François Fillon et l'Europe gaullienne

...vers une coopération Paris-Berlin-Moscou ?

...par Caroline Galactéros - le 22/11/2016.

 

Docteur en Science politique, ancien auditeur de l'IHEDN, elle a enseigné la stratégie et l'éthique à l'Ecole de Guerre et à HEC.

Colonel de réserve, elle dirige aujourd'hui la société de conseil PLANETING et tient la chronique "Etat d'esprit, esprit d'Etat" au Point.fr.

Elle a publié "Manières du monde. Manières de guerre" (éd. Nuvis, 2013) et "Guerre, Technologie et société" (avec R. Debray et V. Desportes, éd. Nuvis, 2014).

Polémologue, spécialiste de géopolitique et d'intelligence stratégique, elle décrit sans détours mais avec précision les nouvelles lignes de faille qui dessinent le monde d'aujourd'hui.



FIGAROVOX - François Fillon et l'Europe gaullienne : vers une coopération Paris-Berlin-Moscou ?

FIGAROVOX/TRIBUNE - L'ancien Premier ministre est connu pour ses positions russophiles. Pour Caroline Galactéros, celles-ci s'ancrent dans une vision réaliste de l'Europe et pourraient permettre un rééquilibrage du couple franco-allemand.

La France a eu très, très chaud hier, mais le verdict est sans appel. Une vraie droite renaît enfin. C'est une très mauvaise nouvelle pour les populistes de tous bords, et pour l'extrême droite évidemment, qui prospère depuis trop longtemps sur nos renoncements et cherche même - suprême déshonneur -, à revendiquer un héritage gaulliste trop longtemps trahi. Un comble! Insupportable. Ainsi donc, le spectre froid d'un hollandisme de droite, aussi présomptueux que hors sol, qui aurait très probablement parachevé à coups de demi-mesures l'engloutissement de notre pays dans le renoncement identitaire et l'asphyxie économique et sociale semble donc clairement distancé. Attention toutefois aux chaînes et armes qui cliquettent encore sous le linceul. Il faut dimanche prochain porter le coup de grâce à cette fausse alternance. Je suis fière de mes compatriotes car ce vote est porteur d'une grande espérance. La France n'est donc pas perdue. Les Français sont courageux et lucides. Ils ont compris qu'ils n'avaient rien à gagner à écouter davantage les boniments commodes de ceux qui veulent les endormir pour n'avoir point à agir vraiment. Madame la Marquise a reconnu que tout n'allait pas très bien. La maison brûle, les écuries sont en feu, les chevaux enfuis et il faut enfin se décider à rebâtir la France d'une main qui ne tremble pas. Le premier tour de «la Primaire de la droite et du centre», en dépit de son ouverture si dangereuse et des 15% d'électeurs de gauche venus la fausser en votant pour un candidat plus proche du radical-socialisme que d'un libéralisme conservateur assumé, vient de faire mentir l'adage tragiquement vérifié jusqu'alors selon lequel, «en France, il y a deux gauches dont une s'appelle la droite». La droite claire, nette, vraie et véritablement «droite dans ses bottes» vient donc de renaître de ses cendres et de se réincarner en une personnalité tempérée et déterminée, dont les convictions anciennes, le souverainisme, le pragmatisme et la hauteur de vue, notamment en matière internationale, pourraient bien faire mentir le triste constat sur la disparition de «l'espèce homme d'État». Et si la France avait discrètement porté en son sein un nouveau spécimen? Nous nous sommes tellement habitués à la pusillanimité, au nombrilisme et à l'irresponsabilité politiques que l'on n'ose encore y croire tout à fait.

On a tant dévalorisé les notions de souveraineté, d'État, de frontière, d'identité, de patrie qu'elles nous sont progressivement apparues comme de vieilles lunes inutiles.

Et puis, depuis 30 ans, on a tant dévalorisé les notions de souveraineté, d'État, de frontière, d'identité, de patrie qu'elles nous sont progressivement apparues comme de vieilles lunes inutiles. Pourtant, depuis le tournant du siècle, l'évolution du monde est implacable. Nous sommes parvenus à «la fin de la fin de l'Histoire». Les États et les peuples sont de retour, et l'Europe elle-même ne survivra comme ensemble puissant que si elle cesse de nier ses souverainetés internes et traite enfin sans mollir le besoin de protection et de respect de l'identité originelle de ses peuples constituants. Un peuple n'est pas une population, un agrégat informe d'atomes individuels affaiblis et réduits au consumérisme compulsif et débilitant. L'homme n'est pas davantage un robot transplantable ou interchangeable en route vers le transhumanisme illuminé. C'est un être de chair, de cœur et d'esprit mais aussi de symboles, qui a besoin de se sentir compris (au sens de «pris avec»), de s'incarner dans une histoire nationale multiséculaire et vivante. Il refuse l'insignifiance personnelle mais aussi collective et veut se sentir partie d'un tout plus grand que lui qui ne se réduit pas à ses «droits à». Il n'est pas qu'un Narcisse décérébré mais se veut loyal et utile à sa famille, à son entreprise et à son pays.

