Ukraine : "Avons-nous des raisons d'espérer une sortie de crise en 2023 ?"
Libre propos tenu par le Général d’armée (2S) Elrick IRASTORZA, ancien CEMAT, membre de l’Académie des Sciences et Lettres de Montpellier, à l’occasion de
la rentrée solennelle du 30 janvier 2023.
Ukraine : « avons-nous des raisons d'espérer une sortie de crise en 2023 " ?
En une quinzaine de minutes, je vous propose, dans cette communication forcément synthétique et inévitablement clivante,
de rechercher, dans les racines de ce conflit et la volonté des différentes parties prenantes d’y mettre fin, des raisons d’espérer, ou pas,
une sortie de crise au cours des prochains mois.
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Le 28 juillet 1914, les Français respirent. La justice acquitte enfin Madame Caillaux, mettant un terme à un feuilleton
qui les aura maintenus en haleine pendant quatre mois . 6 jours plus tard, l’Allemagne déclare la guerre à la France : 20 millions de morts.
Le 30 septembre 1938, Édouard Daladier, est accueilli au Bourget par une foule en liesse à son retour de Munich : à son «
Ah les cons, s’ils savaient » fait écho le « I believe it is peace for our time » de Chamberlain : 60 millions de morts.
Le 9 novembre 2022, 52° anniversaire de la mort du Général de Gaulle, le Président de la République présente sa vision stratégique pour la France. Mais le même jour, à 20h, Didier Deschamps égrène, sur toutes nos
chaînes, la composition de l’équipe de France.
Inconscience, ou impréparation mentale face à des bouleversements dont ils n’ont pas idée, les Français ont préféré se
réfugier dans l’euphorie du sport.
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Les causes du conflit n’augurent rien de bon car il en va des crises comme des arbres, plus leurs racines
sont profondes, plus elles sont vigoureuses...
Depuis le baptême, à la fin du 1er millénaire, de Vladimir 1er le Grand, le cœur de la Russie orthodoxe bat à Kiev, ce
qui n’empêcha l’URSS de détruire, en 1935, l’église de la Dîme où il fut inhumé ! Pendant des siècles, la tutelle sur ces populations oscilla entre
les empires périphériques jusqu’au rattachement à la Russie en 1654. Jusqu’alors, la sphère ukrainienne
n’englobait ni les provinces russophones du Donbass, ni, bien sûr la Crimée.
Le pays ne fut indépendant pour la première fois que de 1917 à 1922, jusqu’à la création de l’URSS. Le souvenir du
traitement inhumain que lui infligea Staline et des grandes famines de 1932-1933 (4 à 6 millions de morts), fit qu’en 1941, une partie de
la population accueillit les Allemands à bras ouverts. Le dirigeant nationaliste ukrainien, Stephan Bandera,
en profita pour déclarer une très éphémère indépendance et 220 000 Ukrainiens se battirent aux côtés des troupes nazies, contribuant à la Shoa par
balles aux côtés des einsatzgruppen. Mais la grande majorité des Ukrainiens se lancèrent dans une résistance
qui leur coûta 7 des 26 millions de victimes soviétiques du Nazisme.
En 1954, à l’occasion du 300° anniversaire de son rattachement à la Russie, Khrouchtchev récompensa ce bon élève de la classe manifestement dénazifié, en lui rattachant la Crimée.
Mais il convient de se souvenir, également, qu’à partir de l’année suivante, le Pacte de Varsovie dont l’Ukraine, fit
peser sur l’Europe de l’ouest, pendant 36 ans, une menace mortelle qui engendra une ruineuse course aux armements pour contrer ses
missiles nucléaires, ses 120 000 chars d’assaut et engins blindés, ses 42 000 canons et ses 7200 avions de
combat.
Le 24 août 1991, le pays recouvra son indépendance. Pour sauver les dernières apparences d’un empire multiséculaire en
voie de dislocation, la Russie signa avec l’Ukraine et la Biélorussie, 17 jours avant la dissolution de l’URSS, les accords de
Minsk, constitutifs de la Communauté des États Indépendants, sorte de confédération des anciennes républiques
soviétiques, à l’exception des états baltes.
Trois ans plus tard, suite au mémorandum de Budapest, l’Ukraine, le Kazakhstan et la Biélorussie, achevèrent le transfert
de l’armement nucléaire soviétique à la Russie contre une garantie de sécurité donnée par les USA, la Grande Bretagne et cette même Russie.
Perçue comme une dérive européiste, la révolution orange de 2004 puis surtout celle de Maidan, en 2014, réveillèrent le
clivage entre les populations ukrainiennes du nord-ouest plutôt tournées vers l’Occident et celles du sud-est plutôt tournées vers la Russie
et menèrent tout droit à la dissidence des provinces russophones.
En mars 2014, la Crimée proclama son indépendance et vota huit jours plus tard son retour à la mère patrie. Le cadeau de
Khrouchtchev avait tenu 60 ans...
Simultanément, le Donbass s’embrasait, la Russie s’impliquant dans cette guerre civile par le truchement
de la Société de Sécurité Privée Wagner.
En 2014 puis 2015, l’intercession de François Hollande et d’Angela Merkel, n’y changea rien et les combats continuèrent
en dépit des accords de Minsk I et II, les Azov n’ayant rien à envier aux Wagner en termes d’atrocités.
La poursuite de la dérive atlantiste du pays puis son départ de la Communauté des
États Indépendants en 2018, furent alors perçus par Moscou comme une véritable trahison
et la vénération portée par une partie de la population à Stephan Bandera raviva le procès
en nazification ! Le président Zélenski déclarait encore récemment que « Stephan Bandera
est un héros pour une partie des Ukrainiens et que c’est une chose normale et cool » ; mais
il trouvait quand même « not right » que des lieux publics puissent porter son nom...
