Recrudescence d’actes d’espionnage en France

...par Desmaretz Gérard le 21/07/2018.

 

L'auteur a été directeur technique pour le bimestriel L'Officiel de la sécurité, consultant auprès de l'Agence africaine des relations économiques et diplomatiques de Genève, chargé de cours à Paris XIII, et en charge de différents programmes de formation au renseignement et à la sûreté des personnes, des entreprises ou de la Nation.


 

Une affaire d'espionnage au bénéfice de l'État d'Israël (Mossad) impliquant trois hauts fonctionnaires : Quai d'Orsay - Matignon - ministère de l'Intérieur - un haut gradé de la Défense, et Laurence B une consultante quadragénaire franco-israélienne secoue le landerneau du contre-espionnage français. Les quatre hommes impliqués se sont vus retirer leur habilitation au secret, bons pour leur mutation à un poste subalterne, et une information judiciaire pour trahison a été ouverte. Il se murmure que si la photographie et l'identité de la « tentatrice » ont fuité, c'est dans l'espoir de ne pas voir cette affaire passée aux oubliettes de la diplomatie franco-israéliennes. Deux diplomates israéliens impliqués dans une autre affaire (opération Ratafia 2010) avaient dû quitter le territoire en raison d'une proximité douteuse nouée avec des fonctionnaires d'un de nos services lors d'une opération commune...

 

Selon Jacob Cohen, le Mossad (service secret israélien extérieur) pourrait compter sur 4.000 sayanim (honorables correspondants) et/ou adeptes de la hasbara (propagande & désinformation) en France ! Le chiffre peut paraître exagéré sur une population estimée à 550.000 israélites, mais il reste semblable à celui des 4.185 binationaux franco-israéliens ou Français ayant un parent juif (manaha) servant dans l'armée israélienne. Bienvenue dans le monde du renseignement et celui du contre-renseignement, un monde multidimensionnel fait d'actions réprouvées : déloyauté, espionnage, ingérences, sabotages, terrorisme, etc., capables d'entamer l'ordre politique, économique, social ou culturel. « L'espionnage visant la France et l'Union européenne est considéré comme ayant vocation à se développer, tant en raisons de la contestation, par de nouveaux acteurs, de la place de la France dans le monde, que de l'exacerbation de la compétition économique » (Le Dictionnaire du renseignement, ouvrage collectif paru aux Éditions Perrin 2018). Si les risques liés à l'espionnage semblent être délaissés par les citoyens pour le terrorisme « présenté comme une menace majeure », les réseaux du terrorisme ne bénéficient plus, comme cela fut le cas dans les années soixante-dix (Carlos, etc.), du soutien de pays ayant aujourd'hui rejoins l'espace Schengen...

Le renseignement et les différents volets qui le composent entretiennent le trouble dans les esprits mal informés ou déformés par la propagande ou le contre-renseignement adverse. Le renseignement intérieur et extérieur reste un instrument indispensable à notre indépendance et à notre sûreté. Ses attributions et responsabilités dépassent largement le cadre des frontières nationales, nos amis ne sont plus des amis sincères, en fait il ne l'ont jamais été et nous faisions semblant d'entre d'être dupe. Pourtant : « Des pays et des services qui sont des adversaires résolus peuvent coopérer en matière d'antiterrorisme, parce que cela répond à leurs intérêts » (op. cit.). La France qui accueille près de 20 000 Tchétchènes, procède régulièrement à des échanges d’informations avec la Russie, ce qui n'a pas empêché l'attentat au couteau du 12 mai par un Tchétchène francisé en 2010 et d'assassiner deux nationaux. Comme Lord Palmerston (1784 - 1865) disait : « L'Angleterre n'a pas d'amis ou d'ennemis permanents ; elle n'a que des intérêts permanents » sentence que paraphrasera le général de Gaulle : « Les États n'ont pas d'amis ; ils n'ont que des intérêts ». Les Américains sont plus concis : « America first », les Chinois de développer leur « soft power ».

