Clandestins !

L’Algérie refuse de rapatrier ses clandestins : Vers une nouvelle crise diplomatique avec la France ?

...par Nicolas Gauthier - Le 25/01/2022.

Source : Bd. Voltaire.

 

Pour les raisons historiques qu’on sait, les relations entre Paris et Alger sont de longue date complexes, puisque fondées sur les non-dits, l’hypocrisie mutuelle et un passé mal digéré. La preuve en est la énième crise couvant entre les deux capitales, le  algérien refusant de récupérer ses ressortissants  dont l’expulsion a pourtant été décidée par son homologue français.

Une fois n’est pas coutume, ce sont les sites Mediapart et StreetPress, pas tout à fait nostalgiques de l’ française dira-t-on, qui lèvent le lièvre, ce jeudi 20 janvier. À l’origine de ce nouveau conflit ? L’actuelle pandémie, laquelle a décidément le dos large, puisque servant désormais de prétexte aux autorités algériennes pour contrôler ses frontières de la manière la plus vétilleuse qui soit, frontières se retrouvant donc fermées pour les immigrés clandestins. Sauf qu’en la circonstance, ces « immigrés » sont « clandestins » en France et non point en leur patrie d’origine, l’Algérie.

Toujours selon les mêmes sources, nous apprenons que « l’ a donné pour ordre à ses représentations consulaires de ne délivrer aucun laissez-passer aux Algériens ». Mieux : il leur serait aussi interdit de reconnaître « une carte nationale algérienne valide […] pour laisser ces ressortissants sans papiers rentrer en Algérie ». Résultat ? À en croire la Cimade, association de confession protestante plus qu’impliquée dans la défense des immigrés clandestins, et citée par Mediapart : « Seulement 3 % des Algériens placés dans les huit centres de rétention ont pu être renvoyés en 2021. » Car en attendant que ce différend soit dénoué, ce sont des milliers de candidats au retour qui s’entassent dans ces mêmes centres.

De leur côté, les autorités françaises tentent vaille que vaille de réagir, ne serait-ce qu’en réduisant de moitié les visas accordés aux Algériens ; ce qui ne fait qu’envenimer des relations diplomatiques qui, jusque-là, n’étaient déjà pas au beau fixe. En guise de représailles, et toujours selon Mediapart« les autorités algériennes feraient automatiquement annuler les billets d’avion réservés par le ministère de l’Intérieur français » ; ce qui obligerait de fait les futurs expulsés à financer à leurs frais ceux de leur éventuel retour. C’est dire si l’affaire n’est pas gagnée.

En attendant, et ce non sans quelques raisons, Marine Le Pen tweete :


Au-delà des polémiques de circonstance, on en revient toujours à l’essentiel : cette relation de guingois remontant à 1962, année de l’indépendance algérienne dont certains s’apprêtent à fêter (ou pas) le soixantième anniversaire. Depuis, la France n’aura cessé de se comporter de la pire façon qui soit, entre condescendance et repentance ; soit deux erreurs pour le prix d’une. La première a consisté à toujours prendre l’ de haut ; la seconde à s’agenouiller en permanence devant elle. Soit tout ce qui est tenu pour méprisable au sud de la Méditerranée : l’arrogance et la faiblesse. Côté algérien, ce n’est guère mieux, des autorités corrompues et incompétentes se servant du passé colonial pour masquer leurs propres errements, mettant leur incurie chronique sur le dos d’une France ayant regagné depuis belle lurette ses pénates. Car si cet État faible a transformé un peuple fier en nation de mendiants, l’ancien colonisateur n’y est pour rien.

Depuis, ce double malentendu persiste. Et il n’est malheureusement pas encore venu, le temps où ces deux nations, l’une multimillénaire, forte de son passé, et l’autre, née de plus fraîche date, mais ayant tout l’avenir devant elle, de se parler entre adultes responsables.

Il n’est pas sûr que les actuels interlocuteurs soient à la hauteur de l’enjeu.

 

[Entretien] « Il faut renégocier ou dénoncer l’accord de 1968 avec l’Algérie »

Source : Bd. Voltaire - Par Gabrielle Cluzel - Le 29/05/2023.