Le 21 février 2022, la Russie prétextant le non respect des accords de Minsk par
l’Ukraine, reconnaissait l’indépendance des Républiques populaires de Donetsk et de
Lougansk et signait un accord d’entraide qu’elle appliqua 3 jours plus tard en déclenchant
son opération militaire spéciale.
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La Russie de Vladimir Poutine est incontestablement l’agresseur. Quand on lui faisait remarquer que l’Entente avait une
part de responsabilité dans la première guerre mondiale, polémique qui dure encore, Clemenceau répondait : « Que je sache ce n’est
pas la Belgique qui a envahi l’Allemagne ! ».
Pour les Russes, la dislocation de l’URSS, fut un véritable naufrage. Vladimir Poutine, formé à l’école du KGB, ne
supporta pas cette humiliation ni, plus tard, la dérive de l’Ukraine vers l’Occident. Restait à choisir le moment et la façon de châtier les
traîtres.
L’Europe occidentale, trop occupée à engranger les dividendes de la paix depuis 1991 , ne
présentait pas une réelle menace. Les USA, c’était plus sérieux ! Mais l’élection d’un
nouveau président, dans des conditions qui avaient fissuré l’unité américaine, puis l’achèvement, dans le chaos, du
retrait d’Afghanistan entamé par Donald Trump, lui offrit la fenêtre d’opportunité. Restait le choix du mode d’action ? Et quoi de mieux,
pour boucler l’affaire en trois jours, qu’un bon vieux raid blindé, comme dans le temps, contre Budapest et
Prague, doublé d’une opération héliportée en banlieue nord de Kiev ? Vous connaissez la suite.
Pour les anti Zelensky, celui-ci, l’a bien cherché en poursuivant une politique de divorce dont les
effets étaient largement prévisibles et en laissant perdurer, voire en encourageant, les combats du Donbass, se pensant sans doute protégé par la
garantie de sécurité accordée par les USA et la Grande Bretagne dans le mémorandum de Budapest.
Pour les anti OTAN, qui oublient que c’est notre seul traité de défense collective, c’est la faute des Américains et de la servilité des Européens à leur égard. Tous ont trahi leur promesse informelle de ne pas
étendre l’OTAN vers l’Est en contrepartie de la dissolution de l’URSS.
Si les buts de guerre des deux belligérants sont globalement connus, deux questions restent cependant en
suspens :
La première : Que veulent exactement les Occidentaux au terme de ce conflit qui ne menace pas
directement leur intégrité territoriale ?
- Une Russie paria, recroquevillée sur les 17 millions de km2 qui en font le pays le plus vaste du monde, une sorte de
Corée du Nord bis mais s’étendant sur 11 fuseaux horaires, peuplée de 6 fois plus d’habitants, ayant un PIB 70 fois supérieur,
seule puissance capable, avec la société Space X d’Élon Musk, de ravitailler régulièrement l’ISS, et
possédant 6000 têtes nucléaires ?
- Une Ukraine laminée ne pesant plus rien sur la scène internationale et générant, une immigration massive vers
l’occident ?
D’où la seconde question : Jusqu’où peut-on aider l’Ukraine à ne pas, tout ou trop perdre, sachant que
si le conflit s’éternise, les chars sans équipage et les canons sans servant ne suffiront plus et, qu’un jour ou l’autre, il faudra bien envoyer
les combattants et les logisticiens qui vont avec, pour peu que les Français acceptent que leurs soldats
aillent mourir pour Kiev et que cette décision soit avalisée par le parlement conformément
à l’article 35 de la Constitution.
J’entrevois 3 issues possibles, sachant que le renoncement de la Russie que la communauté internationale
appelle de ses vœux et le retour à la situation ante, ne me semble guère possible sans l’implosion préalable de l’oligarchie
poutinienne.
Une issue maximaliste, la fuite en avant de la Russie jusqu’aux frontières des pays de l’OTAN. Cela me
paraît peu probable compte-tenu d’un risque d’embrasement apocalyptique.
Une issue minimaliste : L’indépendance, assortie de la neutralité, des deux républiques populaires
sécessionnistes de Donetsk et Lougansk. Difficile de croire que Poutine ait fait tout ça rien que pour ça, mais sait-on jamais ?
Une issue médiane :
- l’indépendance assortie de la neutralité des deux républiques du Donbass.
- la neutralité de l’Ukraine, son adhésion à l’UE mais pas à l’OTAN.
- la clarification de la situation de la Transnistrie et de la Moldavie .
- la réalisation d’une continuité territoriale au moins jusqu’au canal Nord criméen pour faciliter l’accès de la Russie à
la Crimée par l’isthme de Perekop et en sécuriser le ravitaillement en eau douce. Cela correspond en gros, à la zone envahie actuellement.
Je crains fort que ce ne soit une base de discussion permettant à la Russie de ne pas connaître
une nouvelle humiliation et à l’Ukraine de préserver l’essentiel dont la façade maritime d’Odessa.
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Alors, « avons-nous des raisons d'espérer une sortie de crise en 2023 ? » ?
Au cours des prochains mois tout sera une question de volonté, or tout le monde n’a pas le même agenda !
- De quelle volonté feront preuve les deux belligérants pour trouver une sortie de crise politiquement et humainement
acceptable ?
L’entêtement de Poutine est tout aussi inquiétant que l’obstination de Zelenski à vouloir étendre le conflit à l’occident
pour rééquilibrer un rapport de force, démographique, économique et militaire défavorable et assurer sa
survie face à son ex grand frère.
