Hystérie collective :

Les dirigeants occidentaux s’efforcent de modifier la définition de la réalité

...par Alastair Cooke - Le 10/02/2021.

Source : Rzo International

 

Les dirigeants américains cherchent à suggérer que les États-Unis ont toujours le pouvoir de modifier la « réalité » pour l’adapter à leur propre mythe exceptionnaliste.

En 2007 (à Munich), le président Poutine a lancé un défi à l’Occident : « Nous ne l’avons pas fait. Vous l’avez fait ; vous attaquez continuellement la Russie ; mais nous ne plierons pas ». Le public a ricané. Aujourd’hui, s’exprimant à Davos (virtuel) le mois dernier, après une absence de douze ans de ce forum, le président Poutine a montré un miroir aux principaux « influenceurs » de l’Occident : « Voyez ce que vous êtes devenus entre-temps ; Regardez-vous et soyez inquiets ».

Il ne s’agissait pas tant d’une gifle, préférant le duel par armes de choix, que d’une mise en garde sérieuse. Il s’agit plutôt d’une mise en garde contre le fait que la dynamique socio-économique enclenchée par le modèle occidental de taux d’intérêt zéro et de dette n’a pas seulement jeté des pans entiers de la société sous le bus économique, mais que la catastrophe socio-économique interne est largement déversée sur les autres acteurs externes. C’est-à-dire, projetée psychiquement à l’étranger, dans un désir de combattre des démons imaginaires.

L’Italie des années 1400 avait connu des tensions psychologiques assez semblables à celles d’aujourd’hui – les vieux « mythes », les anciens liens culturels et les sources de cohésion sociale, déclenchés par la tempête croissante de la Réforme et des Lumières scientifiques. Les nouveaux dirigeants ont insisté pour mettre les anciennes valeurs et l’éthique de la « continuité » dans les feux de l’autodafé de la nouvelle et brillante culture du rationalisme sceptique. Il n’y avait alors pas de Chine à blâmer, mais l’hystérie des sorcières et de Satan de cette époque – une hystérie collective de masse – a conduit à « supprimer » quelque dix mille Européens : ils ont été brûlés vifs pour s’être accrochés à des méthodes anciennes (jugées comme étant des négations de la « Vérité »). En fin de compte, l’Inquisition a été instanciée pour condamner et punir l’hérésie.

La semaine dernière, le président Poutine a fait une déclaration à Davos :

« Cette crise des modèles économiques, à son tour, provoque aujourd’hui une forte polarisation des opinions publiques, provoquant la croissance du populisme, du radicalisme de droite et de gauche et d’autres extrêmes … Tout cela affecte inévitablement la nature des relations internationales, et ne les rend pas plus stables ou prévisibles. Les institutions internationales s’affaiblissent, des conflits régionaux apparaissent les uns après les autres et le système de sécurité mondiale se détériore… les différences conduisent à une spirale descendante …

La situation pourrait prendre une tournure inattendue et incontrôlable – à moins que nous ne fassions quelque chose pour l’empêcher. Il y a une chance que nous soyons confrontés à un formidable effondrement du développement mondial, qui sera mené comme une guerre de tous, contre tous … Et les tentatives de gérer les contradictions en désignant des ennemis internes et externes [comme boucs émissaires] des conséquences démographiques négatives de la crise sociale actuelle et de la crise des valeurs, pourraient entraîner la perte de continents civilisationnels et culturels entiers pour l’humanité ».

Le modèle existant, a expliqué Poutine, semble avoir inversé « la fin et les moyens » – les moyens (comme dans la Grande Réinitialisation qui met l’accent sur l’instrumentation technologique – voire transhumaine – de l’économie) semblent avoir pris le pas sur les humains comme fin.

Oui, la mondialisation a peut-être permis de sortir des milliards de personnes de la pauvreté, mais comme le souligne Poutine, « elle a entraîné d’importants déséquilibres dans le développement socio-économique mondial, et ceux-ci sont le résultat direct de la politique menée dans les années 1980, qui était souvent vulgaire ou dogmatique ». Elle a rendu « la stimulation économique par les méthodes traditionnelles, par une augmentation des prêts privés, pratiquement impossible. L’assouplissement quantitatif ne fait qu’accroître la bulle de la valeur des actifs financiers et approfondir la fracture sociale. Le fossé qui se creuse entre l’économie réelle et l’économie virtuelle … représente une menace très réelle et est chargé de chocs graves et imprévisibles ».

