La guerre hybride entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie

...par Varoujan Sirapian - Le 27/07/2020.

 

Le 12 juillet 2020 la confrontation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan est montée d’un cran. L’origine du conflit remonte à la guerre de 1992 entre l’Azerbaïdjan et l’Artsakh (Haut Karabagh) terminée en 1994 par la victoire des Arméniens avec la signature d’un cessez-le-feu. Depuis lors, des escarmouches fréquentes ont eu lieu sur les lignes de contact entre les deux parties. Jusqu’en 2016 les violations du cessez-le-feu (toujours par l’Azerbaïdjan, la partie arménienne ne faisant que répondre) se limitaient aux lignes de contact autour d’Artsakh.

Depuis 1994 les deux parties se réunissent régulièrement sous la houlette du groupe de Minsk (OSCE) pour trouver une solution pacifique à ce conflit et le respect du droit à l’auto-détermination du peuple de l’Artsakh.

En avril 2016, l’Azerbaïdjan a décidé d’élargir le champ de ses attaques en déclenchant une guerre éclaire de 4 jours sur environ 800 km de frontières incluant non seulement l’Artsakh mais aussi l’Arménie. Ce qui s’est passé le 12 juillet et les jours suivants sont la continuité de cette stratégie de la tension voulue par Bakou pour détourner le mécontentement de plus en plus grandissant de la population à cause de la crise économique (suite à la chute vertigineuse du prix du pétrole) en attisant la flamme patriotique nourrie par la haine anti-arménienne. Bien que l’Azerbaïdjan soit incomparablement plus riche que l’Arménie, le niveau de vie du peuple d’en bas est presque identique que celui d’Arménie. Ceci à cause d’un régime oligarchique corrompu, basé sur le clientélisme du clan Aliyev, répressif contre toutes sortes d’oppositions, politique ou intellectuel. La révolution de velours, (avril 2018) qui a renversé pacifiquement le système oligarchique en Arménie avec un soutien populaire massif, donne aussi des sueurs froides au clan Aliyev qui redoute un mouvement identique en Azerbaïdjan.

Irrité, coincé à l’extérieur par le statu quo à la table des négociations, il vient de limoger le Ministre des Affaires Étrangères Mammedyarov qui était en poste depuis 2004 et, à l’intérieur, le peuple gronde alors qu’Aliyev pense ainsi pouvoir gagner du temps en semant le chaos dans la région. Il est soutenu dans cette stratégie par son allié, la Turquie. Par la voix de son ministre des Affaires étrangères la Turquie a fait savoir qu’elle aiderait l’Azerbaïdjan si un conflit éclatait, avec l’arrière-pensée de reconquérir l’Artsakh.

Cette guerre d’usure ne se joue pas seulement sur le terrain escarpé du Sud Caucase. L’information, la désinformation, le piratage de sites, l’activisme de trolls mais aussi les nouvelles technologies sont de la partie, ce qui fait de cette confrontation une guerre hybride (cf. le dossier spécial de la revue « Europe et Orient » n° 30-juin 2020). L’article paru dans le journal nationaliste turc « Hürriyet » le 17 juillet « Le monde entier regarde la confrontation Azerbaïdjan-Arménie » (Dünyanın gözü Azerbaycan – Ermenistan sınırındaki çatışmalarda) est un exemple de désinformation de la presse turque sous couvert d’analyse de deux « spécialistes ». Entre autres, ils mettent en avant la thèse classique de « la main de l’étranger qui envenimerait le rapprochement entre deux peuples qui devraient vivre en paix côte à côte ». Les Arméniens en savent quelque chose du « vivre ensemble » avec les Azéris, se souvenant des exemples comme les massacres de Chouchi dans les années 20 (cf. Europe&Orient n° 30, juin 2020), du pogrom de Soumgaït en 1988, de la décapitation d’un officier arménien dans son sommeil par un officier azéri en 2004 à Budapest, de la mutilation des personnes âgées lors de la guerre de 4 jours en avril 2016, etc.

La technologie aussi a changé la donne. Commençant la fabrication des drones-espions il y a quelques années, l’Arménie produit aujourd’hui des drones d’attaques. La précision de la défense antiaérienne a été améliorée et on a vu son efficacité ces derniers jours. Un drone azéri de type Hermes-900 (de fabrication israélienne, l’un des meilleurs du monde à 30 millions $ l’unité) a été abattu par les forces arméniennes.

Si une guerre totale devait éclater entre les deux pays, les cibles potentielles sur le territoire d’Azerbaïdjan seraient les raffineries de la mer Caspienne. Aliyev le sait et les Occidentaux aussi qui sont inquiets, puisqu’ils dépendent en partie du pétrole et du gaz azéri. Or, par la voix de leur ministre de la Défense, les Azerbaïdjanais ont agité la menace d’envoyer un missile sur la centrale nucléaire de Metsamor près d’Erevan. Alors que la première hypothèse semble réaliste (cf. « La pensée stratégique arménienne » de Jean Dorian in Europe & Orient n° 29, décembre 2019), faire sauter une centrale de type Tchernobyl en Arménie, qui se trouve à quelques dizaines de kilomètres des frontières turque et géorgienne semble peu probable. Sauf si Dr Folamour du Caucase décide, par désespérance, de passer la ligne rouge.

Varoujan Sirapian
Directeur de la revue Europe&Orient

Relu par Kira

sources :

https://lesakerfrancophone.fr/la-guerre-hybride-entre-lazerbaidjan-et-larmenie

- Réseau International


Les enjeux de l’échiquier Arménie-Azerbaïdjan

...par Pepe Escobar - Le 03/10/2020.

 

Ramener la Russie dans le marasme du Haut-Karabakh signifie une plus grande liberté d’action pour la Turquie sur d’autres théâtres de guerre.

Peu de points chauds géopolitiques sur la planète peuvent rivaliser avec le Caucase : cette intraitable Tour de Babel tribale, depuis toujours carrefour controversé d’empires du Levant et de nomades des steppes eurasiennes. Et il devient encore plus désordonné quand on y ajoute le brouillard de la guerre.

Pour tenter de faire la lumière sur l’actuel affrontement Arménie-Azerbaïdjan, nous allons parcourir les faits de base avec quelques éléments de fond essentiels.

À la fin du mois dernier, Ilham Aliyev, « l’homme fort » de l’Azerbaïdjan, au pouvoir depuis 2003, a lancé une guerre de facto sur le territoire du Haut-Karabakh détenu par l’Arménie.

Lors de l’effondrement de l’URSS, le Haut-Karabagh avait une population mixte composée de Chiites azéris et de Chrétiens arméniens. Pourtant, même avant l’effondrement, l’armée azerbaïdjanaise et les indépendantistes arméniens étaient déjà en guerre (1988-1994), entraînant un triste bilan de 30 000 morts et environ un million de blessés.

La République du Haut-Karabakh a déclaré son indépendance en 1991 : mais cela n’a pas été reconnu par la « communauté internationale ». Finalement, un cessez-le-feu a été décrété en 1994 – le Haut-Karabakh est entré dans la zone grise/no man’s land de « conflit gelé ».

Le problème est qu’en 1993, les Nations Unies avaient approuvé pas moins de quatre résolutions – 822, 853, 874 et 884 – établissant que l’Arménie devait se retirer de ce qui était considéré comme environ 20% du territoire azerbaïdjanais. Ceci est au cœur du raisonnement de Bakou pour lutter contre ce qu’elle qualifie d’armée d’occupation étrangère.

L’interprétation d’Erevan, cependant, est que ces quatre résolutions sont nulles et non avenues parce que le Haut-Karabakh abrite une population à majorité arménienne qui veut faire sécession de l’Azerbaïdjan.

Historiquement, l’Artsakh est l’une des trois anciennes provinces d’Arménie – enracinée au moins au 5ème siècle avant J.-C. et finalement établie en 189 avant J.-C. Les Arméniens, sur la base d’échantillons d’ADN provenant d’os excavés, affirment qu’ils sont installés dans l’Artsakh depuis au moins 4 000 ans.

L’Artsakh – ou Nagorno-Karabakh – a été annexé à l’Azerbaïdjan par Staline en 1923. Cela a préparé le terrain pour qu’une future poudrière explose inévitablement.

Il est important de se rappeler qu’il n’y avait pas d’État-nation « Azerbaïdjan » avant le début des années 1920. Historiquement, l’Azerbaïdjan est un territoire situé au nord de l’Iran. Les Azerbaïdjanais sont très bien intégrés au sein de la République Islamique. La République d’Azerbaïdjan a donc en fait emprunté son nom à ses voisins iraniens. Dans l’histoire ancienne, le territoire de la nouvelle république du 20ème siècle était connu sous le nom d’Atropatene, et Aturpakatan avant l’avènement de l’Islam.

Le bruit des armes reprend au Haut-Karabakh
Comment l’équation a changé

Le principal argument de Bakou est que l’Arménie bloque une nation azerbaïdjanaise contiguë, car un coup d’œil sur la carte nous montre que le sud-ouest de l’Azerbaïdjan est de facto séparé jusqu’à la frontière iranienne.

Et cela nous plonge nécessairement dans un contexte profond. Pour clarifier les choses, il ne pourrait y avoir de guide plus fiable qu’un expert de haut niveau d’un groupe de réflexion caucasien qui m’a fait part de son analyse par e-mail, mais qui insiste sur la mention « sans attribution ». Appelons-le M. C.

M. C note que « pendant des décennies, l’équation est restée la même et les variables de l’équation sont restées les mêmes, plus ou moins. C’était le cas malgré le fait que l’Arménie est une démocratie instable en transition et que l’Azerbaïdjan avait beaucoup plus de continuité au sommet de l’État ».

Nous devrions tous être conscients que « l’Azerbaïdjan a perdu du territoire dès le début de la restauration de son statut d’État, alors qu’il était essentiellement un État en faillite dirigé par des amateurs nationalistes de salon [avant l’arrivée au pouvoir de Heydar Aliyev, le père d’Ilham]. Et l’Arménie était aussi un désastre, mais dans une moindre mesure si l’on tient compte du fait qu’elle bénéficiait d’un fort soutien de la Russie et que l’Azerbaïdjan n’avait personne. À l’époque, la Turquie était encore un État laïque avec une armée qui regardait vers l’Ouest et prenait son adhésion à l’OTAN au sérieux. Depuis lors, l’Azerbaïdjan a développé son économie et augmenté sa population. Il n’a donc cessé de se renforcer. Mais son armée était encore peu performante ».

Cela a lentement commencé à changer en 2020 : « Fondamentalement, au cours des derniers mois, vous avez constaté une augmentation progressive de l’intensité des violations quasi quotidiennes du cessez-le-feu (les violations quasi quotidiennes ne sont pas nouvelles : elles durent depuis des années). Cela a donc explosé en juillet et il y a eu une guerre de tirs pendant quelques jours. Puis tout le monde s’est calmé à nouveau ».

Pendant tout ce temps, quelque chose d’important se développait en arrière-plan : Le Premier Ministre arménien Nikol Pashinyan, qui est arrivé au pouvoir en mai 2018, et Aliyev ont commencé à parler : « La partie azerbaïdjanaise pensait que cela indiquait que l’Arménie était prête à un compromis (tout a commencé lorsque l’Arménie a connu une sorte de révolution, avec l’arrivée du nouveau Premier Ministre qui a reçu le mandat populaire de faire le ménage sur le plan intérieur). Pour une raison quelconque, cela a fini par ne pas se produire ».

Ce qui s’est passé en fait, c’est la guerre de tirs de juillet.

Le Premier Ministre arménien Nikol Pashinyan
N’oubliez pas le Pipelineistan

Le Premier Ministre arménien Pashinyan pourrait être décrit comme un mondialiste libéral. La majorité de son équipe politique est pro-NATO. Pashinyan a fait feu de tout bois contre l’ancien Président arménien (1998- 2008) Robert Kocharian, qui avant cela était, fait crucial, le Président de facto du Haut-Karabakh.

Kocharian, qui a passé des années en Russie et est proche du Président Poutine, a été accusé d’une tentative obscure de « renversement de l’ordre constitutionnel ». Pashinyan a tenté de le faire emprisonner. Mais plus crucial encore est le fait que Pashinyan a refusé de suivre un plan élaboré par le Ministre russe des Affaires Étrangères Sergeï Lavrov pour régler définitivement le problème de l’Artsakh/Nagorno-Karabakh.

Dans le brouillard de guerre actuel, les choses sont encore plus désastreuses. M. C souligne deux points : « Premièrement, l’Arménie a demandé la protection de l’OTSC et s’est fait gifler, durement et en public ; deuxièmement, l’Arménie a menacé de bombarder les oléoducs et gazoducs en Azerbaïdjan (il y en a plusieurs, ils sont tous parallèles et ils alimentent non seulement la Géorgie et la Turquie mais maintenant les Balkans et l’Italie). En ce qui concerne ce dernier point, l’Azerbaïdjan a dit en gros : si vous faites cela, nous bombarderons votre réacteur nucléaire ».

L’angle du Pipelineistan est en effet crucial : pendant des années, j’ai suivi sur Asia Times ces myriades de feuilletons sur le pétrole et le gaz, en particulier le BTC (Bakou-Tbilissi-Ceyhan), conçu par Zbigniew Brzezinski pour contourner l’Iran. J’ai même été « arrêté » par un 4X4 de British Petroleum (BP) alors que je suivais l’oléoduc sur une route latérale parallèle partant de l’énorme terminal de Sangachal : cela a prouvé que British Petroleum était en pratique le véritable patron, et non le gouvernement azerbaïdjanais.

En résumé, nous avons maintenant atteint le point où, selon M. C :

« Le bruit du sabre de l’Arménie est devenu plus agressif ». Les raisons, du côté arménien, semblent être essentiellement internes : la mauvaise gestion du Covid-19 (contrairement à l’Azerbaïdjan), et l’état désastreux de l’économie. Ainsi, dit M. C, nous sommes arrivés à un concours de circonstances toxique : L’Arménie a détourné ses problèmes en se montrant dure avec l’Azerbaïdjan, alors que ce dernier en avait tout simplement assez.

Cela concerne toujours la Turquie

Quoi qu’il en soit, si l’on considère le drame Arménie-Azerbaïdjan, le principal facteur de déstabilisation est désormais la Turquie.

M. C note comment, « tout au long de l’été, la qualité des exercices militaires turco-azerbaïdjanais a augmenté (tant avant les événements de juillet que par la suite). L’armée azerbaïdjanaise s’est beaucoup améliorée. De plus, depuis le quatrième trimestre 2019, le Président de l’Azerbaïdjan s’est débarrassé des éléments (perçus comme) pro-russes en position de pouvoir ». Voir, par exemple, ici.

Il n’y a aucun moyen de le confirmer ni avec Moscou ni avec Ankara, mais M. C avance ce que le Président Erdogan a pu dire aux Russes : « Nous entrerons directement en Arménie si a) l’Azerbaïdjan commence à perdre, b) la Russie intervient ou accepte que l’OTSC soit invoquée ou quelque chose de ce genre, ou c) l’Arménie s’en prend aux pipelines. Ce sont toutes des lignes rouges raisonnables pour les Turcs, surtout si l’on tient compte du fait qu’ils n’aiment pas beaucoup les Arméniens et qu’ils considèrent les frères azerbaïdjanais ».

Il est crucial de se rappeler qu’en août, Bakou et Ankara ont organisé deux semaines d’exercices militaires aériens et terrestres communs. Bakou a acheté des drones avancés à la fois de la Turquie et d’Israël. Il n’y a pas de preuve, du moins pas encore, mais Ankara a peut-être engagé jusqu’à 4 000 djihadistes salafistes en Syrie pour se battre – attendez – en faveur de l’Azerbaïdjan à majorité chiite, prouvant une fois de plus que le « djihadisme » consiste à se faire de l’argent rapidement.

Le Centre d’Information Arménien Unifié, ainsi que le média kurde Afrin Post, ont déclaré qu’Ankara a ouvert deux centres de recrutement – dans des écoles africaines – pour les mercenaires. Apparemment, cette mesure a été très populaire car Ankara a réduit les salaires des mercenaires syriens envoyés en Libye.

