Edito n°60 - Guerre de l'information et formatage de l'opinion à l'occasion de la guerre en Ukraine

Source : CF2R

...par Eric Denécé - Aout 2022. 

 

Le conflit ukrainien est de moins en moins lisible en raison du manichéisme qui caractérise les positions des deux camps. Si nombreux sont ceux qui s’attachent à détecter et à dénoncer la propagande russe – si nul ne la conteste, elle est finalement difficilement mesurable pour l’opinion en raison de l’impossibilité d’accéder à ses médias et aux messages qu’ils véhiculent –, personne ne s’intéresse à celle pratiquée par les Ukrainiens et reprise aveuglément par les médias occidentaux que les populations subissent quotidiennement depuis cinq mois.

Aussi, il est important de mettre en lumière les techniques utilisées par les Spin Doctors de Kiev, leurs conseillers américains et leurs relais médiatiques pour conditionner l’opinion et imposer leur seule version de faits, faire porter l’entière responsabilité de ce conflit à Moscou et neutraliser tout point de vue divergent.

 1. Story Telling

Invention d’une histoire, construction d’une menace, annonce de ce qui va advenir[1] – et qui a été préparé –, mise au point d’un scénario riche en rebondissements afin de maintenir l’opinion sous pression, création d’un « héros » – l’inénarrable Zelensky – et d’un abominable dictateur – Vladimir Poutine – à la tête d’une armée barbare : toutes les techniques du Story Telling ont été mises en oeuvre par le couple américano-ukrainien pour imposer leur narratif.

 2. Émotion

Passionner le débat pour empêcher toute analyse rationnelle. Les exemples sont nombreux : ciblage par l’artillerie russe de zones d’habitation et d’infrastructures civiles, morts d’innocents, massacres horribles (Butcha[2]) et menace de catastrophe nucléaire[3].

 3. Diabolisation

Poutine = Hitler. Le président russe est un « ignoble tyran » qui veut annexer l’Ukraine et envahir l’Europe. La Russie, c’est le retour de l’URSS, de son totalitarisme et de son expansionnisme…

 4. Culpabilisation

Les Occidentaux doivent aider massivement Kiev et sanctionner la Russie. Si les Européens n’aident pas davantage l’Ukraine, ils seront les prochains sur la liste. Accusations contre les dirigeants français[4] [5] et allemand[6].

 5. Matraquage médiatique

Occuper les antennes et les ondes, capter l’attention des « citoyens ». Saturation informationnelle ayant pour double objectif d’empêcher toute réflexion critique et d’imposer un point de vue par la répétition et les images « chocs ».

 6. Partialité

Ce que dit Kiev, victime d’une agression est vrai et il n’y a pas de raison de le mettre en cause, ni de le vérifier. Ce que dit Moscou est par principe faux, ce n’est que de la désinformation, aucun de ses arguments ne doit être pris en compte.

 7. Refus de prise en compte de l’histoire

Dissimulation des causes véritables du conflit, des événements historiques y ayant conduit, des responsabilités de l’ensemble des acteurs impliqués et de toute mise en perspective qui pourrait remettre en en cause la position de victime de l’Ukraine (Maidan 2014, Donbass 2014-2022) et de donneurs de leçons des Etats-Unis (Cuba 1962, Irak 2003, attitude à l’égard des Îles Salomon 2022, etc.).

 8. Inversion des réalités

Azov et les autres groupes ultranationalistes ukrainiens, responsables d’exactions documentées dans le Donbass[7] sont des « gentils nazis » – au demeurant soutenus par l’Allemagne. Et Stepan Bandera est un patriote ukrainien digne d’admiration[8]

 9. Inventions et mensonges délibérés

Les exemples sont nombreux : « sacrifice héroïque » des combattants ukrainiens de l’Île aux serpents (qui n’a jamais eu lieu) ; pilote « fantôme » (qui n’existe pas) qui aurait abattu de nombreux aéronefs russes[9] ; vidéo « effrayante » des bombardiers nucléaires Tu-95 russes volant près de la frontière ukrainienne[10], etc.

 10. Affirmations non étayées

Accusations dénuées de preuves ou conclusions hâtives : maladie de Poutine[11], bombardements russes contre la prison d’Olenivka[12] et la centrale nucléaire de Zaporjia[13], etc.

 11. Grossissement des faits

Mettre l’accent sur des faits isolés, peu représentatifs – voire peu crédibles –, pour en faire des événements majeurs et leur donner un retentissement sans lien avec leur portée réelle : mouvements d’opposition à la guerre en Russie, désertions de militaires russes, succès des contre-attaques locales ukrainiennes[14].

 12. Présentation orientée des événements

Évacuation des russophones du Donbass au prétexte de les protéger de l’invasion russe[15], alors que l’objectif réel est qu’ils ne rejoignent pas le giron de Moscou. De même, les renvois de la procureure générale d’Ukraine, du chef du service de renseignement (SBU) et d’une trentaine de cadres[16] sont présentés comme un succès de Zelensky et une reprise en main de son administration. Le même événement se serait produit à Moscou, nul doute qu’il eut été expliqué au monde que Poutine ne maitrise plus l’appareil judiciaire ni les services russes et que son entourage est truffé de traîtres…

 13. Inversion des accusations

A l’occasion de la publication du rapport d’Amnesty International qui dénonce les pratiques répréhensibles de l’armée ukrainienne[17] – tout en étant bien plus critique à l’égard de la Russie –, attaque contre cette ONG en l’accusant de faire le jeu de l’agresseur. Les médias occidentaux ne se posent pas la question de savoir si ce rapport est juste, mais s’il sert ou dessert l’Ukraine[18].

