Pétrole et politique étrangère

...par Giuseppe Gagliano - Septembre 2021

 Source : CF2R

Au début du XXe siècle, alors que les États-Unis et l’Europe redessinaient la carte du Moyen-Orient et se disputaient les droits d’exploitation et les contrats pétroliers, le rôle de la Chine dans la région était insignifiant. Pékin dépendait fortement du charbon et produisait elle-même du pétrole, en particulier après la découverte des champs pétrolifères de Daqing en 1959. Puis, au cours des années 1950 et 1960, la Chine a cherché à attiser les sentiments anticoloniaux au Moyen-Orient, y compris dans le but de tenir l’Union soviétique en échec après le conflit sino-soviétique qui a éclaté en 1960. Mais ce n’est qu’à la fin des années soixante-dix, lorsque Deng Xiaoping a commencé à ouvrir le pays au monde et a tenté de normaliser les relations avec ses partenaires internationaux en atténuant les divergences idéologiques, que Pékin s’est davantage impliqué dans la région du Golfe

Depuis le début des années 1990, la Chine cultive des relations avec les pays du Moyen-Orient, quelle que soit la nature des régimes politiques. Elle met notamment l’accent sur les relations économiques avec les six membres du Conseil de coopération du Golfe (Arabie saoudite, Koweït, Émirats arabes unis, Oman, Qatar et Bahreïn). Les échanges ont bondi rapidement de 1,5 milliard de dollars en 1991 à 20 milliards de dollars en 2004 et 33,8 milliards de dollars en 2005, avant d’atteindre 196 milliards de dollars en 2011. Les liens avec l’Iran se sont également développés de manière importante. En 2016, le président Xi a été le premier dirigeant chinois à se rendre à Téhéran depuis Jiang Zemin en 2001. Son voyage s’est traduit par le renouvellement du partenariat stratégique entre les deux pays et la signature de nombreux accords. Il prévoit d’étendre les relations bilatérales et de porter le commerce à 600 milliards de dollars au cours des dix prochaines années.

 

L’ÉTROIT CONTRÔLE DES COMPAGNIES PÉTROLIÈRES PAR L’ETAT CHINOIS

 

La centralité de la politique énergétique et surtout le volume très élevé des échanges ont conduit en 1998 le gouvernement chinois à nationaliser les entreprises du secteur des carburants sous la supervision de l’Administration nationale de l’Energie. À cette fin, Pékin a créé deux grandes entreprises pétrolières : la China National Petroleum Corporation (CNPC) et la China Petrochemical Corporation (Sinopec). Toutes deux sont devenues des acteurs majeurs dans le monde pétrolier d’aujourd’hui et sont actives à la fois dans l’exploration et la production. En outre, depuis 1982, une troisième entreprise, la China National Offshore Oil Corporation (CNOOC) développe des activités d’exploration et de production offshore.

Ces entreprises sont majoritairement détenues par l’État. En se développant, elles ont eu toutefois tendance à définir leurs propres plans d’action commerciaux. Il est clair, cependant, que le gouvernement entend maintenir le contrôle sur elles, afin que leur activité – entre autres objectifs – contribue à renforcer la stratégie nationale en matière de ressources énergétiques et de politique étrangère.

On a pu le constater en avril 2011, lorsque le Parti communiste chinois (PCC) a procédé à un remaniement des équipes de direction des trois grandes compagnies pétrolières nationales. Su Shulin, l’ancien secrétaire du parti et directeur général de Sinopec, a été nommé au poste de secrétaire adjoint du parti et gouverneur opérationnel de la province du Fujian. Fu Chengyu, ancien secrétaire du parti et directeur général de la CNOOC, a été muté au poste de président et secrétaire du parti de Sinopec. Le PCC a également annoncé que Wang Yilin, directeur général adjoint (et numéro trois officiel) de la CNPC, devenait le nouveau président et secrétaire du parti de la CNOOC.

Ces remaniements indiquent clairement que le Parti communiste conserve le contrôle des grandes compagnies pétrolières. Contrairement au processus de sélection d’un PDG couramment observé dans des sociétés comme ExxonMobil ou Shell – où le poste est attribué par un conseil d’administration indépendant ou des cadres supérieurs -, la désignation des dirigeants des compagnies pétrolières nationales chinoises est faite par le département des ressources humaines du PCC, sous réserve de l’approbation finale du Politburo. Une préoccupation profondément ancrée en Chine est que si la situation devient critique et que la demande nationale d’énergie et d’autres ressources naturelles dépasse l’offre, d’autres grandes puissances, et en particulier les États-Unis, tenteront d’empêcher la Chine d’y accéder.