Il y a un autre aspect qui est très inquiétant, non seulement pour la Russie mais aussi pour l’Asie Centrale. Selon l’ancien Ministre des Affaires Étrangères du Haut-Karabakh, l’Ambassadeur Extraordinaire Arman Melikyan, des mercenaires utilisant des cartes d’identité azéries délivrées à Bakou pourraient être en mesure de s’infiltrer au Daghestan et en Tchétchénie et, via la Mer Caspienne, d’atteindre Atyrau au Kazakhstan, d’où ils peuvent facilement rejoindre l’Ouzbékistan et le Kirghizstan.

C’est le cauchemar ultime de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) – partagée par la Russie, la Chine et les « stans » d’Asie Centrale : une terre – et une mer (Caspienne) – djihadiste, pont du Caucase jusqu’en Asie Centrale, et même jusqu’au Xinjiang.

Quel est l’intérêt de cette guerre ?

Que se passe-t-il ensuite ? Une impasse presque insurmontable, comme l’explique M. C :

  1. « Les pourparlers de paix ne vont nulle part parce que l’Arménie refuse de bouger (de se retirer de l’occupation du Haut-Karabakh plus 7 régions environnantes par phases ou d’un seul coup, avec les garanties habituelles pour les civils, et même les colons – à noter que lorsqu’ils sont entrés au début des années 1990, ils ont nettoyé ces terres de littéralement tous les Azerbaïdjanais, soit entre 700 000 et 1 million de personnes) ».
  2. Aliyev avait l’impression que Pashinyan « était prêt à faire des compromis et a commencé à préparer son peuple, puis il a eu l’air stupide de n’avoir rien fait ».
  3. « La Turquie a clairement fait savoir qu’elle soutiendrait l’Azerbaïdjan sans condition, et a traduit ces paroles en actes ».
  4. « Dans de telles circonstances, la Russie a été surpassée – en ce sens qu’elle a pu arbitrer la confrontation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, en aidant à la médiation de pourparlers qui n’ont abouti à rien préservant le statu quo qui en réalité favorisait l’Arménie ».

Et cela nous amène à la question cruciale. Quel est l’intérêt de cette guerre ?

M. C : « Il s’agit soit de conquérir le plus possible avant que la « communauté internationale » [dans ce cas, le Conseil de Sécurité des Nations Unies] n’appelle/exige un cessez-le-feu, soit de le faire pour relancer des pourparlers qui mènent réellement à des progrès. Dans un cas comme dans l’autre, l’Azerbaïdjan finira par gagner et l’Arménie par perdre. On ignore dans quelle mesure et dans quelles circonstances (le statut et la question du Haut-Karabakh sont distincts de ceux des territoires occupés par l’Arménie autour du Haut-Karabakh) : c’est-à-dire sur le champ de bataille ou à la table des négociations ou une combinaison des deux. Quoi qu’il en soit, l’Azerbaïdjan pourra au moins conserver le territoire qu’il a libéré au cours de la bataille. Ce sera le nouveau point de départ. Et je pense que l’Azerbaïdjan ne fera aucun mal aux civils arméniens qui resteront. Ils seront des libérateurs modèles. Et ils prendront le temps de ramener les civils azerbaïdjanais (réfugiés/IDP) dans leurs foyers, en particulier dans les zones qui deviendraient mixtes à la suite du retour ».

Que peut donc faire Moscou dans ces circonstances ? Pas grand-chose, « sauf intervenir en Azerbaïdjan proprement dit, ce qu’ils ne feront pas (il n’y a pas de frontière terrestre entre la Russie et l’Arménie ; ainsi, bien que la Russie ait une base militaire en Arménie avec un ou plusieurs milliers de soldats, elle ne peut pas simplement fournir à l’Arménie des armes et des troupes à volonté, compte tenu de la géographie) ».

Il est essentiel que Moscou privilégie le partenariat stratégique avec l’Arménie – qui est membre de l’Union Économique Eurasiatique (EAEU) – tout en surveillant méticuleusement tous les mouvements de la Turquie, membre de l’OTAN : après tout, ils sont déjà dans des camps opposés en Libye et en Syrie.

Ainsi, pour le moins, Moscou marche sur le fil du rasoir géopolitique. La Russie doit faire preuve de retenue et investir dans un équilibrage soigneusement calibré entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ; elle doit préserver le partenariat stratégique entre la Russie et la Turquie ; et elle doit être attentive à toutes les tactiques américaines possibles de division et de domination.

Au cœur de la guerre d’Erdogan

Donc, au final, ce serait encore une autre guerre d’Erdogan ?

L’incontournable analyse « Suivez l’argent » nous dirait, oui. L’économie turque est un véritable désastre, avec une forte inflation et une monnaie qui se déprécie. Bakou dispose d’une abondance de fonds pétroliers et gaziers qui pourraient devenir facilement disponibles – ce qui s’ajoute au rêve d’Ankara de faire de la Turquie un fournisseur d’énergie.

M. C ajoute que l’ancrage de la Turquie en Azerbaïdjan entraînerait « la création de bases militaires turques à part entière et l’inclusion de l’Azerbaïdjan dans l’orbite d’influence turque (la thèse « deux pays – une nation », dans laquelle la Turquie assume la suprématie) dans le cadre du néo-ottomanisme et du leadership de la Turquie dans le monde turcophone ».

Ajoutez à cela l’angle de l’OTAN, qui est très important. M. C voit essentiellement Erdogan, avec l’aide de Washington, sur le point de faire une poussée de l’OTAN vers l’est tout en établissant ce canal djihadiste immensément dangereux vers la Russie : « Ce n’est pas une aventure locale d’Erdogan. Je comprends que l’Azerbaïdjan est en grande partie un pays d’Islam chiite et cela va compliquer les choses mais ne rendra pas son aventure impossible ».

Ceci est totalement lié à un rapport notoire de RAND Corporation qui détaille explicitement comment « les États-Unis pourraient essayer d’inciter l’Arménie à rompre avec la Russie » et « encourager l’Arménie à entrer pleinement dans l’orbite de l’OTAN ».

Il est plus qu’évident que Moscou observe toutes ces variables avec un soin extrême. Cela se reflète, par exemple, dans la manière dont l’irrépressible porte-parole du Ministère des Affaires Étrangères, Maria Zakharova, a présenté, en début de semaine, un avertissement diplomatique très sérieux : « La destruction d’un SU-25 arménien par un F-16 turc, comme le prétend le Ministère de la Défense en Arménie, semble compliquer la situation, puisque Moscou, sur la base du traité de Tachkent, est obligé d’offrir une assistance militaire à l’Arménie ».

Il n’est pas étonnant que Bakou et Erevan aient compris le message et nient fermement tout ce qui s’est passé.

Le fait essentiel reste que tant que l’Arménie proprement dite n’est pas attaquée par l’Azerbaïdjan, la Russie n’appliquera pas le traité de l’OTSC et n’interviendra pas. Erdogan sait que c’est sa ligne rouge. Moscou a tout ce qu’il faut pour le mettre dans le pétrin – comme en coupant l’approvisionnement en gaz de la Turquie. Pendant ce temps, Moscou continuera d’aider Erevan en lui fournissant des informations et du matériel – en provenance d’Iran. La diplomatie est la règle, et l’objectif ultime est un nouveau cessez-le-feu.

Attirer la Russie à nouveau

M. C avance la forte possibilité – et j’ai entendu des échos de Bruxelles – que « l’UE et la Russie trouvent une cause commune pour limiter les gains de l’Azerbaïdjan (en grande partie parce qu’Erdogan n’est le favori de personne, non seulement à cause de cela mais à cause de la Méditerranée Orientale, de la Syrie, de la Libye) ».

Cela met en évidence l’importance renouvelée du Conseil de Sécurité des Nations Unies dans l’imposition d’un cessez-le-feu. Le rôle de Washington en ce moment est assez intriguant. Bien sûr, Trump a des choses plus importantes à faire en ce moment. En outre, la diaspora arménienne aux États-Unis est très favorable à la démocratie.

Et puis, pour résumer, il y a la relation Iran-Arménie, qui est très importante. Voici une tentative énergique pour la mettre en perspective.

Comme le souligne M. C, « l’Iran favorise l’Arménie, ce qui est contre-intuitif à première vue. Les Iraniens peuvent donc aider les Russes (en canalisant les approvisionnements), mais d’un autre côté, ils ont de bonnes relations avec la Turquie, notamment dans le domaine de la contrebande de pétrole et de gaz. Et s’ils se montrent trop ouverts dans leur soutien, Trump a un casus belli pour s’impliquer et les Européens n’aiment peut-être pas se retrouver du même côté que les Russes et les Iraniens. Ça se présente mal. Et les Européens détestent avoir l’air mauvais ».

Nous en revenons inévitablement au fait que tout ce drame peut être interprété dans la perspective d’un coup géopolitique de l’OTAN contre la Russie – selon un certain nombre d’analyses circulant à la Douma.

L’Ukraine est un trou noir absolu. La Biélorussie est dans l’impasse. Le Covid-19. Le cirque naval. La « menace » pour le projet Nord Stream-2.

Attirer à nouveau la Russie dans le drame Arménie-Azerbaïdjan, c’est tourner l’attention de Moscou vers le Caucase pour qu’il y ait plus de liberté d’action turque dans les autres théâtres – en Méditerranée Orientale contre la Grèce, en Syrie, en Libye. Ankara – bêtement – est engagée dans des guerres simultanées sur plusieurs fronts, et avec pratiquement aucun allié.

Cela signifie qu’encore plus que l’OTAN, monopoliser l’attention de la Russie dans le Caucase pourrait être profitable à Erdogan lui-même. Comme le souligne M. C, « dans cette situation, le levier/ »atout » du Haut-Karabakh aux mains de la Turquie serait utile pour les négociations avec la Russie ».

Pas de doute : le sultan néo-ottoman ne dort jamais.

Pepe Escobar

source : https://asiatimes.com

traduit par Réseau International

Source : Reseau International



La guerre du Haut-Karabakh est-elle déjà dans une impasse ?

...par Moon of Alabama - Le 03/10/2020.

Source : Le Saker francophone

 

Sept jours après que l’Azerbaïdjan a lancé l’attaque contre le territoire du Haut-Karabakh tenu par les Arméniens, ce pays n’a pas avancé sur le terrain.

Carte d’ensemble – Agrandir

 

L’Iran et la Géorgie comptent sur leur territoire d’importantes minorités azéries et arméniennes.

Carte détaillée – Agrandir

Les hautes terres du Haut-Karabakh sont ethniquement arméniennes. Les districts en bleu clair étaient à l’origine azéris mais ont été ethniquement nettoyés pendant la guerre du début des années 1990.

La Turquie soutient l’Azerbaïdjan en lui fournissant des drones turcs et des mercenaires qui sont des « rebelles syriens modérés » amenés de Syrie et de Libye. Tous sont acheminés par avion en traversant l’espace aérien géorgien. D’autres mercenaires semblent venir d’Afghanistan. Du matériel supplémentaire arrive par la route, également par la Géorgie. Un autre partisan de l’agresseur est Israël. Au cours de la semaine dernière, des avions de transport militaire azerbaïdjanais ont volé au moins six fois en direction d’Israël pour revenir avec des drones suicides israéliens supplémentaires à bord. Ces drones Harop ont été largement utilisés dans des attaques contre des positions arméniennes. Un missile balistique à courte portée LORA, de fabrication israélienne, a été utilisé par l’Azerbaïdjan pour attaquer un pont qui relie le Haut-Karabakh à l’Arménie. Il y aurait également des avions de chasse F-16 pilotés par des Turcs en Azerbaïdjan.

La Turquie semble diriger les drones et les avions de chasse en Azerbaïdjan et au Haut-Karabakh par le biais d’avions de contrôle aérien de type AWACS qui volent en cercle à la frontière turco-arménienne.

Le plan d’attaque que l’Azerbaïdjan avait à l’esprit lorsqu’il a lancé la guerre prévoyait de prendre des zones de plusieurs miles de profondeur par jour. Ce plan n’a pas survécu au premier jour de bataille. L’Azerbaïdjan a commencé l’attaque sans préparation d’artillerie importante. L’attaque au sol n’a été soutenue que par des frappes de drones sur les chars, l’artillerie et les positions de défense aérienne arméniennes. Mais les lignes défensives tenues par l’infanterie arménienne n’ont pas été endommagées par les drones. L’infanterie arménienne retranchée pouvait utiliser ses armes antichars et anti-infanterie à pleine capacité. Les chars et l’infanterie azerbaïdjanais ont été massacrés lorsqu’ils ont tenté de percer les lignes. Les deux camps ont subi des pertes importantes, mais dans l’ensemble, les lignes de front n’ont pas bougé.
Cette guerre semble déjà être dans une impasse. Ni l’Arménie ni l’Azerbaïdjan ne peuvent se permettre d’utiliser la puissance aérienne et les missiles balistiques achetés à la Russie sans le consentement de celle-ci.

Les attaques de drones ont été, pendant un certain temps, assez réussies. Un certain nombre de vieux systèmes de défense aérienne ont été détruits avant que les Arméniens n’en tirent la leçon et les camouflent. Les Azerbaïdjanais ont alors utilisé une astuce pour dévoiler les positions cachées de la défense aérienne. Des avions Antonov AN-2 radiocommandés, des reliques propulsées par hélices de la fin des années 1940, ont été envoyés au-dessus des positions arméniennes. Lorsque la défense aérienne a ensuite lancé un missile contre eux, un drone suicide a été immédiatement largué sur la position de tir.

L’astuce semble avoir marché pendant un jour ou deux, mais de telles attaques de drones sont désormais devenues rares. Des dizaines de drones ont été arrêtés avant d’avoir pu atteindre leur cible et l’Azerbaïdjan semble être à court de drones. Un clip musical bizarre que les Azerbaïdjanais ont posté montre quatre camions transportant chacun neuf drones. Il y avait peut-être plusieurs centaines de ces drones, mais probablement moins de mille. Israël est actuellement soumis à un strict confinement à cause de la pandémie. Le réapprovisionnement en drones sera un problème. Depuis, l’Azerbaïdjan a fait appel à plus d’artillerie lourde, mais il semble qu’il l’utilise principalement pour frapper les villes et les agglomérations, et non les lignes de front où cela serait plus utile.

On ne sait pas qui commande les troupes azerbaïdjanaises. Il y a quelques jours, le chef de l’état-major général de l’Azerbaïdjan a été viré après s’être plaint d’une trop grande influence turque sur la guerre. Cela n’a pas aidé. Deux attaques terrestres plus importantes lancées par l’Azerbaïdjan plus tôt dans la journée ont également échoué. Les Arméniens contre-attaquent actuellement.

Dans notre précédent article concernant cette guerre, nous avions souligné les plans américains visant à « déborder la Russie » en créant des troubles dans le Caucase, comme c’est le cas actuellement. Fort Russ note :

L'actuelle directrice de la CIA, Gina Haspel, a effectué des missions sur le terrain en Turquie au début de sa carrière, elle parlerait turc, et elle a déjà été chef de station à Bakou, en Azerbaïdjan, à la fin des années 1990. On peut donc supposer qu'elle a toujours des liens avec les élites du gouvernement local et du monde des affaires.  L'actuel chef du MI6, Richard Moore, a également travaillé en Turquie, où il a accompli des tâches pour les services de renseignement britanniques à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Moore parle couramment le turc et il a également été ambassadeur britannique en Turquie de 2014 à 2017.  Les chefs des services de renseignements des deux pays les plus puissants de l'Anglosphère sont des « turcophones » ayant des connexions en Turquie et en Azerbaïdjan. Il serait raisonnable de supposer qu'un conflit régional d'une telle ampleur qui se déroule actuellement, sous leur surveillance, est loin d'être une simple coïncidence.

Avant que le président Trump ne mette fin au programme, la CIA avait utilisé la compagnie aérienne azerbaïdjanaise Silk Way Airlines, pour plus de 350 vols, afin d’acheminer des armes de la Bulgarie vers la Turquie et les remettre aux « rebelles syriens ». Bakou, la capitale de l’Azerbaïdjan, n’est pas seulement une station de la CIA mais aussi un centre du Mossad pour mener sa guerre silencieuse contre l’Iran.

L’ancien ambassadeur indien en Turquie, M.K. Bhadrakumar, a écrit deux articles intéressants sur le conflit actuel. Dans le premier, il nous rappelle la révolution de couleur de 2018 en Arménie, qui, selon lui, cherchait à créer des problèmes à Moscou.

