Editorial n° 46 - le 03/06/2017.

COMMENT AMÉLIORER L'EFFICACITÉ DE LA LUTTE ANTITERRORISTE

1. RÉALITÉ DE LA MENACE

Alors que beaucoup d'observateurs s'interrogent sur ce que va être la politique antiterroriste du nouveau président de la République - lequel , comme son entourage, ne dispose d'aucune expérience en la matière -, quelques remarques s'imposent.

 

• Le terrorisme islamique est une menace de long terme. Il est actif depuis le début des années 1990 et rien ne permet de prédire qu'il disparaîtra au cours de la prochaine décennie. Il s'agit donc d'une menace présente pour longtemps encore. Il est essentiel d'intégrer cette temporalité.

Pour mémoire, les Britanniques luttent contre l'IRA depuis 1916 et n'en sont venus à bout que récemment ; les Israéliens sont confrontés au terrorisme palestinien depuis 1948 ; l'insurrection marxiste des FARC en Colombie dure depuis un demi-siècle; etc.

Rappelons qu'Al-Qaïda a déclaré la guerre aux États-Unis en 1996, il y a 20 ans, et qu'en dépit des moyens considérables mis en oeuvre par l'Amérique et ses alliés, ce mouvement n'a pas disparu. Au contraire, la lutte a donné lieu à un accroissement sans précédent des individus et des groupes candidats au djihad, partout dans le monde.

 

• Le terreau favorable à ce terrorisme est particulièrement fertile et le restera à moyen-terme : vigueur de l'islam radical soutenu par les monarchies du Golfe persique, chaos des sociétés du monde arabo-musulman, frustration des populations immigrées des pays occidentaux, crise économique rendant leur intégration de plus en plus erratique, sentiment exacerbé de victimisation de la part de certains musulmans, etc.

 

 

 

• Le danger provient davantage de nos banlieues que de l'étranger. La très grande majorité des auteurs des attentats de 2015 et de 2016 sont des Français, ayant ou non reçu une formation à l'étranger. Nous sommes donc bien face à une problématique de sécurité intérieure.

 

• Le climat totalement anxiogène dans lequel nous vivons aujourd'hui n'est pas illégitime, mais il est décuplé par la couverture excessive qu'accordent les médias aux terroristes et à leurs actes, leur offrant la publicité qu'ils recherchent.

 

 Il est légitime qu'une partie de l'opinion s'inquiète des atteintes aux libertés fondamentales en raison des nouveaux pouvoirs accordés aux forces de sécurité au nom de la lutte antiterroriste. Mais, il faut être pleinement conscient que nous sommes dans une situation où le danger est réel. Il est donc essentiel d'agir pour le réduire. Toutefois, nous vivons encore dans un système libéral et démocratique et le danger ne vient pas de la police ou des services de renseignement, mais bien du salafisme et du djihadisme. Il faut que le public sache qu'en l'absence de mesures sérieuses, notre système se renforce moins vite que la menace ne progresse.

 

• En revanche - et en dépit des attaques dont nous avons été victimes -, des points encourageants existent et méritent d'être relevés.

- Nos pires craintes ne se sont pas réalisées. Il n'y a pas eu de second « 11 septembre » et en 15 ans, les terroristes ont pas été en mesure de réaliser d'attentat à l'aide d'armes de destruction massive.

- Bien qu'Al-Qaïda et l'État islamique disposent d'effectifs qu'aucun groupe terroriste n'a eu avant eux, ce ne sont pas devenus des mouvements de masse. En effet, la grande majorité des musulmans du monde exprime une opinion négative à l'encontre des organisations djihadistes.

- La lutte contre le terrorisme a considérablement enrayé le développement de ces groupes, les plaçant sur la défensive et altérant progressivement leurs capacités d'action, notamment par l'élimination de leurs leaders.

- Malgré l'émotion suscitée, en France, par les attentats de 2015 et 2016, le terrorisme islamique représente la plus faible cause de mort violente dans notre pays, très loin derrière les homicides, les accidents de la route et les accidents domestiques.

- Y compris en nombre d'attentats ou de tentatives d'attentat, il se situe loin derrière les actions des séparatistes corses, basques ou antillais, lesquels font en revanche rarement de victimes.

- Si plusieurs centaines de jeunes Français ont rejoint les groupes terroristes, il importe de rappeler que l'immense majorité de notre jeunesse n'a pas été victime de cette attraction.

