POLITIQUES ETRANGERES...

...par Thierry Meyssan

 

Consultant politique, président-fondateur du Réseau Voltaire.

 

Dernier ouvrage en français : Sous nos yeux - Du 11-Septembre à Donald Trump(2017).


La politique étrangère de Theresa May

Le 27/03/2018.

Cet article fait suite à : « La politique étrangère du président Macron », par Thierry Meyssan, Réseau Voltaire, 13 mars 2018.

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Global Britain

Le 13 novembre dernier, Theresa May profitait du discours annuel du Premier ministre à la mairie de Londres pour donner un aperçu de la nouvelle stratégie britannique, après le Brexit [1]. Le Royaume-Uni entend rétablir son Empire (Global Britain) en promouvant le libre-échange mondial avec l’aide de la Chine [2] et en écartant la Russie des instances internationales avec l’aide de ses alliés militaires : les États-Unis, la France, l’Allemagne, la Jordanie et l’Arabie saoudite.

Rétrospectivement, tous les éléments de ce que nous voyons aujourd’hui furent abordés dans ce discours, même si nous ne l’avons pas immédiatement compris.

Revenons un instant en arrière. En 2007, le président russe, Vladimir Poutine, intervenait à la Conférence sur la sécurité de Munich. Il observait que le projet de monde unipolaire porté par l’Otan était par essence anti-démocratique et il appelait les États européens à se désolidariser de ce fantasme états-unien [3]. Sans répondre à cette remarque de fond sur l’absence de démocratie dans les relations internationales, l’Otan dénonçait alors la volonté de la Russie d’affaiblir la cohésion de l’Alliance afin de mieux la menacer. 
Cependant, un expert britannique, Chris Donnelly, a depuis affiné cette rhétorique. Pour affaiblir l’Occident, la Russie tenterait de délégitimiser son système économique et social sur lequel est fondé sa puissance militaire. Ce serait le mobile caché des critiques russes, notamment à travers ses médias. Observons que Donnelly ne répond pas plus que l’Otan à la remarque de fond de Vladimir Poutine, mais pourquoi débattre de démocratie avec un individu que l’on suspecte a priorid’autoritarisme ?

Je pense tout à la fois que Donnelly a raison dans son analyse, et la Russie dans son objectif. En effet, le Royaume-Uni et la Russie sont deux cultures diamétralement opposées. 
Le premier est une société de classe avec trois niveaux de nationalité fixés par la loi et figurant sur les papiers d’identité de chacun, tandis que la seconde —comme la France— est une Nation créée par la loi, où tous les citoyens sont « égaux en Droit » et où la distinction britannique entre droits civiques et droits politiques est impensable [4]. 
Le but de l’organisation sociale au Royaume-Uni est l’accumulation de biens, tandis qu’en Russie il est de construire sa personnalité individuelle. Ainsi, au Royaume-Uni la propriété foncière est massivement concentrée entre quelques mains, au contraire de la Russie et surtout de la France. Il est quasi-impossible d’acheter un appartement à Londres. Tout au plus peut-on —comme à Dubaï— souscrire un bail de 99 ans. Depuis des siècles, la ville, dans sa presque totalité, n’appartient qu’à quatre personnes. Lorsqu’un Britannique décède, il décide librement à qui ira son héritage, et pas nécessairement à ses enfants. Au contraire, lorsque un Russe meurt, l’Histoire recommence à zéro : ses biens sont répartis à égalité entre tous ses enfants quelle que soit la volonté du défunt. 
Oui, la Russie tente de délégitimiser le modèle anglo-saxon, ce qui est d’autant plus facile que c’est une exception qui horrifie le reste du monde lorsqu’il le comprend.

Revenons à la politique de Theresa May. Deux mois après son intervention au banquet du Lord Mayor, le chef d’état-major de Sa Majesté, le général Sir Nick Carter, prononçait le 22 janvier 2018 un très important discours, entièrement consacré à la guerre à venir contre la Russie, où il se fondait sur la théorie de Donnelly [5]. Tirant les leçons de l’expérience syrienne, il décrivait un ennemi doté d’un nouvel arsenal, extrêmement puissant (c’était deux mois avant que le président Poutine ne révèle la modernisation de ses armes nucléaires [6]). Il affirmait la nécessité de disposer de troupes terrestres plus nombreuses, de développer l’arsenal britannique, et de se préparer à une guerre où l’image qu’en donneraient les médias serait plus importante que les victoires sur le terrain.