Je n’ai jamais vu les choses de cette façon. Même si l’actuel Premier ministre arménien, Nikol Pashinyan, a essayé de se mettre les puissances « occidentales » et l’OTAN dans sa poche, il n’a pas pu changer fondamentalement la politique étrangère de l’Arménie. Il y a cent ans, la Turquie, avec aujourd’hui la deuxième plus grande armée de l’OTAN, avait lancé un génocide contre les Arméniens. Ces derniers ne l’ont jamais oublié. Il était également certain que les relations avec l’Azerbaïdjan continueraient à être hostiles. Cela ne changera que si les deux pays se retrouvent à nouveau dominés par un empire. L’Arménie dépend autant que l’Azerbaïdjan du soutien en armes de la Russie, mais l’Azerbaïdjan a plus d’argent et paie plus pour ses armes russes, ce qui permet à la Russie de subventionner celles qu’elle vend à l’Arménie.

Après que Nikol Pashinyan fut installé, et a tenté de se tourner vers l’« Occident », la Russie a fait la même chose qu’avec la Biélorussie, lorsque le président Loukachenko a commencé à conclure des accords avec l’« Occident ». Elle s’est tenue à carreau en attendant que l’« Occident » trahisse ses nouveaux partenaires. C’est ce qui s’est passé en Biélorussie il y a quelques semaines. Les États-Unis ont lancé une révolution de couleur contre Loukachenko et celui-ci n’avait pas d’autre choix que de se tourner vers la Russie. Aujourd’hui, l’Arménie est attaquée par des forces soutenues par l’OTAN et ne peut espérer aucune aide autre que celle de la Russie.

De même, l’Iran ne craint pas le nouveau gouvernement arménien d’Erevan. Il était préoccupé par les récents échanges diplomatiques de Pashinyan avec Israël, qui ont été effectués à l’initiative de la Maison Blanche. Mais cette inquiétude a maintenant été levée. Pour protester contre la récente vente d’armes par Israël à l’Azerbaïdjan, l’Arménie a rappelé son ambassadeur en Israël deux semaines seulement après l’ouverture de son ambassade dans ce pays.

Pashinyan devra s’excuser auprès de Moscou avant que la Russie ne vienne à son secours. Comme le relaie Maxim Suchkov :

C'est intéressant : Evgeniy "le chef de Poutine" Prigozhin donne une courte interview pour exprimer son "opinion personnelle" sur le Haut-Karabakh. Quelques pistes :  - Le Karabakh est un territoire azerbaïdjanais - La Russie n'a aucune base légale pour mener des activités militaires au Karabakh - il y a plus d'ONG américaines en Arménie que d'unités militaires nationales - Le Premier ministre Pashinyan est responsable de la situation - jusqu'en 2018, la Russie a pu faire en sorte que l'Arménie et l'Azerbaïdjan discutent du conflit autour d’une table de négociations, puis les États-Unis ont amené Pashinyan au pouvoir à Erevan et celui-ci se sentant le roi n’a pas voulu parler avec Aliyev  Je me demande si les remarques de Prigozhin suggèrent qu'il serait réticent à déployer ses hommes en Arménie - si nécessaire ou si on lui demande de le faire - ou bien s'il ne fait qu'exprimer ses propres opinions ou si c'est une façon de faire délicatement entendre à Pashinyan que Moscou n'est pas content de lui... ?

L’intérêt de la Russie – et de l’Iran – est de geler à nouveau le conflit du Haut-Karabakh. Mais pour cela, il faut que les deux parties se plient à cette exigence. C’est pourquoi la Russie n’a pas d’objection à ce que l’Azerbaïdjan exerce actuellement une certaine pression sur Pashinyan. Mais elle ne peut pas permettre à l’Azerbaïdjan de remporter une victoire significative. Une de ses principales préoccupations sera de mettre la Turquie hors-jeu et cela nécessitera un soutien à l’Arménie. L’Iran a une stratégie assez similaire. Les États-Unis vont probablement essayer d’aggraver la situation et de compliquer les choses pour la Russie. Il est probable qu’ils disent en silence à la Turquie d’accroître sa participation à la guerre.

La Russie n’interviendra probablement que si l’une ou l’autre des parties réalise des gains territoriaux importants. À moins que cela ne se produise, elle laissera probablement la guerre se poursuivre dans l’espoir qu’elle s’épuise toute seule :

Les conditions hivernales à venir, associées à la rudesse du terrain, limiteront les opérations militaires à grande échelle. De plus, les économies paralysées de l'Azerbaïdjan et de l'Arménie ne leur permettront pas de maintenir une confrontation militaire conventionnelle prolongée.

Moon of Alabama

Traduit par Wayan, relu par Jj pour le Saker Francophone


L’Artsakh (Karabagh) sera-t-il le tombeau d’Erdoğan ?

...par Thierry Meyssan - Le 07/10/2020.

Consultant politique, président-fondateur du Réseau Voltaire.

Dernier ouvrage en français : Sous nos yeux - Du 11-Septembre à Donald Trump (2017).

Le conflit du Haut-Karabagh trouve certes son origine dans la dissolution de l’URSS, mais il a été relancé par la volonté du président turc. Il est peu probable que celui-ci ait pris cette initiative sans en référer préalablement à Washington. C’est aussi ce qu’avait fait le président Saddam Hussein avant d’envahir le Koweït, tombant par ambition dans le piège qui lui était tendu et provoqua sa chute.

 

Source : Réseau Voltaire


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Sur son compte Twitter le président Erdoğan a écrit le jour du début des hostilités : « - Au cours des appels téléphoniques que nous avons eu aujourd’hui, une position judicieuse et résolue, l’approche "une nation, deux États", témoigne une fois de plus, comme je l’ai mentionné à Ilham Aliyev, le président de l’Azerbaïdjan, que la Turquie continuera à renforcer sa coopération avec ses frères azerbaïdjanais. - Alors que nous invitons le peuple arménien à défendre son avenir contre sa domination et ceux qui l’utilisent comme une marionnette, nous appelons le monde entier à soutenir l’Azerbaïdjan dans sa lutte contre l’occupation et l’oppression. - La communauté internationale, qui n’a pas pu apporter une réponse nécessaire et suffisante à l’agression provocatrice de l’Arménie, montre une fois de plus son double jeu. Le trio de Minsk, qui a maintenu son attitude négligente pendant une trentaine d’années, est malheureusement très loin d’être orienté vers la solution. - En ajoutant une nouvelle attaque aux précédentes contre l’Azerbaïdjan, l’Arménie a une fois de plus montré qu’elle était la plus grande menace à la paix et à la tranquillité dans la région. La Nation turque soutient ses frères azerbaïdjanais avec tous ses moyens, comme toujours. »

 

Un conflit très ancien, gelé depuis 30 ans

Le peuple turc se définit comme issu des « enfants du loup des steppes », c’est-à-dire comme descendant des hordes de Gengis Khan. Il compose à la fois « un peuple et deux États » : la Turquie et l’Azerbaïdjan. La renaissance politique de la première engendre donc automatiquement l’arrivée de la seconde sur la scène internationale.

Bien sûr cette renaissance politique ne signifie pas une résurgence de la violence des hordes barbares, mais ce passé n’en a pas moins forgé les mentalités, malgré les efforts de nombreux politiciens qui, depuis un siècle, tentent de normaliser le peuple turc.

Dans les dernières années de l’époque ottomane, le sultan Habdulhamid II voulut unir le pays autour de sa conception de la foi musulmane. Il ordonna donc l’élimination physique de centaines de milliers de non-musulmans. Celle-ci fut encadrée par des officiers allemands qui acquirent lors de ce génocide une expérience qu’ils mirent ultérieurement au service de l’idéologie raciale nazie. La politique ottomane d’épuration fut poursuivie à plus grande échelle par les Jeunes Turcs au début de la République, particulièrement contre les orthodoxes arméniens [1].

Le meurtre étant une addiction, il ressurgit sporadiquement dans le comportement des armées turques. Ainsi, en mars 2014, celles-ci escortèrent des centaines de jihadistes du Front al-Nosra (Al-Qaïda) et de l’Armée de l’islam (pro-Saoudiens) jusqu’à la ville de Kessab (Syrie) pour y massacrer la population arménienne. Les jihadistes ayant participé à cette opération ont été aujourd’hui envoyés tuer d’autres Arméniens au Karabagh.

Ces massacres cessèrent en Azerbaïdjan durant la brève République démocratique (1918-20) et la période soviétique (1920-90), mais ils reprirent, en 1988, à la faveur de l’effondrement du pouvoir moscovite.

 

Précisément durant la période soviétique, conformément à la politique des nationalités de Joseph Staline, une région arménienne fut jointe à l’Azerbaïdjan pour former une République socialiste. Aussi lorsque l’URSS fut dissoute, la communauté internationale reconnut le Karabagh, non pas comme arménien, mais comme azéri. La même erreur a été commise dans la précipitation en Moldavie avec la Transnistrie, en Ukraine avec la Crimée, en Géorgie avec l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie. Il s’ensuivit immédiatement une série de guerres dont celle du Haut-Karabagh. Il s’agit là de cas où le Droit international s’est développé à partir d’une erreur d’appréciation au début des conflits, comme en Palestine, qui n’a pas été rectifiée à temps, aboutissant à des situations inextricables.

Les Occidentaux s’interposèrent pour prévenir un embrasement général. Cependant l’exemple de la Transnistrie atteste que ce fut reculer pour mieux sauter : ainsi les États-Unis recoururent-ils à l’armée roumaine pour tenter d’anéantir la Pridnestrovie naissante [2].

L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE, à l’époque CSCE) créa le « Groupe de Minsk », coprésidé par les États-Unis, la France et la Russie, pour trouver une solution, ce qu’il ne fit jamais : la Russie ne voulait pas choisir entre ses anciens associés, la France voulait jouer à l’importante et les États-Unis voulaient maintenir une zone de conflit à la frontière russe. Les autres conflits, créés lors de la dissolution de l’URSS, ont d’ailleurs été délibérément attisés par Washington et Londres avec l’agression de l’Ossétie-du-Sud par la Géorgie en 2008 ou le coup d’État de l’EuroMaïdan visant entre autres à expulser les Russes de Crimée, en 2014.

 

L’attaque de la République d’Artsakh (Karabagh) par l’Azerbaïdjan et la Turquie avait été justifiée par le discours du président azéri, Ilham Aliyev, lors de l’assemblée générale de l’Onu, le 24 septembre [3]. Son idée principale était que le Groupe de Minsk avait qualifié le statu quo d’inacceptable, mais que « Les déclarations ne sont pas assez. Nous avons besoin d’actions ». Il ne pouvait être plus clair.

Conformément à l’idéologie de sa famille, il chargeait au maximum ses adversaires, attribuant par exemple le massacre de Khojaly (1992, plus de 600 victimes) aux « terroristes arméniens » alors qu’il s’agissait d’une opération noire durant une tentative de coup d’État dans son pays ; en tous cas cela lui permit de présenter de manière biaisée les actions de l’ASALA (Armée secrète arménienne de libération de l’Arménie) dans les années 70-80. Il soulignait que 4 résolutions du Conseil de sécurité ordonnent le retrait des troupes arméniennes, jouant sur l’homonymie entre la population arménienne du Karabagh et l’État voisin de l’Arménie ; une manière comme une autre de passer sous silence que le Conseil enjoignait aussi l’Azerbaïjan d’organiser un référendum d’auto-détermination au Karabagh. Il accusait, non sans raisons, le nouveau Premier ministre arménien, Nikol Pashinyan, d’être un des hommes du spéculateur Gorge Soros, comme si cela effaçait ce qui avait précédé.

 

Le conflit ne pourra cesser qu’après un référendum d’auto-détermination dont l’issue fait peu de surprise. Pour le moment, il profite à ceux qui, comme Israël, vendent des armes à l’agresseur.

 

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Les armées turques, azéries et pakistanaises affichent leur unité face aux Arméniens

 

Pour Erdoğan, la guerre de trop ?

Ceci étant posé, analysons le conflit actuel sous un autre angle, celui des équilibres internationaux en conservant à l’esprit que l’armée turque est déjà illégalement présente à Chypre, en Iraq et en Syrie ; qu’elle viole l’embargo militaire en Libye et désormais le cessez-le-feu en Azerbaïdjan.

Bakou s’organise pour repousser encore l’inévitable échéance. L’Azerbaïdjan a déjà obtenu le soutien du Qatar qui supervise aussi sur ce terrain d’opération le financement des jihadistes. Selon nos informations, ils seraient au moins 580 à avoir été acheminés depuis Idleb (Syrie) par la Turquie. Cette guerre coûte cher et KKR, la puissante société de l’États-uno-Israélien Henry Kravis, semble impliquée comme elle l’est toujours en Iraq, en Syrie et en Libye. Comme lors de la déstabilisation de l’Afghanistan communiste, les armes israéliennes pourraient être acheminées via le Pakistan. En tous cas, en Turquie des affiches fleurissent plaçant côte à côte les drapeaux des trois pays.

 

Plus étonnant encore, le président Aliyev a reçu le soutien de son homologue biélorusse, Alexandre Loukachenko. Il est probable que celui-ci agit en accord avec le Kremlin, ce qui pourrait annoncer un soutien plus visible de la Russie à l’Arménie orthodoxe (la Russie, la Biélorussie et l’Arménie sont toutes trois membres de l’Union économique eurasiatique et de l’Organisation du traité de sécurité collective).

Étrangement, l’Iran chiite n’a pas pris position. Pourtant, bien qu’ethniquement turcs, les Azerbaïdjans sont le seul autre peuple chiite au monde car ils ont appartenu à l’empire Safavide. Le président Hassan Rohani l’avait inclus dans son projet de Fédération chiite présenté lors de sa seconde campagne électorale. Ce retrait donne l’impression que Téhéran ne souhaite pas entrer en conflit avec Moscou, officiellement neutre. D’autant que l’Arménie joue un rôle non-négligeable dans le contournement de l’embargo US face à l’Iran.

Côté arménien, la diaspora aux États-Unis procède à un intense lobbying au Congrès afin de rendre le président Erdoğan —dont le pays est pourtant membre de l’Otan— responsable du conflit devant un Tribunal international.

Dans le cas d’un accord tacite entre Moscou et Washington, cette guerre pourrait se retourner diplomatiquement contre président Erdoğan, désormais insupportable aux Deux Grands. Comme jadis le président iraquien Saddam Hussein qui passa brutalement du statut de valet du Pentagone à celui d’ennemi public n°1 lorsqu’il crut avoir l’autorisation d’envahir le Koweït, le président turc a peut-être été encouragé à la faute.

 

 


Conflit du Haut-Karabagh : Les sites de suivi de l'activité aérienne, nouvelles cibles de la guerre de l'information. (CF2R)

...par Alain Charret - Le 08/10/2020.

Aujourd’hui, internet permet un accès à une multitude de sources permettant le recueil de renseignements dits « ouverts ». Parmi celles-ci figurent notamment les sites qui permettent le suivi de l’activité aérienne à travers le monde. Il est possible d’y suivre tous les vols commerciaux, mais également des vols plus sensibles, tels que les aéronefs militaires ou même les célèbres avions espions américains U-2 Dragon Lady ou encore les drones, armés ou non.

Ainsi, dans le cas du conflit en cours dans le Haut-Karabakh, il est possible de suivre des vols particulièrement intéressants. Par exemple quelques jours avant le début des affrontements, une activité inhabituelle de gros porteurs turcs de type A400M a pu être constatée. Ils ont effectué de nombreuses rotations à destination de Bakou, la capitale de l’Azerbaïdjan. De même plusieurs IL-76 azéris ont été observés effectuant des allers-retours entre une base située dans le sud d’Israël et Bakou. Sachant que l’État hébreu est non seulement un allié de l’Azerbaïdjan, mais qu’en plus il lui fournit de l’armement sophistiqué – tel que les fameux drones IAI Haropdits « kamikazes » -, il est aisé de deviner le contenu des cargaisons. Ces éléments à eux seuls incitent à penser que l’action de l’Azerbaïdjan était préméditée et qu’elle n’est pas la réponse à une provocation arménienne.