 

ASSURER LA PÉRENNITÉ DE L’APPROVISIONNEMENT ÉNERGÉTIQUE

 

Les Chinois savent que les États-Unis ont solidement établi leur domination stratégique dans le golfe Persique, qu’ils disposent d’une énorme influence sur le secteur pétrolier mondial et que leurs navires de guerre contrôlent les principales routes maritimes du transport de l’énergie. Pékin, étant entré tardivement dans la course stratégique aux hydrocarbures internationales, sait pertinemment que les partenariats conclus depuis plusieurs décennies entre les pays producteurs et les sociétés européennes, japonaises et américaines sont bien établis.

Les entreprises publiques chinoises ont donc deux missions : l’achat d’actifs étrangers dans le secteur de l’énergie et l’acquisition de ressources énergétiques, de préférence en signant des contrats à long terme. Cette approche a pour but de permettre à la Chine d’éviter de se retrouver dans une situation de dépendance exclusive vis-à-vis d’un nombre limité de fournisseurs d’hydrocarbures.

Pékin a choisi dans un premier temps de développer ses relations diplomatiques et commerciales avec des pays dans lesquels les intérêts occidentaux étaient moins marqués. Elle s’est ainsi, par opportunisme, rapprochée de la Russie et du Kazakhstan, du Yémen, d’Oman et de plusieurs Etats africains, ainsi que de pays dont les relations avec l’Occident étaient très mauvaises, comme le Soudan et l’Iran. Cependant, Pékin n’a pas hésité à nouer des liens avec des Etats dans lesquels l’Europe et les Etats-Unis étaient bien implantés, car elle dispose d’arguments forts : à savoir la taille extraordinaire de son marché, et le fait de n’avoir jamais été à l’origine de tensions et de conflits dans les régions productrices de pétrole.

Puis, au cours des années 1990, Pékin a continué de signer des accords pour sécuriser ses approvisionnements à long terme et à acheter des installations de production en Afrique et en Amérique latine. La Chine a ainsi développé une réserve stratégique de pétrole suffisante pour rester opérationnelle pendant trois mois, même en l’absence de toute importation. Elle a également misé sur la coopération avec la Russie et le Kazakhstan pour ne pas dépendre des routes maritimes.

Les compagnies pétrolières chinoises ont aussi acheté des champs pétrolifères au Canada et au Pérou. En 1995, la CNPC a signé un accord avec la société japonaise Marubeni pour la création dans divers pays de joint-ventures dans les phases les plus « en aval » du processus de production. Elle a enfin conclu une joint-venture avec un partenaire américain et acheté quatre-vingt-dix-huit anciens puits de pétrole au Texas.

La Chine dispose de nombreux atouts pour conclure ses opérations énergétiques. Son statut de membre du Conseil de sécurité de l’ONU et d’autres organes des Nations Unies lui donne un réel poids international. Sa puissante industrie de défense réalise d’importantes ventes d’armes vers des pays comme l’Irak, l’Iran, le Soudan, l’Angola et le Nigeria, pays où elle cherche à obtenir des concessions pétrolières. On connait également son approche conciliante dans certains différends frontaliers – comme cela s’est produit avec le Kazakhstan – quand ses intérêts énergétiques l’exigent. Pékin peut donc offrir un soutien diplomatique et une assistance aux pays producteurs avec lesquels elle entretient des relations en cas de différend avec leurs voisins et au-delà (Angola, Soudan, Iran).

 

LA POLITIQUE VIS-À-VIS DES PAYS DU GOLFE

 

A peine avait-elle décidé d’établir des relations avec les pays du golfe Persique, que la Chine s’est efforcée d’améliorer sa position dans la région en faisant preuve d’une admirable compréhension des luttes de pouvoir en jeu.

