La crise gréco-turque

L’impuissance de l’OTAN et de l’Europe

...par André Posokhow - Le 02/09/2020..

Source : Riposte laïque.

 

Les événements fortement anxiogènes qui se déroulent depuis plusieurs semaines dans la Méditerranée orientale du fait des ambitions ottomanes d’Erdogan font apparaître clairement l’irrésolution et les déficiences de l’Otan et de l’Union européenne.

Ils éclairent d’une lumière crue l’inconsistance du couple franco-allemand dont les membres ont des intérêts et des objectifs profondément divergents.

Une situation explosive

Erdogan, mouché sévèrement par Poutine en Syrie, a jeté son dévolu sur la Libye en proie à une guerre civile et sur des zones entières de l’est de la Méditerranée, riches en gaz et en pétrole et dont certaines relèvent de la souveraineté de la Grèce. Celle-ci est appelée par le dictateur d’Ankara à ne plus s’exercer sur les îles de la mer Égée proches de la Turquie et sur les eaux territoriales qui les entourent.

Son comportement agressif et sa jactance se traduisent par des menaces grossières et des insultes à l’égard de ceux qui envisageraient de ne pas se soumettre.

Plus grave, les marines et même les aviations concernées se croisent, se menacent et sont à la merci du moindre incident, étincelle d’une déflagration possible. L’« illumination » de notre frégate Courbet, le 10 juin, par trois navires turcs escortant un cargo suspect aura été une étape significative de cette escalade voulue et organisée par le dictateur turc.

Face à une Turquie ouvertement belliciste, la Grèce, méprisée par les Européens et maltraitée par les Allemands, affiche, dans la grande tradition de Salamine et des Thermopyles, fermeté et détermination. On ne peut qu’être étonné mais le gouvernement de Macron, il faut pour l’instant en prendre acte, semble vouloir adopter une attitude identique après la reculade du 10 juin.

De même assistons-nous à une sorte de coalition avec l’Italie, Chypre et les Émirats arabes unis.

Malheureusement, ce n’est pas le cas de l’Otan et de l’Union européenne.

Les contradictions et l’impotence de l’Otan

La Turquie a entrepris de s’en prendre à un petit pays, la Grèce, qu’elle menace depuis des années d’une invasion migratoire. Cette crise oppose deux nations membres de la même alliance

Il s’agit d’une agression de la souveraineté d’un pays voisin, du viol des règles et des traités internationaux applicables à cette région de l’Europe et du piratage de ressources énergétiques grecques et européennes. À terme, si on laisse faire Erdogan, ce sont les îles de la mer Égée qu’il enfournera dans son escarcelle.

D’une manière générale, la plupart des pays membres de cette organisation ne réagissent pas ou demeurent indifférents. À la suite de l’illumination du Courbet, la ministre des Armées avait protesté au sein de l’Otan contre un allié qui viole les règles que l’alliance est censée faire respecter. La France n’avait reçu le soutien que de huit pays sur trente.

Les USA se montrent particulièrement discrets : période électorale, ménagement d’un grand allié, intérêt économique lié au gaz ? En tout cas, l’équivoque de leur attitude est telle que la Turquie a pu se flatter d’avoir mené des manœuvres navales avec une frégate américaine. Mais, semble-t-il, la Grèce aussi.

Inerte dans cette affaire, l’Otan se trouve en état de mort cérébrale et neurologique. Issue de la guerre froide menée contre l’empire soviétique, elle est devenue inutile et même néfaste car elle donne un faux sentiment de sécurité aux pays européens qui en prennent prétexte pour désarmer. Elle devrait disparaître.

Une Europe désunie et impuissante

La problématique des relations entre l’Europe et la Turquie ne datent pas d’aujourd’hui. L’antagonisme gréco-turc, Chypre dont une partie a été occupée et annexée par la Turquie en 1974 et la menace de subversion migratoire dont Erdogan menace notre continent constituent des points permanents de friction voire d’affrontement.

Il ne faut pas oublier la question religieuse avec la profanation de Sainte-Sophie et la présence de hordes de millions de Turcs sur le sol européen.

L’Europe détient une responsabilité immense dans l’aggravation de ces tensions et dans la montée de l’agressivité turque qui vise depuis 1975 la Méditerranée orientale et les côtes grecques.

Comme le souligne Olivier Delorme, l’Union européenne a montré un aveuglement géostratégique immense en déversant des milliards d’euros au titre de la préadhésion et du chantage aux migrants sans imposer de contrepartie comme l’évacuation de la partie du territoire de Chypre, membre de l’UE, colonisé depuis 1974 et l’arbitrage de la Cour de La Haye concernant les exigences d’Ankara sur les territoires grecs. Et ce, dans un contexte de nettoyage ethnique à l’égard des Kurdes, de réislamisation des musulmans des Balkans et de la mainmise sur les communautés turques d’Europe occidentale.