 

Un drone turc Bayraktar en route vers l’Arménie (30 septembre 2020)

L’exploitation des données fournies par ces sites spécialisés peut donc être très riche. C’est d’autant plus vrai que peu après le début du conflit, le plus populaire de ces sites, FlightRadar24, a fait l’objet de cyberattaques par déni de service (DDoS) qui ont considérablement perturbé son activité. Quelques temps plus tard, c’est un de ses concurrents, PlaneFinder qui a fait l’objet du même type d’attaque. On est donc tenté de faire le lien entre la publication de ces données sensibles et les tentatives de blocage des sites ; et soupçonner les différents protagonistes d’en être à l’origine. Cependant, les nations concernées ne sont pas tributaires de ces sites pour suivre l’activité aérienne de leurs ennemis potentiels. Elles disposent des ressources adaptées via leurs services de renseignement militaires et civils. Il faut donc chercher ailleurs.

Le libre accès à ces sites et leur simplicité d’emploi en font un outil très prisé des internautes et des journalistes. Ces derniers ont ainsi la possibilité de vérifier plus facilement les déclarations officielles des belligérants. La propagande qui est généralement de mise dans de telles situations s’en trouve ainsi fortement malmenée.

Concernant le conflit en cours dans le Haut-Karabakh, certaines sources indiquent que la Turquie a acheminé des militants pro-turcs de Libye vers Bakou afin de participer aux combats. Des allégations qui ont été immédiatement démenties par Ankara. Dans ce cas précis, le suivi de l’activité aérienne nous donne un précieux indice qui tendrait à confirmer cette version. En effet, le 29 septembre un Boeing 737 immatriculé en Libye et opéré par Buraq Air est parti de Tripoli (Libye) pour se rendre à Bakou. Il y a peu de chance qu’il s’agisse d’un vol touristique destiné à des Libyens voulant découvrir le charme de la capitale azerbaïdjanaise… La thèse de militants pro-turcs venant prêter main-forte aux Azéris est donc tout à fait plausible.

Vol d’un Boeing 737 Buraq Air 5A-DMG (29 septembre 2020)

 

 Ainsi, ces sites sont donc devenus, malgré eux, de nouvelles cibles de la guerre de l’information

Source : CF2R


Karabagh : l’Otan soutient la Turquie tout en cherchant à éliminer le président Erdoğan

...par Thierry Meyssan - Le 13/10/2020.

 

Consultant politique, président-fondateur du Réseau Voltaire.

 

Dernier ouvrage en français : Sous nos yeux - Du 11-Septembre à Donald Trump (2017).

Dans la guerre du Karabagh, le droit contemporain est contradictoire selon qu’on l’interprète en fonction de la propriété du territoire ou de l’auto-détermination du peuple. Profitant de cette équivoque, le peuple turc (c’est-à-dire à la fois la Turquie et l’Azerbaïdjan) vient d’attaquer ce territoire, auto-proclamé indépendant (Artsakh) quoique lié de facto à l’Arménie. La Russie a déjà fait savoir qu’en fonction des traités, elle défendra l’Arménie si celle-ci est attaquée, mais que sa sécurité nationale n’est pas concernée par ce qui se passe au Karabagh. Dès lors, la seule question est d’établir si la Turquie a agi sur ordre des Occidentaux, ou si elle a pris une initiative que ses propres alliés sont susceptibles de retourner contre elle.

 

Source : Réseau Voltaire

Cet article fait suite à :
- « L’Artsakh (Karabagh) sera-t-il le tombeau d’Erdoğan ? », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 6 octobre 2020.

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La cathédrale de l’Artaskh a été la cible de deux missiles. La destruction de lieux de culte constitue un crime de guerre, selon le Droit international humanitaire. Le génocide arménien (1894-95 et 1915-23) par les Ottomans et les Turcs visait à anéantir la population non-musulmane. L’Azerbaïdjan assure ne pas être impliquée dans l’attaque de cette église.

La guerre se poursuit au Nagorno-Karabagh depuis le 27 septembre 2020. La supériorité des forces azerbaïdjanaises est évidente, à la fois en nombre et par la qualité de leur armement. La première ligne de défense des forces artsakhaises a été pulvérisée, mais les deux autres tiennent toujours. Les destructions sont très importantes, y compris côté azerbaïdjanais. Il est difficile d’établir un bilan humain, mais les morts sont déjà très nombreux.

Le président Ilham Aliyev annonce son intention de poursuivre son offensive jusqu’à la victoire, c’est-à-dire la « récupération » de son territoire. Il est soutenu par son homologue turc, Recep Tayyip Erdoğan. Le Pakistan s’est aussi rangé dans son camp, tout en niant avoir envoyé des soldats sur place. Tous les pays turcophones du Conseil turcique ont apporté leur soutien sans faille au « Peuple à deux États » (l’Azerbaïdjan et la Turquie).

Côté arménien, le soutien également sans faille de la diaspora disséminée en Occident a créé un consensus condamnant l’attaque azérie (même si Bakou prétend ne pas avoir agressé le Karabagh). Au problème de l’Artsakh, s’ajoute celui de l’Arménie. Il est clair et revendiqué que des soldats de ce pays se battent en Artsakh, mais il ne semble pas que les combats se soient étendus au territoire de l’Arménie.

D’un point de vue diplomatique, le Groupe de Minsk de l’OSCE, présidé par les États-Unis, la France et la Russie, multiplie les appels au cessez-le-feu, sans aucun effet. Il n’avait rien fait depuis sa création et continue publiquement à se bander les yeux. En réalité, il s’active dans l’ombre et vient d’organiser une médiation à Genève, sans l’Arménie.

Un mot sur la position française : bien que coprésident du Groupe de Minsk, Paris ne cesse de se confronter à Ankara sur toute sorte de sujets : de la délimitation des zones exclusives en Méditerranée à la situation en Libye, en passant par la laïcité. Cependant, le président Emmanuel Macron évite autant que possible d’aborder l’occupation turque de Chypre, de l’Iraq et de la Syrie, pourtant des problèmes bien plus importants. La France a demandé des explications à la Turquie sur le transfert de jihadistes de l’Armée syrienne libre qu’elle avait jadis aidé à créer, soutenue et encadrée contre la Syrie.

Les puissances moyennes évitent de prendre position, dans la mesure où presque toutes hésitent à se froisser avec un puissant État pétrolier pour les beaux yeux des Arméniens. Toutefois, compte tenu du passé génocidaire du peuple turc qu’il persiste à nier, il sera moralement impossible de ne pas se prononcer très longtemps. Avant que le Qatar (qui abrite une base militaire turque) se soit prononcé, le secrétaire général de la Ligue arabe a condamné la Turquie. Il a immédiatement été suivi par la Syrie. Le président Bachar el-Assad a saisi l’occasion pour récapituler les crimes d’Ankara vis-à-vis de son peuple.

En conclusion, alors que la probable défaite de l’Artsakh et le probable massacre de ses habitants approchent, les États-Unis et la Russie prétendent toujours à la neutralité, les Occidentaux et les Arabes soutiennent l’Arménie, tandis que seuls les États turcophones soutiennent ouvertement l’Azerbaïdjan et la Turquie.

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Le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, et le président turc, Recep Tayyip Erdoğan, le 5 octobre 2020 au palais blanc d’Ankara. Alliés ou adversaires ?

L’hypothèse du piège

L’hypothèse d’un piège suscité par Washington afin de pousser à la faute le président Recep Tayyip Erdoğan et de le faire tomber, comme jadis son homologue iraquien Saddam Hussein, tient toujours. En 1990-91, l’invasion du Koweït, encouragée par l’ambassadrice US April Gaspie fut suivie cinq mois plus tard d’une condamnation unanime du Conseil de sécurité et de l’opération « Tempête du désert ». Nous ne sommes qu’à deux semaines du début des opérations en Arstakh.

Il fut difficile de transformer l’image du président Saddam Hussein en quelques mois. Celui-ci était un agent de la CIA, recruté durant sa jeunesse, lors de ses études. Il avait aidé une tentative de coup d’État des Frères musulmans en Syrie, à la demande des Occidentaux. Il avait conduit une longue guerre contre l’Iran, toujours à la demande des Occidentaux. Il s’imaginait alors indispensable à ses sponsors. Washington publia donc des documents attestant qu’il avait assassiné ou fait assassiner plusieurs personnes de son entourage, mais il fallut encore transformer ce despote oriental en nouveau criminel de masse. Dans ce processus, le faux témoignage d’une fausse infirmière koweïtienne devant le Congrès des États-Unis fut crucial : sur ordre du tyran, l’armée iraquienne volait des couveuses, provoquant la mort de bébés prématurés.

Dans le cas de l’Azerbaïdjan, les choses seront plus faciles. Il suffira d’exhumer les preuves du génocide arménien que les Turcs persistent à nier pour justifier d’un risque sérieux de nouveau massacre. D’autant que la cathédrale de l’Artsakh a été déjà ciblée par deux missiles de précision. D’ores et déjà, l’Azerbaïdjan dément avoir tiré ces missiles, ce qui est possible mais suppose qu’une puissance tierce tire les ficelles du conflit. Si l’implication de Bakou était avérée dans cette violation du droit international humanitaire, l’intention génocidaire serait impossible à ignorer sachant que le génocide arménien (1894-95 et 1915-20) visait cette population en fonction de sa religion.

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Six heures de négociations à Moscou pour seulement cinq minutes de cessez-le-feu.

Le piège se referme

Soucieux d’éviter que les choses ne dégénèrent, le président russe Vladimir Poutine a organisé, à Moscou le 9 octobre, des négociations entre les ministres des Affaires étrangères azerbaïdjanais et arménien, alors qu’il avait envoyé son Premier ministre à Erevan. Après six heures de consultation, elles ont abouti à la signature d’un cessez-le-feu pour le 10 à midi. L’accord prévoyait, outre la restitution des prisonniers et des corps des victimes, la reprise des négociations de paix sous l’égide du Groupe de Minsk de l’OSCE.

L’arrêt des combats a été précédé d’un intense pilonnage de la petite ville d’Hadrout, dont Bakou avait un peu vite proclamé la « reprise », et d’une vaste attaque de drones visant à aggraver in extremis le rapport de force.

La trêve n’a tenu que 5 minutes : à 12h05, l’Arbaïdjan reprenait les combats à Hadrout.

Selon la partie arménienne, l’Azerbaïdjan aurait alors bombardé la République d’Arménie dans la ville frontière de Kaplan. Si cette information était vérifiée, l’Organisation du Traité de sécurité collective (OTSC) devrait porter assistance militaire à l’Arménie. Il faudrait alors que la Russie démontre l’implication turque —dont personne ne doute— pour placer l’Organisation du Traité de l’Atlantique-Nord (Otan) devant un dilemme : soit soutenir la Turquie et déclarer la IIIème Guerre mondiale, soit lui enjoindre de quitter l’Alliance.

Comme à peu près tous les membres de l’Alliance ne peuvent plus supporter le président Recep Tayyip Erdoğan, il devrait alors devenir l’ennemi mondial n°1.

Cependant, les choses sont peut-être plus compliquées encore : la communication internationale de la partie azerbaïdjanaise est assurée par un lobby, le Nizami Ganjavi International Center, clairement contrôlé par l’Otan. En outre, Washington a déjà plusieurs fois tenté de renverser, voire d’assassiner, le président Recep Tayyip Erdoğan, tout en répétant que l’armée turque est une précieuse composante de l’Alliance.


Géopolitique- Le rôle de l’État hébreu dans les coulisses de la crise Arménienne

...par le Gal. Dominique Delawarde - le 15/10/2020.

 

 

Bonjour à tous,


Aujourd'hui, je vous propose un texte dédié au rôle de l'état hébreu dans les coulisses du conflit Azerbaïdjan-Arménie.


J'y donne mon analyse personnelle en insistant sur un aspect trop peu abordé, à mon avis, par les "experts" traitant de la région en géopolitique.

Bonne lecture

DD

Le rôle de l’État hébreu dans les coulisses de la crise Arménienne

par le général (2S) Dominique Delawarde 15 octobre 2020

 

Les médias mainstream occidentaux ont beaucoup insisté sur le rôle majeur et indéniable de la Turquie dans la crise opposant l'Arménie à l'Azerbaïdjan, mais ils sont restés extrêmement et étonnamment discrets, voire silencieux sur le rôle tout aussi important, joué, en coulisse, par Israël, et sur son positionnement dans cette affaire.

 

Ce rôle n'a pourtant pas pu échapper à un géopoliticien ou à un observateur averti.

 

Il y a, bien sûr, les discrètes navettes aériennes entre Tel Aviv et Bakou qui, au début d'octobre, ne transportaient pas des oranges, mais de l'armement sophistiqué (notamment des drones et des missiles). Une part non négligeable de l'armement azéri est d'origine israélienne. Il faut rappeler que l'Azerbaïdjan est le premier pourvoyeur de pétrole d'Israël et lui fournit 40% de ses besoins. Ceci suffirait presque à expliquer l'alliance de fait, entre les deux pays, alliance basée sur une sorte d'échange «pétrole contre armement».

https://www.jpost.com/israel-news/video-shows-azerbaijan-using-israeli-lora-missile-in-conflict-with-armenia-644327

 

Il y a la relative discrétion des chancelleries et des médias occidentaux - dont on sait qui les contrôle - sur l'ingérence ouverte de la Turquie, pays membre de l'OTAN, contre l'Arménie, pays membre de l'OTSC (Organisation du Traité de Sécurité Collective) aux côtés de la Russie. La coalition occidentale a bien protesté du bout des lèvres; elle a bien appelé «à la retenue» et au «cessez le feu», mais elle a laissé faire la Turquie sans vraiment dénoncer son impérialisme islamiste, désormais tous azimuts (Syrie, Irak, Libye, Méditerranée orientale, Caucase).

 

Il y a encore la prise de position officielle de Zelenski, premier président juif d'Ukraine, en faveur de l'Azerbaïdjan, et contre l'Arménie. Ce président aurait certainement été plus discret dans son soutien si l'Azerbaïdjan avait été hostile à l'état hébreu.

 

Il y a enfin cette déclaration de Georges Malbrunot, grand reporter au Figaro qui nous apprend dans un tweet:

 

 

                    Georges Malbrunot

                        @Malbrunot

Conflit au Nagorny-Karabakh: au-delà de la station du Mossad basée en Azerbaïdjan pour espionner l'Iran et de la livraison de matériels militaires à Bakou, Israël entraîne les forces de sécurité azéris, confie un diplomate européen, qui fut basé en Azerbaïdjan.

 

Mais pourquoi l’État hébreu se distingue-t-il aujourd'hui, par sa présence et son action dans cette région du monde aux côtés de la Turquie, de l'Azerbaïdjan et du djihadisme islamiste?

 

Avant de tenter de répondre à cette question, il faut se rappeler que l'activisme d'Israël sur la scène internationale n'est pas que régional, mais mondial. Il peut être direct ou indirect. Son empreinte est souvent perceptible et parfaitement identifiable dans la politique étrangère des grands pays occidentaux (USA, UK, FR, Canada, Australie), mais elle l'est aussi dans presque tous les grands événements qui ont affecté l'évolution géopolitique mondiale des dernières décennies: (guerres au Proche et Moyen-Orient, révolutions colorées et/ou changement de pouvoir (ou tentatives) notamment en Amérique du Sud (Brésil, Bolivie, Venezuela, Colombie, Équateur) mais aussi en Europe (Maïdan …) et en Afrique du Nord (printemps arabes, hirak algérien). A noter aussi l'ingérence plus ou moins ouverte dans les élections des grands pays de la coalition occidentale (USA, FR, UK, Canada, Australie) par des financements généreux de sa diaspora visant à promouvoir les candidats qui lui sont favorables et à détruire ceux qui ne le sont pas.

 

Cet activisme pro-israélien s'exerce par le biais d'une diaspora riche, puissante et organisée. Cette diaspora collectionne les postes d'influence et de pouvoir, plus ou moins «achetés» au fil du temps et des circonstances, au sein des appareils d’État, au sein des médias mainstream, au sein des institutions financières et des GAFAM qu'elle contrôle. Le Mossad n'est pas en reste et fonde l'efficacité de son action sur le système des sayanims, parfaitement décrit par Jacob Cohen dans sa conférence de Lyon. https://www.youtube.com/watch?v=2FYAHjkTyKU

 

L'action de ces relais et soutiens vise à défendre et à promouvoir les intérêts directs et indirects de l’État hébreu sur la planète entière et à élargir le cercle des pays et des gouvernances qui le soutiennent. Elle vise aussi à affaiblir celles et ceux qui lui sont opposés. Elle est tenace, efficace et s'inscrit dans la durée.

