Émancipation par le crime

...par Stratediplo - le 08/05/2018.

 

 De formation militaire, financière et diplomatique, s'appuie sur une trentaine d'années d'investigations en sciences sociales et relations internationales.

 

 


Le changement de civilisation en cours en Europe amènera certainement un changement de paradigme d'organisation sociale, mais pour l'instant la société, pour ne pas dire le mélange en cours de séparation entre la société ancienne et la société nouvelle, est organisée dans le cadre d'un Etat avec des lois écrites, généralement votées par un parlement élu en fonction de concepts généralement acceptés.

 

L'un de ces concepts est celui d'âge légal, à savoir que la loi définit un âge arbitraire et égalitaire d'attribution d'un certain nombre de droits et de devoirs. Cette capacité juridique, ou responsabilité légale au sens de devoir répondre soi-même de ses actes, n'est pas conférée totalement d'un coup, mais par tranches. Par exemple, sans considération de la curiosité et des capacités intellectuelles de chacun il y a un âge légal du début et de la fin de la scolarité obligatoire, l'âge de la fin de cette obligation ayant d'ailleurs été réduit (de seize à quinze ans) sous le président Sarközy de Nagy-Bocsa pour prendre en compte les normes éducatives des populations nouvelles. Il y a l'âge légal auquel tout un chacun peut voter, sans considération de la compréhension des questions politiques, et dans certains pays l'âge auquel tout un chacun doit voter, sans considération de son souhait de le faire. Il y a l'âge légal pour conduire, d'abord un vélomoteur puis une voiture automobile, sans considération du développement des qualités civiques et de la taille physique, à un âge où la croissance et l'éducation ne sont pas toujours terminées quitte à être pratiquement debout sur les pédales ou à ignorer la valeur de la vie humaine indépendamment du sexe et des croyances. Certes pour conduire un moyen de transport collectif les exigences sont plus sérieuses. Il y a l'âge légal minimal pour chasser, certes plus élevé et avec instruction et examen obligatoires car c'est considéré comme un acte plus grave et conséquent que de participer au choix du chef d'Etat d'un pays, fût-il dans les plus influents au monde et doté du feu nucléaire. Il y a aussi l'âge légal minimal pour convoler en noces, sans considération du développement sexuel physique et psychologique. Et il y a l'âge minimal pour répondre légalement de ses fautes, au-dessous duquel on est réputé irresponsable.

 

Ces divers âges légaux obligatoires déterminés arbitrairement et dictés à des pays entiers par les régimes jacobins ne tiennent pas compte des caractéristiques personnelles, selon le concept, jusqu'à encore récemment accepté comme universel, de l'égalité des individus. Entre parenthèses, cette égalité est de plus en plus illusoire dans une société où l'écart entre les niveaux d'éducation se creuse constamment, où la spécialisation est devenue la règle, où la courbe de distribution du patrimoine s'aplatit avec le relèvement des extrémités (plus de pauvres et de riches) et l'affaissement du centre (moins de classe moyenne), où il se constitue des castes endogènes de contribuables à vie et d'allocataires à vie, et où s'affirme de plus en plus la discrimination d'Etat entre les gens selon leurs convictions, voire, pour les membres de la nouvelle société, une inégalité de nature selon le sexe et selon les croyances religieuses. Mais pour l'instant le principe encore en vigueur est l'égalité d'âge d'accès aux différents droits et devoirs.

 

Il n'en a pas toujours été ainsi. Les premières voitures automobiles ne pouvaient intéresser que des adultes sans qu'il soit nécessaire que le parlement l'édictât. Plus loin dans le temps, le baptême n'était pas administré avant que le catéchiste le demande, qu'il ait sept ans ou trente (sept ans étant l'âge canonique de raison). On devait porter les armes dès qu'on pouvait physiquement les porter, donc il valait mieux apprendre tôt à s'en servir. Aujourd'hui encore dans certaines sociétés primitives les jeunes gens sont admis dans la société des adultes, parfois par le biais d'une cérémonie d'initiation, lorsque leur croissance physique semble accomplie, qu'ils aient treize ans (éventuellement encore glabres) ou dix-neuf, et on s'accouple (se met en couple) dès que le développement sexuel, physique et psychologique, le permet. Si la France a été obligée de relever récemment de 15 à 18 ans l'âge minimum du mariage pour les femmes à cause des mariages forcés dans les familles de la nouvelle société, il reste possible à l'homme comme à la femme de se marier plus tôt, moyennant dispense républicaine et autorisation parentale, et le mariage émancipe alors les époux mineurs. Le même principe existe d'ailleurs dans tous les pays où il est possible à un mineur de se marier, soit avec autorisation parentale soit avec dispense gouvernementale : dès qu'un mineur se marie il est proclamé majeur.