 14. Dissimulation de faits favorables à la Russie

Ne pas parler de faits ou d’événements qui viennent contrebalancer ou contredire le Story Telling : l’infériorité numérique de la Russie dans ce conflit (150 000 hommes face à une armée ukrainienne bien plus nombreuse et entrainée par l’OTAN) ; un budget de défense russe (62,2 milliards de dollars) 12 fois inférieur à celui des États-Unis (754 milliards) et plus faible que le budget militaire britannique (71,6 milliards de dollars)[19] ; les succès des forces russes ; l’accueil qui leur a été réservé par les populations russophones, etc.

 15. Dissimulation de faits défavorables à Kiev

Le gouvernement de Kiev se garde bien d’expliquer pourquoi il y a très peu de prisonniers russes, comme de faire de la publicité aux actes de torture dont ils ont été victimes. Il dissimule la véritable chasse aux sorcières qu’il a lancée contre toute forme d’opposition interne depuis le début de l’attaque russe[20] et les contestations contre sa stratégie militaire[21]. Et nul média occidental ne rend compte du fait que certains citoyens, accusés d’être des « collabos », sont exécutés sommairement sans jugement.

De même, Kiev ne fait jamais état de l’importance des pertes de son armée, des désertions qui s’y produisent quotidiennement, tout comme il passe sous silence le détournement d’une partie de l’aide occidentale par les élites et des armes par des militaires corrompus en lien avec des réseaux de la criminalité organisée. Surtout, tout reportage sur les affaires financières opaques de Zelensky et ses liens avec l’oligarque Kolomoïsky[22] est systématiquement empêché ou étouffé, de même que nul ne commente le fait que de nombreuses entreprises américaines n’ont toujours pas cessé leurs activités en Russie…. 

16. Négation

Rejet systématique et sans argument de la version des faits adverses ou des commentaires neutres. Rejet de la réalité de certains faits pourtant avérés[23]. 

17. Interdiction

Impossibilité d’accéder aux chaines d’information et aux sites internet russes. Dans les médias occidentaux, mise à l’écart de tout commentateur ne répercutant pas le Story Telling diffusé par Kiev. 

18. Naming and Shaming

Ciblage des commentateurs indépendants qui contestent la version des faits construite par l’Ukraine ou qui mettent en lumière ses contradictions. Disqualification en les traitant de pro-russes[24], de conspirationnistes et en les désignant à l’opprobre populaire[25]. 

19. Polarisation de l’opinion

Implication de l’opinion occidentale dans un conflit qui ne la concerne pas directement. Volonté d’en faire un allié et d’un acteur pour peser davantage sur les gouvernements. Plus de neutralité possible : douter ou être neutre c’est faire le jeu de l’adversaire, être « pro-russe » ; qui n’est pas avec nous est contre nous… 

20. Diversion

Concentrer l’attention du public sur la guerre d’Ukraine permet également aux Etats-Unis[26] et au Royaume-Uni[27] de faire passer au second plan de l’agenda médiatique la couverture de faits ou d’événements défavorables. 

* 

Force est de constater que ces méthodes ne relèvent pas de l’erreur journalistique et vont bien au-delà de la simple mauvaise foi. C’est bien d’une désinformation systématique qu’il s’agit. Le régime de Kiev et les médias occidentaux sont parvenus à instaurer un véritable totalitarisme médiatique, lequel a pour but de faire taire toute voix discordante, d’empêcher toute critique de ce régime corrompu et violent, notamment en faisant systématiquement passer pour « pro-russes » ceux qui dénoncent ses actions et celles des Américains. Le but de Kiev et de Washington est de faire porter l’entière responsabilité de ce conflit à la Russie afin qu’elle se trouve mise au ban de la communauté internationale et que son isolement la conduise à céder.

Inutile de dire que cette stratégie est vouée à l’échec ainsi que les événements le montrent. En effet, médias indépendants et réseaux sociaux mettent chaque jour davantage en lumière la différence qui existe entre la « réalité » qui est servie à l’opinion et la situation de terrain. Contrairement à ce que Kiev et Washington essaient de faire croire, la Russie n’est pas l’URSS, bien qu’elle ait déclenché les hostilités par son « opération spéciale ». Et l’Ukraine est un État croupion des Etats-Unis dirigé par des élites corrompues et non une démocratie. Les responsabilités de cet épouvantable conflit sont largement partagées et les provocations ukrainiennes et occidentales ne peuvent être minimisées ni passées sous silence.

Il ne s’agit pas de prendre parti en faveur de la Russie ni de défendre Moscou. Mais nous ne pouvons accepter que soient diffusées sans discontinuer depuis l’automne 2021 – et surtout depuis le 24 février 2022 –, autant d’informations partiales ou fausses.

Dès lors, on est en droit de s’interroger quant au rôle des différentes cellules de lutte contre la désinformation mises en place en France et dans les pays européens. Dans la mesure où tous les médias russes sont interdits. Il est légitime de se demander ce qu’elles font afin d’évaluer la réalité, la forme et la portée de la propagande de Moscou et son impact sur l’opinion. Sans doute serait-il temps qu’elles s’intéressent à la désinformation ukrainienne véhiculée par nos médias…

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