- De quelle volonté feront preuve les USA dont le centre de gravité des préoccupations stratégiques s’est clairement
déplacé vers le Pacifique, pour abréger un conflit dont la prolongation, en affaiblissant la Russie, mais aussi l’Europe, ne les
dessert pas fondamentalement ?
- Est-ce que les dirigeants européens, pris dans l’engrenage de sanctions dont ils ne sortiront pas indemnes, auront la
volonté d’exercer, d’une seule voix, une pression crédible sur les deux belligérants pour en finir avec cette folie mortifère et ses
conséquences économiques désastreuses ?
- De quelle volonté vont faire preuve la Chine, l’Inde, le Pakistan et le Japon, soit
40 % de la population mondiale, pour éviter un cataclysme qui ralentirait leur expansion
économique et raviverait des contentieux régionaux plus ou moins en sommeil ?
- Les institutions internationales de maîtrise et de condamnation de la violence, l’ONU en tête, sont-elles encore
capables d’un minimum de volonté, alors que certaines grandes puissances ont tout intérêt à un pourrissement qui conduira inévitablement à
une recomposition du Conseil Permanent du Conseil de Sécurité.
Quant à la Cour Pénale Internationale, les médias russes ont déjà rejeté vertement toute traduction de
leurs dirigeants pour crimes de guerre.
- Est-ce que les pays membres de l’OTAN, auront la volonté de privilégier les dispositions pacifiques des articles 1 et 2
du traité de l’Atlantique Nord, sachant qu’à ce jour, aucune des actions décrites à son article 6, ne justifie la mise en application
belligène de son article 5 ? Auront-ils également la volonté de faire clarifier par la Turquie, pays membre
depuis 1952, l’ambiguïté de ses relations avec la Russie, ambiguïté dont l’Arménie pourrait bien faire les frais.
- Est-ce que nos médias auront la volonté d’en finir avec une chasse au scoop amplificatrice d’émotion au détriment de la
raison ?
- Enfin, est-ce que nos opinions publiques auront toujours la volonté, de dérèglements économiques successifs en
privations croissantes, de défendre, quoi qu’il leur en coûte, le principe de liberté des peuples à vivre en paix dans des frontières sûres
et reconnues, alors qu’aucune menace directe ne pèse à nos frontières ?
J’en doute !
Le conflit va durer en 2023, en se maintenant sous le seuil de l’embrasement général,
notamment nucléaire ! D’ici là, entre syndrome munichois et rodomontades, nos dirigeants vont devoir garder leurs nerfs,
entre fermeté, défense de nos principes fondamentaux et préservation de l’intérêt général, ne pas se laisser porter par la guerre comme le
bouchon sur la vague, et se rappeler qu’il est de leur devoir de proposer inlassablement des solutions politiques acceptables par tous.
« Maintenant, il va bien falloir gagner la paix, ce sera encore plus difficile...surtout avec
nos alliés » fut, d’après le général Mordacq, une des premières réactions de Clemenceau, le 11
novembre 1918.
Mettre un terme au conflit ne suffira pas.
Le monde né de l’effondrement du pacte de Varsovie, il y a 30 ans, est en train de disparaître sous nos yeux. 2023
pourrait bien nous offrir l’esquisse de ce que sera celui de demain...
...ON peut ne pas être tout à fait d'accord avec le Gal. Irastorza....
Voir ci-dessous, deux articles qui remettent les choses à leur place...ce qui laisse entrevoir une évolution du conflit vers une issue quelque peu
différente.
Premièrement, je constate que le Gal. Irastorza passe sous silence (ou ignore ???) les buts réels de guerre des occidentaux, sous direction des américains :
<<Détruire la Russie politique, économique et militaire....pour s'accaparer les richesses en matières premières...et pouvoir ensuite vaincre la Chine !! >>
C'est annoncé, assumé...y compris par Bruno Lemaire...!!
A partir de là, la suite prévisible des évènements devient bien plus compliquée, les pronostics tout à fait aléatoires :
S'appuyer sur l'ONU que l'Amérique a consciencieusement vidée de sa substance en contournant, bafouant toutes les règles internationales me semble un voeux pieux....!?
L'OTAN : Notre seul traité de défense collective....qui sera toujours à sens unique, dans le seul intérêt de l'Amérique...
Attendre l'implosion préalable de l'oligarchie poutinienne....
Depuis une bonne dizaine d'années, l'Occident s'est efforcé de déstabiliser le pouvoir politique Russe : "Affaire Skripal", "affaire Navalny", actions incessantes d'ONG à la solde de G. Soros
& C°...Opération spéciale ces onze derniers mois.... et pas un signe de flécissement. Il faut prendre le temps de consulter l'Histoire : Napoléon et Hitler comptaient sur cette
implosion....Ca n'a jamais marché...! Et ça ne semble pas en prendre le chemin !
Sous-estimer son adversaire est toujours une faute stratégique qui se paie au prix fort.
Nous y sommes !
Enfin, la "préservation de l'intérêt général" par les gouvernements occidentaux : En France en particulier, cela ne me semble pas au goût du jour...On assiste plutôt à
une remise de la Souveraineté Nationale entre les mains d'Uncle SAM sans compensation....! (cf : Conflit en Ukraine : Macron et la trahison ouverte des élites nationales
françaises)
Après les chars et les avions, sur ordre d'Uncle SAM, "ON" enverra nos soldats au casse-pipe....mais, pour quels intérêts ?