Le lendemain de cette conférence choc au Royal United Services Institute (le think tank de la Défense), le Conseil de sécurité nationale annonçait la création d’une unité militaire de lutte contre la « propagande russe » [7].

Où en le projet britannique ?

Bien que la Commission des Affaires étrangères de la Chambre des Communes ait mis en doute la réalité du projet de Global Britain [8], plusieurs points ont avancé, malgré un gros écueil.

Il importe de comprendre que Madame May ne tente pas de changer de politique, mais de réordonner la politique de son pays. Au cours du dernier demi-siècle, le Royaume-Uni a tenté de s’intégrer à la construction européenne, perdant progressivement les avantages hérités de son ancien Empire. Il s’agit désormais, non pas d’abandonner ce qui a été fait durant cette période, mais de rétablir l’ancienne hiérarchie du monde, lorsque les fonctionnaires de Sa Majesté et la gentry vivaient dans des clubs, aux quatre coins du monde, servis par les peuples locaux.

- En voyage en Chine la semaine suivant le discours de Sir Nick Carter, Theresa May y négocia de nombreux contrats commerciaux, mais entra en conflit politique avec ses hôtes. Beijing refusa de se distancier de Moscou, et Londres refusa de soutenir le projet de route de la soie. Le libre échange, oui, mais pas à travers des voies de communication contrôlées par la Chine. Depuis 1941 et la Charte de l’Atlantique, le Royaume-Uni partage la charge des « espaces communs » (maritimes et aériens) avec les États-Unis. leurs deux flottes sont conçues pour être complémentaires, même si celle de l’US Navy est beaucoup plus puissante que celle de l’Amirauté. 
Par la suite, la Couronne a activé le gouvernement de son dominion australien pour reconstituer les Quads, le groupe anti-chinois qui se réunissait sous le mandat de Bush Jr. [9]. Il est constitué, outre de l’Australie, du Japon, de l’Inde et des États-Unis. 
D’ores et déjà, le Pentagone planche sur les possibilités de créer des troubles à la fois sur la route de la soie maritime dans le Pacifique et sur la route terrestre.

- L’Alliance militaire annoncée a été constituée sous la forme du très secret « Petit Groupe » [10]. L’Allemagne qui traversait une crise gouvernementale n’y a pas participé au début, mais il semble que ce retard ait été réparé début mars. Tous les membres de cette conjuration ont coordonné leur action en Syrie. Malgré leurs efforts, ils ont échoué par trois fois à organiser une attaque chimique sous faux drapeau dans la Ghouta occidentale, les armées syrienne et russe ayant saisi leurs laboratoires d’Aftris et de Chifonya [11]. Toutefois, ils sont parvenus à publier un communiqué commun anti-Russe sur l’affaire Skripal [12] et ont mobilisé à la fois l’Otan [13] et l’Union européenne contre la Russie [14].

Comment cela peut-il évoluer ?

Il est évidemment étrange de voir la France et l’Allemagne soutenir un projet qui a explicitement été énoncé contre eux : Global Britain, dans la mesure où le Brexit n’est pas tant un retrait de la bureaucratie fédérale de l’Union européenne, qu’une mise en rivalité.

Quoi qu’il en soit, Global Britain se résume aujourd’hui à : 
- la promotion du libre-échange mondial, mais exclusivement dans le cadre thalassocratique, c’est-à-dire avec les États-Unis contre les voies de communication chinoises ; 
- et à la tentative d’exclure la Russie du Conseil de sécurité et de couper le monde en deux, ce qui implique les manipulations en cours avec des armes chimiques en Syrie et l’affaire Skripal.

