Note d'actualité n°588 - Novembre 2021

ÉTATS-UNIS : DU MOUVEMENT ENTRE LA MAISON-BLANCHE ET LE PENTAGONE

...par Alain Rodier

Au moment où la presse américaine se déchaîne sur une éventuelle offensive russe en Ukraine, le Washington Postrapporte que le Conseil de Sécurité de la Maison-Blanche a demandé au Pentagone de lui rendre un rapport détaillé sur tous les exercices militaires américains lancés ces dernières années en Europe et leurs justifications. 

Selon un officiel de l’administration Biden, le but de cette démarche est de fournir à la Maison-Blanche une pleine connaissance des activités d’entraînement et dissuasives conduites en Europe vis-à-vis de la Russie afin que les actions à venir puissent être évaluées et programmées à la lumière des expériences passées. L’administration Biden en profite également pour révéler les détestables relations entre l’exécutif américain et les armées sous la présidence de Donald Trump.

Les missions américaines en Europe se sont largement accrues ces dernières années dans le contexte des tensions montantes avec Moscou. L’objectif était de dissuader le Kremlin de se lancer dans un aventurisme débridé et, peut-être encore plus, de rassurer ses alliés.

Certains observateurs extérieurs se sont inquiétés du fait que certaines missions militaires étaient devenues trop « provocatrices » à l’égard de Moscou et devaient être réévaluées, même si l’administration Biden assure qu’elle ne cherche pas à diminuer les activités du Pentagone.

Dans de nombreux cas, ces opérations ont dépassé le cadre de l’OTAN engageant des pays non-membres de l’Alliance mais frontaliers avec la Russie comme l’Ukraine et la Géorgie. Ces deux pays qui ont eu à faire face à des actes hostiles de la Russie se sont vus assurés du soutien des États-Unis, même s’ils ne sont pas liés par des accords de défense.

Le président Vladimir Poutine a d’ailleurs haussé le ton ces derniers mois au sujet des activités militaires de l’Alliance. Le 18 novembre, il a déclaré que les pays de l’OTAN franchissaient « certaines limites » en faisant évoluer des bombardiers stratégiques portant des « armes très sérieuses » – faisant référence aux armes nucléaires dont ils peuvent être armés – à vingt kilomètres des côtes russes en mer Noire. Il a notamment déclaré : « nous exprimons régulièrement notre préoccupation à ce sujet, nous parlons de lignes rouges, mais bien sûr nous comprenons que nos partenaires sont très idiosyncratiques (sic) et – pour l’exprimer calmement – qu’ils traitent tous nos avertissements et communications à propos des lignes rouges de manière très superficielle ».

Point fondamental, les alliés des Américains sur le flanc Est de l’OTAN, comme les partenaires ukrainiens et géorgiens, poussent à la poursuite et même à l’accroissement des activités militaires américaines sur zone. Pour eux, il convient d’envoyer un message fort au Kremlin afin qu’il ne renouvelle pas l’expérience de 2014 lorsque la Russie s’est emparée de la Crimée. Cette expérience est la terreur des pays baltes qui ont chez eux une très importante communauté d’origine russe.

Les manoeuvres militaires conduites par les Américains revêtent une importance accrue pour les pays européens depuis le déploiement de forces militaires russes à proximité de la frontière ukrainienne et la crise des migrants à la frontière Biélorussie/Pologne à l’automne 2021. Les dirigeants européens ont vu dans ces évènements une manœuvre supplémentaire de Moscou pour déstabiliser le Vieux continent. La presse anglo-saxonne à son habitude très « va-t’en guerre » a alerté d’une possible invasion russe de l’Ukraine cet hiver…

Le ministre des Affaires étrangères ukrainien Dmytro Kuleba a soulevé ce point lors de sa visite à Washington en novembre, déclarant que les États-Unis et l’Ukraine doivent adresser le bon message et prendre les actions appropriées « pas pour provoquer la Russie, pas pour lui donner une excuse [d’intervenir], mais pour la dissuader et la démotiver de conduire une future escalade ».

Le porte-parole du département de la Défense, l’amiral John Kirby, a bien affirmé que les démarches de la Maison-Blanche allaient dans le sens d’une volonté commune de désescalade des tensions en Europe et le souhait d’ouvrir plus d’espace à des solutions diplomatiques. 

Même au département d’État, le discours sur l’Europe est en train d’évoluer. Si les pays européens veulent absolument devenir plus autonomes vis-à-vis des États-Unis, ils doivent consacrer plus pour leur budget de la défense (2% préconisés par l’OTAN) et Washington est disponible pour dire comment faire : en « achetant américain ». 

 

BREF HISTORIQUE DES CONTENTIEUX ACTUELS

 

Depuis que la Russie a annexé la Crimée en 2014, l’OTAN a soutenu l’Ukraine en lui fournissant armes et entraînement. Des exercices communs ont eu lieu. Les forces de l’OTAN se sont également déployées par rotations en Pologne et les États baltes disposent maintenant d’une présence constante de forces de l’Alliance pour contrer une éventuelle invasion russe.

En 2020, des navires de guerre américains ont pénétré pour la première fois depuis la fin de la Guerre froide en mer de Barents où la Flotte du Nord russe est stationnée. Le fait le plus marquant a été la patrouille avancée du destroyer britannique HMS Defender au large de la Crimée qui aurait provoqué des tirs de semonce russes. 

La même année, des bombardiers stratégiques US, B1-B Lancers et B-52 se sont entraînés avec des chasseurs ukrainiens à proximité de la frontière russe. Logiquement, des incidents se sont multipliés avec la chasse russe. Inversement, d’autres ont eu lieu lors du survol des mers d’Europe du Nord par des bombardiers stratégiques russes avec des chasseurs de l’OTAN.

Une étude portant sur les incidents militaires survenus entre les deux blocs de 2013 à 2020 écrite par les experts Ralph Clem et Raymond Finch en a répertorié 3 000, avec une très nette augmentation à partir de 2017.

Il est vrai que de son côté, Moscou fait une large publicité à ses nouveaux armements et a même procédé le 16 novembre à la destruction d’un de ses satellites inactifs (Tsélina-D en orbite depuis 1982) avec un missile sol-air, s’attirant les critiques mondiales. Il a été indiqué en cette occasion que Moscou ne s’interdisait pas de détruire les planeurs hypersoniques de type X-37 américains susceptibles d’emporter des charges nucléaires.

Par ailleurs, les tentatives d’assassinat – heureusement ratées – se sont multipliées contre des opposants russes, conduisant à deux hypothèses : soit les services secrets russes sont nuls, soit il s’agit d’intoxications. De même se sont produites de multiples attaques informatiques, sans parler du syndrome de Cuba[1]

De plus, la Russie a mené d’importantes manœuvres militaires sur son sol et dans le Caucase mais aussi avec la Biélorussie (Zapad 2021). Enfin, une coopération militaire commence à se dessiner avec la Chine, des patrouilles conjointes d’aéronefs et de navires des deux nations ayant lieu au large du Japon.

Mais le département d’État n’en doute pas. Il y a une grande demande mondiale pour la présence américaine, alors que ce n’est pas le cas pour la Chine. Cette affirmation confirme que, soit la Maison-Blanche continue à ne pas voir la réalité des choses, ou que, bien informée – il ne faut pas prendre les services de renseignements américains pour des ignares -, sûre de sa puissance  et de l’impuissance de ses interlocuteurs, elle n’a rien à faire des intérêts des pays qui lui sont étrangers, alliés comme adversaires.

Source : CF2R

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