blancs de la Défense Nationale ont été les canevas, soit par leur insuffisance, soit par la lecture biaisée qui en a été faite, d’un affaiblissement programmé de notre Défense que nous avons dénoncé. De nos renoncements, est-il permis de rappeler à quel point l’écart entre le contrat opérationnel de l’armée française, toutes composantes incluses (air, terre, mer) et ses moyens s’est creusé ? Est-il permis de rappeler que la France n’a plus de Porte-avions à la mer pour 18 mois, qu’un retard majeur a été pris dans l’acquisition de nouveaux chars, que nous faisons face à des déficits béants en matière de munitions, que le nombre d’avions de combat a été drastiquement réduit, que nos hélicoptères dépassent allègrement un temps de service supérieur à 40 ans etc. ? La réalité est que les succès opérationnels en Afrique et au Moyen-Orient masquent le fait que la France est désormais proche de voir une défaite tactique devenir une faillite stratégique.

 

Exercice en chambre. Risque d’alibi, surtout, car les conditions politiques dans lesquelles cette réflexion a été lancée le laissent craindre. C’était en effet au président de la République, Chef des Armées en vertu de l’article 15 de la Constitution, d’endosser pleinement la rédaction d’un tel document. Dès lors, Le risque est double. Celui d’un exercice en chambre limité aux armées, déconnecté des questions budgétaires et géopolitiques, alors même que les menaces et les questions de souveraineté exigent une approche qui fasse pleinement sa part aux questions diplomatiques et économiques. Risque également, car il faut bien oser l’imaginer, que le président de la République ne se sente lié par l’exercice que pour autant que ses conclusions soient conformes à l’idée préconçue qu’il en a peut-être.

 

Est-ce à dire que cet exercice est condamné à l’échec ? L’intérêt du pays commande de ne pas s’y résigner. En conséquence, il nous semble que cette Revue Stratégique devrait être l’occasion de rappeler des messages forts.

 

 

Premier message fort : le monde est dangereux, la souveraineté est de retour, la course aux armements existe partout. La compétition des Nations, que certains ont cru – et encore - exclusivement économique, revêt aujourd’hui une inquiétante dimension militaire. Que l’on songe par exemple à la montée en puissance de l’armée chinoise dont la taille ne correspond plus à l’image bienveillante d’une puissance civile. En un mot, il faut en finir avec la désastreuse vision dite des « dividendes de la paix », qui a tant fragilisé notre pays et réinvestir massivement dans la Défense.

 

 

Esprit européen. Deuxième message fort : la France, et pour longtemps, est seule au monde. Quoiqu’on puisse penser de l’Europe de la défense, elle est – au mieux - un horizon de très long terme. La plupart des pays européens préfèrent dépenser peu pour leur défense, et lorsqu’ils le font, l’esprit européen ne résiste pas à l’influence américaine. L’exemple du F35 est ici éloquent, par lequel plusieurs Etats européens ont préféré investir dans un programme américain structurant, plutôt que dans le renforcement de l’industrie militaire aéronautique européenne, jouant très directement contre l’affirmation d’une souveraineté des Européens en la matière.

 

Troisième message : la capacité nucléaire reste la colonne vertébrale de notre existence au monde. Sa modernisation ne se marchande pas. Son contrôle ne se partage pas.

 

Quatrième message : il est temps de replacer l’effort de défense au centre de notre économie, de nos comportements, et, dans un contexte financier contraint, de comprendre que le salut de la France nécessite le reflux massif de l’Etat Providence afin de consacrer aux dépenses de souveraineté ce qu’elles exigent.

 

Au total, la Revue Stratégique doit être un exercice de vérité, même désagréable, et non pas un exercice en chambre. Il doit être pleinement soutenu au plus haut niveau de l’Etat, et donner enfin aux armées les moyens que la sécurité des Français et l’ambition de notre pays exigent.

 

Auteurs : Cédric PERRIN 
Sénateur LR, est Vice-président de la Commission de Défense du Sénat. 
Bruno ALOMAR 
économiste, auditeur de la 68 e session 
« Politique de Défense »
 de l’IHEDN

 

Source : http://www.asafrance.fr/item/une-revue-strategique-de-la-defense-alibi-ou-instrument-du-sursaut.html

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