Les incantations sur l'« excellence » du modèle social français ne passent plus la rampe.

Quant à l'État enfin, il n'est pas qu'un pourvoyeur de ressources et de services, mais aussi un vecteur de sens et de lien - s'il sait bien sûr se mettre au service de la nation et non de ses seuls agents. Un État qu'il faut sans plus attendre drastiquement recalibrer pour le recentrer sur ses fonctions essentielles et pérennes, comme nous devons oser faire évoluer drastiquement notre fameux «modèle social» moribond. Les incantations sur son «excellence» ne passent plus la rampe. Notre économie est aussi en faillite et à la merci d'une remontée des taux d'intérêt. Les énergies individuelles et collectives sont écrasées par une embolie fiscale permanente qui les tue sciemment par pure idéologie, au nom d'une vision égalitariste et horizontale du monde et de la société à contre-emploi de toute efficacité. Notre système scolaire lui non seulement n'intègre plus les masses, mais rabroue les talents et les noie ou les fait s'exiler sans vergogne. Dieu merci, des millions de nos concitoyens ont manifestement fait éclater hier soir cette bulle de mensonge empoisonnée et manifesté leur clairvoyance et leur honnêteté intellectuelle. Oui, ce sont les entreprises qui créent l'emploi et les patrons l'embauche, et il faut enfin cesser de criminaliser la réussite et de confisquer le profit sauf à éteindre l'espoir et les énergies. Oui il faut préférer l'équité à l'égalité pure qui n'existe qu'en théorie. Oui, il va falloir travailler plus et plus longtemps, sans gagner davantage dans un premier temps… Bref notre prochain président de la République doit mettre en œuvre avec autorité une véritable révolution non seulement économique, mais sociale, intellectuelle, morale, stratégique et diplomatique. Il doit «réarmer» notre pays dans tous les domaines pour le replonger dans le réel, le remettre dans la course du nouveau monde qu'il a quittée comme un bolide fait une sortie de route: par confiance excessive dans sa «machine», mauvaise estimation de la vitesse, du terrain …et des voisins.

De même qu'on ne peut impunément décréter «l'identité heureuse» d'un pays malheureux, on ne peut voir le monde en noir et blanc toute sa vie.

Pour l'heure, les électeurs de droite clament massivement qu'ils veulent une rupture et ont choisi celui qui l'incarnait le mieux, sans excès mais sans équivoque. Ils ont choisi la vérité et la franchise, ils ont choisi celui qui peut oser prendre des décisions impopulaires mais salutaires, non atermoyer et reculer au moindre obstacle. Ils savent que la renaissance sera douloureuse pour chacun et que c'est la faiblesse dans la réforme, le demi-ton perpétuel, les compromissions corporatistes qui ont bloqué notre pays et l'ont relégué sur la scène mondiale. Ils comprennent manifestement mieux que bien des politiques, technocrates ou heureux bénéficiaires de régimes spéciaux indécents, qu'il faut - quel scoop! - travailler pour croître, écouter pour apprendre, obéir pour grandir, remplir ses devoirs pour mériter ses droits, respecter son pays et ses concitoyens pour s'y sentir chez soi.

Les Français de la droite et du centre (et beaucoup d'autres sans doute) attendent du neuf et du solide. L'inertie, la procrastination, la micro-gestion, le culte du consensus avant toute décision, l'incapacité à choisir et tenir, l'esquive devant la responsabilité, le dogmatisme et la déconnexion entêtée d'avec un réel économique, international et civilisationnel qui nous prend à la gorge ne font plus recette. Nos compatriotes sont courageux et lucides. Ils sont prêts à faire confiance à une force tranquille sans effets de manche mais qui ne confond pas la normalité avec l'ordinaire ou la banalité. Faire confiance à quelqu'un, en somme, qui assume «l'anormalité» de sa tâche et le caractère extraordinaire de son rôle de guide d'un peuple et d'une nation dans la tourmente, non de chambre d'écho de ses inconséquences et corporatismes. De même qu'on ne peut impunément décréter «l'identité heureuse» d'un pays malheureux, morcelé et à juste titre inquiet d'une infiltration islamiste majeure et d'un détricotage sociétal sous couvert de progressisme, on ne peut voir le monde en noir et blanc toute sa vie.

Nul doute que la semaine qui débute va voir se polariser le débat autour d'un prétendu cynisme de la vision internationale de Fillon, que l'on transformera en «ami des monstres» Poutine et Assad.

Ainsi, les attaques qui vont redoubler de violence sur le programme économique libéral et socialement «rétrograde» de François Fillon ou sur ses positions en matière de politique internationale sont emblématiques d'un entêtement dans «la droite-gauche» à refuser le réel et à préférer s'engluer doucement dans des mesurettes au nom d'un pseudo-réalisme.

