Donald Trump : séparer le bon grain de l’ivraie

...par Caroline Galactéros - le 10/10/2016.

 

Docteur en Science politique, ancien auditeur de l'IHEDN, elle a enseigné la stratégie et l'éthique à l'Ecole de Guerre et à HEC. Colonel de réserve, elle dirige aujourd'hui la société de conseil PLANETING et tient la chronique "Etat d'esprit, esprit d'Etat" au Point.fr.

Elle a publié "Manières du monde. Manières de guerre" (éd. Nuvis, 2013) et "Guerre, Technologie et société" (avec R. Debray et V. Desportes, éd. Nuvis, 2014).

Polémologue, spécialiste de géopolitique et d'intelligence stratégique, elle décrit sans détours mais avec précision les nouvelles lignes de faille qui dessinent le monde d'aujourd'hui.



Donald Trump : séparer le bon grain de l’ivraie

Dès le mois de février, j’écrivais dans les colonnes (numériques) du Point un article sur Donald Trump et sa conception des relations internationales. Quand tous les médias ne voyaient en Trump qu’un pitre et que la plupart déclaraient alors inconcevable sa victoire aux primaires républicaines (qui fut pourtant fort large), je m’étais permis de mettre en lumière quelques évidences auxquelles, à mon avis, les électeurs “du Donald” sont davantage sensibles qu’à la grossièreté de sa personnalité, que cette dernière soit profondément ancrée dans son personnage ou qu’elle soit le fruit d’une communication politique qui pourrait aujourd’hui se retourner contre lui. Sur ce point de savoir « qui est vraiment Donald Trump », je vous conseille de lire l’excellent article de Laure Mandeville dans le Figaro par lequel on réalise que le candidat républicain est beaucoup moins caricatural qu’il n’y paraît, qu’il est beaucoup moins bourrin et stupide qu’il n’en a l’air, et surtout que son moteur principal, amplifié probablement par son éducation, reste qu’il n’a jamais été accepté des élites new-yorkaises malgré ses mérites de « Self made man » (il a pour être précis prolongé ceux de son père) et est déterminé à s’en venger. Ce n’est pas du personnage de Donald Trump qu’il est question dans cet article, mais davantage du possible président qu’il serait, plus précisément qu’il serait en tant que commandant suprême des forces américaines et garant en dernier ressort de la sécurité nationale de la première puissance au monde. C’est certainement sur ce terrain, comme sur le terrain économique d’ailleurs, que Donald Trump, à l’image d’un Bernie Sanders à gauche (lequel manquait en revanche dans son analyse de traiter l’épineuse question de l’immigration), assène des vérités que l’establishment représenté par Hillary Clinton n’est pas prêt à reconnaître . Voici donc ce que j’écrivais en février et qui n’a guère changé…

« Trump a une vision des relations internationales tout à fait originale et, osons le dire, novatrice. En ce domaine, son abandon pourrait être une mauvaise nouvelle pour la paix du monde. Car il se démarque sensiblement de l'interventionnisme propre à tous les autres candidats, à l'exception de Bernie Sanders. Ceux-ci, ignorant les fiascos stratégiques irakien, afghan ou libyen, persistent à voir dans l'aventurisme militaire et l'entretien d'un savant chaos – notamment moyen-oriental – des martingales pour restaurer la puissance et l'influence américaines en chute libre depuis 2003. Chacun d'eux propose un alliage d'impérialisme classique dont seules les proportions de soft et de hard power diffèrent.