Le renseignement, terme générique utilisé pour définir différents domaines d'actions est le crime astucieux par excellence ; reçoit le nom d'espion l'individu qui utilise ses connaissances (savoirs), ses accointances (relations), son entregent pour obtenir ou simplement rassembler des informations pour les livrer ensuite à un autre pays ou une entreprise concurrente. L'espionnage est un délit protéiforme qui se pare de toutes les livrées pour mettre en pratique des méthodes aussi vieilles que le monde lui-même. L'idéal pour l'espion étant de s'approprier quelque chose détenu par un tiers, pour bien souvent le livrer à un autre tiers. Aucun domaine n'est épargné : la Recherche fondamentale et appliquée - la Défense - les hommes politiques - l'administration - les universités - les acteurs économiques - les think tanks, les lois en préparation - les normes - etc., sans oublier les médias utilisés à des fins de propagande, de déstabilisation, ou d'agent d'ingérence.

Le travail des agents de l'étranger se déroule à tout moment sous nos yeux mais reste très difficile à déceler et encore plus à intercepter. Selon le Nouvel Observateur : « Les services secrets russes n’auraient jamais été aussi actifs et influents en France même pendant la Guerre Froide ». Il y aurait selon des sources internes à la cellule H4 (Russie) de la Direction Générale de la Sécurité Intérieure, plus d’une cinquantaine d’espions russes travaillant sur notre territoire sous couverture diplomatique, et une vingtaine « d’illégaux », des espions sans couverture diplomatique généralement bien implantés dans la société française depuis plusieurs années. Le président Sarkozy en personne a interpellé Poutine : « Au lieu d’espionner chez nous, tu ferais mieux de t’occuper des terroristes ». Les Russes sont loin d'être les seuls, les Américains sont très présents au cœur de l'Europe (Manning, Echelon, Snowden, Wikileaks), et l'Allemagne (épicentre du renseignement américain en Europe via les contractors) tant « vantée » pour sa santé économique finance le BND (service fédéral du renseignement sous le contrôle chancelier) et le MAD (renseignement militaire sous le contrôle du ministre de la défense) via le patronat de ses grandes entreprises.

La Chine qui occupe la troisième place sur le podium des SR hyperactifs (la palme revient à la Russie, deuxième les États-Unis) est en pointe pour l'acquisition du renseignement. Le jeudi 24 mai, l’émission « Quotidien » sur TMC révélait que deux anciens officiers ayant appartenu à la DGSE avaient été placés en détention provisoire et mis en examen au mois de décembre 2017, au chef de : « trahison par livraison d’informations à une puissance étrangère, provocation au crime de trahison et atteinte au secret de la défense nationale ». Un lieutenant-colonel qui fut en poste à Pékin (1997) a transmis au SR chinois des documents sur les procédures en cours à la DGSE. « Le secret qui entoure l'activité de renseignement est une nécessité : cacher les centres d'intérêts d'un service, ses méthodes et sa production est une condition essentielle de sa capacité à remplir ses missions. (...) Quand les méthodes employées sont connues, il faut parfois renoncer à les utiliser parce qu'elles ont perdu toute efficacité » (Op. cit.).

Où se trouve un Chinois c'est déjà la Chine nous apprend le dicton. Chaque année, la France qui accueille 2 millions de touristes chinois, fait l'objet de dizaines de vols, de tentatives d'appropriation de secrets. L'Empire du milieu mise principalement sur le renseignement humain avec de faux étudiants-stagiaires, « l'invitation » de chercheurs, de fausses annonces sur un réseau très prisé des cadres à la recherche d'un emploi... Selon le BFV, plus de 10.000 Allemands et des fonctionnaires européens auraient été approchés...

Le magasine Vanity Fair a dévoilé dans son numéro de septembre 2014, les grandes lignes d'un rapport secret remis au coordinateur national du renseignement attaché à la présidence de la République. Ce rapport rédigé par la Délégation interministérielle à l'intelligence économique en 2010, service chargé de la veille et de la protection des entreprises françaises, dresse l'inventaire des SR chinois dans l'hexagone : l'aéronautique - le domaine spatial - le nucléaire - les télécommunications - l'optoélectronique - les énergies renouvelables - l'industrie pharmaceutique, etc., plus d'un millier d'entreprises est concerné et la France protège une quarantaine de secteurs convoités.

