Le cas de l’Occident est perdu

...par Paul Schmutz Schaller - Le 07/11/2019.

J’affirme que 2019 sera l’année où il est devenu évident que le cas de l’hégémonie occidentale est perdu. Dans mon article « L’Iran ou la lutte pour l’initiative stratégique » (7 août 2019), j’ai écrit que les forces hégémoniques occidentales et les forces anti-hégémoniques mondiales luttent pour l’initiative stratégique et que l’Iran est en fait le centre de ce combat. Depuis, la situation a évolué. Le côté hégémonique a clairement perdu l’initiative, beaucoup plus vite que je ne le pensais.

Aucun objectif d’agression n’a été atteint par le gouvernement Trump

Sous le Président Trump, les États-Unis avaient trois objectifs principaux : Chine et Corée du Nord, Iran et Moyen-Orient, Venezuela et Cuba. Toutes les attaques correspondantes ont été repoussées avec succès.

Après les protestations en Équateur et au Chili et les élections en Bolivie et en Argentine, la position politique du Venezuela s’est considérablement renforcée. Maintenant, les pays isolés d’Amérique du Sud sont plutôt le Brésil et la Colombie, pas le Venezuela.

L’Iran a repoussé toutes les agressions directes. La décision des dirigeants iraniens d’exclure l’idée de négociations avec les États-Unis a prévalu. Le Guide Suprême Khamenei a récemment déclaré (IRNA, 3 novembre) :

« Cette interdiction de négocier est fondée sur une logique ferme. Elle bloque l’infiltration de l’ennemi, montre au monde la grandeur de la République Islamique et détruit la fausse grandeur des États-Unis aux yeux du monde. (….) Négocier avec les États-Unis ne résoudra aucun problème« .

De plus, les attaques contre les alliés régionaux iraniens ont échoué. Au Liban, des forces hostiles visaient à affaiblir le Hezbollah en exploitant le mouvement de protestation. Cependant, le Hezbollah a réagi avec beaucoup d’assurance. Dans son discours du 1er novembre, Nasrallah a dit (Alahednews, 1er novembre) :

« Grâce à cette prise de conscience, le peuple libanais a pu déjouer certains stratagèmes visant à aggraver la situation, ce qui aurait pu conduire à des affrontements internes et au chaos dans les rues. (…) Ce qui a empêché le chaos, c’est le niveau de conscience, de discipline et de perspicacité que beaucoup de Libanais ont apprécié dans différents domaines. (…) Un nouveau gouvernement doit être formé dès que possible. (…) Nous demandons un véritable gouvernement souverain dont le choix devrait être purement libanais. Nous devons parler du rôle des États-Unis qui empêche le Liban de sortir de sa situation actuelle« .

En Irak, la situation est similaire ; même si le résultat n’est pas encore très clair, il est évident que des forces politiques irakiennes fortes sont bien conscientes des dangers. Enfin, la guerre de l’Arabie Saoudite contre le Yémen perd de plus en plus de soutien. Après que les Émirats Arabes Unis aient retiré leurs troupes de la coalition saoudienne, la même mesure a été prise par le Soudan.

En ce qui concerne la Corée du Nord, les dirigeants politiques ont judicieusement défendu les intérêts nationaux tout en restant ouverts à une amélioration des relations avec les États-Unis – si ces derniers abandonnent leur politique hostile. Finalement, il y a la soi-disant guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine. Apparemment, les États-Unis n’ont pas le pouvoir de faire peur à la Chine. Alors que certains experts doutent qu’il y aura un accord, je pense plutôt qu’un accord (partiel) sera conclu, dans le sens où la Chine fera des concessions économiques en échange d’une amélioration stratégique du gouvernement US et, par la suite, du monde.

Les dirigeants du camp anti-hégémonique sont beaucoup plus forts que les dirigeants occidentaux

En fait, la propagande occidentale ne peut présenter une image positive d’un dirigeant politique occidental. L’étoile de Macron et Trudeau s’est fanée – ils ont été présentés comme les sonnyboys occidentaux : jeunes, beaux et dynamiques. Merkel avait quelques qualités, mais elle a maintenant perdu son influence, et son successeur désigné Kramp-Karrenbauer ne peut pas convaincre la population allemande. Corbyn (Royaume-Uni) a donné quelques raisons d’espérer, mais sa politique nébuleuse à l’égard du Brexit a été très peu convaincante. En outre, l’influence de von der Leyen, la nouvelle présidente de la Commission européenne, sera probablement très limitée, étant donné qu’elle est allemande, mais pas très populaire en Allemagne. L’absence de dirigeants politiques forts est soulignée par le fait que les médias occidentaux font de Greta Thunberg une icône politique.

