Pourquoi dénoncer le traité sur les FNI

......par Stratediplo - le 23/10/2018.

 

 De formation militaire, financière et diplomatique, s'appuie sur une trentaine d'années d'investigations en sciences sociales et relations internationales.

 

 


Les Etats-Unis d'Amérique, qui depuis quelques années déjà contreviennent à l'esprit du traité de 1987 sur les forces nucléaires à portée intermédiaire en installant en Roumanie et en Pologne des rampes de lancement vertical MK-41 conçues pour les missiles de croisière Tomahawk (sous prétexte de les avoir adaptées au missile antimissile Aegis Ashore), ont annoncé ce 20 octobre qu'ils allaient se retirer dudit traité.

 

Après la Russie, seul autre signataire car ayant repris toutes les armes nucléaires de l'URSS, voilà que l'Union Européenne, par la voix de sa porte-parole des affaires étrangères et de sécurité, rappelle l'importance de ce traité et les résultats obtenus grâce à son application, et demande en conséquence aux Etats-Unis de reconsidérer leur intention. Puis tour à tour voilà déjà que la France, l'Italie, l'Espagne et l'Allemagne expriment également leur préoccupation. De la part de la France, qui avait à l'époque particulièrement défendu son indépendance en la matière et n'est justement pas concernée, une prise de position précipitée (et ni sollicitée ni nécessaire) sur cette question ne peut que rappeler le caractère désormais totalement erratique des réactions épidermiques et irréfléchies de ses apprentis ministres intérimaires. De son côté l'Allemagne déclare qu'elle engagera des discussions actives avec les Etats-Unis à ce sujet.

 

Surtout, on peut noter que plusieurs pays annoncent qu'ils soulèveront cette question dans le cadre de l'OTAN. Bien que celle-ci ne soit pas partie au traité, la stratégie de l'Alliance Atlantique ne peut qu'en être effectivement modifiée et le Groupe des Plans Nucléaires, dont la France reste heureusement à l'écart en dépit de son retour dans l'organisation militaire, doit étudier cette initiative étatsunienne de relance de course aux armements nucléaires.

 

Mais il est important de se rappeler que ce traité ne concerne que les forces nucléaires à portée intermédiaire, à savoir entre 500 et 5500 kilomètres de portée, déployées en Europe. En effet les missiles basés en Amérique doivent avoir une portée supérieure à 7000 kilomètres pour toucher une cible en Europe, et relèvent donc d'une catégorie non concernée par ce traité. Compte tenu du fait que les Etats-Unis n'ont pas de territoire en Europe, ils ne pourraient y déployer des missiles à portée intermédiaire que sur le territoire de pays tiers, ce qui constituerait d'ailleurs une violation (supplémentaire) du traité de non-prolifération nucléaire.

 

La cohérence et la logique politique implique que tous les gouvernements qui expriment publiquement leur préoccupation concernant cette décision étatsunienne refuseront d'accueillir sur leur sol ce type d'armes, comme si le traité dont ils demandent le maintien était toujours en vigueur. Si l'Italie, premier hôte d'armes nucléaires étatsuniennes en Europe, et l'Allemagne, maintiennent leur soutien au traité en refusant les "euromissiles" étatsuniens, il est vraisemblable que la Belgique et les Pays-Bas feront de même, respectant ainsi la préoccupation exprimée par l'Union Européenne dont ils font partie. Hors d'Europe et de la politique étrangère et de sécurité uniopéenne, la Turquie pourrait bien accepter, comme d'habitude, l'implantation d'une nouvelle catégorie d'armes nucléaires étatsuniennes.

 

En Europe et dans l'Union, il reste les pays farouchement misorusses, notamment la Pologne et la Roumanie, qui ont déjà accepté l'installation des rampes du prétendu "bouclier antimissiles" conçu lorsque les Etats-Unis prétendaient faire croire à leurs alliés que le gouvernement nord-coréen ferait faire un grand détour à ses missiles au-dessus de l'Europe pour éviter la route directe par l'Alaska. Ces systèmes de lancement MK-41, justement dénoncés par la Russie comme une violation du traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire puisqu'ils ont été développés pour le missile de croisière à portée intermédiaire et à capacité nucléaire Tomahawk, sont déjà opérationnels et pourront donc recevoir des missiles nucléaires de croisière le lendemain même de la dénonciation officielle du traité par les Etats-Unis. La fourberie de l'installation anticipée, sous un prétexte fallacieux, des rampes de lancement, aura ainsi donné aux Etats-Unis plusieurs années d'avance sur la Russie si celle-ci décide de répondre de la même manière, en déployant des missiles à portée intermédiaire à quelques milliers de kilomètres du territoire étatsunien.

 

Mais les pays européens doivent s'interroger sur les raisons concrètes, et non pas les prétextes politiques, de l'installation de ces missiles en Europe. En effet le discours étatsunien était jusqu'à présent que les prochaines attaques nucléaires conduites par les Etats-Unis le seraient au moyen de bombes B61-11 (déployées en Europe et en Turquie) si elles avaient lieu jusqu'en 2018 incluse, ou de bombes B61-12 si elles avaient lieu à partir de l'année prochaine. Comme on l'expose dans le onzième coup de minuit de l'avant-guerre, à paraître aux éditions Retour aux Sources le mois prochain, la B61-11 a une puissance de 400 kilotonnes tandis que la B61-12 aura une puissance maximale de 50 kilotonnes. Pour sa part la charge nucléaire du missile de croisière polyvalent Tomahawk est, sauf erreur, de 200 kilotonnes.

 

Cette petite différence montre sans le moindre doute possible que les Etats-Unis ne veulent pas se limiter à une capacité de frappes nucléaires tactiques en Europe. Ils veulent conserver une capacité de frappes stratégiques, basée hors de leur territoire national afin de prétendre à une action "graduée" interdisant au pays agressé de riposter sur leur territoire national sous peine de représailles mégatonniques massives. Ayant eu par deux fois, dernièrement, l'occasion de constater l'efficacité d'une défense antiaérienne moderne contre leurs vagues de missiles, ils veulent les baser à terre et au plus près des frontières ennemies (pour diminuer le temps de réaction) plutôt que les tirer d'une flotte en mer. Enfin leur intention est que certains de ces missiles atteignent vraiment leur cible, sans cela ils recourraient à une composante pilotée et larguée (B61), qui porte un plus fort message. Par conséquent ils envisagent une frappe de saturation, c'est-à-dire de déborder les défenses adverses par une vague de plusieurs centaines de missiles identiques tirés simultanément, dont plusieurs dizaines porteront une charge nucléaire, de 200 kilotonnes sauf erreur.

 

Il est temps que les pays européens comprennent ce que prépare leur allié américain.

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