 

 La menace principale menace contre notre pays est davantage celle de l'islam radical que celle du terrorisme à proprement parler. La France est le pays de l'Union européenne qui compte la plus forte proportion de musulmans[1]. Si 90% d'entre eux sont des citoyens respectables pratiquant un islam modéré, une minorité très active, forte de plusieurs centaines de milliers d'individus, a décidé de déstabiliser la République en tentant d'imposer ses règles. Cette population prone un islam archaïque, intolérant, et véhicule un discours de haine qui encourage certains jeunes à rejoindre le djihad.

 

• En réaction aux attentats terroristes et à la radicalisation rampante de notre société, on observe la montée en puissance de groupes de l'ultra-droite prêts à passer à l'action violente en riposte, ce qui ne ferait qu'aggraver la situation.

2. LES MESURES QUI S'IMPOSENT

Depuis l'apparition de la menace djihadiste (2001) et suite aux attentats de 2015 et 2016, de nombreuses mesures ont été prises par les gouvernement successifs. Mais elles ont été généralement lentes, timides, partielles et sont toujours advenues en réaction à des attaques et jamais par anticipation. Il importe d'aller plus loin et de manière plus énergique.

 

 

Une réponse nécessairement globale

La lutte contre le terrorisme ne peut être efficace que si elle couvre un large champ d'action, allant de l'application des lois (code pénal adapté à la situation, état d'urgence) à la formation de la population à la détection des comportements à risque (ce qui n'a jamais été fait, à la différence d'Israel), en passant par le renforcement des services de renseignement, de sécurité et d'enquête judiciaire, comme par celui des forces de sécurité intérieure (gendarmerie, police), qu'il s'agisse de protection ou d'intervention. Il convient également de ne pas oublier l'édiction de nouvelles règles de sécurité (transports, lieux publics, grandes manifestations populaires) et l'indispensable travail en profondeur pour comprendre les ressorts des individus déterminés à passer à l'action (déradicalisation, etc.).

Sur le plan intérieur

Désigner clairement l'ennemi intérieur. Ce n'est pas l'islam. Ce ne sont pas les musulmans. Ce sont les salafistes, les wahhabites et les Frères musulmans. Ils représentent une véritable cinquième colonne sur notre territoire, infiltrant la société française, notamment la population de confession musulmane. Nous devons les combattre avec la plus grande fermeté :

. en fermant, tous les pôles de diffusion de l'idéologie islamiste en France (mosquées, associations, centres et librairies radicales) ;

. en imposant l'interdiction des signes extérieurs du radicalisme en bonne intelligence avec nos compatriotes musulmans. Le niqab et la burqa sont des signes explicites d'affirmation de l'appartenance à ces mouvances fondamentalistes haineuses qui 

rejettent ouvertement nos valeurs. Comme l'a exprimé Tarik Oubrou, l'imam de Bordeaux, « Quand un habit devient ostentatoire, on n'est plus dans l'éthique, car se montrer pour se montrer, c'est ridicule. L'habit ne fait pas le (la) musulmane».

 

- Développer une véritable stratégie de contre-radicalisation plus appropriée que celle mise en place par le gouvernement début 2015, se caractérisant par une grande naïveté et qui n'a pas atteint ses objectifs. Une telle démarche doit être fondée sur la maîtrise des phénomènes cognitifs et ne se construit pas en dénigrant l'autre, mais en réaffirmant la supériorité de nos valeurs.

 

- Lutter contre la délinquance, car avant d'être des terroristes, les individus qui commettent des attentats prétendument « religieux » sont d'abord des délinquants, ayant presque tous des casiers judiciaires. Ils se sont généralement convertis à l'islam radical en prison afin d'assouvir leurs pulsions de mort. Or, en raison des trafics d'armes qui irriguent les banlieues françaises, ces individus disposent de tout l'arsenal nécessaire pour conduire leurs actions. Ainsi, la délinquance prépare le terrain et l'islamisme rafle la mise.

 

- Procéder à la reconquête sécuritaire, économique et sociale des « territoires perdus », ces zones de banlieue qui échappent à l'autorité et à l'action des forces de l'ordre et des services publics,. Ce sont des espaces « hors droit » dans lesquels délinquance, trafics et islam radical se développent en toute impunité.

 

- Rétablir les contrôles aux frontières pour maitriser notre territoire et gêner la mobilité de terroristes.

 

- Faire appliquer nos lois. En effet, en dépit d'un dispositif législatif assez complet et approprié, tout se passe comme si le principe même d'autorité était tabou et nos dirigeants sont extrêmement réticents à l'appliquer... ce qui affaiblit le pays et démotive les forces de l'ordre. Il revient aux politiques de faire preuve de courage et de donner l'ordre à la police et à la gendarmerie de faire le nécessaire pour faire respecter les lois.