Aujourd'hui, Ze réclame des armes nucléaires...Il aurait tort de se priver : Comme précédemment,
l'occident pourrait bien plier le genou devant ces caprices meurtriers.
Au bilan, je crains fort que l'occident divisé politiquement, épuisé économiquement et socialement, militairement incapable de faire plus que de la figuration dans un conflit de haute
intensité, (cf : Les horrrrreuurrrs de la guerre - L'OTAN continue de se désarmer) n'ait d'autre option que de se rendre à l'évidence, faire contre
mauvaise fortune bon coeur face un scénario de fin de conflit vraissemblablement écrit par V. Poutine lui-même, dès qu'il sera en position favorable. mais, il n'est pas pressé, le temps joue
en sa faveur.
....A moins d'un ultime sursaut et en dernier recours, l'Occident (l'Amérique) pourra lancer "une frappe préventive de décapitation".
Ce n'est pas impossible car cette option figure noir sur blanc dans la doctrine d'emploi US des armes nucléaires...!
Advienne que pourra !
Personne n'est dans la tête de Poutine pas plus que dans celle de Biden...si il lui reste encore quelques neurones valides.
JMR
Russie : La fable de « l’agression non provoquée » mise à nu par les câbles de WikiLeaks
Source : Arrêt sur Info - par Drago Bosnic - Le 26/01/2023.
Les câbles de WikiLeaks révèlent que l’OTAN avait l’intention de franchir toutes les lignes rouges
russes
Drago Bosnic, analyste géopolitique et militaire indépendant
Depuis près d’un an, l’énorme machine de propagande occidentale manipule son public pour qu’il croie au récit de « l’agression non provoquée de la Russie en Ukraine
». Le « reportage » peut grossièrement se résumer à ce qui suit : « Le 24 février, le dictateur sanguinaire du Kremlin, Poutine, s’est levé du mauvais côté du lit et
a décidé d’attaquer le phare naissant de la liberté et de la démocratie à Kiev. » Ceci est obligatoire dans pratiquement tous les grands médias occidentaux et toute tentative de même penser à le remettre
en question entraîne une « annulation » immédiate . Des propagandistes se faisant passer pour des « experts » ont inondé les talk-shows politiques avec pour
tâche de présenter des décennies d’expansion incessante de l’OTAN comme sans rapport avec la réaction de la Russie.
Cependant, WikiLeaks, une organisation que les États-Unis tentent de fermer depuis plus d’une décennie, notamment à cause du traitement épouvantable de son fondateur Julian Assange, a
publié des câbles secrets montrant que ce récit ne pouvait pas être plus éloigné de la réalité. Les données indiquent que les responsables américains n’étaient pas seulement conscients de la
frustration causée par l’expansion de l’OTAN à Moscou, mais ont même été directement informés que cela entraînerait une réponse de la Russie. Et tandis que les États-Unis insistent souvent
sur le fait que la crise actuelle est le résultat du prétendu désir de Vladimir Poutine de « reconstruire l’Empire russe », WikiLeaks révèle que même son prédécesseur Boris Eltsine,
tristement célèbre pour sa soumission suicidaire à Washington DC, a mis en garde contre l’expansion de l’OTAN.
Pendant environ trois décennies, les administrations américaines consécutives ont été explicitement averties que l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN serait la goutte
d’eau pour Moscou. De nombreux responsables russes ont continué à avertir que cela déstabiliserait le pays post-soviétique profondément divisé. Ces avertissements ont été lancés à la
fois en public et en privé, et ont été réitérés par d’autres membres de l’OTAN, des experts géopolitiques, des chefs de l’opposition russe et même certains diplomates américains, dont un
ambassadeur américain à Moscou. Eltsine a dit un jour à l’ancien président Bill Clinton que l’expansion de l’OTAN n’était « rien d’autre qu’une humiliation pour la Russie si vous continuez
». Clinton, tristement célèbre pour son agression contre la Yougoslavie, a ignoré l’avertissement et en 1999, moins d’une décennie après que la promesse « pas un pouce à l’est » ait été faite.
Malgré cette intrusion, Vladimir Poutine a tout de même essayé de se rapprocher de l’Occident politique, a ratifié START II et a même proposé de rejoindre
l’OTAN. L’Amérique a répondu par un retrait unilatéral des principaux traités de contrôle des armements et des révolutions colorées dans l’arrière-cour géopolitique de Moscou. Au milieu des années
2000, la Russie était flanquée de deux régimes hostiles soutenus par les États-Unis à ses frontières sud et ouest (Géorgie et Ukraine). Les principaux membres de l’OTAN, tels que l’Allemagne
et la France, ont averti que cela conduirait à une réponse inévitable de Moscou. Un câble WikiLeaks daté de septembre 2005 indique :
« [Le conseiller présidentiel français Maurice] Gourdault-Montagne a averti que la question de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN restait extrêmement sensible pour
Moscou, et a conclu que s’il restait une cause potentielle de guerre en Europe, c’était l’Ukraine. Certains membres de l’administration russe estimaient que nous en faisons trop dans leur zone
centrale d’intérêt, et on pourrait se demander si les Russes pourraient lancer un mouvement similaire à Prague en 1968, pour voir comment l’Occident réagirait. »
WikiLeaks révèle en outre que les responsables allemands ont réitéré des
préoccupations similaires concernant la réaction de la Russie à l’expansion de l’OTAN en Géorgie et en Ukraine, en particulier à propos de cette dernière, le diplomate Rolf
Nikel déclarant : « Alors que la Géorgie n’était » qu’un insecte sur la peau de l’ours « , l’Ukraine était inséparablement identifiée avec la Russie, remontant à Vladimir
de Kiev en 988. » Un autre câble daté de janvier 2008 dit que « l’Italie est un ardent défenseur » de l’élargissement de l’OTAN, « mais s’inquiète de provoquer la Russie par
une intégration géorgienne précipitée ». Le Premier ministre norvégien Jonas Gahr Stoere a fait des remarques similaires, indique un câble
d’avril 2008. Bien qu’il pense que la Russie ne devrait pas avoir son mot à dire au sein de l’OTAN, il a déclaré qu' »il comprend les objections de la Russie à l’élargissement de
l’OTAN et l’alliance doit travailler à la normalisation des relations avec la Russie ».