Cette lâcheté, il faut bien employer le mot, ne peut qu’encourager Erdogan à attaquer un pays voisin plus petit et surtout ravagé économiquement et financièrement par Bruxelles et Merkel.

À la fermeté grecque répondent le manque de solidarité et la désunion des pays européens.

Si certains pays comme la France, Chypre, l’Italie se sont rangés aux côtés de la Grèce, l’Allemagne et l’Espagne ont adopté une approche beaucoup plus conciliante. Des pays de l’Est comme la Pologne et la Hongrie souhaitent garder de bonnes relations avec Erdogan. En revanche l’appui apporté par les Émirats arabes unis apparaît nettement plus ferme que celui de beaucoup d’États européens.

Les ministres des Affaires étrangères se sont réunis il y a quelques jours mais cela ne semble pas avoir abouti à une solution concrète, sinon prévoir un sommet extraordinaire les 24 et 25 septembre prochains. Cette lenteur de réaction constitue un aveu de totale d’impuissance.

Une fois de plus l’impotence et la lâcheté de l’Union européenne déshonorent et mettent en danger notre continent.

La politique solitaire et égoïste de l’Allemagne et son rôle néfaste

L’Allemagne de Merkel refuse de prendre position en faveur de la Grèce et de la France. La ministre allemande de la Défense, l’illustre AKK, a déclaré que « les manœuvres navales qui ont lieu aujourd’hui ne sont certainement pas utiles ».

En fait les Allemands, peu soucieux d’aider les Français, suivent une politique identique à celle des Britanniques dans les années 30, qui consiste à mettre sur le même plan Grecs et Français d’une part et les Turcs de l’autre. Sur ce fondement, au nom d’une vertueuse médiation, ils adoptent une posture d’arbitrage au terme de laquelle ils pourront donner une satisfaction au moins partielle à Erdogan, au mépris des lois et des traités internationaux.

Où est l’Europe dans cette affaire ? Nulle part.

Aujourd’hui l’Allemagne ne peut être un « intermédiaire impartial ». Elle ne travaille et n’agit que dans son propre intérêt national au mépris de la prétendue souveraineté européenne :

– elle a d’importants intérêts économiques en Turquie ;

– elle ploie sous la menace d’Erdogan d’ouvrir les frontières de la Turquie aux migrants afin de forcer Bruxelles à faire des concessions. Il ne vient pas à l’esprit de ses dirigeants de renforcer les capacités de la Grèce à repousser les envahisseurs. Elle préfère transiger, payer et céder ;

– amie de la Turquie depuis plus d’un siècle, elle a accueilli 3 millions de Turcs sur son sol qui sont contrôlés largement par des parties islamistes turques et qui représentent une épée de Damoclès mortelle.

Il faut donc s’attendre à ce que Merkel s’aligne sur le tyran belliciste d’Ankara et impose une négociation bilatérale, sans prendre parti, entre la Grèce et la Turquie plutôt que le respect du droit par la cour internationale de justice prônée par l’ONU. Comme le dit Olivier Delorme, l’Allemagne prend aujourd’hui le parti de l’agresseur contre l’agressé.

Le couple franco-allemand n’existe pas

Les intérêts de la France de l’Allemagne apparaissent de plus en plus divergents, particulièrement dans le contexte de cette crise de la Méditerranée orientale.

Apparemment la France est défavorable à une hégémonie turque en Méditerranée orientale. Elle souhaite éviter une intrusion de la Turquie en Libye, intrusion largement entamée depuis plusieurs mois. Elle semble déterminée à aider la Grèce à se défendre contre les agressions turques et à protéger la souveraineté de ce pays molesté par l’UE et l’Allemagne. Elle revendique également d’avoir sa part dans les gisements pétroliers et gaziers que prospecte le consortium Total-ENI.

L’Allemagne, quant à elle, entend entretenir des relations privilégiées avec la Turquie d’Erdogan dans son intérêt propre, économique comme démographique, au mépris de la souveraineté européenne et de la démocratie. Le couple franco-allemand ne lui importe que s’il peut l’aider à asseoir sa domination sur l’UE.

Un article du Figaro affirme que cette crise prouve que le couple franco-allemand n’existe plus. Hubert Védrine soutient que ce couple a disparu en 1989 lors de la réunification allemande. Il est loisible de se demander s’il n’a jamais existé lorsqu’on repense à la prise de position du Bundestag contre l’esprit du traité franco-allemand de 1963.