Plusieurs conséquences incidentes de ce programme peuvent être anticipées :

- La crise actuelle reprend des éléments de celle de la fin du mandat Obama, sauf que Londres —et non plus Washington— est désormais au centre du jeu. Le Royaume-Uni qui ne peut plus s’appuyer sur le secrétaire d’État Rex Tillerson, va se tourner vers le nouveau conseiller national de Sécurité US, John Bolton [15]. Contrairement aux allégations de la presse états-unienne, celui-ci n’est pas du tout un néo-conservateur, mais un proche de Steve Bannon. Il refuse que son pays soit soumis au droit international et hurle contre les communistes et les musulmans, mais en réalité il n’a pas l’intention de lancer de nouvelles guerres entre États et souhaite uniquement être tranquille chez lui. Il ne manquera pas de signer toutes les déclarations qu’on lui proposera contre la Russie, l’Iran, le Venezuela, la Corée du Nord, etc. Londres ne pourra pas le manipuler pour exclure Moscou du Conseil de sécurité car son objectif personnel n’est pas de le réformer, mais de se débarrasser de l’Onu. Il sera par contre un fidèle allié pour conserver le contrôle des « espaces communs » et lutter contre la « route de la soie » chinoise, d’autant qu’il fut, en 2003, l’initiateur de l’Initiative de Sécurité contre la prolifération (Proliferation Security Initiative - PSI). On devrait donc voir surgir ici et là, sur le tracé des voies chinoises, de nouvelles pseudo-guerres civiles alimentées par les Anglo-Saxons.

- L’Arabie saoudite prépare la création d’un nouveau paradis fiscal au Sinaï et en mer Rouge, le Neom. Il devrait remplacer Beyrouth et Dubaï, mais pas Tel-Aviv. Londres le connectera avec les différents paradis fiscaux de la Couronne —dont la City de Londres qui n’est pas anglaise, mais dépend directement de la reine Elisabeth— pour garantir l’opacité du commerce international.

- La multitude d’organisations jihadistes, qui reflue du Levant, est toujours contrôlée par le MI6, via les Frères musulmans et l’Ordre des Naqchbandis. Ce dispositif devrait être redéployé principalement contre la Russie —et non contre la Chine ou dans les Caraïbes comme actuellement envisagé—.

Après la Seconde Guerre mondiale, nous avons assisté à la décolonisation des Empires européens, puis après la guerre contre le Vietnam à la financiarisation par les Anglo-Saxons de l’économie mondiale et enfin, après la dissolution de l’Union soviétique à la tentative de domination du monde par les seuls États-Unis. Aujourd’hui, avec la montée en puissance de la Russie moderne et de la Chine, le fantasme d’un monde culturellement globalisé et gouverné de manière unipolaire s’estompe tandis que les puissances occidentales —et particulièrement le Royaume-Uni— reviennent à leur propre rêve impérial. Bien sûr, le haut niveau d’éducation actuel dans leurs anciennes colonies les oblige à repenser leur mode de domination.


La politique étrangère du président Macron

Le 13/03/2018.


Selon le président Macron, « France is back » (en anglais dans le texte). Elle entendrait jouer à nouveau un rôle international, après dix années de déshérence. Cependant Emmanuel Macron n’a jamais expliqué quelle politique il entend mener. Reprenant des éléments qu’il a déjà développés dans ces colonnes et les resituant à la fois dans le contexte européen et dans l’Histoire de ce pays, Thierry Meyssan analyse le virage qui vient d’être amorcé.

 

Source : http://www.voltairenet.org/article200032.html


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Lorsqu’Emmanuel Macron s’est présenté à la présidence de la République française, il ignorait tout des Relations internationales. Son mentor, le chef de l’Inspection générale des Finances (un corps de 300 hauts-fonctionnaires), Jean-Pierre Jouyet, lui fit dispenser une formation accélérée.

Le prestige de la France avait été considérablement affaibli par les deux précédents présidents, Nicolas Sarkozy et François Hollande. Du fait de son absence de priorité et de ses innombrables retournements, la position française était désormais perçue comme « inconsistante ». Aussi débuta-t-il son mandat en rencontrant le plus grand nombre de chefs d’État et de gouvernement, montrant que la France se repositionnait comme une puissance médiatrice, capable de parler avec tous.