Donald, lui, s'insurge contre cette dispendieuse et contre-productive tendance américaine à se mêler de tout. Il se soucie comme d'une guigne du « regime change » et de la « responsabilité de protéger ». Il ne croit pas dans l'expansion souhaitable des droits de l'homme qu'il assimile à « un prêchi-prêcha » dangereux et ruineux. C'est un homme d'affaires, qui aime le statu quo et trouve aux régimes autoritaires des vertus, notamment en matière de lutte contre l'islamisme. Il recherche des marchandages globaux et équilibrés avec des interlocuteurs à poigne qui peuvent partager son langage, celui du pur intérêt national. La multipolarité du monde est pour lui une évidence. Il faut s'en accommoder et baser les relations internationales sur des convergences d'intérêt pragmatiques. Ce realpoliticien ne voit dans le messianisme américain qu'une « danseuse » hors de prix trop sujette aux entorses. Son mercantilisme profond rime avec un protectionnisme et un isolationnisme mesurés, l'intervention américaine ne pouvant se concevoir que contre gains sonnants et trébuchants ou réciprocité protectrice. »

A l’aune de la situation actuelle à Alep, cette approche trumpienne hyper réaliste et pragmatique aurait sans doute quelques mérites et a minima, celui de favoriser un apaisement de la tension entre Washington et Moscou. En effet, si un certain nombre de néocons américains mais aussi de hautes autorités militaires américaines (comme le Chef d’état major de l’US Army notamment) poussent à la roue très dangereusement pour défier les Russes y compris militairement et les pousser à la faute en Syrie tant leur efficacité gêne leurs petits arrangements avec Al-Qaïda), d’autres, en privé, n’attendent qu’une chose : que les Russes vainquent enfin les islamistes et que le calme revienne dans une Syrie réorganisée (sur ce point lire mon dernier signal faible), que l’Etat central reprenne ses droits et qu’ensuite seulement, des négociations s’enclenchent pour permettre progressivement à la politique syrienne d’être plus représentative de ses composantes ethniques, religieuses et sociales. Pas plus tard qu’il y a quelques jours, un haut-fonctionnaire français qui s’assumait lui-même comme néoconservateur (c’est quand même beau d’exporter la démocratie !) me glissait en a parte : « Il faut que les Russes l’emportent en Syrie, qu’on en finisse avec les morts ! ».

Or, aujourd’hui en Syrie, face à la paralysie de la fin de présidence Obama, face à ses hésitations en Irak (reprendre Mossoul avant la fin du mandat oui ! mais avec quelles forces au sol ?), pendant ce temps, le « parti de la guerre », bien représenté dans ce qu’il faut appeler avec Peter Dale Scott « l’Etat profond » (deep state) américain, piaffe d’impatience. Les récentes frappes contre l’armée syrienne à Deir Ezzor pourraient être le signe de son impatience à retrouver les bases traditionnelles de la politique américaine : « Exporter la divine providence américaine à coup de B-52 » ! Idem pour ce qui est de l’annonce américaine (non officielle mais venant des services de sécurité) concernant la possibilité d’une aide aux rebelles (modérés…) en matière de MANPADS (Man-portable air-defense systems) voire de frappes directes de l’Armée américaine contre les forces de Bachar el-Assad. Les Russes n’ont pas tardé à réagir en déployant des systèmes anti-aériens et anti-missiles de type S-300 à Tartous en plus des S-400 disposés à Lattaquié. Le général Igor Konachenkov, porte-parole du ministère russe de la Défense, a ainsi déclaré : « Je veux rappeler aux "stratèges" américains que la couverture aérienne des bases militaires russes de Hmeimim et de Tartous est assurée par les systèmes antiaériens S-300 et S-400 dont la portée pourra surprendre tout objet volant non identifié » (400 km ndlr). Peut-être pensez-vous que je diverge par rapport à Donald Trump ? Assez peu en réalité car les élections américaines étant les élections nationales qui comptent le plus à l’échelle du monde, le 8 novembre est une date qui décidera des évolutions de la situation mondiale en bien des matières… Et les faucons américains attendent désespérément d’avoir la confirmation que Hillary Clinton parviendra (certes péniblement) à franchir la dernière marche avant la Maison-Blanche. Parce qu’ils sont méfiants, les faucons ont aussi commencé à se rapprocher de Donald Trump : on ne sait jamais… Et si c’était lui ? Mi-septembre, l’équipe de campagne du candidat républicain a en effet annoncé que James Woosley devenait le nouveau conseiller à la sécurité nationale de Donald Trump. Le nouveau venu a déclaré qu’il allait le conseiller sur des questions «exclusivement liées à la sécurité nationale telles que la défense, le renseignement, et peut-être des aspects de l'énergie...». Et oui, aux Etats-Unis (comme ailleurs), les questions militaires et énergétiques sont liées (nous avons traité de ce point dans un article pour la Revue des Affaires qui vient de paraître). Le pedigree de James Woosley est intéressant. Directeur de la CIA sous Clinton (1993-1995), il est par ailleurs membre du groupe de réflexion néoconservateur,Foundation for Defense of Democracies (Fondation pour la Défense des Démocraties), et a plus récemment conseillé le sénateur texan Ted Cruz, principal rival de Donald Trump à la primaire républicaine. On commence à comprendre… Impossible de laisser un candidat républicain à la Maison-Blanche expliquer au monde qu’il allait modérer l’engagement des Etats-Unis au sein des différentes alliances historiques de Washington (OTAN, Corée, Japon). Impossible de le laisser évoquer une éventuelle coopération pragmatique entre Washington et Moscou. Impossible encore de casser les fondements (bien fragiles…) du néoconservatisme américain que sont l’interventionnisme, le droit-de-l’hommisme, le « regime change » et le « nation building », tous ces concepts étant bénis par la « divine providence » américaine et le halo vertueux de la « Nation indispensable ». Impossible enfin de laisser un candidat républicain faire assaut de mercantilisme en rejetant la sacro-sainte religion du libre-échangisme. « La cité sur la colline » est bien vivante.