 

Avant la révolution dite française, le mariage religieux portait effet civil, or l'âge canonique minimum pour se marier étant de seize ans pour les hommes et quatorze ans pour les femmes (ancien canon 1067 et nouveau canon 1083), le mariage d'une personne mineure emportait son émancipation, de jure dans certains domaines et de facto dans d'autres. La question ne se pose certes plus depuis 1792, car l'Etat ayant nationalisé l'Eglise (dénationalisée sans ses biens en 1905), non content d'ôter tout effet civil au mariage religieux ou de simplement cesser de le reconnaître, il a carrément interdit la célébration d'un mariage religieux non précédé de mariage civil, interdiction qui gagnerait d'ailleurs à être signifiée ou rappelée aux ministres des religions nouvelles en France.

 

Il y a deux générations un courant soixante-huitard clamait qu'on mûrissait plus vite à une époque de communication sans censure et de révolution des moeurs, que les jeunes de dix-huit ans étaient alors aussi adultes que leurs aînés à vingt et un, et on a réduit l'âge minimum pour voter, pour conduire, la majorité légale, puis de nouveau l'âge pour conduire. Et une génération plus tard on a eu l'impression qu'on mûrissait moins vite à une époque d'assistanat total, de rentrée dans le rang du confort post-révolutionnaire, d'absence de service militaire, de report d'âge du premier emploi et de prolongation de la dépendance économique des parents. La vérité est que ni à vingt et un ans en 1970 ni à dix-huit ans en 2010, un homme ou une femme n'est tenu d'être aussi responsable que leurs ancêtres l'étaient par nécessité au Moyen-âge, où l'on était mère, chevalier ou orphelin à quinze ans, chargé de famille ou soutien de domaine.

 

Mais le statut de mineur apporte un certain nombre d'avantages, au-delà de l'obligation alimentaire parentale qui ne s'éteint d'ailleurs pas à la majorité. Les intérêts économiques d'un mineur sont protégés contre sa propre immaturité par un responsable légal, parent ou tuteur, dont les actes sont contrôlés par un juge des tutelles, ses intérêts affectifs et éducatifs le sont également par les services sociaux de l'enfance, également sous contrôle de la justice, et il est même considéré civilement irresponsable puisque, en France du moins, ce sont les parents qui doivent répondre, sur leur responsabilité civile, de tout dégât causé par leur enfant mineur. Mais le plus gros des avantages légaux de la minorité est l'immunité judiciaire.

 

C'est d'ailleurs pour cela que certains délinquants, pour certains par tradition immémoriale et pour d'autres par réflexion récente, font commettre leurs forfaits par des mineurs (consentants ou forcés), du vol de poules à la vente de stupéfiants. Il y a même dans certains pays un trafic de mineurs, intra-familial ou après enlèvement, pour nourrir des filières criminelles, et pas seulement en Egypte comme on le dénonçait dans la Huitième Plaie au sujet des réseaux d'esclavage en Italie, mais également en Europe orientale. Le phénomène de l'utilisation de mineurs pour commettre des délits n'est pas nouveau, mais c'est de crimes qu'il s'agit de plus en plus depuis quelques années.

 

En France même l'immunité judiciaire des mineurs, assortie de la luxueuse prise en charge des mineurs isolés étrangers, a fait exploser depuis quelques années le phénomène de la déclaration mensongère de minorité de la part d'intrus clandestins, au point qu'aujourd'hui seule une petite minorité des immigrés isolés déclarés et reconnus mineurs l'est réellement, la très grande majorité d'entre eux étant constituée d'adultes. Ce sont chaque année des dizaines de milliers d'adultes qui entrent illégalement en France, documents d'identité soigneusement détruits, pour y être abusivement pris en charge comme mineurs. Le phénomène est numériquement si important que le législateur a dû introduire en mars 2016, à l'article 388 du code civil, la possibilité de déterminer l'âge d'un prétendu mineur par examen radiologique, tout en s'empressant certes d'y ajouter la nécessité de l'accord préliminaire de l'intéressé.

 

Or, nonobstant les questions de maturité intellectuelle et affective évoquées ci-dessus, il est indéniable qu'on assiste à une croissance rapide de la commission de violence par des mineurs, et de violence extrême. Il ne s'agit plus seulement de délits mais de crimes, de crimes atroces, et de crimes commis collectivement et en série. On peut y voir des facteurs environnementaux, comme la diffusion à grande échelle de la violence, et de la pornographie violente, sur tous les supports à la portée des jeunes, historiquement la télévision, puis les jeux électroniques et enfin internet. On peut aussi y voir des facteurs socio-éducatifs, comme l'expansion d'une idéologie qui d'une part légitime l'usage de la violence, et d'autre part définit des castes de nature inégale dans la société. Cette idéologie est particulièrement répandue, dès l'enfance, parmi le segment de population qu'elle encourage à user de violence vis-à-vis des autres segments, puisque c'est justement l'adhésion à cette idéologie qui, selon elle, définit les castes et autorise celle qui y adhère à être violente envers celles qui lui sont réfractaires. Mais un autre facteur d'encouragement est certainement l'assurance de l'impunité, alors que les arsenaux pénaux des sociétés civilisées ont précisément pour objet d'être dissuasifs afin de remplacer la punition, qui touche des coupables ayant fait des victimes, par la prévention, qui évite qu'il y ait des victimes et donc des coupables. Mais les quelques propositions d'abaissement de la majorité pénale présentées depuis quelques années s'intéressent plus aux conséquences du délit pour le délinquant qu'aux conséquences du crime pour la victime.