Après avoir serré des mains et invité à dîner, il lui fallu donner un contenu à sa politique. Jean-Pierre Jouyet [1] proposa de rester dans le camp atlantique, tout en misant sur les Démocrates états-uniens qui, selon lui, devraient revenir à la Maison-Blanche peut-être même avant les élections de 2020. Alors que les Britanniques quittent l’Union européenne, la France resserrerait étroitement son alliance avec Londres tout en conservant des rapports avec Berlin. L’Union devrait être recentrée sur la gouvernance de l’euro. Elle mettrait un terme au libre-échange avec les partenaires qui ne le respectent pas et créerait de grandes entreprises sur Internet capables de rivaliser avec celles du GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). Elle devrait également se doter d’une défense commune contre le terrorisme. Avec ses alliés, elle s’engagerait dans la lutte contre l’influence russe. Enfin, la France poursuivrait son action militaire au Sahel et au Levant.

En septembre 2017, Jean-Pierre Jouyet fut nommé ambassadeur de France à Londres. En janvier 2018, la France et le Royaume-Uni relançaient leur coopération diplomatique et militaire [2]. Toujours en janvier, les deux États formaient une instance secrète, le « Petit Groupe », pour relancer la colonisation franco-britannique du Levant [3].

Cette politique, qui n’a jamais été discutée en public, ignore à la fois l’Histoire de France et la demande allemande de jouer un rôle politique international plus important. La quatrième économie du monde est en effet, soixante dix ans après sa défaite, toujours maintenue dans un rôle secondaire [4].

Concernant le monde arabe, le président Macron —énarque et ancien de Rothschild & Cie— a adopté le point de vue de ses deux consultants en la matière : le franco-tunisien Hakim El Karoui —un autre ancien de Rothschild & Cie— pour le Maghreb et l’ancien ambassadeur à Damas Michel Duclos —un énarque— pour le Levant. El Karoui n’est pas un produit de l’intégration républicaine, mais de la haute bourgeoisie transnationale. Il alterne un discours républicain au plan international et un autre communautaire au plan intérieur. Duclos est un authentique néoconservateur, formé aux États-Unis sous George W. Bush par Jean-David Levitte [5]

Or, El Karoui n’a toujours pas compris que les Frères musulmans sont un instrument du MI6 britannique, et Duclos que Londres n’a pas digéré les accords Sykes-Picot-Sazonov qui lui ont fait perdre la moitié de son empire au Moyen-Orient [6]. Les deux hommes ne voient donc pas de problème dans la nouvelle « entente cordiale » avec Theresa May.

On peut d’ores et déjà mesurer certaines incohérences de cette politique. En application des décisions du « Petit Groupe », la France a repris l’habitude de l’équipe du président Hollande de relayer à l’Onu les positions de ses employés de l’opposition syrienne (ceux qui se réclament du drapeau du mandat français sur la Syrie [7]). Mais les temps ont changé. La lettre de l’actuel président de la « Commission syrienne de négociation », Nasr al-Hariri, transmise au nom de la France au Conseil de sécurité injurie non seulement la Syrie, mais aussi la Russie [8]. Elle accuse l’une des deux principales puissances militaires au monde [9] de perpétrer des crimes contre l’Humanité ce qui contrevient à la position « médiatrice » d’un membre permanent du Conseil. Si Moscou a préféré ignorer cet écart de langage, Damas y a sèchement répondu [10].

En définitive, la politique d’Emmanuel Macron ne diffère guère de celles de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, même si, du fait de la présence de Donald Trump à la Maison-Blanche, elle s’appuie plus sur le Royaume-Uni que sur les États-Unis. L’Élysée poursuit l’idée d’un relèvement économique pour ses multinationales non pas en France, mais dans son ancien Empire colonial. Il s’agit des mêmes choix que ceux du socialiste Guy Mollet, un des fondateurs du Groupe de Bilderberg [11]. En 1956, le président du Conseil français fit alliance avec Londres et Tel-Aviv pour conserver ses parts dans le Canal de Suez nationalisé par le président Gamal Abdel Nasser. Il proposa à son homologue britannique, Anthony Eden, que la France intègre le Commonwealth, qu’elle fasse allégeance à la Couronne, et que les Français adoptent le même statut de citoyenneté que les Irlandais du Nord [12]. Ce projet d’abandon de la République et d’intégration de la France au sein du Royaume-Uni sous l’autorité de la reine Élisabeth II ne fut jamais discuté publiquement.

Peu importent l’idéal d’égalité en Droit exposé en 1789 et le rejet du colonialisme exprimé par le Peuple français face au coup d’État avorté de 1961 [13], aux yeux du Pouvoir, la politique étrangère ne ressort pas de la démocratie.

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