 

Pour gagner, l’État hébreu, comme le fait aussi très bien l'OTAN, n'hésite jamais à faire des alliances de circonstance, limitées dans l'espace et dans le temps, avec tel ou tel de ses adversaires (Turquie et djihadistes en Syrie par exemple). Ses actions sont souvent «préméditées», «concoctées» et «coordonnées» avec ses correspondants «néoconservateurs» de Washington. Comme partout ailleurs le mensonge d’État et la duplicité sont monnaies courantes...

 

Pourquoi susciter et/ou mettre de l'huile sur le feu dans un conflit entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie et pourquoi maintenant ?

 

Trois grands pays de la région, la Russie, la Turquie et l'Iran, sont directement concernés par ce conflit et par ses conséquences potentielles, parce qu'ils sont frontaliers avec l'une des deux parties en conflit, et parfois les deux. Israël, pour sa part, n'est qu'indirectement concerné, mais l'est tout de même, nous le verrons.

 

Par ailleurs, cette région du Caucase est également une «zone de friction» entre des alliances qui ne s'apprécient pas vraiment: La coalition occidentale et l'OTAN dont la Turquie et Israël jouent la partition, l'OTSC (Organisation du Traité de Sécurité Collective) dont la Russie et l'Arménie sont membres, et l'OCS (Organisation de Coopération de Shangaï) à laquelle la Russie et l'Iran sont liés (pour l'Iran, comme membre observateur et aspirant candidat depuis 15 ans).

 

Pour compliquer le tout, le premier ministre arménien en fonction, Nikol Pashinyan, a cru bon de devoir afficher sa préférence pour l'Occident dès sa prise de fonction et de prendre ses distances avec Moscou, ce qui met son pays en position délicate pour réclamer aujourd'hui l'aide de la Russie.

Le déclenchement de la crise actuelle est, selon moi, une opération qui dépasse largement le cadre étroit d'un conflit territorial entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie. Il s'agit d'une opération de plus - après Maïdan en Ukraine, après la tentative de révolution colorée en Biélorussie et après les affaires Skripal et Navalny - visant à mettre la pression sur la Russie, mais aussi sur l'Iran, en les mettant dans l'embarras, voire, en les poussant à la faute.

 

Il est clair que toute intervention rapide et musclée de la Russie dans ce conflit aurait été immédiatement condamnée par la «communauté internationale autoproclamée» - c'est à dire par l'OTAN - et suivie de l'habituel train de sanctions anti-russes, par les USA, servilement suivis par ses vassaux européens. Il ne faut pas oublier qu'aujourd'hui, mettre un terme au gazoduc North Stream II reste un objectif majeur pour les USA……

 

L'absence d'une ferme réaction des occidentaux dans la crise du Caucase est, en elle- même, révélatrice sur quatre points :

 

1 – La défense de l'Arménie n'est pas une priorité pour la coalition occidentale. Monsieur Nikol Pashinyan, premier ministre arménien, s'est donc trompé de cheval en misant sur l'Occident pour la défense de son pays. La coalition occidentale laisse souvent tomber ses alliés de circonstance comme ils l'ont fait pour les Kurdes en Syrie …..

 

2 – En atermoyant et en laissant venir une réaction russe qu'elle espère pouvoir sanctionner en mettant définitivement fin au North Stream II, la coalition occidentale montre, une fois de plus, sa duplicité et son cynisme. Peu lui importe l'Arménie …..

 

3 – En créant un foyer d'infection djihadiste aux frontières de la Russie et de l'Iran, la coalition israélo-occidentale montre, une fois de plus, qu'elle est prête à pactiser avec le diable et à l'instrumentaliser pour parvenir à ses fins, en l'occurrence l'affaiblissement de ses adversaires russes et iraniens.

 

4 – En laissant agir la Turquie et Israël sans réaction, la coalition occidentale reconnaît implicitement, derrière des discours trompeurs, que ces deux pays agissent à son profit.

 

Le quotidien israélien «The Jerusalem Post» a abordé dans un article récent les affrontements entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie non sans laisser éclater la joie israélienne de voir le Caucase devenir un nouveau foyer de crise potentiellement susceptible d'avoir un impact considérable sur le Moyen-Orient. L'impact recherché par Israël est toujours le même: alléger les pressions et les actions iraniennes et russes sur le théâtre syrien en ouvrant un «nouveau front de préoccupations» aux frontières de ces deux pays.

 

En conclusion, quatre points méritent d'être soulignés, à ce stade de la crise,

 

1 – Monsieur Pashinyan, premier ministre arménien, a fait une erreur d'appréciation en misant sur un camp occidental qui s'avère moins fiable que prévu pour défendre l'intérêt de son pays. Il devra, peut être, in fine, faire des concessions douloureuses et pourrait bien y perdre son emploi lors des prochaines élections.

 

2 – Monsieur Aliyev, président d'un Azerbaïdjan majoritairement chiite, regrettera peut être un jour d'avoir introduit sur son sol des djihadistes sunnites pour combattre l'Arménie. Il regrettera peut-être aussi l'instrumentalisation dont il est l'objet par la Turquie et Israël, chevaux de Troie de l'OTAN. Ses voisins russes et iraniens ne lui pardonneront pas facilement…..

 

 

3 – La Russie, dont la gouvernance et la diplomatie ne sont pas nées de la dernière pluie, n'est toujours pas tombée, tête baissée, dans le piège de l'intervention immédiate et musclée qui pourrait, après la tragi-comédie «Navalny», sonner le glas du North Stream II.

 

 

Elle interviendra, tôt ou tard, lorsque le bon moment sera venu. Les différents protagonistes directs et indirects ne perdront rien pour attendre.

 

 

 

4 - Israël et l'Occident otanien auront-ils gagné quelque chose à poursuivre leurs actions de harcèlement aux frontières de la Russie et de l'Iran en instrumentalisant l'Azerbaïdjan et en cherchant à détacher l'Arménie de l'OTSC dans le cadre de la stratégie d'extension à l'Est qu'ils poursuivent depuis trente ans ? Rien n'est moins sûr. L'avenir nous le dira.

 

Quant à la solution du problème territorial, source du conflit déclenché par l'Azerbaïdjan-contre l'Arménie, elle réside probablement dans l'application de l'article 8 du Décalogue de l’Acte final d’Helsinki voté le 1e août 1975 qui régit les relations internationales entre les états participants. Cet article évoque clairement «le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes».

 

Lorsqu’une volonté de quitter un ensemble étatique est validé par un, voire plusieurs référendums à plus de 90%, et lorsque cette sécession a été effective durant 34 ans, sans conflit majeur - ce qui est le cas pour la république d'Artsakh (Haut-Karabakh)-, il semble légitime que la communauté internationale puisse prendre en compte la volonté des peuples et d’accepter de reconnaître ce fait en dotant ces nouveaux états d’une structure juridique particulière leur garantissant une paix sous protection internationale.

 

On me rétorquera que l'article 3 du même décalogue d'Helsinki rappelle l'intangibilité des frontières. Il s'agira donc, pour la communauté internationale, de déterminer si le droit des peuples à disposer d'eux même doit primer, ou non, sur l'intangibilité des frontières, après 34 ans de séparation totale et effective de vie commune entre deux parties d'un même état.

 

Cette décision, lorsqu'elle sera prise, ne devrait pas être sa  ns conséquences jurisprudentielles sur le futur du Kosovo, de la Crimée, ou de la Palestine occupée……

 

Pour ceux qui souhaitent élargir et diversifier leurs connaissances sur ce sujet sensible, je suggère la lecture de deux articles intéressants:

 

- un article de Jean Pierre Arrignon, historien byzantiniste et spécialiste de la Russie

https://blogjparrignon.net/asc2i/la-guerre-du-nagornii-karabakh/

 

- un éditorial d'Eric Denécé, patron du CF2R (Centre Français de Recherche sur le Renseignement sous le titre: «Le conflit Arménie/Azerbaïdjan au Haut-Karabakh relancé par la Turquie».

 

https://cf2r.org/editorial/le-conflit-armenie-azerbaidjan-au-haut-karabakh-relance-par-la-turquie/

 

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Le rôle de l’État hébreu dans les coulis
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Conflit du Haut-Karabakh : Comprendre pourquoi

...par Caroline Galactéros - le 20/10/2020.

Docteur en Science politique, ancien auditeur de l’IHEDN, elle a enseigné la stratégie et l’éthique à l’Ecole de Guerre et à HEC.

Colonel de réserve, elle dirige aujourd’hui la société de conseil PLANETING et tient la chronique « Etat d’esprit, esprit d’Etat » au Point.fr.

Elle a publié « Manières du monde. Manières de guerre » (éd. Nuvis, 2013) et « Guerre, Technologie et société » (avec R. Debray et V. Desportes, éd. Nuvis, 2014).

Polémologue, spécialiste de géopolitique et d’intelligence stratégique, elle décrit sans détours mais avec précision les nouvelles lignes de faille qui dessinent le monde d’aujourd’hui.

 


Source : Geopragma

C’est de nouveau la guerre, les souffrances indicibles, la vanité des sentiments et des attachements réduits en poudre, les morts pour rien, les destructions jubilatoires des ouvrages humains patiemment édifiés, la mise en pièces gratuite de l’ordinaire existence de la population courageuse de cette enclave forestière superbe depuis si longtemps entre deux eaux qu’elle avait fini par croire en la permanence du provisoire. Les pauvres gens inoffensifs pris au piège de la violence et de la bêtise du monde, se posent toujours les mêmes questions apparemment légitimes : Pourquoi moi ? Pourquoi nous ? Pourquoi maintenant ? et surtout :  pourquoi tout le monde s’en f… ?

 

 

Convoquer le génocide arménien, les amitiés indéfectibles et les trahisons opportunistes ne sert de rien. La guerre n’est ici pas faite pour ça. Et si on ne concentre son regard que sur le Nagorny Karabagh, confetti d’empire disputé, prisonnier des injonctions contradictoires du droit international sur l’autodétermination des peuples et le respect de l’intégrité territoriale des Etats, on ne peut voir ce qui ne se joue ni l’ampleur de la manœuvre qui se déploie. 

 

 

Si on veut tenter un diagnostic lucide, un premier pas consiste à comprendre que Bakou et Ankara veulent faire disparaitre cette verrue récalcitrante sous leur botte conquérante avant d’unir leurs deux Etats et d’affermir leur emprise sur les républiques turcophones d’Asie centrale. Il s’agit d’équilibrer leur rapport de force avec Moscou – et même, soyons fous, disposer d’un outil de plus pour déstabiliser l’Europe si elle ne rendait pas assez gorge via le chantage migratoire. 

 

 

Mais c’est encore l’écume des choses. Le jeu est bien plus vaste. Il est en fait planétaire et se joue en simultané sur tous les continents. L’objectif tactique de la réouverture du front arméno-azéri pour pousser Moscou voire Téhéran à réagir et les faire s’embourber dans la zone semble peu accessible. Moscou ne devrait pas tomber dans le piège ni s’impliquer militairement, en dépit de son accord de défense avec Erevan et de ses quelques forces prépositionnées. La Russie parviendra sans doute à étouffer pour quelques temps encore ce surgeon sud caucasien de l’offensive globale menée contre elle et au-delà d’elle. Ainsi, peut-être les pourparlers actuels sous égide russe aboutiront-ils à une trêve qui sera applaudie mais signera non la fin, mais le début d’une onde de choc. Car ce qui se passe n’est qu’un test… et un début. Le début d’une manœuvre enveloppante infiniment plus vaste, dont la cible est le nouvel « Axe du Mal » d’une Amérique en discrédit moral et politique aggravé et qui ne connait qu’une posture : la fuite en avant. 

 

 

Quels sont les présomptueux rebelles qui ont l’outrecuidance de s’affirmer sur cet « axe » maléfique ? Moscou, Téhéran et bien sûr Pékin ! Il faut les arrêter avant qu’il ne soit trop tard. Le malheureux Haut-Karabakh n’est qu’un foyer de résistance à l’ordre occidental parmi d’autres, opportunément réactivé en espérant mettre ainsi à mal l’alliance russo-turque, comme on essaie aussi depuis des mois de le faire en Syrie et en Libye… La Turquie, nouvel allié chéri de Washington, peut tout se permettre en Méditerranée orientale, au Levant et même dans le Caucase où on l’a chargée d’ouvrir un nouveau front pour affaiblir l’Iran et la Russie et in fine l’Europe, éternelle victime collatérale dont la sécurité est chaque jour plus menacée par l’installation de noyaux djihadistes à ses marges, désormais en Asie centrale comme autrefois en Bosnie-Herzégovine ou en Tchétchénie.

 

 

Le dégel du conflit karabatsi permet donc de tester « le front eurasien » que Moscou consolide pour faire pièce à l’expansionnisme priapique de l’OTAN (comme en témoignent les récentes manœuvres Caucase-2020) et de préparer la déstabilisation interne de la Chine comme de l’Iran qui sont les cibles stratégiques. Aussi trouve-t-on, contre les malheureux habitants du Haut-Karabakh, environ 4 000 mercenaires appuyés par des conseillers américains et israéliens qui secondent les forces azerbaidjanaises. Ils viennent d’Idlib mais aussi de différentes ethnies d’Asie centrale, du Caucase et des rangs de Daech. On ne voit évidemment pas derrière Bakou, Israël à la manœuvre ; tout juste quelques centaines de combattants syriens recrutés à prix d’or bien que sunnites pour se battre au profit des azéris chiites (ce clivage n’est pas pertinent ici). 

 

 

Mais cela ne suffit évidemment pas. La cible doit être attaquée par tous les bouts. Comment ? En recyclant « créativement » les reliquats de Daech au service d’une capacité de projection de forces djihadistes grâce à la mise en place d’un commandement militaire unifié pour l’entraînement au combat, l’armement puis la dispersion des « moudjahidines » sur divers théâtres, comme cela a été fait dans les Balkans et déjà dans le Caucase dans les années 80. Les sous-traitants locaux de cet ambitieux projet sont la Turquie et le Qatar, mais aussi l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis (EAU).

 

 

D’une part, Ankara établit les camps (notamment deux grands camps en Libye d’environ 3 000 combattants) pour les éléments de Daech devant être transférés en Afrique et notamment en Egypte. Le Qatar finance larga manu. De l’autre, les EAU et l’Arabie saoudite financent et administrent des camps au Yémen (environ 4 000 éléments) pour un déploiement en Asie centrale et en Chine occidentale. 1 500 Ouighours chinois pourraient être transférés vers le Badakhstan (zone afghane limitrophe de la Chine) pour semer la discorde et forcer Pékin à réagir brutalement. D’autres iront vers le Tadjikistan ou dans la chaine du Pamir non loin de la frontière chinoise, l’idée étant de créer des foyers de contestation et de déstabilisation ethnique. Par ailleurs, certains éléments seront déployés au Baloutchistan avec l’aide des renseignements pakistanais pour renforcer les terroristes présents à la frontière irano-pakistanaise, puis mener des opérations de déstabilisation en Iran même. 

 

 

Ce qui se passe dans le Caucase est donc intimement lié à ce qui se passe au Moyen-Orient, notamment au « processus de normalisation » initié par Washington entre Israël et certains pays arabes (au-delà de l’Arabie saoudite avec laquelle la lune de miel est désormais plus qu’officielle) : les EAU, Bahreïn et bientôt le Liban. « Le deal du siècle » et « les Accords d’Abraham » sont en effet des signes d’une bascule drastique. Là aussi, l’idée ultime étant d’affaiblir l’Iran, il faut donc discréditer le Hezbollah au Liban, et pour cela de faire tomber économiquement le fragile Pays du Cèdre dans l’escarcelle saoudienne, même si le Qatar est lui aussi en lice comme l’oncle d’Amérique richissime et providentiel… L’objectif semble ici de pouvoir contrôler le port de Tripoli comme base de départ des djihadistes vers toute la région et notamment vers Homs et la côte syrienne. 