Le Dictionnaire du renseignement de préciser dans sa rubrique consacrée à la Chine : «  La stratégie de la Chine consistant à devenir une puissance mondiale de premier rang repose, pour une large part, sur ses services de renseignement. (...) Elle compterait 7.000 fonctionnaires, auquel il convient d'ajouter probablement 50.000 agents illégaux. (...) Ils ont fait des États-Unis leur principale cible et en Europe sont particulièrement présents en France, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et en Allemagne  ». Le rapport sur la cyberdéfense du sénateur Jean-Marie Bockel, proposait : d'« Interdire sur le territoire national et européen le déploiement et l’utilisation d’équipements (...) qui présentent un risque pour la sécurité nationale, en particulier les routeurs ou d’autres équipements informatiques d’origine chinoise. » Tout transfert de technologie accroît les risques. On en viendrait à regretter le COCOM et sa nomenclature...

L'espionnage s'apparente parfois à un dol ou à une ruse blâmable dont la victime aurait pu souvent s'en prémunir. Si nos entreprises étaient correctement protégées et leurs agents de sécurité et les citoyens suffisamment avertis des risques encourus, il n'y aurait moins d'espions ou de « vampires » vivants aux « crochets » des dites entreprises. Chaque entreprise, petite, moyenne, ou grande a le devoir de veiller elle même à ses propres intérêts. Certaines d'entre elles n'auraient donc qu'à s'en prendre à elles mêmes, mais hélas, leur mésaventure a des répercussions sur la compétitivité, les brevets, les emplois directs ou indirects. Une anecdote édifiante. Lors de sa visite à Tel-Aviv, le premier Ministre Emmanuel Valls fut invité à confier son téléphone cellulaire à la sécurité avant son entretien avec son homologue israélien ! Ignorait-il qu'il suffit de quelques secondes pour le « cloner » ? Ce sont souvent les méconnaissances du danger et leur propre aveuglement, à moins que ce ne soit leur incompétence ou celle de leur personnel en la matière qui font la couche de l'espionnage.

Que penser des 2 % (j'ai oublié la source) de « Français » qui pensent qu'espionner leur pays, c'est à dire trahir, n'est pas un acte grave ! Qu'ils sachent qu'une fois découverts leur employeur clandestin les sacrifiera sans aucun scrupule ni problème de conscience. Ils réaliseront, mais trop tard, qu'ils n'ont été que des agents « kleenex », c'est à dire manipulés, parfois à leur insu, raison supplémentaire pour rester extrêmement vigilant. Un caractère trempé et entier évite d'avoir à entrer en conflit avec sa loyauté et son engagement national, quand bien même quelques convictions seraient-elles ébranlées à l'occasion d'un bouleversement politique. Accepter une situation contraire à ses principes ou à la fidélité de ses pairs, expose un jour ou un autre à être en porte à faux et conduire à la trahison. Signer un pacte ne serait-il que moral, avec le diable, ne peut que conduire aux regrets et aux remords, affects que l'on a trop souvent tendance à sous estimer à leur juste valeur dans leurs répercussions sur notre être, l'image que nous avons de nous et sur nos relations sociales.

On peut admirer, toute raison gardée, quelques unes des affaires ayant été découvertes et rendre hommage aux maîtres artisans impliqués, mais ceux-ci ne saurait rester que des cas d'études. Soit on admire l'habileté de l'espion, soit on se moque de la naïveté de ses victimes à s'être laissées prendre au piège, mais force est de constater que certaines cibles sont toutes désignées pour devenir la victime « consentante » de ce qui leur arrive. Écouter chanter les sirènes de l’étranger (trolls) n'est jamais exempt de risques, toute sympathie affichée alimente des fichiers..., et une collusion avérée peut se révéler génératrice de désagréments. La conjointe de l’un des deux ex-agents suspectés a été mise en examen et placée sous contrôle judiciaire pour « recel des crimes et délits de trahison...

La loi N°80-538 du 16 juillet 1980 précise : « Toute personne qui livrerait des informations d'ordre économique, commerciale, technique non secrètes à des étrangers, des personnes physiques ou morales pourrait faire l'objet de sanctions pénales. » Oyez, oyez ! Le simple fait de rechercher des informations peut être punissable de 2 à 6 mois d'emprisonnement.

 

Source : https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/recrudescence-d-actes-d-espionnage-206260

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