Pékin a compris qu’il était devenu politiquement intéressant pour les pays du Golfe de ne pas avoir à compter uniquement sur la puissance des États-Unis et de diversifier les relations qu’ils entretenaient avec eux. Sans chercher à remplacer les Américains dans la région, la Chine s’est affirmée en construisant stratégiquement de nouveaux partenariats, en créant des relations d’interdépendance avec les monarchies du Golfe et en se transformant doucement en une puissance « inoffensive » offrant une alternative solide à un statu quo quelque peu fossilisé. La Chine a ainsi essayé de développer toutes les opportunités qu’elle a pu entrevoir ; c’est pourquoi elle entretient des relations spécifiques avec chacun des pays du Golfe. En janvier 2012, le Premier ministre chinois Wen Jiabao a visité trois pays de la région producteurs de pétrole et de gaz : l’Arabie saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis. Il s’agissait du premier voyage d’un Premier ministre chinois en Arabie saoudite depuis vingt ans et du premier pour le Qatar et les Émirats arabes unis. La Chine devait en effet chercher à limiter les dégâts, étant donné qu’en 2011 la plus importante entreprise d’armement chinoise avait permis au colonel Mouammar Kadhafi, le dictateur libyen qui a été par la suite destitué puis tué, d’acheter des armes ayant servir à réprimer le soulèvement. Par ailleurs, Pékin maintenait d’excellentes relations avec le Yémen, la Syrie et l’Iran. 

 

L’IMPORTANCE DES RELATIONS AVEC L’IRAN

 

L’Iran est le troisième fournisseur de pétrole brut de la Chine, avec environ 500 000 barils par jour. Par conséquent, ce pays joue un rôle essentiel pour sa sécurité énergétique. La perte du pétrole iranien, si elle n’était pas immédiatement remplacée, produirait un choc immédiat dans l’économie chinoise. La Chine a donc signé des contrats de plusieurs milliards de dollars avec Téhéran dans les domaines de la prospection et du raffinage. En outre, pendant la période des sanctions et de l’embargo contre dont a été victime ce pays, Pékin s’est retrouvé sur le fil du rasoir, s’en tenant à la position selon laquelle les sanctions n’avaient pas été légitimées par les Nations Unies, tout en tenant compte des intérêts des autres partenaires commerciaux. La visite du secrétaire au Trésor des États-Unis, Timothy Geithner, à Pékin, en janvier 2012, a été particulièrement stratégique à cet égard. Son but était en effet de tenter de faire changer la position de la Chine sur l’Iran. Dans sa déclaration finale, M. Geithner s’est limité à déclarer : « Nous avons établi une relation de coopération très forte sur la croissance économique, la stabilité financière mondiale et la non-prolifération nucléaire. » Le vice-ministre chinois des Affaires étrangères Zhai Jun a été encore plus explicite en exprimant les préoccupations de son pays de façon très claire : « L’Iran est aussi un fournisseur de pétrole particulièrement important et les importations de la Chine ne doivent pas être affectées [par les sanctions] parce qu’elles sont nécessaires à notre développement… Nous sommes opposés à l’application de pressions et de sanctions car ces approches ne résolvent rien. Elles ne l’ont jamais fait. Nous espérons que ces sanctions unilatérales ne toucheront pas les intérêts de la Chine. »

Les relations entre la Chine et l’Iran, bien que principalement de nature économique, se sont ensuite étendues à d’autres domaines. En juillet 2005, l’Iran, avec l’Inde et le Pakistan, a obtenu le statut d’observateur au sein de l’Organisation de coopération de Shanghai, un organe intergouvernemental de sécurité régionale qui lutte contre le séparatisme et le terrorisme.

 

LES LIENS AVEC L’AFRIQUE

 

Les liens de la Chine avec l’Afrique remontent aux années 50. À l’époque, pour le moins isolée, elle s’était tournée vers ce continent pour y vendre une gamme limitée de produits et construire des relations diplomatiques. Aujourd’hui, la prospection pétrolière est un des domaines les plus importants de l’investissement chinois sur le continent africain qui possède 10% des réserves mondiales de pétrole, et qui est la deuxième source d’approvisionnement de pétrole brut pour la Chine. Les principaux fournisseurs de Pékin sur le continent sont l’Angola, le Soudan, la République du Congo, la Guinée équatoriale et le Nigeria, mais aussi le Gabon, l’Algérie, la Libye, le Libéria, le Tchad et le Kenya. La Chine achète de ces pays non seulement du pétrole, mais aussi du minerai de fer et des métaux, tout en exportant des machines, de l’électronique, des moyens de transport et du matériel de communication. En 2010, le commerce sino-africain a atteint 126,9 milliards. En 2014, selon les données du Wall Street Journal, les échanges, composés principalement de matériaux de base et de matières premières, atteignaient près de 166 milliards de dollars. Avec l’Afrique, la politique chinoise a été double : d’une part, elle a offert aux pays riches en pétrole et minéraux des prêts pour le développement garantis par des ressources ; d’autre part, elle a créé des zones économiques et commerciales spéciales avec différents pays de la région. Pékin a appelé cette stratégie de « relations spéciales » la politique de coopération sino-africaine « gagnant-gagnant ».

