Les pilotes de chasse

Je ne peux pas résister au plaisir de raconter une petite anecdote qui illustre cette guéguerre permanente, à l’époque, entre les deux principales composantes de la CHÂÂSSE.

 

En juillet 1976 nous sommes en stage au centre de montagne d’Ancelle où, avec les futurs cadres de l’École de l’air, nous nous faisons « briefer » et « formater », pour devenir aptes à former les futurs chefs de l’Armée de l’air. L’ambiance est studieuse, excellente, et l’origine des stagiaires très diverse puisqu’un officier anglais et un officier allemand sont parmi nous.

Un jour, je dois faire un briefing sur la façon de motiver les élèves pilotes pour qu’ils choisissent l’aviation de chasse. Je fais ce que je peux et, au moment des questions et des commentaires, le chef de stage, pilote de Défense Aérienne dans l’âme me dit :

- C’est pas mal mais, pour gagner en crédibilité, il vous faudrait être un peu plus persuasif. Vous venez des F-100, avion à vocation air-sol, alors que la CHÂÂSSE, c’est le combat aérien. Pouvez vous nous dire, d’ailleurs, pourquoi vous ne vous êtes jamais vraiment battu pour rejoindre une escadre de Défense Aérienne ?

Silence intéressé dans la salle et sourires narquois des auditeurs, qui attendent de découvrir la suite du serpent de mer qui vient de monter sa tête. Ma réponse est toute prête.

- Mais, Mon Commandant, c’est parce que j’aime ce que je fais. Comme je ne me sentais pas particulièrement motivé, ni pour tourner « Les chevaliers du ciel » avec Tanguy et Laverdure, ni pour servir d’escorte aux chefs d’état étrangers qui survolent notre pays, j’ai préféré les voyages et, surtout, j’aime le monoplace. Je m’y sens libre, maître à bord, chez moi.

- Comment ? Votre réponse ne tient pas la route. Dans la Défense Aérienne, justement, il n’y a que des monoplaces.

- Pardon, Mon Commandant, dans la Défense Aérienne, il y a toujours un équipage à deux. Un pilote, qui est seul dans l’avion et, sur terre ou sous terre, un chef de mission qui donne les ordres ou qui les fait transmettre, en temps réel, par un contrôleur :

- target à 10 heures haut, prenez le cap 320, accélérez, vérifiez pétrole et oxygène, votre base dans le 240 pour trente nautiques etc.

Moi, à 600 pieds, en France et surtout en Afrique, personne ne me surveille. Personne ne me voit, je me sens libre et responsable.

 

Rires de la foule, du Commandant, et nouvelle discussion autour du serpent de mer.

 

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Dans les années 90, après la guerre du Golfe et pendant les opérations sur l’ex Yougoslavie, un ancien pilote de Jaguar m’a dit que la rivalité était toujours bien vivante. La plaisanterie voulait que, pour connaître la spécialité des chasseurs, il suffisait de regarder leurs tenues :

- en tenue de vol, les combinaisons des pilotes de DA, toujours très propres, sont couvertes de badges. Les combinaisons des « muds » sont souvent « crad » et peu décorées.

- en grande tenue, c’est l’uniforme des « muds » qui arbore les décorations.

Il y a bien longtemps que la DA n’a plus obtenu de victoires contre un hostile en air/air.

 

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* "Châsseur" : le terme est resté prestigieux. Écrit par un amiral pilote de Crusader.

Dans la Marine, tout ce qui vole sur réacteur monoplace se dit chasseur. Les pilotes d’Étendard et de Super Étendard par exemple, toujours en paquets de 4, 8 ou davantage, le plus souvent au ras du sol, se prétendaient chasseurs, alors qu’ils sont pilotes d’assaut,. Ils professaient d'ailleurs parfois un mépris certain pour les pilotes de Crusader - "rien dans la tête" - dont ils croyaient connaître le métier alors qu’ils ne volaient pratiquement pas quand les poules étaient couchées. Le summum de la prétention était atteint par les pilotes de reconnaissance - Étendard IVP - qui se disaient "chasseurs intelligents" mais ne connaissaient que le vol rectiligne horizontal et, lorsqu’ils appuyaient sur la détente, se contentaient de prendre des photos.

Non, le chasseur c’est celui qui en deux minutes peut passer de l’immobilité au sol ou sur le pont d’un porte avions au vol supersonique à 40 000 pieds, regarder le soleil en face, tournoyer à 3, 5, 7g pour garder le "visuel " sur son équipier ou son adversaire, plonger vers la mer ou le sol, l’œil rivé dans le collimateur, et dans la symphonie en bleu du ciel et de la mer, toujours savoir où est le haut et où est le bas - ah le reflet du soleil dans la mer qui peut vous piéger… - et de nuit exécuter une montée Post Combustion allumée en virage à 60°, l’œil dans le radar… et tout cela avec le minimum de mots. "Chasseurs tous temps, mes frères, écoutez, les chiens aboient… Passons."

 

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Raids Aviation n° 18 (Avril mai 2015) page 7 : La chasse au Tu-95 est ouverte.