Aux États-Unis, même certains responsables gouvernementaux de haut niveau ont fait des évaluations presque identiques. WikiLeaks révèle que ces avertissements
ont été présentés à Washington DC par nul autre que William Burns lui-même, ancien ambassadeur américain en Russie et actuel chef de
la CIA. Selon un câble daté de mars 2007 , Burns a déclaré : « L’élargissement de
l’OTAN et les déploiements de la défense antimissile américaine en Europe jouent sur la peur russe classique de l’encerclement. Des mois plus
tard, il a déclaré : « L’entrée de l’Ukraine et de la Géorgie représente une situation « impensable » pour la Russie et Moscou causerait suffisamment de troubles en Géorgie et un
désarroi politique continu en Ukraine pour y mettre un terme. Fait intéressant, Burns a également évalué que des liens plus étroits entre la Russie et la Chine étaient en grande
partie le « sous-produit des « mauvaises » politiques américaines » et n’étaient pas viables « à moins que l’élargissement continu de
l’OTAN ne rapproche encore plus la Russie et la Chine ».
En février 2008, Burns écrivait : « Les experts nous disent que la Russie est
particulièrement inquiète que les fortes divisions en Ukraine sur l’adhésion à l’OTAN, avec une grande partie de la communauté ethnique russe contre l’adhésion, pourraient conduire à une scission
majeure, impliquant la violence ou au pire, guerre civile. La Russie devrait alors décider d’intervenir ou non ; une décision à laquelle la Russie ne veut pas être confrontée ».
Un autre câble daté de mars 2008 déclarait que « s’opposer à
l’élargissement de l’OTAN à l’Ukraine et à la Géorgie était l’un des rares domaines de sécurité où il existe un consensus presque complet entre les décideurs politiques russes, les experts et la
population informée ». Un expert de la défense a déclaré que « l’Ukraine était la ligne de dernier recours qui achèverait l’encerclement de la Russie » et que « son
entrée dans l’OTAN était universellement considérée par l’élite politique russe comme un acte hostile ». Des dizaines d’autres câbles font des évaluations presque identiques
des changements radicaux dans la politique étrangère de la Russie si l’intrusion de l’OTAN devait se poursuivre.
Cependant, la grande majorité des responsables américains, quelle que soit l’administration, ont simplement rejeté tous les avertissements, les décrivant à
plusieurs reprises comme « souvent entendus, anciens, rien de nouveau, largement prévisibles, litanies familières et répétitions qui n’apportaient que peu de substance
nouvelle ». Étonnamment, même la compréhension de la Norvège susmentionnée des objections de Moscou a été qualifiée de « répétant la ligne de la Russie » . Alors que de
nombreux responsables allemands ont averti que la scission est-ouest au sein de l’Ukraine rendait l’idée
d’une adhésion à l’OTAN « risquée » et qu’elle pourrait « briser le pays », les responsables américains ont insisté sur le fait que ce n’était que temporaire et que cela changerait avec le
temps.
« Les inquiétudes du Kremlin face à une attaque militaire directe contre la Russie étaient très réelles et pourraient conduire ses dirigeants à prendre des
décisions irréfléchies et autodestructrices… …Fournir davantage d’équipements militaires américains et de conseils à l’Ukraine pourrait amener Moscou à réagir en organisant une nouvelle offensive
et s’emparant de plus de territoire ukrainien. »
Il est assez difficile de rejeter les affirmations de Moscou selon lesquelles la crise ukrainienne est un segment de l’agression globale contre la Russie alors que
les institutions financées par l’Occident politique lui-même admettent ouvertement que les événements actuels ont été planifiés il y a des années, voire des décennies. Et même si
l’impossible se produisait et que le géant eurasien décidait de se rendre et de succomber à la pression occidentale, où s’arrêterait l’agression menée par les États-Unis contre le monde ? Ou pire
encore, combien de temps avant qu’une catastrophe aux proportions cataclysmiques n’y mette fin ?
Article original WikiLeaks cables reveal NATO intended to cross all Russian red
lines sur Info BRICS, le portail des BRICS, http://infobrics.org/post/37557/ (20 janvier 2023)
Traduction en français par Alerte-Otan
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Le mythe de l’« invasion non provoquée » de l’Ukraine par Moscou
Près d’un an après l’entrée de la
Russie en Ukraine, le récit occidental d’une attaque « non provoquée » est devenu impossible à soutenir.
Le recul est un outil particulièrement puissant pour analyser la guerre en Ukraine, près d’un an après l’invasion russe.
En février dernier, il semblait vraisemblable, au moins d’un point de vue superficiel, de qualifier la décision du président russe Vladimir Poutine
d’envoyer des troupes et des chars chez son voisin de rien moins qu’un « acte d’agression non
provoqué ».
Poutine était soit un fou, soit un mégalomane,
tentant de remettre au goût du jour le programme impérial et expansionniste de l’Union soviétique. Si son invasion n’était pas endiguée, il constituerait une menace pour
le reste de l’Europe.