 

Au sujet des conséquences pénales pour le criminel selon les caractères de la victime, un nouveau concept s'affirme et devient l'objet d'un débat coriace en France en ce moment même. Afin de réformer l'ancienne notion de circonstances aggravantes en cas d'atteinte aux plus faibles, et de canaliser l'intime conviction des juges en la matière, le gouvernement veut faire codifier par le législateur l'âge limite de l'indéfense et même de l'inconsentement des victimes. Ce débat est l'occasion d'affirmations fortes de la part de prétendus (ou sincères) défenseurs des victimes, qui en demandant la fixation d'un âge aussi élevé que possible entendent défendre ainsi les victimes mineures, sans se rendre compte qu'elles cautionnent de la sorte l'établissement d'une présomption de consentement, et se retrouvent en réalité dans le même camp que leurs apparents opposants, qui eux souhaitent l'abaissement de l'âge du consentement qu'ils interprètent comme une émancipation plus précoce et donc une progression de la liberté sexuelle. Les tenants de la nouvelle ou future société, eux, se réfèrent à un vieux texte normatif qui mentionne certes des âges, mais aussi définit la puberté par l'apparition des premières règles, et où l'on chercherait en vain la moindre mention d'une notion de consentement féminin. Au final toute définition, dans le code français, d'un âge déterminé au-delà duquel le consentement d'une victime déclarée serait présumé (et opposable à ses déclarations) jusqu'à preuve du contraire, joue en faveur non seulement des négateurs de la nécessité d'un consentement (qui souhaitent la dépénalisation des actes envers autrui à consentement unilatéral), mais également en faveur des crimes commis collectivement plutôt qu'individuellement, donc permettant l'immobilisation d'une victime sans laisser de traces de coups, comme en atteste l'évolution des pratiques sexuelles criminelles en Europe septentrionale. En France même, le refus d'enregistrement policier des plaintes pour viol en l'absence de traces de coups (voire d'incapacité totale de travail supérieure à huit jours) a singulièrement réduit la définition du viol, qui comprenait autrefois l'imposition de relations sexuelles par violence, contrainte, menace ou surprise, c'est-à-dire intimidation, violence psychologique voire abus d'une situation de faiblesse que l'on peut évidemment provoquer par altération de l'état de conscience (drogue ou simple ivresse). La tendance judiciaire, sous impulsion gouvernementale parfois couverte par manipulation législative, est d'une part à la requalification du crime de viol en délit de violence sexuelle, et d'autre part à l'extension des cas d'impunité.

 

Pour mettre fin à l'assurance d'impunité il faut commencer (ce n'est certes pas suffisant) par mettre fin à l'immunité. On peut certainement, le nécessaire débat parlementaire le tranchera, conserver une immunité des mineurs en matière délictuelle, mais il devient impératif de mettre fin à l'immunité criminelle d'ailleurs plus de fait que de droit. Le droit canon, cité plus haut, connaît une notion ignorée du droit civil et du droit pénal, en l'occurrence celle d'âge de raison. Depuis des siècles il fixe invariablement cet âge de raison à sept ans. Il est indubitable qu'à cet âge-là on a compris ce qu'est la mort, et on sait donc ce que signifie tuer, ce qui correspond à la capacité de discernement, que l'article 122-8 du code pénal français considère comme une circonstance particulière pas toujours présente. Or si le mariage, c'est-à-dire la responsabilité de pouvoir donner la vie, émancipe le mineur, il doit pouvoir en être de même de la responsabilité d'avoir ôté ou détruit une vie.

 

Le concept d'irresponsabilité pénale pour minorité est une convention, qui comme toute convention doit pouvoir être révisée lorsque des évolutions de la société deviennent durables. Il faut instituer l'émancipation par le crime. Après l'article 413-1 du code civil sur l'émancipation par le mariage, on pourrait ajouter un article selon lequel "le mineur est émancipé de plein droit par la commission d'un crime".

Source : http://stratediplo.blogspot.fr/2018/05/emancipation-par-le-crime.html

Commentaires: 0