 

 

Il s’agit donc de prendre en tenaille les trois puissances montantes, au nord par la Caspienne (d’où l’activation du pion azéri, depuis longtemps déjà base arrière israélienne pour surveiller l’Iran), et au sud, en partant du Golfe arabo-persique pour contourner et dévaloriser le Détroit d’Ormuz -atout maitre iranien -, et celui de Bab-el-Mandeb, en reliant la Péninsule arabique aux ports israéliens de Ashdod et de Haifa via le port saoudien de Yanbu ou via la Jordanie (qu’on est aussi en train de contraindre pour pouvoir mieux prétendre voler à son secours). Le port de Beyrouth a explosé en guise d’avertissement et si le Liban ne comprend pas, celui de Tripoli un jour aussi, volera en éclats.  

 

 

Dans cette vaste tambouille, la France n’est manifestement encore une fois qu’une passeuse de plats aveugle qui joue les bons offices et exécute surtout docilement les ordres de Washington. C’est une guerre non seulement hors limites mais « à mort » pour la préséance économique, politique et stratégique mais aussi d’une certaine façon, pour la dominance idéologique au sens d’un système-monde de valeurs et de règles d’équilibre entre libertés individuelles et puissance collective. 

 

 

L’Amérique n’est plus la seule étoile au firmament. L’invulnérabilité, sa quête de toujours, est désormais hors de portée. Elle est de plus en plus ouvertement contestée. Trump ou pas Trump, le problème est bien plus grave. Il tient à l’incapacité structurelle de la puissance de tête occidentale à tolérer l’altérité, la coopération, le dialogue et l’équilibre. L’Amérique ne partage pas. Elle ordonne, elle soumet, elle désigne, elle punit, elle choisit, elle élit. Elle ne sait que lever et baisser les pouces. Donc elle fédère et cristallise l’hostilité et les alliances contre elle.  Elle peut bien encore croire pouvoir tordre les bras – et y parvenir avec ses vassaux européens tant nous sommes trouillards – en activant son système extraterritorial. Mais même cela suscite une humiliation grandissante qui pourra un jour virer au lâchage s’il existe une alternative crédible. Or cette alternative, ce « contre-monde » comme je l’appelle, se structure, tranquillement mais imperturbablement. C’est le capitalisme de contrôle, le légisme à la chinoise qui permet la force de l’Etat et du Parti non pas contre mais au profit ultime de la société. L’individu n’est pas l’alpha et l’oméga de toute politique. Il vit, survit et grandit à travers le collectif qui le contraint mais le protège.  Dans ce combat de Titans, l’Europe de plus en plus semble déphasée et surtout désireuse de ne pas s’en mêler. Elle préfère se laisser faire et pérorer sur sa vertu et sa bonne volonté dont plus personne ne se soucie. 

 

 

La Turquie a choisi son camp qui n’est pas celui de l’Europe, mais clairement celui d’une Amérique qui a besoin d’elle pour mener sa croisade anti-russe, anti-chinoise et anti-iranienne et en l’espèce pour affaiblir le Vieux Continent. Face à Ankara qui, dans la même alliance que nous, nous fait subir comme à d’autres les derniers outrages avec d’autant plus de morgue qu’Erdogan sait que notre prétendu protecteur américain nous a depuis longtemps sacrifiés. Il est temps de se faire respecter et de cesser d’écouter docilement le secrétaire général de l’Otan, la mine sombre mais parfaitement indifférente en fait, demandant sans même oser le regarder au ministre turc des affaires étrangères d’intervenir pour que l’Azerbaïdjan s’arrête… Mais de qui se moque-t-on ? On est dans l’hypocrisie la plus aboutie la plus assumée. Jamais l’Azerbaïdjan ne serait intervenu sans la Turquie, et jamais la Turquie ne l’aurait fait sans l’accord ou a minima sans la complaisance américaine ! 

 

 

La couardise et la faiblesse insigne des Européens, y compris des Français qui parlent beaucoup mais ne font rien, deviennent insupportables. Il faut dire que depuis cet été, il est désormais clair qu’au sein de notre belle Alliance atlantique, comme sur un grand paquebot transatlantique, il y a les passagers du pont supérieur qui peuvent tout se permettre, et les autres, basses classes qui se taisent et avalent leur bouillie à fond de cale. Tous sont en croisière. Mais cela ressemble à la tragique traversée du Titanic. Et il n’y aura pas de canots pour tout le monde. 

Caroline Galactéros,

Présidente de Geopragma.


Pour y voir plus clair dans le conflit du Haut-Karabakh

...par Nicolas Gauthier - Le 20/10/2020.

Source : Bd. Voltaire

Après la chute de l’URSS, certains observateurs, dont l’essayiste néo-conservateur Francis Fukuyama, prophétisaient « la fin de l’Histoire », l’avènement d’une planète convertie à la démocratie libérale et réglée par le « doux commerce », sous protection bienveillante de l’hyperpuissance américaine. Le communisme était une utopie, la « bonne gouvernance » mondiale en est une autre.

Car cette parenthèse est en train de se refermer et les antagonismes entre nations séculaires n’ont jamais été autant d’actualité, tel qu’en témoigne le conflit du , enclave arménienne au cœur de l’Azerbaïdjan.

Il faut déjà savoir que ce territoire, grand comme un département français, est cédé en 1921 à l’Azerbaïdjan par Joseph Staline, qui divise pour mieux régner tout en gagnant la reconnaissance de Bakou, capitale d’une terre gorgée de pétrole. Soixante-dix ans plus tard, les chrétiens arméniens du Haut-Karabakh déclarent leur indépendance ; ce que l’Azerbaïdjan, république laïque, mais majoritairement peuplée de musulmans chiites, ne peut accepter. S’ensuit une guerre et, en 1994, un fragile cessez-le-feu.

C’est ce conflit, larvé depuis plus de vingt ans, qui vient de se raviver, alors que la Russie de Poutine et la Turquie d’Erdoğan retrouvent leur lustre d’antan ; l’un se voyant tsar et l’autre sultan. Moscou est un soutien traditionnel des Arméniens, tandis qu’Ankara considère que les Azéris turcophones participent de sa zone d’influence.

L’Iran, l’autre puissance à peser dans la région, entretient de longue date des rapports économiques et diplomatiques très serrés avec Erevan, ne serait-ce qu’en raison de sa forte minorité chrétienne d’origine arménienne, réfugiée dans l’ancienne Perse pour fuir les massacres ottomans. Seulement voilà, il existe aussi une forte minorité azérie en Iran, ce qui l’oblige à une relative neutralité. Bref, ces trois capitales tentent de jouer aux juges de paix entre les deux protagonistes, tout en les armant de manière plus ou moins ouverte.

Pour tout arranger, Israël se mêle aussi de la partie en armant l’Azerbaïdjan, ce, à la grande fureur de Moscou. Pourquoi ce jeu trouble, sachant que si les pays arabes se rangent peu à peu et les uns après les autres derrière Tel Aviv, la Turquie continue de soutenir la cause palestinienne ? À cela, deux raisons.

La première est que Bakou fournit beaucoup de pétrole à Israël, lequel est acheminé par un oléoduc passant par la Turquie, générant au passage une véritable manne en taxes diverses. La seconde, c’est que l’Azerbaïdjan possède une très longue frontière avec l’Iran, permettant ainsi aux services secrets israéliens de collecter de précieux renseignements et d’infiltrer des agents pour ces opérations clandestines ayant fait leur renommée. Tel Aviv n’a donc rien à refuser à Bakou.

S’il ne s’agit pas, à proprement parler, d’un conflit religieux opposant chrétiens et musulmans, une autre opposition demeure entre deux conceptions des frontières. Selon celle d’Erevan et de Stepanakert (la capitale du Haut-Karabakh), cette terre est arménienne parce que peuplée d’Arméniens : c’est la jurisprudence du Kosovo, pays qui, immigration massive oblige, est devenu plus albanais que serbe. Celle de Bakou repose sur l’intangibilité des frontières, ce qui la pousse à affirmer que le Haut-Karabakh leur appartient parce qu’il était autrefois leur. Un peu comme la Crimée, autre territoire jadis offert à l’Ukraine par Nikita Khrouchtchev, successeur de Staline, avec la Russie.

Pour le moment, ces puissances s’abstiennent de franchir les lignes rouges. Moscou ne tient pas à aller directement sur le terrain, même si un accord d’assistance militaire existe avec l’Arménie. Mais Ankara ne souhaite pas non plus s’impliquer trop fortement, sachant qu’un conflit ouvert ne profiterait à personne, et surtout pas à une Turquie déjà présente en Libye, Syrie et aux frontières de la Grèce pour les raisons pétrolières qu’on sait.

Bref, cette Histoire que l’on donnait pour obsolète n’en finit plus de reprendre ses droits.

Nicolas Gauthier

Journaliste, écrivain

 


Qu’est-ce qui intéresse les Russes dans la guerre du Haut-Karabagh ?

...par Valentin Vasilescu - Le 27/10/2020.

Au début du conflit du Haut-Karabakh, nous avons vu les drones Azeri Harop et Bayraktar TB2 détruire de manière très précise les blindés, les radars et les systèmes de missiles antiaériens arméniens, contribuant de manière décisive à la création de lacunes en profondeur de la défense ennemie

Les experts militaires n’ont pas été surpris du tout, car ils se souviennent qu’en septembre 2019, les drones yéménites avaient facilement percé les défenses antiaériennes stratifiées de l’Arabie Saoudite, basées sur le système sol-air Patriot et le radar volant AWACS. Cela avait été une surprise totale dans la défense antiaérienne saoudienne placée dans un terrain plat, ne pouvant bénéficier des obstacles que pourrait offrir un paysage montagneux comme c’est le cas au Haut-Karabakh. C’est ce qui a permis la destruction de la raffinerie d’Abqaiq et les installations pétrolières de Khurais grâce à des frappes de très grande précision.

C’est maintenant au tour du missile anti-char israélien Spike NLOS de prouver son efficacité. L’Azerbaïdjan possède 250 missiles de ce type, d’une portée de 25 km, dont la plupart sont installés sur des hélicoptères Mi-17. Le système de guidage est de type caméra électro-optique TV / infrarouge, monté devant le missile Spike NLOS. Grâce à une fibre optique reliée au missile, l’opérateur voit sur un écran ce que la caméra de télévision du missile transmet et peut apporter des corrections de trajectoire. La longueur du câble de la fibre optique est de 8 km. Le guidage Spike NLOS sur les objectifs situés au-delà de la distance de 8 km est effectué par un émetteur-récepteur de type ligne de données.

 

Cette vulnérabilité ne peut être exploitée que par des brouilleurs performants, capables de « casser » les codes de chiffrement de la ligne de données du missile. A moins de découvrir les codes ce qui est un processus difficile, avec seulement une probabilité de réussite de 60 à 70%, après avoir analysé le spectre de fréquences de dizaines de lancements de fusées Spike NLOS, au moyen d’une guerre électronique radio de pointe. Les équipements d’analyse complexes ne sont disponibles que dans les armées des États-Unis, d’Angleterre, de France et de Russie

 

Cette vulnérabilité ne peut être exploitée que par des dispositifs de brouillage de haute performance capables de « briser » les codes de chiffrement de la ligne de données de fusée. Ou la découverte de codes est un processus difficile et se fait avec une probabilité de 60-70% seulement après avoir analysé le spectre de dizaines de lancements de missiles Spike NLOS par la guerre radioélectronique de pointe. Cet équipement d’analyse complexe n’est disponible que dans les armées des États-Unis, de l’Angleterre, de la France et de la Russie.

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La Russie compte plus de 5 000 soldats en Arménie. La base militaire de Gyumri abrite une brigade de 3500 soldats, avec des chars, des BTR, des BMP amphibies, des obusiers automoteurs et des lanceurs de projectiles réactifs Grad, des systèmes de défense anti-aérienne à courte portée. La base aérienne russe 3624 est située près d’Erevan, composée d’un escadron MiG-29 et d’un escadron d’hélicoptères Mi-24P et Mi-8MT. En tant que forces anti-aériennes, la Russie a déployé en Arménie le 988e régiment de missiles anti-aériens à longue portée équipé du système S-300V4.

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Le lendemain du début de l’invasion azéri du Haut-Karabakh, un avion cargo de grande capacité, AN-124 de l’armée russe venant de Rostov sur Don a atterri en Arménie. Le but du vol était de transférer du matériel à la base militaire 102 avec à son bord une cargaison pesant 100 tonnes. La trajectoire de l’avion a contourné l’Azerbaïdjan à travers l’espace aérien iranien.

Plus tard, un avion IL-80/86 SIGINT, appartenant à l’escadrille des 8 vols spéciaux de Moscou, a atterri directement à l’aéroport de Gyumri, où se trouve la base militaire russe 102. L’avion n’a pas de hublots, et dispose de boucliers et d’antennes permettant de bloquer les impulsions électromagnétiques. En cas d’attaque nucléaire, les responsables russes montent à bord de quatre de ces appareils, d’où ils peuvent également communiquer avec les équipages des sous-marins lanceurs de missiles balistiques. Ce qui est surprenant, c’est que cet avion militaire russe, qui peut transporter 42 tonnes de fret, a transité par l’espace aérien turc.

Pendant la guerre en Syrie, la Russie a testé ses techniques antiterroristes, ses armes d’infanterie, ses bombes aériennes, ses missiles de croisière, contre lesquels l’ennemi ne pouvait se défendre. La Syrie était donc un site de test. Cependant, les 142 tonnes embarquées à bord des avions cargo russes, représentent bien trop peu pour l’approvisionnement de l’Arménie, en munitions ou en armes lourdes, nécessaires pour arrêter l’offensive azerbaïdjanaise. En outre, une chose est certaine, jusqu’à présent, la Russie n’est pas intervenue dans la guerre du Haut-Karabakh, et elle n’est pas intéressée à le faire. Au contraire, ce qui l’intéresse c’est de tester le fonctionnement de son nouvel équipement de guerre radio-électronique, dans des conditions aussi proches que possible de la réalité. C’est pourquoi je pense que les avions lourds de transport de l’armée russe ont transporté ce genre d’équipement en Arménie.

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A partir de 2017, les Russes ont procédé à des restructurations massives, éliminant de la base militaire 102 de Gyumri le matériel obsolète, la remplaçant par du matériel de pointe. Les communiqués du ministre russe de la Défense mentionnaient le transfert de seulement quelques équipements électroniques au cyber bataillon de la base 102 en Arménie : le «système Infauna», les moyens de communication Auriga et les complexes Lieer-3. D’autres types de matériel de guerre radioélectronique peuvent avoir été transférés à la base 102.

RB-531B Infauna est un équipement de brouillage, entré en dotation en 2014, monté sur des véhicules qui assurent la protection des convois militaires. Il détecte à distance le champ électromagnétique des engins explosifs contrôlés par radio, téléphone mobile et les fait exploser. Infauna dispose également d’un générateur de haute puissance qui pulvérise des nuages d’aérosols pour masquer les groupes de véhicules blindés, les protégeant de la détection opto-électronique par des moyens de recherche et des missiles de précision à guidage laser.

Auriga-1.2V, est un équipement de l’armée russe, introduit en 2014, composé de plusieurs mini-stations mobiles portables pour la transmission vidéo, intégrés dans les réseaux du système centralisé MK VTR-016 du ministère de la Défense. Des centaines de ces équipements, à l’avant-garde du conflit militaire, à des centaines ou des milliers de kilomètres l’un de l’autre, transmettent secrètement des informations. Cela est possible grâce à l’utilisation de satellites de communication militaire russes.  L’un des composants de base de ce système est le serveur Huawei, le plus efficace au monde.

RB-341V Lierer-3 est un système de collecte d’informations par le biais de la reconnaissance aérienne et de la collecte de données à partir des réseaux GSM. Au besoin, il peut bloquer par brouillage le signal de certains émetteurs seulement, sélectionnés par exemple à partir d’un réseau (internet, téléphone mobile, lignes de données). Les stations de brouillage sont montées sur deux drones Orlan-10 et peuvent limiter la zone de brouillage, en se concentrant sur des objectifs ciblés, situés dans un quartier sur un rayon de 6 km, en continu pendant 24 heures.

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En 2017, le journal Izvestia a révélé que le nouvel équipement RB-109A Bylina avait été utilisé expérimentalement dans les exercices militaires « Vest-2017 » auxquels les militaires de Russie et de Biélorussie ont participé. Le système d’automatisation de gestion de Bylina est destiné à être confié aux brigades de guerre radioélectronique de l’armée russe. Chacun des 4 commandements interarmes (districts militaires) de l’armée russe dispose d’une brigade de guerre radio-électronique organisée en 4 bataillons. Les brigades motorisées et de chars disposent également d’une compagnie de guerre radioélectronique.