La courageuse et démocratique Ukraine avait besoin du soutien sans réserve de l’Occident – et d’un approvisionnement quasi illimité en armes – pour résister
à ce dictateur sans foi ni loi.
Mais ce récit semble de plus en plus manquer de sens, du moins si l’on ne se contente pas d’écouter les médias de l’establishment –
des médias qui n’ont jamais semblé aussi soumis aux puissants, aussi déterminés à battre le tambour de la guerre, aussi amnésiques et aussi irresponsables.
Toute personne qui prend ses distances avec les efforts incessants déployés au cours des 11 derniers mois pour intensifier un conflit qui entraîne
d’innombrables
morts et souffrances, fait monter en flèche les prix
de l’énergie, cause des pénuries
alimentaires mondiales et risque de dégénérer en affrontement
nucléaire – est accusée de trahir l’Ukraine et de soutenir Poutine.
Aucune dissidence n’est tolérée.
Poutine est Hitler, nous sommes en 1938, et toute personne cherchant à faire baisser
la tension ne vaut pas mieux que le premier ministre britannique Neville Chamberlain.
C’est du moins ce qu’on nous a dit et répété, en oblitérant soigneusement le contexte qui est pourtant la clé pour comprendre ce qui se passe.
La fin des « guerres éternelles »
Six mois à peine avant que Poutine n’envahisse l’Ukraine, le président Joe Biden a rapatrié l’armée américaine d’Afghanistan après deux décennies
d’occupation. Soi-disant pour mettre fin aux « guerres
éternelles » de Washington qui, a-t-il souligné, « ont fait couler des
flots de sang et d’argent étasuniens ».
La promesse implicite était que l’administration Biden allait non seulement sortir les troupes américaines des « bourbiers » du Moyen-Orient que sont
l’Afghanistan et l’Irak, mais aussi s’assurer que les impôts américains cessent de remplir les poches d’entrepreneurs militaires, de fabricants d’armes et des fonctionnaires étrangers
corrompus. L’argent américain serait dépensé chez nous, pour résoudre nos propres problèmes.
Mais depuis l’invasion de la Russie, on voit le contraire se produire. Dix mois plus tard, il semble ridicule de s’être imaginé que Biden ait jamais eu
l’intention de le faire.
Le mois dernier, le Congrès américain a approuvé une augmentation colossale du « soutien » essentiellement militaire à l’Ukraine, portant le total officiel
à quelque 100 milliards de dollars en moins d’un an, à quoi s’ajoutent sans doute beaucoup d’autres dépenses cachées au public. Ce montant dépasse de loin le budget
militaire annuel de la Russie, qui s’élève à 65 milliards de livres sterling.
Washington et l’Europe ont déversé
des armes, et des armes toujours plus
offensives, en Ukraine. Enhardi, Kiev a étendu le champ de bataille toujours plus profondément à
l’intérieur du territoire russe.
Les responsables américains, comme leurs homologues ukrainiens, parlent d’une guerre contre la Russie qui se poursuivra jusqu’à ce que Moscou soit
« vaincu »
ou que Poutine soit renversé, et qui prendra inévitablement la forme d’une nouvelle « guerre éternelle » identique à celles auxquelles Biden vient prétendument de renoncer, à ceci près
qu’elle se passe en Europe et pas au Moyen-Orient.
Ce week-end, dans le Washington Post,
Condoleezza Rice et Robert Gates, deux anciens secrétaires d’État américains, ont appelé Biden à « augmenter d’urgence
la fourniture d’armes et de capacités militaires à l’Ukraine (…) Il vaut mieux arrêter [Poutine] maintenant, avant que l’on n’exige davantage des États-Unis et de
l’OTAN ».
Le mois dernier, le chef de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a averti qu’une guerre directe entre l’alliance militaire occidentale et la Russie était une
« vraie
possibilité ».
Quelques jours plus tard, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a été accueilli en héros lors d’une visite « surprise » à Washington. La
vice-présidente américaine Kamala Harris et la présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi ont
déployé un grand drapeau ukrainien derrière leur invité, comme deux pom-pom girls en mal de notoriété, pendant qu’il s’adressait au Congrès.
Les législateurs américains ont salué Zelensky par une ovation de
trois minutes, plus longue encore que celle accordée à l’Israélien Benjamin Netanyahu, lui aussi un célèbre « homme de paix », grand défenseur de la démocratie. Le président ukrainien a
appelé à la « victoire absolue », en reprenant les
mots du président américain Franklin D. Roosevelt, lors de la seconde guerre mondiale.
Tout cela n’a fait que souligner le fait que Biden s’est rapidement approprié la guerre en Ukraine, en exploitant l’ « invasion non provoquée » de la Russie
pour mener une guerre étasunienne par procuration.
L’Ukraine a fourni le champ de bataille sur lequel Washington peut terminer le travail de sape entrepris pendant la guerre froide.
Étant donné le timing, on est
en droit de se demander, sans être cynique, si Biden ne s’est pas retiré de l’Afghanistan non pas pour se concentrer enfin sur le redressement des États-Unis, mais pour se préparer à une
autre confrontation, pour donner un nouveau souffle au même vieux scénario américain de domination
militaire totale sur le monde.
Était-il nécessaire d’« abandonner » l’Afghanistan pour que Washington puisse investir ses deniers dans une guerre contre la Russie, sans le risque de voir
ses enfants rentrer au pays dans des sacs mortuaires ?