La situation est donc la suivante : même si les annonces diplomatiques de Donald Trump en matière de sécurité nationale, de défense et d’affaires étrangères sont extrêmement floues, les principes de base sur lesquels il fonde sa campagne sont une chance pour le monde, pour l’Europe et pour la France. Quiconque ne le reconnaît pas tout en condamnant le néoconservatisme d’un Georges W. Bush et en oubliant celui d’Hillary Clinton (car l’anti-américanisme est à la mode en France… quand les Républicains sont au pouvoir) est dans le mensonge, en tout cas dans l’incohérence.

Que Donald Trump soit une personnalité dérangeante, certes ; que l’on puisse se demander à ce titre si celle-ci convient pour présider aux destinées de la première puissance au monde, soit. Mais ne pas discuter des positionnements idéologiques des deux candidats pour ce qu’ils sont n’est guère très honnête et surtout imprudent.

Le problème est ailleurs : si Donald Trump venait à l’emporter (et bien des erreurs du candidat semblent repousser cette éventualité, même si rien n’est encore joué…), pourrait-il vraiment mener une politique sur les lignes idéologiques qu’il a défendues pendant la campagne ?

On peut largement en douter, en rappelant par exemple que Georges W. Bush fut élu en 2000 après une campagne marquée par isolationnisme certain. On sait ce qu’il en fut ! On sait aussi que l’invasion de l’Irak ne fut pas planifiée en 2001 suite aux attentats du World Trade Center, mais dès la fin des années 1990… sous son prédécesseur. Il n’est absolument pas à exclure que les néoconservateurs des deux bords, que le « parti de la guerre », surtout, dans une période aussi troublée que celle que nous vivons, pousse rapidement le président Trump à s’aligner sur des positions plus classiques.