Mais surtout il convient de rappeler à quel point l’Europe a donné les moyens à l’Allemagne de mener une politique solitaire strictement égoïste :

– la monnaie commune lui a permis d’engranger les excédents commerciaux à notre détriment puisque nous ne pouvions plus dévaluer ;

– elle a refusé sans discussion l’union pour la Méditerranée à laquelle tenait tant, peut-être à tort, Sarkozy ;

– elle a abandonné le nucléaire, sans concertation avec ses voisins, inondant son pays d’éoliennes et en maintenant les centrales au charbon ;

– elle ne contribue que de manière dérisoire à notre opération au Mali, indispensable à la sécurité européenne ;

– surtout, sans concertation une fois de plus, Merkel, dont l’histoire dira qu’elle a été une catastrophe pour l’Europe, a accueilli plus d’un million de migrants en 2015 ;

– enfin, toujours sans concertation, elle a cédé aux exigences du maître chanteur Erdogan et négocier un accord sur les migrants au détriment des finances européennes.

En définitive

Cette crise qui pourrait s’avérer extrêmement grave, a permis d’effectuer plusieurs constats qui ne sont pas nouveaux mais qui sont apparus d’une manière criante.

– L’Otan est en situation d’acharnement thérapeutique ;

– Le concept de souveraineté européenne ne correspond aujourd’hui à aucune réalité ;

– Le partenariat franco-allemand est une duperie de la part des européistes, idiots utiles d’une Germanie prépondérante.

Vivement une solidarité et une coopération en Europe entre des États-nations souverains et puissants.

André Posokhow 

Sciences po Profession : commissaire aux comptes. Officier supérieur de réserve. Chroniqueur. Auteur d’une étude sur le coût de l’immigration pour Polémia

Une autre guerre en Europe pourrait faire éclater l’OTAN

par Strategika 51 - Le 09/09/2022.

La possibilité d’une guerre entre la Grèce et la Turquie en 2023 est très élevée et cette éventualité compliquera davantage une situation stratégique chaotique marquée par une autre guerre en Europe orientale.

« Quand l’heure viendra, nous pourrions venir subitement une nuit » a affirmé Mardi 07/09/2022 le président turc Erdogan à l’adresse des dirigeants grecs. Une menace directe…

La montée des tensions en mer Égée est presque continue depuis des mois. Les deux pays membres de l’OTAN se préparent à une guerre dans la région depuis des décennies et les Turcs sont plus que jamais certains de l’emporter dans un éventuel conflit après leurs succès relatifs en Libye, en Syrie, en Irak et au Nagorno Karabagh.

Un conflit armé entre deux pays membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord mettra un terme à l’existence de cette alliance telle qu’elle existe jusqu’à présent.

Des pays comme le Royaume-Uni et la France soutiendront automatiquement la Grèce tandis que la Turquie aura le soutien des États-Unis d’Amérique. Paradoxalement, la Russie orthodoxe pourrait également soutenir la Turquie contre la Grèce orthodoxe pour des raisons géostratégiques liées à l’élimination de la menace atlantiste en Europe. L’OTAN a déployé des forces conséquentes près des frontières avec la Russie et un conflit direct entre la Russie et le bloc OTAN n’a jamais été aussi imminent.

Techniquement, toute l’Europe orientale est actuellement soit en guerre soit en voie de l’être. La survenue d’une guerre au sud de l’Europe orientale compliquera davantage une situation déjà confuse.

Les chances d’un conflit armé direct entre la Pologne et la Russie sont de 1500%. Beaucoup de « volontaires polonais » sont morts en Ukraine et au moins 12% des aéronefs de combat attribués à l’Ukraine ayant participé aux premiers mois du conflit étaient en fait polonais.

La Turquie refuse toute militarisation des îles de la mer Égée et a menacé de recourir aux armes en cas de réarmement de la Grèce de ces îles.

C’est une situation sérieuse. Le conflit en Ukraine va perdurer en 2023 et vu la crise économique mondiale générée et aggravée artificiellement par les moyens de guerre mondiale hybride des belligérants occidentaux et russes, la Turquie pourrait être tentée d’agir dans un contexte international plus que chaotique pour affirmer sa nouvelle posture.

Une telle éventualité aura pour conséquence une nouvelle guerre en Méditerranée orientale et un démantèlement de l’OTAN.

En 2024, la Turquie va célébrer le 100ème anniversaire de l’abolition du Califat islamique le 03 mars 1924. Une date que le pouvoir du président Erdogan veut consacrer à la renaissance de l’Empire turc.

source : Strategika 51

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