Il est indéniable que la Chine s’attache au renforcement de ses liens avec les pays africains. Sa politique de non-intervention dans les affaires intérieures des différents pays est une source de frustration pour la communauté mondiale face aux cas réguliers de violation flagrante des droits de l’homme par divers régimes, entraînant une augmentation des tensions et suscitant un ressentiment croissant car ces échanges économiques non transparents entravent les efforts visant à introduire dans ces pays le principe de responsabilité des gouvernements et le processus de démocratisation.

En dépit du fait que la communauté internationale critique de plus en plus sa politique de non-ingérence et ses investissements, jusqye dans des régions où des conflits sont en cours, Pékin renforce sa présence sur le continent mais, malgré la haute estime dont elle jouit en Afrique, son moment de grâce pourrait bien toucher bientôt à sa fin. Des membres de la société civile africaine commencent à se demander quelles seront les conséquences pour l’économie africaine et sa population si la Chine achète toutes ses ressources. Deviendront-ils simplement un marché pour les produits à valeur ajoutée de l’industrie manufacturière chinoise ? A court terme, les politiques de la Chine vont donc vraisemblablement être mises à l’épreuve et Pékin pourrait bien se retrouver de plus en plus au centre des critiques des syndicats, des ONG et de la société civile.

Mais jusque-là la Chine a trouvé un moyen de rendre sa présence et ses intérêts moins oppressifs et controversés que ceux des anciennes puissances occidentales au long passé colonial embarrassant ou aux tendances interventionnistes fortes. Toutefois, le déploiement progressif des politiques de Pékin donne à l’Occident l’occasion de mieux évaluer les intentions géostratégiques et économiques de la Chine alors que la ruée vers le contrôle de ressources limitées s’intensifie. 

 

LA PÉNÉTRATION EN AMÉRIQUE DU NORD

 

La Chine agit de manière prudente, mais déterminée pour assurer non seulement l’accès, mais aussi une prise de participation dans les ressources énergétiques et naturelles du reste du monde. Une bonne illustration en a été donnée au Canada suite à la décision de ce pays de devenir un producteur d’énergie et de ressources naturelles important, surtout dans les territoires de l’Ouest, qui a suscité l’intérêt de Pékin et sa décision d’investir et d’opérer dans cette région. Les Chinois se sont concentrés sur des opérations modestes qui ne nécessitent pas l’approbation du gouvernement et qui ne soulèvent pas de débats politiques houleux sur les intérêts nationaux canadiens. Ainsi, au Canada, des entreprises chinoises ont commencé à acheter des participations avant de réaliser des opérations d’envergure. Récemment, Athabasca Oil Sands Corp. a exercé une option prévue dans le cadre d’une transaction conclue en 2009 avec la filiale de PetroChina[1], CNPC, qui permet au géant pétrolier chinois de devenir non seulement actionnaire mais aussi propriétaire à part entière du projet canadien d’extraction du pétrole des sables bitumineux du fleuve MacKay, qui sera achevé en 2023. La Sinopec a également conclu une transaction avec Daylight Energy Ltd. pour un montant de 2,2 milliards de dollars.

Pour mieux accéder et exploiter les ressources naturelles, la Chine a encore besoin de transferts de technologie. Elle veut être certaine, si sa production nationale ne suffit pas à répondre aux besoins croissants de son économie et de sa société, qu’elle puisse compter sur ses actifs énergétiques et miniers à l’étranger. S’appuyer entièrement sur le marché libre ne suffit pas. Les sables bitumineux du Canada constituent un objectif important pour les Chinois, qui sont prêts à envisager la construction de pipelines dans le Pacifique pour se garantir l’accès au pétrole, notamment afin d’éviter le détroit de Malacca, qui pourrait à l’avenir devenir une zone de conflit.