Car le reste du monde existe. Nul doute que la semaine qui débute va voir se polariser le débat autour d'un prétendu cynisme de la vision internationale du vainqueur de dimanche, que l'on transformera en «ami des monstres» Poutine et Assad. Mais le dogmatisme présomptueux et à contretemps du réel de son challenger ne convainc plus. L'islamisme radical a démontré sa dangerosité, a souillé nos rues du sang de nos concitoyens. Celui qui, rêvant éveillé, disait en 2012 je crois, que «Bachar el Assad n'en avait que pour quelques semaines» n'est que «le double» d'un Laurent Fabius qui, quelques mois plus tard, trouvera «qu'Al Nosra (i.e. al-Qaïda) fait du bon boulot» en Syrie…. Surtout, son projet «d'accommodements raisonnables» avec l'Islam est suicidaire et sa naïveté envers le mouvement des Frères musulmans qui irrigue et quadrille silencieusement nos «territoires perdus» pour y transformer les consciences et favoriser la transformation de notre société est gravissime. Au-delà même d'une tentation électoraliste choquante et d'une très mauvaise appréciation de la dangerosité réelle de réseaux qui prospèrent et s'imposent via leurs nouveaux porte-parole de talent accueillis sans malice par nos médias, c'est la démonstration d'une faiblesse politique sidérante, d'une allégeance qui ne dit pas son nom. D'une soumission.

La Russie ne menace ni l'Europe ni l'Occident. Elle en est l'un des piliers.

Quant à la Russie, la férocité de l'anti-russisme en France - notamment depuis deux ans - relayé par les médias et bien des analystes qui se déconsidèrent d'un tel parti pris, n'est que le revers stupide d'une fureur et d'une jalousie devant l'évidence russe et celle d'une convergence historique, culturelle et civilisationnelle qui résiste à l'étroitesse d'esprit et l'ignorance de notre petit Landernau intellectuel qui vit décidément hors du monde. La Russie ne menace ni l'Europe ni l'Occident. Elle en est l'un des piliers. Elle a juste cessé de se laisser ostraciser par Washington et ses affidés européens. Elle veut retrouver son rang dans le monde, faire respecter ses propres «lignes rouges», cesser de se laisser tailler des croupières en Europe, ménager ses intérêts énergétiques et juguler l'islamisme qui la menace aussi. L'implication de Moscou dans un Moyen-Orient que l'Occident a cru pouvoir déstabiliser sans interférences, montre combien le monde a changé et combien ceux qui s'en croyaient les maîtres à jamais - pour le meilleur mais aussi le pire -, supportent mal la vérité et ne comprennent pas les atouts humains de la realpolitik. Encore une fois, il ne s'agit pas d'embrasser les Russes sur la bouche mais de savoir enfin où sont nos intérêts véritables. Et ils ne sont clairement pas dans le soutien aux islamistes sunnites qui fomentent ou inspirent les attentats qui tuent des Français en France. Il faut sortir de cette schizophrénie intenable aux conséquences sanglantes, ici comme là-bas, aux dépens de populations que l'on prétend vouloir protéger.

François Fillon a compris mieux que d'autres et depuis longtemps que la Russie était un immense voisin indispensable à la construction du nouvel équilibre mondial mais aussi européen.

François Fillon a en effet compris mieux que d'autres et depuis longtemps que la Russie était un immense voisin indispensable à la construction du nouvel équilibre mondial mais aussi européen. L'Europe et la Russie disposent ensemble de la masse critique indispensable pour constituer, entre Amérique et Chine, un ensemble stratégique crédible avec lequel il faudra compter. Que les anciens satellites de Moscou en aient peur peut se comprendre. Que l'OTAN, qui vit de la construction de l'affrontement avec Moscou, préfère préparer la guerre est plus grave. L'arrivée de Donald Trump, lui aussi doté d'un évident bon sens, d'un goût pour le dialogue équilibré avec des hommes forts, et d'un sens des priorités (d'abord s'allier contre l'islamisme radical mondial qui a juré notre perte) est une très bonne nouvelle. Prions pour qu'on le laisse faire. Le nouveau président américain veut mettre les Européens face à leurs inconséquences et leur demander de se prendre en main et en charge pour leur défense et leur sécurité? C'est une opportunité sans précédent pour l'Europe et pour la France, qui doit se replacer - grâce à son outil militaire unique - et à une diplomatie indépendante enfin digne de ce nom, à la première place politique du continent en sachant entraîner sa grande voisine allemande et d'autres États qui le souhaitent dans une renaissance collective enthousiasmante. Aujourd'hui, après 5 ans de colossales erreurs d'appréciation diplomatique et stratégique, et quelques autres auparavant lourdes aussi de conséquences sécuritaires, nous sommes au bord du gouffre. Paris ne compte plus au Moyen-Orient (ni vraiment ailleurs). Humiliation suprême, nous y sommes désormais tenus pour «une puissance affinitaire». Il faut tout reprendre, tout repenser et rebâtir une grande politique étrangère réaliste et humaine, en accord avec nos intérêts et nos valeurs.

 

Seul un véritable homme d'État mêlant vision, autorité et calme détermination peut relever de tels défis. Notre ancien président ne s'y est pas trompé hier soir qui, dans un discours poignant et d'une grande hauteur de vue, a apporté au vainqueur un soutien sans équivoque.


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