Xavier Driencourt, auteur du livre L'Énigme algérienne. Chroniques d'une ambassade à Algera été ambassadeur de France en Algérie de 2008 à 2012 et de 2017 à 2020. En octobre 2022, dans une entretien à Boulevard Voltaire, il déclarait : « Avec Alger, seul le rapport de force compte ». Propos réitérés au Point, ce 24 mai. Pour BV, Xavier Driencout enfonce le clou.

Gabrielle Cluzel. Xavier Driencourt, dans un entretien accordé au Pointil y a quelques jours, vous demandez avec la plus grande force que l'on revienne sur l'accord franco-algérien de 1968 accordant des droits d'entrée exorbitants (dans tous les sens du mot) aux Algériens désireux de venir en France. Pourtant, ce n'est pas du tout à l'ordre du jour de la loi immigration. Pourquoi est-il si important selon vous de revenir sur ces accords et pourquoi le gouvernement est-il si réticent ?

Xavier Driencourt. L’idée de revoir, renégocier ou dénoncer l’accord franco-algérien de 1968 n’est pas une idée très répandue car peu de personnes connaissent finalement cet accord. Pourtant, ces textes sont publics et publiés au Journal officiel, les préfectures les appliquent. Mais en raison, d’une part, de l’ancienneté de cet accord qui a été négocié dans un tout autre contexte politique, économique et social de celui que nous connaissons aujourd’hui (les fameuses Trente Glorieuses) et, d’autre part, du fait de la primauté des accords internationaux sur les lois, il y a, dans le débat sur l’immigration un « angle mort » qui concerne l’immigration algérienne. Celle-ci, paradoxalement, n’est pas ou très peu concernée par notre dispositif législatif puisque elle ne dépend que de l’accord franco-algérien de 1968 ainsi que le rappellent les juges. D'ailleurs la dénonciation d'un accord bilatéral ne relève pas de la loi, mais d'une décision gouvernementale.

GC. Toujours dans Le Point, vous dites que les Algériens « se rient de notre naïveté ». Vous l'avez constaté lorsque vous étiez ambassadeur ? Pouvez-vous nous donner des exemples précis ?

X.D. Je veux dire par cette formule, peut-être excessive, que les autorités algériennes connaissent parfaitement notre embarras sur le dossier de l’immigration algérienne. D’un côté, elles suivent de près et connaissent bien les débats, les polémiques en France sur la question migratoire et, de l’autre, elles doivent s’étonner que le gouvernement ou les hommes politiques français ne songent pas ou n'aient pas déjà envisagé de dénoncer cet accord qui les concerne au premier plan. En ce sens, les Algériens doivent rire, ou au moins, sourire de notre pusillanimité. Et évidemment, si j'en crois la presse algérienne, c'est depuis quelques jours un concert d'indignations, comme si Alger découvrait la question !

G.C. Vous évoquez l'Algérie, mais le problème de l'immigration en France n'est pas seulement celui de l'immigration algérienne. Au-delà de ces accords spécifiques, quel plan Marshall de l'immigration préconisez-vous ? Et comment expliquez-vous une si grande pusillanimité du gouvernement dans ce domaine, alors que contrairement à la réforme des retraites, une majorité massive de la population serait derrière lui s'il allait plus avant ?

X.D. Je n’ai pas de compétence particulière sur la question de l’immigration en général qui est complexe et qui ne concerne pas que l’Algérie. Il m'est donc difficile de répondre à votre question. Mais je pense que, sur l’Algérie, tous nos politiques, de droite comme de gauche, sont embarrassés car, plus que d’autres pays, l'Algérie, c’est autant de la diplomatie que de la politique intérieure. On peut légiférer sur l’immigration en général quand elle concerne des pays avec lesquels nos liens sont lâches ou très peu étroits, mais dès qu’on aborde la question algérienne, les choses deviennent plus compliquées, en raison de nos liens avec ce pays et à cause de son poids dans notre politique intérieure. Par voie de conséquence, dès que l’immigration algérienne est en cause, nous préférons finalement ne pas traiter le problème au fond par crainte de soulever d’autres questions De la sorte, nous pratiquons sur ce dossier une certaine forme d’autocensure.

L'angle mort dans notre politique migratoire, tel que je le décris, est, en ce sens, un véritable problème politique et diplomatique. J’en arrive à la conclusion qu’il faut, soit renégocier, soit dénoncer l’accord de 1968.

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