Il est ainsi intéressant d’observer qu’en 2011, PetroChina a dépassé ExxonMobil dans la production de pétrole brut. Bien que toutes les compagnies pétrolières cherchent activement de nouveaux gisements pour remplacer les puits existants, les Chinois ont été parmi les plus audacieux. Avec moins d’intérêt pour les bénéfices d’exploitation que les autres sociétés cotées, et étant donné que les prix du pétrole sont restés particulièrement élevés pendant de nombreuses années, la mission de PetroChina est désormais principalement de trouver de nouvelles façons de répondre à la demande croissante de pétrole du pays. La compagnie a pompé tout ce qu’elle pouvait des anciens puits de pétrole nationaux et a acheté des réserves en Irak, en Australie, en Afrique, au Qatar et au Canada. Selon l’Agence internationale de l’Energie (IAE), le total des acquisitions réalisées par les entreprises énergétiques chinoises en 2009 et 2010 a bondi à 48 milliards de dollars (contre 2 milliards de dollars entre 2002 et 2003). Plus précisément, selon un rapport de cette même agence, au cours des trois années précédant le rapport de 2014, la Chine a déboursé un total de 73 milliards de dollars d’investissements « en amont » et en 2014 a opéré dans plus de quarante pays pour contrôler environ 7% de la production mondiale de pétrole brut. Selon le Wall Street Journal, au cours des cinq premiers mois de 2016, la Chine avait déjà réalisé des acquisitions d’entreprises étrangères pour 110,8 milliards de dollars, dépassant les chiffres de 2015.

 

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Si les pays occidentaux surestiment parfois le niveau de coordination entre les entreprises pétrolières chinoises et le gouvernement qui les supervise, il n’en demeure pas moins que la République populaire de Chine reste régie par un système hautement centralisé et, bien qu’elle commence peu à peu à perdre son contrôle absolu sur les priorités des entreprises qui opèrent à l’étranger, elle a encore le pouvoir de mener ou d’interrompre des opérations.

Ses politiques sont donc beaucoup plus cristallisées et ciblées que celles d’autres États et des grandes puissances. Ses mouvements géostratégiques sont soigneusement planifiés pour assurer la sécurité énergétique et l’approvisionnement en ressources afin que son développement interne puisse se poursuivre sans faillir. Son système à parti unique et son modèle économique de capitalisme d’État lui permettent de participer à la compétition économique mondiale en prenant des décisions cruciales centralisées, que ses rivaux – pour beaucoup d’entre eux des démocraties matures – ne peuvent se permettre de prendre sans le consentement de nombreux acteurs, comme le grand public, les ONG, les organisations industrielles, les médias, les institutions financières et politiques.

L’étude de la politique de sécurité énergétique chinoise est révélatrice de la façon dont ce pays conçoit les ressources stratégiques. Si le pétrole a été la principale ressource énergétique du miracle industriel chinois, les terres rares sont aujourd’hui devenues essentielles pour les industries de la haute technologie numérique qui en ont besoin, non seulement pour la transition vers les sources d’énergie renouvelables, mais aussi pour une grande variété d’applications qui accompagnent nos nouvelles habitudes de vie et la révolution de l’information. S’il est vrai que le monde a encore besoin de millions de barils de pétrole par jour, ces petites quantités de terres rares sont tout aussi vitales pour rendre nos inventions et leurs applications plus brillantes, plus efficaces, plus compactes et plus performantes.

 

 

Le véritable jeu de la Chine en Ukraine

par Pepe Escobar - Le 02/05/2023.

Pékin est parfaitement conscient que la guerre par procuration de l’OTAN contre la Russie en Ukraine est le double indissociable de la guerre menée par les États-Unis contre son Initiative Ceinture et Route.

Imaginez le président Xi Jinping rassemblant une patience taoïste non diluée pour souffrir d’un appel téléphonique avec cet acteur belliciste en T-shirt moite à Kiev tout en essayant de lui enseigner quelques faits de la vie – avec la promesse d’envoyer une délégation chinoise de haut niveau en Ukraine pour discuter de la « paix ».

Cette « victoire » diplomatique, qui a fait l’objet d’une campagne d’information, cache bien plus que ce que l’on peut en attendre, du moins du point de vue de l’OTAN.

La question est inévitable : quel est l’intérêt de cet appel téléphonique ? C’est très simple : il s’agit d’affaires.

Les dirigeants de Pékin sont parfaitement conscients que la guerre par procuration de l’OTAN contre la Russie en Ukraine est le double indissociable d’une guerre directe américaine contre l’Initiative Ceinture et Route (BRI).

Jusqu’à récemment, et depuis 2019, Pékin était le premier partenaire commercial de Kiev (14,4% des importations, 15,3% des exportations). La Chine exportait essentiellement des machines, des équipements, des voitures et des produits chimiques, et importait des produits alimentaires, des métaux et aussi quelques machines.

Très peu d’Occidentaux savent que l’Ukraine a adhéré à la BRI dès 2014 et qu’un centre de commerce et d’investissement de la BRI opère à Kiev depuis 2018. Les projets de la BRI comprennent une initiative de 2017 visant à construire la quatrième ligne du système de métro de Kiev, ainsi que la 4G installée par Huawei. Tout est bloqué depuis 2022.