Interception et escorte d'un TU -95 le long des côtes françaises.

« Régulièrement on s’interroge dans les salons : Faut-il moins de chasseurs purs ? A quoi sert un canon ? La P.O. n’est-ce pas du temps et du potentiel gâchés ? Ce 28 janvier, étonnamment, pas une voix n’est venue soulever de telles questions… »

 

Un début de réponse au rédac-chef :
A peine arrivé à la page 7, en lisant la fin de l'article "La chasse au Tu 95 est ouverte" j'ai souri et rajeuni en voyant resurgir un vieux serpent de mer.
Oui, je pense que la DA est indispensable pour assurer un minimum de "police du ciel".

La neutralisation d'un raid hostile d’avions modernes serait une autre paire de manches.
Pour moi, ces discussions de salon portent surtout sur la guéguerre familiale entre chasseurs, qui doivent se partager les mêmes budgets, les mêmes postes et leurs contraintes, pour des missions confiées à l'Armée de l'air et à l'Aéronautique Navale.

A ce sujet, j'ai noté que le Tu-95 n'avait été escorté le long des côtes françaises que par... l'Armée de l’air.

Les "Rafale" de la Royale seraient-ils inutilisables en dehors du porte-avions ?    

Peut-être étaient-ils eux aussi en OPEX, sur des bases terrestres pour « aider » l'Armée de l’air ?

 

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Tutoiement entre pilotes militaires.

Quand nous étions élèves à Salon il nous était enseigné de ne jamais tutoyer les sous-officiers. Si nous n'avons jamais tutoyé nos sous-officiers d'encadrement, ceci ne nous a pas empêchés, en fin de progression, de nous tutoyer avec la plupart de nos jeunes sergents moniteurs.

En escadron opérationnel les règles sont plus subtiles.
Dès qu'il s'agit de vol, la qualification professionnelle prime le grade. Mis à part le commandant d'escadron, son second, et les commandants d'escadrille, le tutoiement entre pilotes « lambda » dépendait plutôt de l'âge et de la personnalité de chacun.

Cette réalité ne manquait pas de sel à Bremgarten, quand un sergent chef ou un adjudant pilote plus qualifié que lui, venait demander au jeune lieutenant, officier de discipline de l'escadron, qu'il tutoyait généralement et qu'il avait cloué au mur peu de temps avant en débriefant un vol, de lui signer la permission qui lui permettrait de franchir la frontière pour se rendre en France.

S'il est le plus qualifié professionnellement, le commandant de bord d'un avion peut être plus jeune et moins gradé que d'autres membres de l'équipage. Cela étonne souvent nos camarades "terriens", et surtout les marins.

 

D'où cette anecdote vécue à Salon.

Un jour, un sergent moniteur de l'escadron dont on m'avait confié le commandement, est venu me demander l'autorisation d'offrir un pot le vendredi suivant après les vols.

Après lui avoir accordé cette autorisation et fait les recommandations d'usage, je lui demande ce qu'il voulait arroser.

-  mes 21 ans et mes 700 heures de vol !

Ce jeune garçon avait pour élèves deux sous-lieutenants, ingénieurs diplômés et plus âgés que lui !!!

Je me suis senti fier pour lui, et j'ai apprécié la chance qui m'avait été donnée de pouvoir commander de jeunes hommes de cette qualité.

Commentaires: 1
  • #1

    Le transporteur (mercredi, 29 juillet 2020 14:45)

    « S'il est le plus qualifié professionnellement, le commandant de bord d'un avion peut être plus jeune et moins gradé que d'autres membres de l'équipage. Cela étonne souvent nos camarades "terriens", et surtout les marins. »
    Ça me rappelle l’époque où j’étais sergent instructeur à Avord, sur MD 312, à mon retour d’Algérie en 1963. J’avais 23 ans, 700 h de vol, et mes « élèves » sortaient de Salon, sous-lieutenants.
    Plus tard, au GAMOM 050, sur la BA 181 d’Ivato, j’étais adjudant CDB chef de patrouille sur N 2501 avec un équipage dont certains membres étaient officiers.
    C’est le paradoxe de l’Armée de l’Air de former des pilotes sous-officiers sur la BE 707 de Marrakech, alors que ceux qui étaient formés aux US ou au Canada sortaient officiers.
    Comme dans la « Chasse », il y avait une guéguerre au sein des « Transporteurs ». Il y avait ceux qui étaient passés par l’académie, c’est-à-dire le « CIET ». Et ceux qui avaient été affectés en escadrille dès leur sortie d’Avord ; ceux de la « liaison ».
    Alors que les premiers se faisait la main comme 2e pilote dans leur escadron, avec la présence rassurante du 1er pilote confirmé, les seconds étaient lâchés solo pour des missions quelquefois délicates comme celles que j’ai connues en Algérie sur MD 311 et 315.
    Mais tout cela n’était pas grave car les souvenirs que je garde des 15 ans sont les plus beaux de ma vie de « branleur de manche ».