Des intentions hostiles
La réponse convenue à cette question est que Biden et ses collaborateurs ne pouvaient pas savoir que Poutine était sur le point d’envahir l’Ukraine. C’était
la décision du dirigeant russe, pas celle de Washington. Sauf que…
De hauts responsables politiques américains et des experts des relations entre les États-Unis et la Russie – de George
Kennan à William
Burns, actuellement directeur de la CIA de Biden, en passant par John
Mearsheimer et le regretté Stephen
Cohen – préviennent depuis des années que l’expansion de l’OTAN aux portes de la Russie sous l’égide des États-Unis finirait par provoquer
une réponse militaire russe.
Poutine avait mis en garde contre les dangereuses conséquences d’une telle expansion, en
2008, lorsque l’OTAN a annoncé que l’Ukraine et la Géorgie – deux anciens États soviétiques situés à la frontière de la Russie – se proposaient d’adhérer à l’OTAN. Poutine n’a laissé
aucune place au doute en envahissant presque
immédiatement, bien que brièvement, la Géorgie.
C’est cette première réaction « non provoquée » qui a vraisemblablement retardé l’exécution du plan de l’OTAN. Néanmoins, en juin 2021, l’Alliance a
réaffirmé son intention d’accueillir l’Ukraine
dans l’OTAN. Quelques semaines plus tard, les États-Unis ont signé des pactes distincts sur la défense et le partenariat
stratégique avec Kiev, accordant à
l’Ukraine de nombreux avantages liés à l’appartenance à l’OTAN sans la déclarer officiellement membre.
Entre les deux annonces d’imminente adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, en 2008 et en 2021, les États-Unis n’ont pas caché leurs intentions hostiles à l’égard
de Moscou, ni la manière dont l’Ukraine pouvait contribuer à leur progression géostratégique agressive dans la région.
En 2001, peu après que l’OTAN a commencé à s’étendre vers les frontières de la Russie, les États-Unis se sont unilatéralement
retirés du traité de 1972 sur les missiles antibalistiques (ABM, ou Anti-Ballistic
Missile), destiné à éviter une course aux armements entre les deux ennemis historiques.
N’étant plus liés par le traité, les États-Unis ont alors construit des sites ABM dans la zone élargie de l’OTAN, en Roumanie en 2016 et en Pologne
en 2022. Ils ont prétendu qu’il s’agissait de sites purement défensifs, destinés à intercepter des missiles tirés par l’Iran.
Mais Moscou ne pouvait ignorer que ces systèmes d’armes étaient également capables de fonctionner de manière offensive et que des missiles de croisière à
charge nucléaire pouvaient pour la première fois être lancés vers la Russie sans qu’elle ait le temps de les intercepter.
Pour aggraver les préoccupations de Moscou, en 2019, le président Donald Trump s’est retiré unilatéralement du traité
de 1987 sur les forces nucléaires à portée intermédiaire. Cela a donné aux États-Unis la possibilité de lancer une première frappe sur la Russie, en utilisant des missiles
stationnés chez les nouveaux membres de l’OTAN.
Pendant que l’OTAN flirtait une nouvelle fois avec l’Ukraine au cours de l’été 2021, le risque que les États-Unis lancent, avec l’aide de Kiev, une frappe
préventive à laquelle Moscou ne pourrait pas riposter et qui réduirait à néant sa force de dissuasion nucléaire, devait hanter les décideurs russes.
Les empreintes digitales des États-Unis
Les choses ne se sont pas arrêtées là. L’Ukraine post-soviétique était profondément divisée géographiquement et électoralement sur la question de savoir si
elle devait se tourner vers la Russie pour sa sécurité et son commerce ou vers l’OTAN et l’Union européenne. Cette question a été au centre d’élections très serrées. L’Ukraine est un pays
en proie à une crise politique permanente et à une corruption
profonde.
C’est dans ce contexte que s’est produit en 2014 un coup d’État/une révolution qui a renversé à Kiev un gouvernement élu pour préserver de bonnes relations
avec Moscou. Un gouvernement ouvertement anti-russe a été installé à sa place. Les empreinte digitales de Washington – déguisées en « promotion de la démocratie » – étaient partout
visibles sur le changement soudain de gouvernement au profit d’un gouvernement étroitement aligné sur les objectifs
géostratégiques américains dans la région.
De nombreuses communautés russophones d’Ukraine – concentrées dans l’est, le sud et la péninsule de Crimée – ont été choquées par ce coup d’État. Craignant
que le nouveau gouvernement de Kiev, qui lui était profondément hostile, ne tente de mettre fin à son contrôle historique sur la Crimée et sur le seul port maritime d’eau chaude de la
Russie, Moscou a annexé la péninsule.
Selon un référendum organisé par la suite, la population locale a massivement soutenu cette décision. Les médias occidentaux ont prétendu que le référendum
était frauduleux, mais des sondages
ultérieurs ont montré qu’il reflétait fidèlement la volonté des habitants de la Crimée.
Mais c’était la région du Donbass, à l’est, qui devait servir de prétexte pour l’invasion de la Russie en février dernier. La guerre civile qui a rapidement
éclaté en 2014, opposait les communautés russophones de la région à des combattants ultra-nationalistes et
anti-russes, originaires pour la plupart de l’ouest de l’Ukraine, dont des néo-nazis
sans complexe. Plusieurs milliers de personnes sont mortes au
cours des huit années de combats.
Alors que l’Allemagne et la France négociaient les
accords dits de Minsk, avec l’aide de la Russie, pour mettre fin au massacre dans le Donbass en promettant à la région une plus grande autonomie, Washington encourageait l’effusion de
sang.
