TÉMOIGNAGE

1972 - 2022

Cinquante ans

 

A mes filleuls de la "jeune" promo, 50 ans après...!

...et plus largement, à tous les officiers, présents et futurs.

 

Je me suis engagé (EV 5) le 01 novembre 1967 au titre de l'Ecole Interarmées des Sports à Fontainebleau.

Passé par l'ENSOA de St. Maixent, l'Ecole Militaire de Strasbourg, puis l'EMIA : Mon déroulement de carrière n'a rien d'exceptionnel.

Engagé comme simple soldat, l'ascenseur social de l'époque permettait de terminer une carrière militaire avec, au minimum, le grade de Lt/Colonel sous réserve, bien sûr, de travailler et sauf accident de parcours.

 

Le contexte actuel fait que votre parcours est et sera très différent.

 

            Entre nos promotions, il y a eu la professionnalisation des Armées.

 

En préliminaire, je dois vous avouer que j'ai eu l'énorme satisfaction de consacrer l'essentiel de ma carrière à former des appelés du contingent.

J'en suis extrêmement fier.

 

J'en retiendrai quatre temps forts :

  1. Chef de peloton au 3° escadron du 9° Régiment de Hussards;
  2. Capitaine commandant le 2° escadron du 4° Hussards;
  3. Officier Renseignement/Appui aérien au bureau "Opérations" de la 15°DI (Limoges);
  4. Chef de BOI du 6° Régiment de Dragons. (Beau Régiment à 70 AMX30)

 

Ensuite, il me faut planter le décors des années soixante-dix :

            Les Armées, en particulier l'Armée de Terre devaient, en moins de 200 jours de présence effective des appelés dans les unités, motiver, former, instruire, entraîner de jeunes civils afin qu'ils soient aptes à affronter les armées du Pacte de Varsovie au cours de leur service et/ou plus tard,dans la Réserve.

            Ils étaient pour la plupart réfractaires au Service National, quelquefois passés par les stages de formation du Parti Communiste, prompts à former des comités de soldats, certains même refusant de toucher un fusil !

 

            Le défit était de taille, l'enjeu énorme car il s'agissait de la crédibilité d'un des piliers de la dissuasion : La Nation en armes" (cf : "Reconstruire la DOT" du Gal. V. Desportes)

 

            Il fallait donc déployer des trésors de pédagogie et de patience pour avoir, à 8 ou 10 mois de service, des soldats "opérationnels" sous nos ordres !

Tout sauf de la "chair à canon" !

 

            Comme chef de peloton, mon emploi du temps était simple.

Outre le footing matinal quotidien, chaque semaine comportait obligatoirement une sortie "blindée", une sortie à pieds "combat d'infanterie", un tir aux armes individuelles, une séance de tir réduit sous tourelle, une séance d'identification des matériels du Pacte de Varsovie, un parcours du combattant, une séance de piscine, une demi journée d'entretien des véhicules, une demi journée "d'aisance en tourelle".

Pas de place pour les "AD Perso" !

            Une fois par mois :Tir aux armes collectives, mitrailleuses de bord, AA52 sur jeep, fusil lance grenades.

            Deux à trois séjours en camp, un exercice majeur en terrain libre chaque année.

 

            Savoir faire essentiel de tout soldat : Le TIR

 

Dès que les réflexes de base du service de l'arme et du tir étaient acquis par chacun, il était important d'éviter la routine et que tous prennent plaisir dans cette discipline.

            Aussi, vers le 10° mois, je pouvais me permettre, en toute confiance, de faire garnir les chargeurs en chambre, approvisionner les armes dans le camion sur la place d'armes, arriver au stand et débuter immédiatement la séance de tir.

            A ce stade, la surveillance exercée par les cadres du peloton était essentielle.

            Au PA, au PM et au fusil : Tir sur cibles mobiles, tir en marchant, tir en dégainant pour les PA, au jugé pour les PM et au jugé-jeté pour les fusils.

Enfin, "tirs de duels".

Sur ce dernier point, je vous dois quelques explications.

N'allez pas croire que nous nous tirions dessus les uns, les autres...et surtout, sans gilet pare-balle à l'époque !

 

            Le principe était simple : Deux tireurs, un seul ballonnet de la taille d'un ballon de hand-ball à 25 m, les armes de dotation, désapprovisionnées, chargeurs garnis posés sur un tabouret devant deux tireurs.

Au coup de sifflet, les tireurs, cadres compris, devaient approvisionner, armer, tirer.

Le tir s'arrêtait dès qu'un des deux tireurs avait touché l'unique ballonnet.

Le gagnant du peloton était celui qui avait touché la cible le premier avec le moins de cartouches.