Noble Agri, filiale de COFCO (China National Cereals, Oils and Foodstuffs Corporation), a investi dans un complexe de transformation de graines de tournesol à Marioupol et dans le terminal portuaire céréalier de Mykolaïv, récemment construit. La prochaine étape sera nécessairement la coopération entre les autorités du Donbass et les Chinois en ce qui concerne la reconstruction de leurs actifs qui ont pu être endommagés pendant la guerre.

Pékin a également tenté de s’impliquer fortement dans le secteur de la défense ukrainien et même de racheter Motor Sich, ce qui a été bloqué par Kiev.

Regardez ce néon

Du point de vue de la Chine, l’Ukraine est donc un cocktail de commerce et d’investissement comprenant la BRI, les chemins de fer, les fournitures militaires, la 4G et les emplois dans le secteur de la construction. Et puis, le vecteur clé : le néon.

Environ la moitié du néon utilisé dans la production de semi-conducteurs était fournie, jusqu’à récemment, par deux entreprises ukrainiennes : Ingas, à Marioupol, et Cryoin, à Odessa. Depuis le début de l’opération militaire spéciale, il n’y a plus d’activité commerciale. Cela affecte directement la production chinoise de semi-conducteurs. On peut parier que l’Hégémon se fait du souci.

L’Ukraine représente une valeur pour la Chine en tant que carrefour de la BRI. La guerre interrompt non seulement les affaires, mais aussi, dans une perspective plus large, l’un des corridors commerciaux et de connectivité reliant la Chine occidentale à l’Europe de l’Est. La BRI conditionne toutes les décisions clés prises à Pékin, car elle constitue le concept global de la politique étrangère chinoise jusqu’au milieu du siècle.

C’est ce qui explique l’appel téléphonique de Xi, réfutant toutes les absurdités de l’OTAN sur le fait que la Chine prête enfin attention à l’acteur belliciste.

La relation bilatérale globale qui dicte la géopolitique de Pékin est tout aussi pertinente que la BRI : le partenariat stratégique global entre la Russie et la Chine.

Passons donc à la réunion des ministres de la Défense de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) qui s’est tenue en début de semaine à Delhi.

La principale réunion en Inde a eu lieu entre le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgu, et son collègue chinois, Li Shangfu. Li était récemment à Moscou et a été reçu par Poutine en personne pour une conversation spéciale. Cette fois, il a invité Choïgu à se rendre à Pékin, ce qui a été rapidement accepté.

Inutile d’ajouter que tous les acteurs de l’OCS et au-delà, y compris les nations qui ne sont pour l’instant que des observateurs ou des partenaires de dialogue, ainsi que d’autres qui souhaitent devenir des membres à part entière, comme l’Arabie saoudite, ont prêté une attention toute particulière à la camaraderie entre Choïgu et Shangfu.

En ce qui concerne les « stans » d’Asie centrale, profondément stratégiques, cela représente le traitement de six pieds sous terre pour l’hégémon qui souhaite les utiliser dans un schéma « diviser pour régner » opposant la Russie à la Chine.

Choïgu-Shangfu a également envoyé un message subtil à l’Inde et au Pakistan, membres de l’OCS : arrêtez de vous chamailler et, dans le cas de Delhi, faites vos jeux, ainsi qu’à l’Iran, membre à part entière (en 2023), et à l’Arabie saoudite, futur membre : c’est ici que ça se passe, c’est à cette table que ça se passe.

Tout ce qui précède met également en évidence l’interconnexion croissante entre la BRI et l’OCS, toutes deux placées sous la direction de la Russie et de la Chine.

Les BRICS sont essentiellement un club économique – doté de sa propre banque, la NDB – et axé sur le commerce. Il s’agit surtout de puissance douce. L’OCS est axée sur la sécurité. Il s’agit d’un pouvoir fort. Ensemble, ces deux organisations clés ouvriront la voie au multilatéralisme.

Quant à ce qu’il restera de l’Ukraine, elle est déjà achetée par des méga-joueurs occidentaux tels que BlackRock, Cargill et Monsanto. Mais Pékin ne compte pas se laisser faire. Des choses plus étranges sont arrivées qu’une future Ukraine croupion positionnée en tant que partenaire commercial et de connectivité de la BRI.

Pepe Escobar

source : Strategic Culture Foundation

traduction Réseau International

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