 

Appliquer les articles du code pénal et du code de sûreté militaire relatifs à la trahison et à l'intelligence avec l'ennemi[2].. En effet, les Français qui ont rejoint Daesh ou Al-Qaïda, ont participé à des actions armées - à l'étranger comme sur sur le sol national - et sont sans aucune ambigüité des traîtres. Ils doivent donc recevoir le traitement réservé aux traîtres.

 

- Accroître les effectifs des services de renseignement et de sécurité qui demeurent insuffisants au regard de la menace. Parallèlement, il convient d'inverser la logique de notre dispositif de renseignement intérieur, qui souffre d'une trop grande centralisation, et d'améliorer la connaissance de l'islam les services, où elle est insuffisante.

 

Renforcer les moyens et les budgets des forces de l'ordre qui n'ont cessé d'être réduits depuis plus de vingt ans et dégager nos armées des tâches de sécurité intérieure de l'opération Sentinelle. Plus largement, il est grand temps de repenser l'organisation Police/Gendarmerie.

 

- Renforcer davantage la coopération interne, entre les services (DGSE, DRM, DPSD, DGSI), la police, la gendarmerie, les douanes, l'administration pénitentiaire, mais aussi l'administration fiscale et les services sociaux, afin de lutter efficacement contre la rédicalisation et le terrorisme. Veiller à atténuer le dédain manifesté par la DGSI à l'égard des autres services

 

- Accroître le nombre de magistrats spécialisés qui demeure aujourd'hui insuffisant au regard du nombre de procédures en cours.

Sur le plan international

Reconsidérer notre politique étrangère et désigner clairement l'ennemi extérieur et ses soutiens. En effet, nous sommes en pleine contradiction car nous avons découplé la lutte contre le terrorisme de la lutte contre le salafisme, le wahhabisme et l'idéologie des Frères musulmans qui le nourrissent. Nous conduisons une politique étrangère irresponsable en nous alliant à des Etats qui soutiennent l'islamisme et le terrorisme (Arabie saoudite, Qatar, Turquie, etc.), nous privant de ce fait d'une relation avec des services syriens qui nous serait d'une grande aide pour endiguer les actions des djihadistes de retour sur notre sol. Une remise en cause de nos relations diplomatiques avec ces Etats est indispensable. Sans un changement majeur de notre politique étrangère, il n'y aura guère d'évolution possible.

 

 

*

 

 

La menace terroriste islamiste s'est installée durablement. C'est une triste réalité qu'il convient d'accepter. Quelle que soit l'importance des moyens attribués à la lutte antiterroriste, il est et restera impossible d'empêcher tous les attentats, ainsi qu'en témoignent les exemples des Etats-Unis ou d'Israël. De plus, à ce jour, il n'existe pas de méthode ni d'arme magique contre cette menace. D'ou l'importance de tenir un discours clair aux Français afin d'accroître la résilience de notre société.

Mais cela ne signifie nullement que nous soyons démunis face à cette menace. Rappelons que, confrontée à la menace anarchiste de la fin du XIXe siècle, la Troisième République avait réagi de manière extrêmement énergique en décrétant et en faisant appliquer des lois - qualifiées de « scélérates » par ceux qui en furent, à juste titre, les victimes - qui ont été la clé de son succès.

C'est la raison pour laquelle il nous faut réagir sans attendre, car les mesures décidées aujourd'hui mettront plusieurs années avant de porter leurs fruits, nous plaçant, durant cette période, en situation de vulnérabilité accrue. La lutte antiterroriste un combat permanent et global, qui nécessite réalisme et constance, détermination et mesure.

 


  • [1] 10 à 12%. Elle n'est devancée que par la Bulgarie (7 millions d'abitants) dont près de 30% de la population est d'origine turque et musulmane.
  • [2] Code de justice militaire, art. L331-2 : « Le fait, en temps de guerre par tout Français ou tout militaire au service de la France, de porter les armes contre la France constitue un acte de trahison puni de le réclusion criminelle à perpétuité et de 750 000 euros d'amende ».
  • Code pénal, De la trahison et de l'espionnage, art. 411-4 : « Le fait d'entretenir des intelligences avec une puissance étrangère avec une entreprise ou organisation étrangère ou sous contrôle étranger ou avec leurs agents, en vue de susciter des hostilités ou des actes d'agression contre la France, est puni de trente ans de détention criminelle et de 450 000 euros d'amende. Est puni des mêmes peines le fait de fournir à une puissance étrangère, une entreprise ou une organisation étrangère ou sous contrôle étranger ou à leurs agents les moyens d'entreprendre des hostilités ou d'accomplir des actes d'agression contre la France ».

 

Source : http://www.cf2r.org/fr/editorial-eric-denece-lst/comment-ameliorer-efficacite-de-la-lutte-antiterroriste.php

 

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