Islamisme tchétchène : 20 ans d’aveuglement français

...par Laurent Courtois - le 17/05/2018.

L'attentat du 12 mai, n'est pas la première implication d'un réfugié tchétchène dans un acte terroriste en France. Déjà en 2013 une première interpellation avait eu lieu à Villeurbanne, huit autres à Paris en janvier 2015six à Albi en février de la même annéeune autre à Lyon en 2016 et une expulsion vers la Russie en 2017... Les exemples sont légions et pourtant Jean-Yves le Drian n'a pas de leçon à recevoir... Retour sur 25 ans d'une politique d'asile aveugle.


 

Le 12 mai 2018, la France fut victime de son douzième attentat islamiste faisant un mort et quatre blessés. Il s'agit de la 246éme victime depuis le 7 janvier 2015. L'auteur de l'attentat Khamzat Asimov, un français d'origine tchétchène fiché "S" depuis 2016 et FSPRT. Né en 1997 à Argoun en Tchétchénie, il est arrivé en France à l'age de trois ans. Ses parents firent (ou sa mère seule plus vraisemblablement) partie des 121 réfugiés russes accueillis par la France cette année là.

En 2010, il fut naturalisé Français en même temps que sa mère. Il grandit au sein de la communauté tchétchène du quartier de l'Elsau à Strasbourg. Titulaire d'un Bac ES depuis 2016 et n'ayant pas de casier judiciaire, son parcours se démarque de celui des terroristes précédents très majoritairement issus de la petite délinquance. En 2017, sa famille quitte Strasbourg pour Paris.

Le lendemain des faits, le président tchétchène Ramza Kadyrov, renvoie la faute de l'attentat sur la seule et unique France par ces mots : " Il est né en Tchétchénie, mais c'est au sein de la société française que sa personnalité, ses opinions et ses convictions se sont formées ... Je suis sûr que s'il avait passé son enfance et son adolescence en Tchétchénie, le sort d'Hassan aurait été différent". 

Ces propos provoquent l'ire du ministre des Affaires Étrangères Françaises, Jean-Yves le Drian, ancien ministre des Armées de François Hollande, c'est dire s'il est familier voire complice des terroristes islamistes (syriens et autres)...

La posture de Ramza Kadirov est-elle aussi insupportable que le trouve Jean-Yves le Drian ?

En France, la diaspora tchétchème est estimée à 20.000 personnes et 7 à 8 % des français impliqués dans les filières terroristes en sont issus (estimation datant du début 2016, pour les seules filières vers la Syrie). Au 20 février 2018, 19.745 personnes étaient fichées FSPRT pour "islamisme", il y aurait donc de 5 à 10 % des français d'origine tchétchène radicalisés, ce qui en fait la communauté musulmane la plus touchée par ce fléau. Si la communauté algérienne (naturalisés + cartes de séjour ( 4 millions, selon le gouvernement algérien) connaissait un tel taux de radicalisation, le nombre de fichés FSPRT passerait de 20.000 à 320.000.

Le taux de musulmans français présentant un risque de dérive terroriste est de l'ordre de 0,4 %. La diaspora tchétchène est donc 20 fois plus radicalisée que les autres communautés musulmanes françaises.

Contrairement aux journalistes et politiques français adeptes de la génération spontanée, la première des questions à laquelle on se doit de répondre est : comment ces tchétchènes sont-ils arrivés ?

Pour bien comprendre les choses, il faut faire un petit rappel historique concernant les deux guerres de Tchétchénie et les flux de réfugiés qui leur sont liés.

En 1991, la Tchétchénie déclare son indépendance et prend le nom de République Tchétchène d'Itchkérie. L'année suivante, elle refuse d'adhérer à la Fédération de Russie. En 1994, le président Boris Eltsine déclenche avec la bénédiction des USA une offensive surprise. En 1996, le président tchétchène (Djokar Doudaïev) est tué après avoir été localisé via son téléphone. Cette frappe ciblée n'a été possible que grâce à la fourniture du matériel ad hoc par Washington.
Quant à elle, la France alors socialiste penchait déjà du côté tchétchène, les reportages de la télévision française sont édifiants. Pour exemple, celui du un faible flux de réfugiés vers l'Occident. La plupart des réfugiés gagnèrent le Daghestan et l'Ingouchie.