« Les espoirs de pouvoir redémarrer l’ancien modèle de croissance sont liés à la rapidité du développement technologique. En effet, au cours des 20 dernières années, nous avons créé les bases de ce que l’on appelle la Quatrième Révolution industrielle, basée sur une large utilisation de l’intelligence artificielle, de l’automatisation et de la robotique. Toutefois, ce processus entraîne de nouveaux changements structurels, je pense en particulier au marché du travail. Cela signifie que de très nombreuses personnes pourraient perdre leur emploi si l’État ne prend pas de mesures efficaces pour l’empêcher. La plupart de ces personnes sont issues de la classe dite moyenne, qui est la base de toute société moderne ».

Poutine souligne que ces défauts, inhérents au modèle de croissance occidental, et le « virage » vers la grande technologie comme moyen de salut, n’ont pas été spécifiquement causés par la pandémie. Cette dernière a néanmoins retiré le masque du modèle économique, et a également exacerbé ses symptômes nocifs :

« La pandémie de coronavirus … qui est devenue un sérieux défi pour l’humanité, n’a fait que stimuler et accélérer les changements structurels, dont les conditions avaient été créées il y a longtemps. Il va sans dire qu’il n’existe aucun parallèle direct dans l’histoire. Cependant, certains experts – et je respecte leur opinion – comparent la situation actuelle à celle des années 1930 [la Grande Dépression] ».

Poutine laisse entendre, mais ne dit pas explicitement, que la pandémie, en aggravant le stress socio-économique, a précisément contribué à l’hystérie générale (et à la polarisation) – et à la chasse aux ennemis extérieurs (comme le « virus CCP »).

Poutine note un autre facteur contributif :

« Les géants technologiques modernes, en particulier les entreprises numériques, ont commencé à jouer un rôle croissant dans la vie de la société. On en parle beaucoup aujourd’hui, notamment en ce qui concerne les événements qui ont eu lieu pendant la campagne électorale aux États-Unis. Dans certains domaines, elles sont de facto en concurrence avec les États. Leur public se compose de milliards d’utilisateurs qui passent une partie considérable de leur vie dans ces éco-systèmes. De l’avis de ces entreprises, leur monopole est optimal pour l’organisation des processus technologiques et commerciaux. Peut-être, mais la société se demande si ce monopole répond aux intérêts publics ».

Poutine fait ici allusion à quelque chose de plus troublant : l’incapacité du modèle de système à tenir la promesse de prospérité et d’opportunités « pour tous », et plus particulièrement pour les moins favorisés de la société. Ne peut-on pas dire que ce défaut est directement lié à la montée du totalitarisme technologique ? Puisque la nature systémique de l’échec ne peut pas être admise, est-il alors si surprenant qu’il y ait eu un recours à la mise en application par les grandes entreprises technologiques de leur version plus favorable de la réalité (c’est-à-dire une version qui insiste sur le fait que les échecs systémiques découlent tous plutôt du racisme et des injustices historiques, et qu’ils n’accepteront aucune dissidence de ce récit) ?

L’idée centrale ici – la réponse à la colère civique et socio-économique – est qu’une combinaison d’injection monétaire sans précédent, de discrimination positive radicale donnant la priorité aux identités non blanches, plus l’accès à l’expertise technologique oligarchique de l’élite, résoudra la plupart des problèmes de la société. Il s’agit là d’une pure idéologie. Mais, incapables de traiter directement les preuves de défaillances systématiques et de « truquage » économique (ce qui est un sujet bien trop sensible), les dirigeants occidentaux s’efforcent plutôt de modifier la définition de la réalité. Lorsque vous essayez d’étendre une économie imaginaire en imprimant de plus en plus de dettes, malgré son historique d’échec, il n’est pas étonnant que vous deviez faire taire les dissidents.