RB-109A Bylina analyse automatiquement, en quelques secondes, l’ensemble du champ électromagnétique dans le théâtre des actions de combat, détecte et identifie les émetteurs cibles de l’ennemi, choisit les moyens optimaux pour les contrer. La chose la plus difficile à réaliser, pour les unités disparates et les sous-unités de la guerre radio-électronique, est l’utilisation efficace du brouillage, synchronisé dans le temps et l’espace, afin de ne pas affecter leurs propres moyens de communication, de détection et de gestion des tirs.  Grâce à l’intelligence artificielle basée sur des algorithmes, Bylina est le seul système au monde qui résout ce problème, au niveau de l’ensemble du théâtre de l’action militaire.

Le système dispose d’une interface automatique avec chaque point de commandement du bataillon, de la compagnie subordonnée et avec chaque système de guerre radio-électronique individuel. Tout ce que les officiers de la brigade de guerre radio-électronique ont à faire est de surveiller la conduite de l’opération par le RB-109A Bylina.

Le système a passé la phase d’essai par l’armée russe, mais afin d’avoir une image complète de son efficacité, les spécialistes russes doivent le vérifier dans une véritable guerre, dans laquelle les avions de 4ème génération, les drones d’attaque, les missiles antichars guidés les plus performants et les munitions de haute précision, etc., sont utilisés. L’armée russe a proposé que d’ici 2025 toutes ses brigades de guerre radio-électroniques soient équipées de RB-109A Bylina. Pour mieux couvrir un théâtre d’action militaire de la taille d’un 1/4 ou d’un tiers d’un continent, l’une des options serait d’aménager le système Bylina sur l’avion IL-80/86.

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En termes de guerre électronique, les troupes terrestres russes surpassent celles de l’Occident, ce qui a été également noté par les spécialistes du Pentagone, et a été démontré lors des exercices militaires radio-électroniques russes « Electron-2016 ». Pour ceux qui ne croient pas que les Russes peuvent bloquer les fréquences de contrôle des drones, rappelez-vous que le 1er février 2020, l’équipement de la base aérienne russe de Hmeymim a neutralisé un énorme groupe de dizaines de drones, lancés simultanément depuis le territoire contrôlé par les militants dans la région d’Idlib. Les systèmes de guerre électronique de la base ont pris le contrôle des drones, les désactivant. Il convient de noter que les attaques précédentes contre la base aérienne de Hmeymim ont été repoussées par le système antiaérien Pantsir-S. Tous les exercices militaires russes en 2020 ont eu des étapes distinctes de neutralisation des frappes de drones, en utilisant les nouveaux systèmes Borisovlegebsk-2, Rtut-BM, Lorandit, etc.

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Borisoglebsk-2 RB-301B est entré dans la dotation de l’armée russe en 2018. Cet équipement se compose d’une station de réception et d’analyse automatique des fréquences. Il détecte les canaux de guidage des drones ennemis, les canaux de guidage des armes de précision, etc.   Le système dispose également d’émetteurs et d’antennes de brouillage, qui interrompent les canaux de guidage de l’ennemi (télémétrie et contrôle, ligne de transmission de données et de vidéo). Borisovebsk-2, en tandem avec le système R-330Zh, peut détecter, suivre et bloquer le système de navigation par satellite (GPS), utilisé comme système de référence par les petits et moyens drones.

L’équipement Rtut-BM  est une modernisation d’un modèle de l’ère soviétique (SM-2). Il a la capacité de commander à distance l’explosion de l’ogive de proximité radio des projectiles d’artillerie ou des missiles guidés, lancés par un véhicule aérien ennemi. L’ogive de proximité est conçue pour tirer à 3-5 m de la cible, produisant des éclats pouvant affecter l’homme et provoquer des dégâts matériels.  Rtut-BM trompe l’ogive et l’oblige à passer d’un guidage précis à un mode de détonation par contact avec le sol. Dans ce cas, l’explosion de l’ogive est déclenchée à une hauteur de 300-500 m.

RP-377LA Lorandit est une station portable, qui recherche les sources d’émissions de fréquences et de brouillage dans la gamme 3 MHz -3 GHz.

Valentin Vasilescu

Traduction Avic : Réseau International


Note d'actualité n°575:Octobre 2020

HAUT-KARABAGH :

L'arme de l'épidémie s'invite dans le conflit

...par Tigrane Yegavian -  Chercheur associé au CF2R

“La République d’Azerbaïdjan et la République d’Arménie ont convenu d’une trêve humanitaire à partir du 18 octobre, à 00h00 heure locale [20h00 GMT]”, a déclaré, samedi, le ministère azerbaïdjanais des Affaires étrangères dans un communiqué. Pour la seconde fois consécutive, cette trêve humanitaire visant à récupérer les corps des soldats et échanger des prisonniers n’aura pas fait long feu. L’encre n’étant pas encore sèche que des combats d’une rares intensité se déroulaient dans certaines zones du front, en particulier dans le sud de l’enclave arménienne, à proximité de la frontière iranienne.

 

UN LOURD BILAN HUMAIN

 

Depuis l’offensive militaire turco-azerbaidjanaise du 27 septembre, le ministère arménien de la Défense a fait état de 710 morts dans les rangs arméniens (civils et militaires confondus) tués le long de la ligne de contact qui sépare la République autoproclamée de l’Artsakh (ex Haut-Karabagh) du reste de l’Azerbaïdjan. De son côté, l’Azerbaïdjan n’a toujours pas communiqué les chiffres de ses pertes, prétextant un secret défense de plus en plus difficile à garder, tandis que les deux parties estiment avoir infligé à l’adversaire plusieurs milliers de morts et des pertes considérables. Suite à sa visite en Artsakh le 18 octobre, le député allemand Steffen Kotré (AFD) a déclaré que le bilan des morts pendant ces dernières trois semaines est bien plus élevé que celui constaté en Syrie au cours de toute la dernière année[1].

Sur le terrain, l’offensive de type blitzkrieg finement préparée par les états-majors des armées turque et azerbaïdjanaise lors des grandes manœuvres de l’été dernier dans l’enclave du Nakhitchevan, n’a pas porté ses fruits. Tout au plus, l’armée du régime d’Aliyev est parvenue au prix de combats acharnés, et fort de sa supériorité technique, à rogner quelques territoires au nord et au sud de la République autoproclamée de l’Artsakh, comme on peut le voir sur la carte ci-dessous. A l’évidence, les belligérants sont entrés dans une guerre de tranchées à l’issue incertaine qui n’est pas sans rappeler la guerre Iran – Irak (1980-1988).

 


Si le conflit provoque un nombre bien plus important de victimes que les affrontements des années 1990, c’est en raison de la modernisation des arsenaux des belligérants, mais aussi de la pugnacité des soldats arméniens qui sont engagés dans une guerre existentielle face à l’ennemi héréditaire turc, qui à leurs yeux poursuit une politique génocidaire initiée à la fin du XIXe siècle. Sans oublier l’usage d’armes non conventionnelles.

L’ONG Amnesty International a confirmé des tirs d’artillerie et des bombardements aveugles de l’Azerbaïdjan sur des zones densément peuplées. Ces bombardements indiscriminés ont à la fois visé des objectifs non militaires, comme la cathédrale Saint Sauveur de Chuchi – siège du diocèse de l’Eglise arménienne apostolique de l’Artsakh – et surtout Stepanakert, capitale de l’Artsakh, pilonnée avec des bombes à fragmentation de fabrication israélienne, bannies par le droit international et humanitaire. De son côté, le Comité International de la Croix Rouge (CICR) a rappelé que l’emploi de bombes à fragmentation est interdit et que leur utilisation dans les zones résidentielles peut accroître le nombre de victimes[2].

C’est à l’évidence l’emploi de ces armes interdites, dotées de munitions intelligentes, et surtout des drones de fabrication israélienne qui confère à l’Azerbaïdjan une incontestable supériorité aérienne.

 

L’ARME DES MALADIES INFECTIEUSES

 

A l’heure où l’Azerbaïdjan maintient un blackout médiatique aussi bien sur le plan intérieur que vis-à-vis des rares journalistes accrédités travaillant à proximité du front, une autre menace pointe à l’horizon. Cachant à sa population l’ampleur de ses pertes humaines – qui de l’avis des observateurs est significativement supérieure au nombre de morts dans les rangs arméniens – l’Azerbaïdjan a refusé aux équipes de la Croix Rouge internationale de retirer les blessés et les cadavres des soldats morts et du champ de bataille, en violation de l’accord de cessez-le-feu conclu à Moscou dans la soirée du 17 octobre[3]. Selon Artsrun Hovhannisyan, ancien secrétaire de presse du ministère de la Défense et analyste militaire, « jamais les dirigeants de l’armée azerbaïdjanaise n’ont montré une attitude aussi irrespectueuse à l’égard de leurs propres victimes et cadavres. Ils sont laissés dans les champs, les canyons et les marécages »[4]. Le 18 octobre, les autorités azerbaïdjanaises ont déclaré leur volonté de rendre les corps des soldats arméniens tout en refusant de récupérer les leurs[5]. Ce fait interroge : est-ce que les pertes sont trop élevées pour être communiquées à la population azerbaïdjanaise ? S’agit-il de corps de mercenaires étrangers ? Ou alors, est-ce une stratégie délibérée visant à se délester de cadavres représentant des sources d’épidémie ? Dans ce contexte, alors que Bakou tente par tous les moyens de percer le front, il y a tout lieu de croire qu’une nouvelle arme de type biologique soit employée.

L’alerte provient du ministère arménien de la Santé via sa page Facebook.  Faisant état du risque de propagation de diverses maladies infectieuses d’une extrême gravité[6] et des conditions sanitaires rendues difficiles sur le front par l’intensité des affrontements, ce ministère informe que des carences en hygiène ont créé des conditions favorables à la propagation de maladies intestinales infectieuses (choléra, hépatite A, dysenterie, etc.). Des épidémies naturelles circulent déjà dans les zones où les combats font rage et où des agents pathogènes sont présents. L’absence de la récupération et de l’enterrement des corps, font des cadavres des transmetteurs de maladies infectieuses, via les rongeurs, ou des foyers de reproduction pour des insectes susceptibles de répandre les infections. Ceci est d’autant plus inquiétant que les agents pathogènes peuvent circuler pendant une longue période, ce qui crée toutes les conditions à une flambée des épidémies.

Dans cette optique, il y a fort à craindre que les actions militaires contribuent à l’activation d’épidémies et augmente le risque de maladies

Ainsi, le conflit militaire se double désormais d’une menace épidémique grave, non seulement pour les zones d’hostilités directes, mais aussi pour la République islamique d’Iran voisine et d’autres pays de la région. La communauté internationale doit être alertée afin de se préparer à faire face éventuellement à de nouvelles épidémies transfrontalières. Ce qui conduit les autorités arméniennes à pointer du doigt les dirigeants de l’Azerbaïdjan comme entièrement responsables de la flambée de potentielles épidémies qui pourraient se prolonger dans la période d’après-guerre.  

 

 

 


[1] https://armenpress.am/arm/news/1032011.html?fbclid=IwAR07oF2d41O6DaK56YjeXVo7U44uDa0kYjJaOg3Nz0LXYDzipSuKB6E3wCk

[2] https://www.rfi.fr/en/wires/20201006-amnesty-warns-cluster-bomb-use-karabakh

[3] https://hetq.am/en/article/123243?fbclid=IwAR3d_hN3rN_c8wdGOAqCbOUCfwFv2Tk0jYn5_wyGecMr6REhd8qbp6puLe4

[4] https://www.facebook.com/arcrun/posts/3435711469797770

[5] https://see.news/azerbaijan-shows-readiness-to-release-armenian-soldiers/

[6] https://www.facebook.com/ministryofhealthcare/posts/2778676939040084


Comprendre l’issue de la guerre pour le Haut-Karabagh

...par The Saker - Le 11/11/2020.

  Source : The Saker

Beaucoup de choses se sont passées, et très rapidement, ces deux derniers jours et je commencerai cette analyse par quelques points résumant les événements – sans ordre particulier, y compris chronologique :

  • La guerre qui vient de se terminer a été un véritable bain de sang et elle a fait plus de victimes – en comptant les deux camps – que ce que l’Union soviétique a perdu en dix ans de guerre en Afghanistan.
  • Cette guerre est maintenant terminée, les soldats de la paix russes ont déjà été déployés le long de la ligne de contact. Jusqu’à présent, aucune des deux parties n’a osé reprendre les hostilités – voir ci-dessous.

 

  • Il y a eu deux jours de célébrations à Bakou où le président Aliev a déclaré que la guerre était un triomphe pour les forces azéries et que les pro-Pashinian n’avaient rien obtenu. Il a raison.
  • Les Azéris déclarent maintenant qu’ils veulent des compensations de la part de l’Arménie.
  • Il y a maintenant des forces turques en Azerbaïdjan et les forces russes et turques ont créé un comité conjoint pour coordonner leurs actions.
    Erdogan a insisté sur le fait qu’il voulait que la Turquie envoie des soldats de la paix, mais Poutine a catégoriquement rejeté cette demande : comme tout autre État, l’Azerbaïdjan a le droit incontesté d’inviter des forces étrangères sur son territoire, mais ces forces n’auront pas le statut et les droits d’une force de maintien de la paix.
  • De violentes émeutes ont éclaté à Erevan où des foules violentes ont pris d’assaut les bâtiments du gouvernement, frappé des fonctionnaires et saccagé le Parlement.
  • Dix-sept partis d’opposition arméniens ont déclaré qu’ils voulaient un comité de salut national et la démission de Pashinian.
  • Personne ne sait où se cache Pashinian, mais il semble toujours être quelque part en Arménie.
  • Ces émeutiers ont également détruit les bureaux de Soros à Erevan et ils recherchent maintenant « Pashinian le traître » pour le lyncher.
  • Pashinian s’est plaint sur Twitter que ses bureaux ont été mis à sac, qu’un ordinateur, son permis de conduire et, je ne plaisante pas, un flacon de parfum – le pauvre bébé parfumé ! – ont été volés.
  • La force de maintien de la paix russe sera constituée de sous-unités de la 15e Brigade indépendante de fusiliers motorisés qui fait elle-même partie de la 2Armée d’armes combinées de la Garde du District militaire central. Elle comprendra environ 2 000 soldats armés, des véhicules blindés de transport de troupes et des véhicules blindés légers, des véhicules spécialisés (EW, C3I, etc.), des drones et des systèmes de défense aérienne.
  • Les soldats de la paix russes resteront déployés dans cette zone pendant au moins cinq ans.
  • La Russie contrôlera désormais à la fois le couloir du Haut-Karabakh (NK) et le couloir du Nakhitchevan.

Examinons maintenant la position des parties à la fin de cette guerre et comparons-les.

Arménie : il ne fait aucun doute que l’Arménie est le grand perdant de cette guerre. Pashinian et sa bande de pro-Soros russophobes ont été une véritable calamité pour le peuple arménien. Depuis son arrivée au pouvoir, ses actions anti-russes ont consisté à éliminer presque totalement toute participation arménienne à l’OTSC, il a complètement cessé toute collaboration avec la Russie, y compris dans les domaines du renseignement et de la sécurité, il a purgé les forces militaires et de sécurité arméniennes de tous les éléments supposés « pro-russes », il a interdit les écoles de langue russe. En revanche, l’Arménie possède une ambassade américaine absolument énorme avec environ 2 000 personnes – autant que la totalité de la force de maintien de la paix russe – et lorsque les Azéris ont attaqué, Pashinian a refusé de demander de l’aide à Russie pendant un mois entier. A la place, il a demandé de l’aide à Trump, Merkel et Macron. Il va sans dire qu’ils n’ont pas bougé le petit doigt.

À vrai dire, les Arméniens n’avaient absolument pas d’autre choix que d’accepter les conditions azéries. Les Arméniens ont subi d’énormes pertes tandis que les Azéris ont pris Chouchi, la ville stratégique clé qui contrôle à la fois la capitale du Nagorno-Karabagh (NK), Stepanakert, et le couloir entre le NK et l’Arménie. Si Pashinian n’avait pas signé, les Arméniens, encerclés, auraient été massacrés par les Azéris – dans cette guerre, les deux parties ont déclaré n’avoir presque pas de prisonniers. Pourquoi ? Parce que presque tous ont été exécutés, souvent après des tortures horribles, par les deux parties. Les analystes russes disent également que l’Arménie a été très rapidement à court de fournitures, un fait également mentionné par Pashinian.