            Accessoirement, ce genre de tir permettait d'organiser des compétitions inter pelotons au cours desquelles nos appelés, non contents de s'amuser, mettaient un point d'honneur à être les meilleurs.

 

En fin de service, je puis vous assurer que tous étaient devenus des tireurs redoutables avec leurs armes individuelles ou collectives.

 

            Donc, vous ne serez pas surpris si je vous dis que j'ai commandé mon escadron selon les mêmes critères sachant que j'avais maintenant une unité élémentaire à trois pelotons EBR et un peloton Milan sur jeeps.

Je ne m'étendrai pas sur les séances de tirs de nuit avec appui lumière par grenades à fusil éclairantes, exercices tactiques escadron selon les règles d'engagement d'un régiment blindé de division d'infanterie...

 

En revanche, j'ai mis un accent particulier sur l'esprit de groupe et la cohésion.

            Chaque dimanche de disponibilité, j'organisais un cross escadron ou, pour chaque peloton, le chrono démarrait au départ du premier et s'arrêtait à l'arrivée du dernier. Les plus forts devaient donc aider les plus faibles, renforçant ainsi la cohésion au sein de chaque peloton.

 

            En fin de temps de commandement : Test opérationnel !

Après l'exposé de la situation tactique à mes chefs de peloton, le contrôleur a été très surpris par mon ordre de conduite :

"Allez les gars, on fait comme d'habitude..!"

Pas besoin de longs discours, mes chefs de pelotons savaient quoi faire pour une situation tactique donnée car nous nous étions entraînés à cela pendant deux ans.

Résultat : "A" ! Opérationnel !

 

Officier d'état major.

J'ai été affecté à l'EM de la 15°DI à Limoges au moment ou celle-ci était rattachée au 2° CA en Allemagne...! Je ne vous ferai pas de dessin : L'éloignement a posé quelques problèmes.

Entre autres exemples, imaginez les MPG de Castelsarrasin rejoignant le camp de Munsigen par la route précédés ou suivis par les AMX10RC de Périgueux !

 

Particulièrement concerné par le montage des exercices comme officier RENS, j'ai découvert que la division en était restée au bataillon de fusiliers motorisés soviétiques, isolé dans les monts d'Ambazac...!

Hors, notre engagement éventuel était planifié face aux forces tchèques :

Mode opératoires similaires mais matériels différents !

Tout devait donc être repris à la base.

Heureusement, le Gal. Commandant la division m'a totalement appuyé allant même jusqu'à ordonner aux régiments de confectionner, pour les unités "plastron", des structures légères censées transformer la silhouette de nos matériels de dotation en matériels du PAVA, mise en place d'un "camion sono" diffusant les bruits du champ de bataille sur les terrains d'exercice des régiments d'infanterie...etc.!

 

Comme officier Appui Aérien, j'ai repris et entretenu les relations établies avec la base aérienne 120 de Cazaux équipée d'Alpha Jet.

Chaque semestre, sur deux jours, j'organisais l'entraînement des officiers de guidage Terre (OGT).

Pour qu'ils prennent bien conscience de l'ambiance régnant dans un cockpit d'avion de chasse en mission CAS, la moitié des OGT de la division volaient en place arrière un jour, guidaient le lendemain et vis versa...!

Efficacité technique assurée sans négliger les liens d'amitiés et de respect établis avec les pilotes.

            Lors de chaque exercice divisionnaire, je m'attachais à faire intervenir l'Armée de l'Air, soit en mission photo sur l'emplacement de nos PC, soit en livraison par air lors des séjours en camp, soit en missions CAS lors des exercices en terrain libre...

Toute la panoplie des interventions aériennes possibles au profit des "Petits gris" !

 

            Affecté au 6° Régiment de Dragons comme chef BOI, j'ai utilisé ce concept de mise en oeuvre de TOUTES les caractéristiques techniques de nos matériels pour le montage des exercices escadrons et régimentaires : Infiltration de nuit en IR, tirs avec appui lumière réciproque IR ou visible, appui aérien...Utilisation des chalands du Rhin (unité disparue depuis longtemps) pour transporter un escadron jusqu'à proximité d'un camp, séjours d'escadron au sein d'une unité blindée allemande...

 

            Avant de terminer, je voudrais vous proposer d'examiner la photo ci-dessous.

Elle doit vous être familière et ne pas susciter plus ample réaction tant elle est commune sur toutes les "couvertures" de nos OPEX...

 

Source : OPEX 360

 

Personnellement, j'y vois : 

Un soldat potentiellement MORT !

 

Cible idéale pour un sniper, un IED ou tout bêtement victime d'un accident de la route !

Il n'aura jamais le temps de rentrer à l'abri du blindage.