Je citerai deux analyses réalisées sur ce sujet dans le FigaroVox. D’abord celle d’Hadrien Desuin répondant à la question de savoir si l’isolationnisme présumé de Donald Trump est une chance pour l’autonomie stratégique des Etats européens. Sa réponse relative au bouclier antimissiles américain en Europe, auquel nous avons consacré un Dossier de fond), me paraît malheureusement crédible : « Donald Trump, dans la lignée des précédents présidents américains, demande une contribution budgétaire plus conséquente de la part des pays européens pour supporter l'effort de défense américain sur le continent. D'une pierre deux coups ; cet effort européen permet à l'armée américaine de financer son propre réarmement. Et l'Europe, en première ligne, sert de tête de pont à la défense américaine. La mise en place du bouclier anti-missiles face à la Russie coûte par exemple très cher et c'est l'industrie américaine (Raytheon) qui en bénéficie en très grande partie. Une base navale en Espagne, un centre de commandement en Allemagne et deux bases de lancement en Pologne et en Bulgarie, sans compter le coût du système d'armes, c'est énorme. Dans les deux cas de figure (victoire de Trump ou d'Hillary Clinton) la pression budgétaire sur les pays européens sera très forte. Et la France paiera son obole à l'OTAN (3ème contributrice de l'Alliance atlantique devant le Royaume-Uni !) ».

Guillaume Lagane, haut-fonctionnaire et maître de conférences à Sciences Po, explique quant à lui que la politique étrangère de Donald Trump pourrait se situer dans la continuité de la ligne traditionnelle des Etats-Unis et ne guère changer par rapport à celle de Barack Obama : « Une présidence Trump pourrait d'ailleurs poursuivre la politique traditionnelle des Etats-Unis. New-Yorkais, divorcé, Trump est un pragmatique sans convictions idéologiques. Il pourrait parfaitement embrasser des politiques contraires à celles qu'il annonce sous l'influence de la technostructure du Pentagone et des caciques républicains. Pourtant rétif aux interventions extérieures (il a soutenu puis critiqué la guerre en Irak), il a déjà annoncé une augmentation du budget de la défense (réduit de 10% sous l'administration Obama). Les circonstances peuvent favoriser un tel retournement : Georges W. Bush, élu en 2000 sur un programme isolationniste, a envahi l'Afghanistan et l'Irak après le 11 septembre. Une politique «révolutionnaire» rencontrerait d'ailleurs l'opposition du Congrès qui, même républicain (le Sénat pourrait basculer dans le camp démocrate), ne sera pas «trumpien».

Vilipendé par les médias, remettant en cause le consensus politique dominant (conservatisme moral, libre-échange, positionnement anti-russe), un président Trump ne serait pas sans ressembler à d'autres candidats au positionnement «hors système» (on pense bien sûr, dans le contexte français, à Nicolas Sarkozy). Serait-il pour autant un mauvais président ? L'homme, une fois au pouvoir, pourrait surprendre. Andrew Jackson, premier élu de l'Ouest américain, fut conspué pour son inculture par les élites de l'est lors de son élection en 1829 (on lui doit l'expression OK car il écrivait oll korect). Il fut pourtant un grand président et figure aujourd'hui sur le billet de 20$ ».

Donald sera-t-il le Andrew Jackson des Etats-Unis ? L’avenir le dira et, déjà, à court terme, encore doit-il l’emporter face à Hillary Clinton. Un point néanmoins sur l’Europe. Il est en effet probable que toutes choses égales par ailleurs, notamment le nanisme stratégique des grands Etats européens, un isolationnisme soft de Donald Trump ne suffirait pas à remettre l’Europe sur le chemin de l’histoire comme par miracle . Hadrien Desuin a raison sur ce point. L’isolationnisme américain ne pourrait être une chance qu’à la condition que l’Europe connaisse un changement brutal et décisif de direction pour sortir de l’idéologie post-nationale qui la maintient depuis des décennies dans un état comateux. Un tel changement ne peut venir que de Paris. Et certainement pas sans Moscou. C’est seulement dans la perspective d’une volonté française d’inflexion stratégique majeure et de prise en main de la défense de notre continent que Donald Trump pourrait être une meilleure solution qu’Hillary Clinton. Nos dernières gesticulations diplomatiques à l’ONU sur la situation à Alep n’augurent pas d’une telle prise de conscience, encore moins d’une quelconque vision réaliste, structurée et ambitieuse. Enfermés dans un moralisme assez indécent et surtout parfaitement inefficient, nous paraissons bien loin d’un tel réveil.


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