Washington a déversé d’énormes
quantités d’argent et d’armes en Ukraine. Il a formé les forces
ultranationalistes ukrainiennes et s’est efforcé d’intégrer l’armée ukrainienne dans l’OTAN par le biais de ce qu’il a appelé « l’interopérabilité ». En juillet 2021, alors que les tensions s’intensifiaient, les États-Unis ont organisé un exercice
naval conjoint avec l’Ukraine en mer Noire, l’opération Sea
Breeze, au cours duquel la Russie a tiré des coups
de semonce vers un destroyer de la marine britannique qui était entré dans les eaux territoriales de la Crimée.
À l’hiver 2021, comme l’a noté le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, Moscou avait « atteint
le point d’ébullition ». Les troupes russes se sont massées à
la frontière de l’Ukraine, pour donner le signal que les provocations orchestrées par les États-Unis en Ukraine commençaient à dépasser les bornes.
Le président Zelensky, qui semblait incapable de
maîtriser les éléments d’extrême droite au sein de sa propre armée, a fait exactement le contraire de
ce qu’il avait promis de faire s’il était élu, à savoir la paix dans le Donbass.
Les forces ukrainiennes ultra-nationalistes ont intensifié le
bombardement du Donbass dans les semaines précédant l’invasion.
Dans le même temps, Zelensky a suspendu des
médias critiques, avant d’interdire les partis politiques d’opposition et d’exiger des médias ukrainiens qu’ils mettent en œuvre une « politique
d’information unifiée ». Alors que les tensions montaient, le président ukrainien a agité la menace de développer des armes nucléaires et de demander une adhésion
accélérée à l’OTAN, ce qui aurait pour conséquence d’impliquer davantage l’Occident dans le massacre perpétré dans le Donbass (par le gouvernement ukrainien, ndt) et de lui faire
courir le risque d’une confrontation directe avec la Russie.
Éteindre les lumières
C’est alors, après 14 ans d’ingérence américaine aux frontières de la Russie, que « sans avoir été le moins du monde provoqué », Moscou a envoyé ses soldats
dans le Donbass.
L’objectif initial de Poutine, quoi qu’en disent les médias occidentaux, semblait être d’en faire le moins possible, étant donné que la Russie lançait une
invasion illégale. Dès le départ, la Russie aurait pu mener ses attaques actuelles et dévastatrices contre l’infrastructure civile ukrainienne, fermer les voies de communication
et éteindre
les lumières dans une grande partie du pays.
Mais la Russie semble avoir délibérément évité de se lancer dans une campagne de choc et
d’effroià la manière des États-Unis.
Au lieu de cela, elle s’est d’abord concentrée sur une démonstration de force. Moscou semble avoir supposé, à tort, que Zelensky reconnaîtrait que Kiev
avait exagéré, qu’il se rendrait compte que les États-Unis – situés à des milliers de kilomètres – ne pouvaient pas assurer sa sécurité, et qu’il serait contraint de désarmer les
ultranationalistes qui s’en prennent aux communautés russes de l’Est depuis huit ans.
Ce n’est pas ainsi que les choses se sont passées. Du point de vue de Moscou, l’erreur de Poutine n’est pas d’avoir lancé une guerre non provoquée contre
l’Ukraine mais d’avoir trop tardé à l’envahir. L’« interopérabilité » militaire de l’Ukraine avec l’OTAN était bien plus avancée que ce que croyaient les planificateurs russes.
Dans une récente interview, l’ancienne chancelière allemande Angela Merkel, qui a supervisé les négociations de Minsk visant à mettre fin au massacre du
Donbass, a semblé – bien que par inadvertance – faire
écho à ce point de vue : Les pourparlers ont servi de couverture pendant que l’OTAN préparait l’Ukraine à une guerre contre la Russie.
Au lieu d’une victoire rapide et d’un accord sur de nouvelles dispositions en matière de sécurité régionale, la Russie est désormais engagée dans
une longue
guerre par procuration contre les États-Unis et l’OTAN, les Ukrainiens servant de chair à canon. Les combats, et les morts pourraient se multiplier indéfiniment.
L’Occident étant résolu à ne pas rétablir la paix et à expédier
des armes aussi vite qu’ils peuvent les fabriquer, l’avenir semble sombre : il y aura soit une nouvelle division territoriale sanglante de l’Ukraine en blocs pro-russes et
anti-russes par la force des armes, soit une escalade vers une confrontation nucléaire.
Sans l’intervention incessante des États-Unis, l’Ukraine aurait, depuis longtemps, été obligée de trouver un arrangement avec son voisin beaucoup plus grand
et plus fort, tout comme le Mexique et le Canada ont dû le faire avec les États-Unis. L’invasion aurait été évitée. Aujourd’hui, le destin de l’Ukraine n’est plus dans ses mains. Elle est
devenue un pion sur l’échiquier des superpuissances.
Ce qui est important aux yeux de Washington, ce n’est pas l’Ukraine, c’est d’anéantir la force militaire de la Russie et de l’isoler de la Chine,
apparemment la prochaine
cible dans la ligne de mire des États-Unis qui veulent dominer totalement la planète.
En attendant, Washington a atteint un objectif plus large, en réduisant à néant tout espoir de compromis en matière de sécurité entre l’Europe et la Russie,
en renforçant la dépendance européenne à l’égard des États-Unis, tant sur le plan militaire qu’économique, et en poussant l’Europe à s’associer à ses nouvelles « guerres
éternelles » contre la Russie et la Chine.
Beaucoup plus d’argent sera dépensé et plus de sang sera versé. Il n’y aura pas de gagnants, à part les faucons néoconservateurs de la politique étrangère
qui dominent Washington et les lobbyistes de l’industrie
de la guerre qui tirent profit des aventures militaires sans fin de l’Occident.