En août 1999, la participation de tchétchènes à l'insurrection wahhabite au Daghestan couplée à une série d'attentats meurtriers en Russie est l'occasion d'une reprise du conflit tchétchène en octobre. En premier lieu, c'est surtout, la montée du wahhabisme mis en évidence par des liens de plus en plus importants avec les talibans afghans, qui incita Moscou à agir. L'intervention avait pour objectif d'empêcher une contamination de l'ensemble du Nord Caucase. Le 6 février 2000, Grozny et la République Tchétchène d' Itchkérie reconnue par les seuls talibans afghans tombent. Jusqu'en 2006 une guérilla se maintint et en 2009, l'Opération Anti-Terroriste prit fin.

Contrairement à la première guerre de Tchétchénie, la Russie de Vladimir Poutine fut très fortement critiquée par l'ensemble des occidentaux. Ce "soutien" aux rebelles a entraîné de 1996 à 2001 une augmentation de 272 % des demandes d’asile en France.

Le traitement des dossiers des réfugiés tchétchènes peut se répartir en deux périodes. La première celle de "l'angélisme" a duré de 1999 à 2006. A partir de 2007, commence une seconde période plus éclairée, où l'OFPRA, commence à s'interroger sur la personnalité des requérants.
 

1999 à 2007 : La période d'angélisme.

Durant les premières années qui suivirent le début de la seconde guerre de Tchétchénie, le flux de demandeurs d'asile tripla. Les réfugiés tchétchènes furent d'autant mieux accueillis qu'en France le gouvernement Jospin (1997-2002) leur était très favorable, se démarquant ainsi de Jacques Chirac et de son "grand méchant tchétchène aiguisant son couteau".

La majorité des réfugiés de l'époque était constituée de femmes temporairement seules avec des enfants. Parmi elles se trouvaient comme le montre les rapports des années suivantes des veuves "temporaires". En effet de nombreux maris ressuscitèrent les années suivantes, comme nous l'apprendra le rapport d'activité de 2007. "Il n’est pas rare que ceux-ci finissent par réapparaître pendant ou peu après l’instruction du dossier de leur épouse et déclarent s’être cachés ou avoir été détenus arbitrairement pendant plusieurs mois"...
En 2003, 46,5 % des demandeurs d'asile russes ont obtenu le statut de réfugié. La politique d’accueil repose sur une totale empathie avec des personnes "qui fuient le conflit persistant et la situation humanitaire catastrophique".
Si effectivement la situation humanitaire est catastrophique du fait de la guerre, cela n'aurait pas dû faire perdre de vue les orientations politiques des requérants. Or, à une époque ou près de la moitié des tchétchènes obtiennent la carte de réfugié, l'OFPRA nage en plein angélisme. Dans le rapport de 2006, ils sont décrits comme des " personnes ayant été personnellement victimes de persécutions, ou craignant de l’être du fait des soupçons qui pèsent sur leurs proches, vétérans de la première guerre, membres des forces de sécurité pendant l’entre-deux guerres, victimes de règlements de comptes et de vendettas. Les craintes sont avancées tant à l’égard des autorités fédérales russes que des forces de sécurité locales dont celles contrôlées par Ramzan Kadyrov. D’autres profils ont pu être identifiés : combattants indépendantistes, gardes du corps de personnalités ou de militaires, agents de divers services de sécurité (dont des "Kadyrovtsy") ".

Depuis 1996, la salafisation des rebelles tchétchènes est exponentielle et connue de tous ceux qui veulent bien s'en donner la peine. En réalité, l'islamisation des républiques du Causasse et d'Asie Centrale soviétique est bien antérieure à la chute de l'URSS (confère l'exemple Tadjik).
Or durant les dix années consécutives à la première guerre de Tchétchénie, jamais le mot islamiste n’apparaît dans les rapports d'activités de l'OFPRA. Durant toutes ces années, l'OFPRA a donc accueilli aveuglément les réfugiés tchétchènes sans s'interroger sur leur back-ground politique. En 2006, les russes étaient la nationalité ayant obtenu le plus de statuts de réfugiés (10,1 %)....

2007 à 2014 : Les grands questionnements de l'OFPRA.