 

            Au cours de mes trente années de service dont treize sur EBR, cet engin qui flirtait allègrement avec les 100 km/h voire plus, j'ai vu de nombreux accidents.

Le plus spectaculaire a sans doute été un EBR, en excès de vitesse, ratant un virage faisant un tonneau, dans le sens de la longueur, "sautant à la perche" par dessus le canon et terminant sa course par plusieurs tonneaux...complètement détruit.... J'ai aussi vu un AMX 30 sur la tourelle.

Dans les deux cas : Équipage indemne.  

 

Ils étaient tous "sous blindage !"

 

            Aussi, tout au long de mon temps de commandement d'unité élémentaire, j'ai appliqué une règle simple :

"Tout membre d'équipage sortant du quartier avec plus que la tête hors de la tourelle prenait "huit perles ferme" !

 

Pour n'avoir pas repris cette consigne, mon successeur a déploré deux morts dans sa première année de commandement : Au cours d'un exercice de roulement de nuit en "black out", un EBR s'est renversé très lentement.

Le chef de peloton et son tireur sont morts écrasés par l'engin.

 

Ils étaient sortis de la tourelle jusqu'à la ceinture !

 

Alors ? Combien de morts en OPEX ou à l'entraînement à cause de cela ?

 

Pour ceux d'entre-vous qui serviront sur du matériel blindé, le blindage est votre ASSURANCE VIE et celle de vos soldats.

Ne pas l'utiliser revient à gaspiller des vies...en pure perte ce qui constitue, pour moi, une faute professionnelle extrêmement grave.

 

Je sais aussi combien il est difficile d'observer le paysage lorsqu'on est "derrière les épiscopes", rien ne remplace l’œil mais de grâce, ne sortez jamais plus que la tête, c'est largement suffisant et diminue les risques de manière très significative.

 

Pour terminer, et si vous avez pris le temps de me lire jusqu'au bout, vous allez certainement poser la question : "Quelles sont les motivations de ce "vieux clown" qui nous raconte ses campagnes d'un autre age ?"

 

Nous avons sous nos ordres des "professionnels" qui connaissent leur métier et qui n'ont rien à voir avec les appelés du contingents.

 

Et bien,je vais vous dire :

 

Au cours de mes dernières années d'activité, j'ai eu quelques contacts avec"l'Armée de métier".

A l'occasion d'une visite de sécurité dans un régiment d'engagés, on m'avait attribué une P4 et un Caporal-Chef conducteur.

Présentation impeccable, petit béret, treillis ajusté, rangers "miroir".

La piste devenant un peu "grasse", quelle n'a pas été ma surprise de constater que ce brave garçon était infoutu d'enclencher les quatre roues motrices de la P4...Savoir faire de base que tout appelé "de mon temps" possédait les yeux fermés, y compris avec le masque à gaz sur le nez.... !!

Quelques mois plus tard, je découvris une partie de l'explication.

Un chef de corps insistait désespérément pour obtenir un séjour extérieur pour une de ses compagnies car, selon ses propres termes, "Il ne savait pas quoi faire d'eux au quartier...!".....Aurait-il oublié de les instruire ???

 

            J'étais déjà en retraite. Lors d'un concours de tir, j'ai eu l'occasion de bavarder avec un tireur d'élite d'un régiment "prestigieux". Il s'était inscrit dans un club de tir, avait acheté son propre fusil, rechargeait lui-même ses cartouches (Cal 50 !) pour pouvoir s'entraîner régulièrement ce qui lui était impossible dans son régiment !

 

Un peu plus tard, j'ai eu l'occasion de "refaire le monde" avec un jeune ayant passé quelques temps sous les drapeaux. Il a eu cette réflexion qui m'a laissé pantois : "Les gars désertent parce qu'ils s'ennuient...!", confirmée dernièrement (décembre 2021) par un tireur AMX 10RC rencontré fortuitement.

            Ce jeune engagé m'a avoué qu'après le footing matinal et hormis quelques rares séances de simulateur de tir, il passait le plus clair de son temps dans sa chambre si bien que son entourage, sa famille, lui demandaient ce qu'il faisait encore dans l'Armée...!

Sa perspective d'avenir à court terme se résumait à un séjour extérieur...sur EBL, bien loin de sa spécialité de tireur canon...!