Pour dire les choses simplement : le plan d’Aliev a fonctionné, l’arrogance aveugle des dirigeants arméniens, ainsi que leurs politiques suicidaires ont presque coûté à l’Arménie la perte complète du NK et, peut-être même, l’existence de leur propre pays. Une fois tous les meilleurs officiers arméniens éliminés, y compris les héros de la première guerre du Karabakh, que l’Arménie avait gagnée, il ne restait plus que des clowns délirants qui promettaient que l’Arménie, sans aucune aide, y compris celle des Russes, pourrait gagner la guerre et conduire ses forces à Bakou et oui, ils semblaient tout aussi délirants que certains dirigeants ukrainiens.

Turquie : l’autre grand perdant de cette guerre est la Turquie dont les objectifs de rassembler toutes les nations turques sous une seule bannière néo-ottomane se sont, comme on pouvait s’y attendre, effondrés. Encore une fois. Erdogan est un mégalomane et un fauteur de troubles de classe mondiale, et il a impliqué la Turquie dans des guerres, ou quasi guerres, avec la Syrie, Israël, l’Irak, la Grèce, la Libye, l’Iran, la Russie et même, dans une certaine mesure, l’OTAN. Et n’oublions pas les opérations sanglantes contre les Kurdes partout dans le monde. C’est un véritable psychopathe et cela le rend très, très dangereux. La Russie est intervenue militairement en Syrie, en Libye et maintenant en Azerbaïdjan pour refuser à la Turquie son statut d’empire en puissance et à chaque fois nous avons vu que la Turquie, en tant que pays, n’a tout simplement pas les ressources pour essayer de construire un empire, d’autant plus qu’Erdogan ne comprend tout simplement pas qu’ouvrir simultanément des conflits sur plusieurs fronts est une recette pour le désastre.

Il est également très probable que ce sont les Turcs qui ont abattu le Mi-24 russe en plein dans l’espace aérien arménien : leur but était de forcer la Russie à cesser de chercher une solution négociée et d’imposer la poursuite des hostilités. Dieu merci, les superbes compétences stratégiques d’Aliev lui ont permis de faire quelque chose de très intelligent : il s’est excusé pour ce qu’il a appelé une erreur tragique et a offert toutes sortes de compensations et d’excuses. La décision d’Aliev de s’excuser est probablement venue après que lui et Poutine – qui sont des amis proches – ont eu ce que les diplomates appellent un « franc dialogue« .

Les Turcs font tout un plat du fait que les Azéris ont invité les forces turques en Azerbaïdjan. Mais soyons honnêtes : les Azéris et les Turcs ont toujours été proches et aucune issue n’aurait pu empêcher les Azéris d’inviter légalement les forces turques en Azerbaïdjan. La vraie question est de savoir ce que ces forces peuvent faire. Je pense que si nous ne devons jamais écarter le potentiel toxique d’une force turque, cette force ne pourra pas faire grand-chose d’autre que surveiller la situation et se coordonner avec les Russes pour rester à l’écart d’eux. Mais ce que ces forces ne pourront pas faire, c’est attaquer, ou même menacer d’attaquer, les forces arméniennes et/ou russes – voir ci-dessous pourquoi.

La Russie : la Russie est le seul vrai vainqueur de cette guerre. Je sais, il y a un puissant lobby arménien aux États-Unis, en Europe et en Russie, et ils essaient de présenter leur défaite comme une défaite pour la Russie. Franchement, je comprends leur amertume et je les plains, mais ils ont absolument tort. Voici pourquoi :

Premièrement, la Russie s’est maintenant imposée comme la seule puissance dans le Caucase qui peut apporter la paix. Les deux mille membres du personnel américain à Erevan n’ont absolument rien fait pendant des années pour vraiment aider l’Arménie, tout ce qu’ils ont fait c’est lui imposer des politiques russophobes suicidaires, c’est à peu près tout. Le même nombre de soldats russes a littéralement apporté la paix du jour au lendemain. Je dois ici expliquer un peu les unités qui ont été envoyées en Azerbaïdjan : la 15e Brigade indépendante de fusiliers motorisés (15IMRB).

La 15IMRB n’est pas une force de maintien de la paix au sens occidental du terme. Il s’agit d’une force de combat d’élite spécialisée dans les missions de maintien et de rétablissement de la paix – « coercition pour la paix » dans la terminologie russe. Son personnel est composé à 100% de professionnels, dont la plupart ont une grande expérience du combat : ils ont participé à l’opération de coercition pour la paix en Géorgie en août 2008 et en Syrie. Ce sont des forces de haut niveau, bien entraînées et superbement équipées qui, en plus de leurs propres capacités, peuvent compter sur le soutien des forces russes en Arménie et sur le soutien de toute l’armée russe. Ceux qui disent que cette force est une force symbolique légèrement armée ne comprennent tout simplement pas ces questions.

L’ensemble du théâtre d’opérations de cette guerre se trouve dans la zone (virtuelle) à moins de 1 000 kilomètres de la frontière russe que l’armée russe veut être capable de dominer en cas d’escalade si une guerre éclate. Je répète que l’armée russe n’est pas organisée comme l’armée américaine : la doctrine militaire russe est purement défensive, ce n’est pas de la propagande, et elle s’appuie pour cette défense sur sa capacité à déployer très rapidement des forces mécanisées à haut niveau de préparation partout en Russie, à moins de 1 000 km de la frontière russe, et sur sa capacité à détruire toute force entrant dans cette zone. La Russie s’appuie également sur des systèmes d’armes avancés capables de libérer une grande puissance de feu pour défendre les forces déployées. En d’autres termes, bien que la 15IMRB ne soit qu’une force expéditionnaire de la taille d’une brigade, elle est entraînée à se replier et à tenir une position jusqu’à ce que les renforts en personnel et/ou en puissance de feu soient envoyées de Russie. Vous pouvez considérer cela comme quelque chose de similaire à la force opérationnelle russe en Syrie, mais beaucoup plus proche de la Russie et, par conséquent, beaucoup plus facile à soutenir en cas de besoin.

Pour en revenir au Mi-24 russe abattu, cette action ne passera pas inaperçue ni ne sera oubliée, vous pouvez en être sûr. Le fait que Poutine et l’armée russe n’agissent pas comme le feraient les États-Unis en déclenchant immédiatement des représailles ne signifie pas que les Russes s’en moquent, qu’ils ont oublié ou qu’ils ont peur. Il existe un proverbe juif qui dit qu’« une bonne vie est la meilleure des vengeances ». Je paraphrase cela en disant que la devise de Poutine pourrait être « un résultat avantageux est la meilleure des représailles » : c’est ce que nous avons vu en Syrie et c’est ce qui se passera en Azerbaïdjan.

Un autre point positif pour la Russie est qu’elle peut maintenant déclarer, en toute honnêteté, que les révolutions de couleur entraînent inévitablement des pertes territoriales, voir l’Ukraine, la Géorgie et maintenant l’Arménie, et le chaos politique partout.

Ensuite, veuillez regarder la carte suivante, en russe, mais cela ne pose pas de problème :


Regardez les deux lignes bleues épaisses : elles montrent les couloirs entre l’Azerbaïdjan, la province azérie du Nakhitchevan et le couloir entre l’Arménie et le Haut-Karabakh. Ces deux couloirs sont absolument vitaux pour ces deux pays et ils seront désormais sous le contrôle des gardes-frontières du FSB, les gardes-frontières russes sont des unités légères, mobiles et d’élite comparables en termes d’entraînement et de capacités à leurs collègues des forces aéroportées. Encore une fois, ne supposez pas qu’ils ressemblent aux agents des douanes ou des frontières des États-Unis ou de l’Union européenne. Ce sont des unités d’élite très robustes, entraînées à combattre une force bien supérieure jusqu’à l’arrivée des renforts.

En termes stratégiques, cela signifie que la Russie a désormais une main de fer sur ce qui est une artère stratégique vitale pour l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Aucune des parties n’est prête à faire de grands commentaires à ce sujet, pas besoin d’humilier qui que ce soit, mais les personnes averties se rendent compte de la fantastique capacité de pression que Poutine vient d’ajouter à la Russie dans le Caucase. Vous pouvez considérer ces deux couloirs comme une ligne de vie pour les deux États tant que vous réalisez également que ces couloirs sont aussi des poignards stratégiques dans les mains des Russes pointant vers les organes vitaux des deux États.

L’habituelle chorale qui déteste Poutine et qui a chanté le slogan « Poutine a perdu le contrôle de son environnement proche » devrait maintenant avoir honte de son manque d’intelligence, et être atterrée par ce que « Poutine » a fait à ses espoirs, mais ce genre de pensée magique ne changera pas la réalité sur le terrain : loin de perdre quoi que ce soit, Poutine a assuré une immense victoire stratégique de la Russie au prix de deux soldats morts, un blessé et un hélicoptère perdu.

Dorénavant, la Russie disposera de forces militaires permanentes en Arménie et en Azerbaïdjan. La Géorgie a été effectivement neutralisée. Le Caucase russe est pour l’essentiel pacifique et prospère, la mer Noire et la mer Caspienne sont de facto des « lacs russes » et le « ventre » russe est maintenant beaucoup plus protégé qu’il ne l’a jamais été.

Voyons quand une puissance occidentale parviendra à un résultat similaire 🙂

Conclusion

Cette guerre n’a été que gelée et, comme en Syrie, il y aura des provocations, des attaques sous fausse bannière, des revers et des innocents assassinés. Mais, comme en Syrie, Poutine préférera toujours une stratégie tranquille avec des pertes minimales à une stratégie de menaces, de démagogie et de représailles instantanées. Il y a aussi ce que j’appelle les « règles de Poutine sur l’usage de la force » : ne jamais utiliser la force là où on l’attend, toujours l’utiliser quand on s’y attend le moins et toujours d’une manière que vos ennemis ne prévoient pas. Mais ne voyons pas tout cela seulement sous un jour favorable, il y aura certainement des revers, Erdogan est en colère et il veut toujours jouer un rôle. Poutine, d’une manière typiquement russe, lui laissera exactement ce « rôle », mais celui-ci sera minime et principalement destiné à la consommation interne des relations publiques turques. Erdogan, loin d’être un nouveau Mehmed le conquérant et « Le Grand Aigle », passera à la postérité comme Erdogan le perdant et le « Poulet Vaincu ». La mégalomanie est peut-être une condition préalable à la construction d’un empire, mais cela ne suffit manifestement pas.

Quelle est la prochaine étape ?

Pashinian sera renversé, c’est certain. Ce qui importe le plus pour l’Arménie, c’est de savoir qui le remplacera. Hélas, il existe des nationalistes anti-pashinian qui sont tout aussi russophobes que la bande à Pashinian. De plus, compte tenu des hystériques qui font parler d’eux en Arménie, il est possible qu’un nouveau gouvernement rompe le cessez-le-feu et exige un « combat jusqu’au bout ». Cela pourrait être un problème majeur, y compris pour les forces russes en Arménie et les soldats de la paix, mais il est également probable que, d’ici là, le peuple arménien aura compris réellement qu’on lui a menti et qu’il a subi une défaite écrasante, ces appels seront finalement noyés par des voix plus saines, y compris celles des dirigeants d’avant 2018 actuellement emprisonnés.

Il y a aussi une énorme immigration arménienne en Russie qui écoutera tous les rapports et analyses produits en Russie et sera pleinement consciente de la réalité sur place. Ces immigrants représentent une ressource énorme pour l’Arménie car ce sont eux qui vont pousser à une collaboration forte avec la Russie dont, franchement, l’Arménie a maintenant besoin plus que tout autre chose. En ce moment, à en juger par ce que disent les analystes russes pro-Arméniens, les Arméniens et leurs partisans sont absolument horrifiés par ce résultat et ils pensent que les Turcs ont maintenant pénétré profondément dans la sphère d’influence russe. Des voix sensées leur répondent que cette soi-disant « pénétration » dans la sphère d’influence russe est surtout de la relation publique et qu’il est de loin préférable que certaines forces turques se déplacent à l’intérieur de la sphère d’influence russe plutôt qu’une force russe soit déployée à l’intérieur de la sphère d’influence turque. En d’autres termes, lorsque ces partisans de l’Arménie disent qu’Erdogan s’est profondément enfoncé dans la sphère d’influence russe, ils admettent évidemment qu’il s’agit d’une sphère d’influence russe et non turque. Ils ne se rendent pas compte de ce qu’ils disent, c’est tout.

Franchement, les diasporas arméniennes en Russie, dans l’UE et aux États-Unis sont superbement organisées, elles ont beaucoup d’argent et elles contrôlent actuellement le récit dans l’UE et aux États-Unis, en Russie, elles ont essayé mais ont échoué misérablement. Ajoutez à cela le fait que c’est Aliev qui a commencé cette guerre et qu’il est profondément lié à la Turquie d’Erdogan et vous verrez pourquoi l’ampleur de la défaite arménienne est systématiquement sous-estimée dans les médias occidentaux. C’est bien, laissez passer quelques mois et la réalité de la situation finira par convaincre ceux qui sont actuellement dans le déni.
En ce moment, c’est exactement le processus qui se déroule – violemment – à Erevan. Mais tôt ou tard, les pillards seront remplacés par une sorte de gouvernement d’union nationale et si ce gouvernement veut mettre fin aux pertes horribles et veut reconstruire ce qui reste, il devra appeler le Kremlin et proposer à la Russie une sorte d’accord. Inutile de dire que l’immense ambassade américaine et la centaine d’« ONG » parrainées par Soros s’y opposeront de toutes leurs forces. Mais avec les États-Unis eux-mêmes qui se battent pour leur survie, l’UE en plein désarroi et les Turcs qui échouent dans tout ce qu’ils entreprennent, ce n’est tout simplement pas une option viable.

Les Russes plaisantent en disant qu’il faut deux Juifs pour tromper un Arménien, ce qui signifie que les Arméniens sont peut-être même plus intelligents que les Juifs – qui, en toute justice, ne sont pas plus intelligents que les autres, [pourquoi le seraient-ils ?, NdSF] c’est surtout de la propagande intéressée et égoïste. J’ai tendance à partager cette admiration du peuple arménien. Il s’agit d’une nation et d’une culture anciennes, vraiment nobles et belles, qui méritent de vivre en paix et en sécurité et qui ont subi de nombreuses horreurs dans leur histoire. Elles méritent bien plus que ce pantin de la CIA/MI6 ! En ce moment, la nation arménienne est définitivement au plus bas dans son histoire, comparable aux années 90 « démocratiques » en Russie ou à l’horreur « libérale » actuelle qui se déroule aux États-Unis. Mais, comme Dostoïevski aimait à le dire, « on ne doit jamais juger une nation par le niveau jusqu’au quel elle peut s’enfoncer mais par le niveau auquel elle peut s’élever ».

La meilleure chose pour l’Arménie, objectivement, serait de faire partie de la Russie, ce qui était le cas dans un passé récent. Mais cela n’arrivera pas : premièrement, le nationalisme arménien est aussi aveugle et obtus que jamais et, de plus, la Russie n’accepterait jamais l’Arménie dans la Fédération de Russie, et pourquoi le ferait-elle ? L’Arménie n’a exactement rien à offrir à la Russie, si ce n’est un territoire difficile à protéger avec des voisins potentiellement dangereux. Non, la Russie n’a jamais perdu l’Arménie – c’est l’Arménie qui a perdu la Russie. Maintenant, le maximum que le Kremlin offrira à l’Arménie est une protection contre tous les voisins et une aide économique.

Pour le reste, voyons si le prochain gouvernement arménien rejoindra l’OTSC non seulement en paroles, comme ce fut le cas ces deux dernières années, mais aussi en actes, avec la reprise des échanges d’informations, la collaboration militaire, les opérations de sécurité conjointes, etc. Ce serait un premier pas important pour ce pays.

The Saker

Traduit par Wayan, relu par jj pour le Saker Francophone


Caucase : Le clash des rêves impériaux

...par Amir Taheri - Le 27/11/2020.

Source : GATESTONE

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