Ainsi, pour le moment et malgré la résistance de l’establishment politique, les bulldogs comme Trump et Johnson (UK) dominent plutôt le marché occidental de l’image. Cependant, leur charisme est limité et ils ne seront pas en mesure d’unir les classes dirigeantes de leur pays.

D’autre part, des dirigeants politiques très forts sont apparus du côté anti-hégémonique. L’intelligence et la prévoyance stratégique de Poutine sont reconnues dans le monde entier. Xi est l’un des très rares dirigeants politiques à avoir une vision claire du développement de son pays pour les 30 prochaines années.

Le plus remarquable est le fait que le Moyen-Orient a produit un certain nombre de dirigeants politiques exceptionnels. Nasrallah est Secrétaire Général du Hezbollah depuis 1992 (il avait 32 ans) et il est apparemment reconnu comme une figure clé de tout le Moyen-Orient. Le Guide Suprême Khamenei est à son poste depuis 1989 et a guidé son pays sans crise majeure, contre l’hostilité très dure des États-Unis et d’Israël. Durant les 8 années de guerre, le Président Assad a acquis le statut de grand leader politique. Il gagne lentement le respect international qu’il mérite.

L’économie occidentale est très défensive

Même pour un profane en matière économique, il est devenu évident que la politique économique occidentale est irrationnelle. La stratégie prolongée des intérêts très bas semble être dominée par la panique d’une crise économique. Cependant, cette stratégie neutralise un important moteur d’innovations et d’adaptations économiques. L’objectif unique est le maintien du statu quo. Cela ne peut pas bien se passer.

Les sociétés occidentales reflètent cette situation. Considérer le travail salarié comme un but dans la vie – qui devrait permettre de progresser socialement – a largement perdu de son attrait. L’objectif est simplement d’avoir un emploi, au moins. Cela renvoie à la faiblesse de l’hégémonie occidentale qui n’est plus en mesure d’enrichir une grande partie des populations.

Cette situation contraste fortement avec le développement dynamique de l’Asie. Là-bas, l’intégration économique progresse rapidement. On a la forte impression que l’Asie de l’Est et du Sud-Est vit déjà dans un monde post-occidental. D’ailleurs, cela a été décrit plus tôt par « Chapeau Conique » (sur le Blog du Saker), voir « Rapport spécial : Le Vietnam entre les États-Unis, la Russie et la Chine » (12 mai 2015).

La grande inconnue : la réaction des populations occidentales

Cela reste une énigme pour moi. De larges segments des populations occidentales, malgré toute leur éducation, leurs possibilités d’information, leurs voyages, semblent vivre dans un monde fictif, croyant encore – pathologiquement – à la supériorité de l’Occident. Bien sûr, cela ne peut pas durer très longtemps. Mais comment réagiront les populations lorsqu’elles prendront conscience des nouvelles réalités politiques et économiques du monde ?

Une réaction possible est la frustration, comme cela a été démontré à Hong Kong depuis quelques mois, une frustration qui est exploitée par certains groupes fascistes. Ce type de réaction est préparé par la haine (contre toutes les forces anti-hégémoniques) qui s’exprime – au quotidien – dans les grands journaux occidentaux. Une autre possibilité est l’escalade constante des affrontements internes, qui entraînent une situation de guerre civile.

Bien entendu, une transition en douceur reste également possible. Mais cela nécessiterait de toute urgence un engagement accru de la part de personnalités de premier plan en Occident. L’aveu de Macron que l’hégémonie occidentale touche à sa fin était certainement un pas dans la bonne direction. Un autre exemple peut être trouvé dans l’article « Est-ce que Trump met finalement un terme à nos ‘guerres sans fin’ ?« , écrit par Patrick Buchanan, paru dans The Unz Review le 8 octobre, où l’auteur écrit : « Et, oui, il y a un prix à payer pour laisser partir un empire, mais il est presque toujours inférieur au prix de le maintenir« . Et clairement, le fait que quelqu’un comme Tulsi Gabbard existe et gagne en popularité, est très positif. Néanmoins, il reste encore beaucoup à faire pour prévenir les éruptions violentes dans les pays occidentaux, provoquées par des parties de la population qui ne peuvent accepter les changements dans le monde.

Permettez-moi de terminer par une remarque personnelle, illustrant la faiblesse de la conscience en Occident. Malgré le fait que je n’ai jamais eu de profession liée à l’analyse (géo)politique et que je ne dispose pas de relations particulières pour obtenir des informations « secrètes », j’ai l’impression que ma lecture des événements mondiaux est plus claire que celle des analystes suisses les plus professionnels. Ce n’était pas prévu, et cela ne me rend pas particulièrement fier ou joyeux. C’est devenu de plus en plus évident au fil des ans et cela ne cesse de m’étonner. Cela fait partie de cette énigme concernant les populations occidentales.

source : The case of the Occident is lost

traduit par Réseau International

Source : https://reseauinternational.net/le-cas-de-loccident-est-perdu/

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