 

En conclusion, je vous propose de réfléchir aux questions suivantes et sur les réponses que je propose :

  • Que pensez-vous d'un athlète qui ne s'entraîne pas tous les jours assidûment ?                        Il ne risque pas de monter sur quelque podium que ce soit !
  • Que pensez-vous d'un tireur sportif qui ne tire pas tous les jours, y compris et peut-être surtout à l'air comprimé ?
  •                         Loin de lui les scores décents. Il ne sera et restera qu'un tireur moyen !
  • Que pensez-vous d'un pilote d'avion de chasse qui ne vole pas tous les jours, qui ne possède pas les procédures de vol de son avion à l'état réflexe ?                                               C'est un homme MORT !
  • Alors, que pensez-vous d'un cadre, d'un soldat qui ne s'entraîne pas tous les jours pour maîtriser parfaitement toutes les technologies mises à sa disposition, pour maîtriser toutes les situations qui pourraient se présenter au combat, pour remplir sa mission quelle qu'elle soit, avec succès... accessoirement (!) revenir vivant avec tous ses subordonnés ?.

                  Je vous laisse conclure !

 

Dans quelques mois, puis, tout au long de votre parcours, quelque soit votre place dans la hiérarchie, vous aurez sous vos ordres des soldats en plus ou moins grand nombre. Ce sera, en quelque sorte, votre "couteau suisse" qui vous permettra de faire face à des situations aussi diverses que variées.

Il vous appartiendra d'entretenir régulièrement le fil de toutes les lames sous peine de les voir s'émousser et perdre rapidement toute efficacité.

 

Je vous souhaite donc beaucoup de courage et de persévérance pour vous entraîner ainsi que vos subordonnés. Ainsi, à chaque fois que vous aurez à donner un ordre de conduite, il soit de la forme :

"Allez les gars, on fait comme d'habitude...!"

 

Lcl (er) REGNIER Jean-Michel

Promotion "Souvenir" - EMIA 1971/72

 

PS :Si je puis me permettre, un dernier conseil pour le choix des armes !

Vous le savez, tout dépend de votre classement de sortie.

Si vous êtes dans le premier tiers, choisissez sans hésitation les armes dites "prestigieuses" : Infanterie, Cavalerie..?.

En revanche, si tel n'est pas le cas, gardez présent à l'esprit qu'il vaut mieux être "BON" parmi les "MOYENS" que seulement "BON" parmi les "EXCELLENTS"..

Votre carrière en découlera.

 

 

Néanmoins, quelles que soient l'arme ou la formation choisie, vous aurez toutes les satisfactions que peuvent apporter les temps de commandement ou de responsabilité qui vous seront proposés.

 


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Commentaire de "Stratediplo" - Le 01/02/2022.

Cher camarade,
 
Votre témoignage a attiré toute mon attention, car l'abandon de la formation et surtout de l'entraînement, à tous les niveaux, saute aux yeux dès le moindre contact avec l'armée fonctionnarisée, certainement bien moins "professionnelle" que du temps où elle avait une vocation défensive et était composée de soldats appelés ou engagés pour servir et défendre leur pays, et de cadres de vocation, qu'ils soient d'active ou de réserve.
J'ai comme vous commandé des soldats appelés, souvent ceux pas assez futés ou trop vertueux pour se faire réformer, mais qu'on arrivait à motiver d'autant mieux qu'il s'agissait d'une période courte dans leur vie, offrant l'opportunité de faire des choses qu'ils ne feraient plus ensuite.
Et j'ai aussi commandé des engagés, souvent des cas sociaux mais que les obligations statutaires (BATIVAP/COVAPI et tir par exemple) permettaient de maintenir présentables.
 
Le statut d'EVSD intéressait les corps car ces gens-là n'ayant pas d'obligations sportives, de tir, de garde et autres (car pas affectables dans un emploi opérationnel en mobilisation) ils étaient beaucoup plus disponibles, comme les secrétaires civiles de chefs de corps. L'un d'eux me conta qu'ayant été sélectionné pour une offre d'emploi de cuisinier il signa son contrat sans le lire et ne comprit qu'au moment de la perception du paquetage qu'il était militaire. Puis on a mis le statut en extinction, avec une possibilité pour les EVSD qui remplissaient les conditions de passer EVAT.
La vérité c'est qu'ensuite, avec la fonctionnarisation décidée en 1996 à l'encontre des conclusions du Livre Blanc de 1994, on a sédentarisé tous les engagés.
Confier la garde des établissements militaires à des entreprises civiles (qui emploient d'ailleurs souvent des étrangers membres d'une autre civilisation et ressortissants de l'Oumma), éliminer la cérémonie quotidienne puis hebdomadaire puis mensuelle du lever des couleurs et transférer tous les crédits d'entraînement au colmatage des opérations extérieures non budgétisées, a fait le reste.
 
Le reste, vous le connaissez, c'est un recrutement ciblant préférentiellement les zones de droit étranger, avec comme conséquence une troupe dont un bon tiers se tourne vers la Mecque cinq fois par jour...
 
Meilleur souvenir.

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