Note d'actualité n° 610 - Mai 2023.

Sommet des pays d'Asie centrale organisé par la Chine.

...par Alain Rodier - Le 21/05/2023.

Le président chinois Xi Jinping vient d’ouvrir le tout premier sommet de la Chine avec les dirigeants des cinq pays d’Asie centrale. L’évènement de deux jours réunit les dirigeants du Kazakhstan, du Kirghizistan, du Tadjikistan, du Turkménistan et d’Ouzbékistan. Ces pays sont cruciaux pour l’initiative chinoise « la Ceinture et la Route » aussi appelée « Nouvelles routes de la soie » dont l’établissement coûterait quelques 1 000 milliards de dollars. Ce projet gigantesque comprend la construction d’infrastructures logistiques tout le long des tracés des parcours envisagés. Toutefois, Pékin se heurte à des difficultés politiques : ainsi, l’Italie vient de se retirer du projet sous la pression de Washington qui y est totalement opposé.

Ce sommet se tient à Xi’an dans la province du Shaanxi au centre de la Chine. Cette la ville historique vieille de plus de 3 100 ans marquait autrefois le début de la légendaire « Route de la Soie. » Elle a été la capitale de l’Empire du milieu sous les dynasties Qin, Han et Tang. Aujourd’hui, Xi’an est l’une des dix plus grandes villes chinoises.

Yu Jun, le directeur général adjoint du département des Affaires européennes et d’Asie centrale au sein du ministère des Affaires étrangères chinois, a déclaré le 16 mai que les dirigeants échangeraient leurs points de vue sur l’établissement d’un mécanisme de coopération et sur les questions internationales et régionales préoccupantes. Au final, un certain nombre de nouveaux accords devraient être signés.

Par le passé, Pékin a déjà investi plusieurs milliards d’euros pour exploiter des réserves de gaz naturel en Asie centrale et construire des liaisons ferroviaires reliant la Chine à l’Europe via cette région.

L’Administration générale des douanes de Chine a publié le 17 mai des données montrant que le volume des échanges entre la Chine et les pays d’Asie centrale s’élevait à 24,8 milliards de dollars au cours des quatre premiers mois de l’année 2023, soit une augmentation de 37,3 % par rapport à la même période en 2022. Selon les médias officiels, environ 55% des importations chinoises étaient des produits énergétiques tels que le charbon, le pétrole brut et le gaz naturel.

Alors que ce sommet Chine/Asie centrale coïncide avec celui du G7 (Canada, France, États-Unis, Allemagne, Italie, Japon, Royaume-Uni) qui se tient à Hiroshima au Japon, des analystes ont déclaré que l’importance du sommet Chine-Asie centrale était qu’il soulignait l’évolution des sphères d’influence dans les anciens États soviétiques où la Russie a longtemps été prédominante. Bradley Jardine, directeur général du think tank américain Oxus Society for Central Asian Affairs a déclaré à ce propos : « le conflit en Ukraine est davantage un accélérateur de tendances préexistantes dans la région – dont la plus importante est la Chine qui repousse la Russie en tant que plus grand ordonnateur de la région (…) Beaucoup de gouvernements régionaux sont de plus en plus sceptiques quant aux objectifs de la Russie dans la zone et la Chine tente de les rassurer sur leur souveraineté. »

Mais d’autres analystes, plus proches des thèses russes, affirment de leur côté que l’influence de la Chine dans la région ne signifie pas que celle exercée par Moscou est moins importante. À savoir que la Chine et la Russie ont convenu d’un partenariat « sans limites » en février 2022 et en mars 2023, lorsque Xi Jinping s’est rendu à Moscou à l’invitation du président Vladimir Poutine. Ce dernier a notamment souligné que Moscou et Pékin avaient de « nombreuses tâches et de nombreux objectifs communs ». Enfin un accord a été signé pour faire entrer leurs relations dans une nouvelle « ère » de coopération ».

Li Yongquan, directeur de recherche auprès de l’Institut des études de l’Europe de l’Est, de la Russie et de l’Asie centrale(IEERCAS), dépendant de l’Académie de sciences sociales chinoise (CASS), résume le point de vue chinois en ces termes : « depuis 30 ans, l’Asie centrale est située dans une atmosphère géopolitique complexe. Mais une des raisons pour lesquelles les pays de la région peuvent prospérer malgré les multiples facteurs d’instabilité est que la Chine et la Russie ont coopéré pour maintenir la sécurité et la stabilité dans la région. »

Les deux pays sont en effet présents dans de nombreuses organisations internationales dont le premier objectif est de s’opposer à la politique américaine considérée comme hégémonique.

Ainsi, la partie russe domine l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) qui regroupe l’Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, la Russie et le Tadjikistan. Ses objectifs officiels sont « le renforcement de la paix, internationale et régionale, la sécurité et la stabilité, la protection sur une base collective d’indépendance, l’intégrité territoriale et la souveraineté des États membres. » Cette organisation promeut une coopération dans les domaines politiques, militaires, mais aussi une lutte contre les menaces transfrontalières et les terroristes en tous genres. Leur adversaire désigné est le terrorisme d’origine islamique mais s’étend maintenant à des menaces étatiques (Afghanistan.)

Mais c’est l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) qui est la principale structure intergouvernementale à caractère politique et économique active en Asie. Elle réunit la Chine, la Russie, Kazakhstan, le Kirghizistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan. Elle s’est élargie à l’Inde et au Pakistan en 2016, puis à l’Iran en 2021. Officiellement, elle vise à assurer la sécurité collective de ses adhérents face aux menaces « du terrorisme, de l’extrémisme et du séparatisme. » La Chine et la Russie sont au centre de cette organisation et formalisent par son biais un rapprochement géostratégique qui dépasse largement le cadre régional.

À la grande déconvenue de la Maison-Blanche, le monde est en train de se recomposer d’une manière multipolaire. D’un côté l’Occident – auquel il convient d’ajouter le Japon et la Corée du Sud -, de l’autre la Chine et la Russie (qui risque de finir vassalisée à Pékin.) Ces deux parties se disputent le reste du monde en utilisant pour l’instant l’arme économique. Ce qui est inquiétant, c’est que les options violentes pour imposer des idéologies ou s’emparer de territoires ne sont pas à exclure. L’exemple ukrainien en est la première manifestation, la Géorgie (2008) n’ayant été qu’un « hors-d’œuvre ».

Le XXe siècle a connu deux guerres mondiales qui ont éclaté pour des raisons à peu près similaires. Elles ont entraîné la mort de dizaines de millions d’individus. Le XXIe siècle pourrait en connaître une nouvelle mais avec une nuance de taille : la détention par de nombreux acteurs de l’arme nucléaire. Les victimes risquent cette fois de se compter en centaines de millions et pour les survivants, ce serait l’apocalypse. La symbolique du lieu du sommet du G7 (Hiroshima) devrait faire réfléchir ses participants…

Parallèlement, les États-Unis voient beaucoup de choses se déliter autour d’eux, même chez leurs alliés. Ainsi, après plus de dix ans de marginalisation, Bachar el-Assad assiste au sommet de la Ligue arabe qui se tient à Riyad[1]. Pire encore, l’Arabie saoudite renoue ses relations diplomatiques avec l’Iran… La suprématie politique américaine semble être aujourd’hui ébranlée.

 

[1] Le président Zelinsky s’y est invité, ravissant la vedette à Bachar el-Assad avant de rejoindre le sommet du G7 au Japon.

 

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