Guerre froide et reconversion

(pour "Le Piège")

Début des années 70 : c’est encore « La guerre froide ».

Un soir, en entraînement aux interceptions radar de nuit, le radar de défense aérienne qui nous contrôle demande notre autonomie restante. Je lui annonce : 30 minutes.

Quelques secondes plus tard il me répond que notre mission d’entraînement se transforme en mission réelle de « reconnaissance d’un inconnu ».
Après prise en charge du jeune équipier par l'approche de Nancy, puis changement de fréquence et changement de contrôleur, je reçois l'ordre d'aller reconnaître un intrus qui arrive de l’est, qui ne répond à personne et qui s'est écarté des voies aériennes. En m'approchant discrètement par l'arrière et en dessous, je reconnais un quadri-turboprops de fabrication soviétique. La "cabine radar" me demande d'aller le regarder de plus près sans me faire voir, et de transmettre son immatriculation. J'éteins tout dans ma cabine et à l'extérieur. Je m'approche à une trentaine de mètres par dessous puis remonte doucement sur le coté du quadrimoteur. C’est un Illyouchine 18. Je vois très bien les quatre turbopropulseurs et les passagers à travers les hublots, mais il fait trop sombre pour lire son immatriculation ou pour définir sa nationalité.

Après cinq minutes en patrouille lâche, l’avion de Permanence Opérationnelle (PO), armé, a le contact radar et visuel. Il prend la relève. Le radar me donne l'ordre de dégager alors que nous nous dirigeons vers une zone sensible et interdite de survol (Valduc).

Je n'ai pas pu savoir comment l'affaire s'est terminée, qui était cet avion, s’il a été arraisonné, et s’il était équipé de capteurs d’observation perfectionnés.


Quelques années plus tard, civil, je me suis pratiquement fait traiter d'assassin par un collègue de travail. Un Boeing de Koréan-air venait de se faire abattre, en toute connaissance de cause, par un chasseur soviétique. 

Comme nous n'étions pas seuls devant la machine à café j’ai simplement dit : 

- imaginez qu'en ce moment un « Flash Info » annonce : La base sous-marine de l’Île Longue est détruite, la ville de Brest est en flammes. Une bombe de forte puissance vient d'être larguée d'un avion de ligne qui a quitté sa route au lieu d'atterrir à Roissy. Le pilote de chasse qui l'avait intercepté n'a pas voulu exécuter l'ordre de destruction qui lui a été donné, parce qu’il y avait des passagers à bord...

 

Qu’aurais-je fait si, en France, j’avais été placé dans la situation du pilote soviétique ?

Pendant ma période « en fonction », après avoir respecté toutes les procédures et sommations réglementaires, j’aurais certainement obéi et tiré. Probablement avec tristesse et sans états d’âme, par devoir et par honnêteté vis-à-vis des concitoyens qui m’avaient confié leur défense.

Quarante ans plus tard, après qu’un avion de ligne soviétique a survolé impunément le port militaire de Toulon au début des années 80, et très réservé sur le bien fondé des critères, souvent à géométrie variable, utilisés dans l’application du « Principe de Précaution », je ne tirerais peut-être pas. Ou alors de très très près, sur un moteur par exemple, en espérant ne pas «traiter à titre préventif» des passagers innocents, et des victimes potentielles au sol.

Je n’ose pas imaginer ce qui aurait pu se passer dans la tête d’un responsable de l’USAF qui, le 11 septembre 2001, aurait envisagé de faire détruire un des avions piratés, et dans celle du pilote à qui cet ordre aurait pu être donné…

 

 


...un peu de détente : "Les ingénieures"

 

Un peu de détente. Les « ingénieures ».

Après avoir abandonné mes galons, je me retrouve « expert aéronautique » dans une jeune PME qui se lance dans la conception et dans la réalisation de simulateurs de vol. Nous sommes une vingtaine de salariés dont quelques jeunes « ingénieures ». Ancien militaire, ancien pilote, je suis un des plus âgés, un des plus écoutés aussi, car je fais beaucoup de briefings et de formation générale sur des sujets aéronautiques, nouveaux pour la plupart de mes collègues.

L’ambiance est jeune et très studieuse. Le travail est fait sérieusement et j’apprends encore à me comporter, à parler et à penser, « en civil ». De temps en temps : ça blague !

Un jour, dans une enveloppe « navette », je reçois par « courrier officiel » une page découpée dans le Nouvel Obs. Il s’agit d’une BD dont l’histoire raconte les malheurs des victimes des incendies de forêt dans le Var. Le dessinateur propose d’utiliser des avions de chasse pour éteindre ces incendies. Pour que la mesure soit prise au sérieux par les militaires, il explique qu’il suffira de dire aux pilotes que leurs réservoirs pendulaires, remplis d’eau, contiennent du napalm et qu’il faut les larguer sur des camps de réfugiés.

Un « sticker » est sur la feuille. Il porte ces quelques mots : « Qu’en pense le commandant ? ».

Je sais que l’enveloppe vient de l’étage supérieur et que le texte a été écrit par une « ingénieure » de l’équipe. Je suis certain qu’elle attend et guette ma réaction, et qu’une grande partie de « l’étage des jeunes » est complice. Bien embêté, je cherche désespérément une réponse à la fois crédible et drôle mais je n’en trouve pas. A force de triturer la page du journal en même temps que mes méninges, je finis par la retourner.

C’est le miracle. Au verso de cette fichue page on peut lire les petites annonces de rencontre « et plus si affinité », bien connues du Nouvel Obs.

La réponse est toute trouvée. Par courrier rapide je fais transmettre à l’« envoyeure » sa BD coté « pile », avec un petit papier sur lequel est marqué : « Je ne suis pas certain d’avoir bien identifié ton annonce, mais la réponse est oui. Quand tu veux, où tu veux ».

J’attends.

 

 

Dans la demi heure qui suit, la moitié de « l’étage des jeunes » descend. Nous avons tous bien ri et ils ont eu droit à une petite information sur le napalm.

Commentaires: 0