Placé sous la tutelle du ministère des Affaires Étrangères jusqu'en 2007, l'OFPRA passa cette année sous la tutelle du ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement de Brice Hortefeux. Cette année, marque un tournant dans le traitement des réfugiés russes (80 % issus du Nord Caucase) par l'OFPRA. Pour la première fois, on note des appréciations plus tranchées. On apprend la présence parmi les réfugiés de " profils plus troubles (combattants indépendantistes, gardes du corps de personnalités ou de militaires, membres de divers services de sécurité,(anciens) partisans de Kadyrov, gros commerçants) se rencontrent toujours de façon régulière mais semblent en baisse ".
L'année précédente (voir supra) ces mêmes profils étaient encore considérés comme normaux...

En 2008, la Russie devient la première contributrice au flux de réfugiés. De plus en plus de demandes d'asile sont motivées par la suspicion par les autorités de Grozny de wahhabisme et/ou d'aides à la guérilla tchétchène. Malgré cela, la moitié des requérants ont trouvé asile en France.
Au début des années 2010, le flux de réfugiés présentant un profil salafiste s'étend à l'ensemble du Nord Caucase : " Les ingouches font état de la situation générale dégradée, d’accusations diverses (notamment d’avoir participé à des attentats) "." Les daghestanais prétendent souvent être considérés comme proches de groupes islamistes, ou au contraire déclarent ne pas vouloir rejoindre de tels groupes "." On note une certaine augmentation de demandes invoquant des difficultés en lien avec des « wahhabites », plus fréquemment développées par la demande daghestanaise, mais qui se retrouvent aujourd’hui également dans les récits tchétchènes". 

Malgré cette prise de conscience, de la présence croissante d'islamistes au sein des réfugiés, l’accueil des tchétchènes se poursuit de plus belle. En 2014, la Russie est de nouveau en tête des cartes de réfugiés avec 9%, juste devant les syriens, alors que la guerre civile dans ce pays dure depuis plus de trois ans.

A partir de 2015, une crise en chassant une autre, le flux de réfugiés russes est dépassé par celui provenant d'Irak et de Syrie. Parmi les réfugiés russes, les arméniens deviennent majoritaires, malgré cela, le profil des requérants n'en est pas plus transparent "Les vérifications effectuées auprès de nos postes diplomatiques montrent que dans la quasi-totalité des cas, les documents présentés à l’appui de leurs allégations sont apocryphes(faux)".

En 2017, la Russie (composés de 80 % de tchétchènes) représente avec 14.184 ressortissants sous statut de protection internationale (hors mineurs à la date de leur arrivée en France), la troisième plus grande communauté derrière le Sri Lanka et la RDC.

La France a donc depuis 1994 mené une politique pro-tchétchène, initiée par François Mitterrand et poursuivie par Lionel Jospin au nom de la lutte contre le colonialisme. Du fait de ce combat ayant une génération de retard, la France est passée totalement à côté de la vraie problématique tchétchène : la montée de l'islamisme. Ceci est d'autant plus regrettable qu'à cette époque la France était victime de ses premiers attentats islamistes commis par le GIA algérien (1994-1995).
La problématique de l'islamisme ne fit son apparition dans les rapports d'activités de l'OFPRA qu'à partir de 2006 et encore bien timidement. Pour ce qui est de l’État Français, la situation est bien pire. Trois ans de terrorisme sanglant ne lui ont pas ouvert les yeux... Après avoir offert en 2011 la Libye aux islamistes, elle soutient toujours en 2018 la nébuleuse islamiste de Syrie. Un observateur curieux pourrait aussi s’interroger sur la simultanéité entre les attentats de 2015 et la fin des livraisons d'armes aux filiales d'Al-Qaïda syrienne....

Il apparaît donc que Ramzan Kadyrov, tout comme l'ancien Ambassadeur de Russie en France Alexandre Orlov, ne font pas fausse route en pointant du doigt la responsabilité de la France. Cette dernière par une politique d’accueil plus guidée par l’empathie que par la réalité des faits a permis l'établissement en France de la communauté musulmane la plus extrémiste, avec un taux de radicalisation vingt fois supérieur aux autres.

 Source : https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/islamisme-tchetchene-20-ans-d-204389

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