Ceux qui n’adhèrent pas à la propagande que les grandes entreprises technologiques et les médias d’entreprise diffusent sans relâche doivent être retirés des plateformes et poussés en marge de la société. Dans un écho frappant de cette ère italienne antérieure de tensions psychiques, le New York Times demande maintenant que l’administration Biden nomme un « tsar de la réalité » qui sera habilité à s’occuper de la « désinformation » et de « l’extrémisme » (les nuances de l’Inquisition) ?

Le discours de Poutine était une déconstruction (polie et très mesurée) de notre position – et pourquoi. Son public a-t-il entendu ? Et l’appel du président Poutine à un retour au modèle économique « classique », à l’économie réelle, à la création d’emplois, à un niveau de vie confortable et à une éducation offrant des opportunités aux jeunes, aura-t-il un impact ?

Probablement pas, malheureusement. Il suffit de constater « l’hystérie » européenne pour un retour rapide à la « normale » absolue – à ce que tout soit « comme avant » – et surtout, à « nos vacances d’été ». Poutine y fait à nouveau allusion, mais ne le dit pas : La pandémie a mis à nu la fragilité, la friabilité, de la société européenne. Elle rend les difficultés impossibles à supporter (même pour ceux qui sont bien isolés des vraies difficultés, qui ont été réelles, mais seulement pour certains : « Pire que la Seconde Guerre mondiale, cette pandémie », m’a dit un ancien combattant ce matin). L’espace pour de véritables (et urgentes) réformes structurelles est de plus en plus restreint.

L’avenir des économies occidentales est évident – il suffit d’observer le retour de Janet Yellen (ancienne directrice de la Fed) au Trésor américain, de Christine Lagarde (ancienne directrice du FMI) à la BCE et de Mario Draghi (ancien directeur de la BCE) en tant que premier ministre italien, pour comprendre qu’un véritable « commerce de la relance » est en cours.

Et quant à la mise en garde de Poutine concernant « les tentatives de gérer les contradictions en désignant des ennemis internes et externes [comme boucs émissaires] des conséquences démographiques négatives de la crise sociale actuelle », elle ne semble pas plus prometteuse que la scène financière.

Récemment, un ancien fonctionnaire américain anonyme a rédigé un document de recommandations politiques sur la Chine. Le Conseil atlantique et Politico ont tous deux publié des versions de ce document, et ils ont accepté de garder l’identité de l’auteur secrète pour des raisons qu’ils sont seuls à connaître. Le Conseil atlantique affirme que l’anonymat était nécessaire en raison de « l’importance extraordinaire des idées et des recommandations de l’auteur ». Il n’est cependant pas clair pourquoi ils trouvent ces idées et recommandations si extraordinaires – le document est simplement un autre plan pour un changement de régime (dans ce cas, un coup d’État contre le PCC).

Il est fort possible que la porte d’une résolution pacifique des tensions entre les États-Unis et la Chine soit déjà fermée. L’intention de la Chine a toujours été de réabsorber pacifiquement, par le biais de l’intégration économique, Taïwan en Chine. Elle s’y est engagée. Mais il semble, d’après les déclarations de l’administration Biden, qu’elle soit également déterminée à exacerber suffisamment la question de l’autonomie de Taïwan pour que Pékin n’ait pas d’autre choix que d’annexer Taïwan par la force (un dernier recours pour Pékin). Dans les pages des principaux médias américains, les experts le regrettent ostensiblement, mais concluent néanmoins que les États-Unis seront à nouveau « obligés » d’intervenir, afin d’empêcher « un État agresseur » d’occuper un allié américain démocratique.

Toujours dans le contexte des tensions internes aux États-Unis, il s’agit davantage de la fragilité de la psyché américaine à un moment d’angoisse potentielle de Thucydide, que de la Chine qui représente une menace réelle pour les États-Unis. La Chine dépassera les États-Unis sur le plan économique, à un moment donné. Les dirigeants américains cherchent à suggérer que les États-Unis ont toujours le pouvoir de modifier la « réalité » pour l’adapter à leur propre mythe exceptionnaliste.

Le président Poutine, bien sûr, sait tout cela, mais personne ne peut se plaindre aujourd’hui : « Nous n’avons pas été prévenus ».

source : https://www.strategic-culture.org/news

traduit par Réseau International

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