Prévisions 2019 pour l’Europe

....par Andrew Korybko - le 29/12/2018.

 

Commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik.

 

Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). 


Le passé éclaire souvent l’avenir, et une rétrospective des événements européens les plus significatifs de l’année écoulée peuvent nous permettre d’émettre quelques pronostics sur celle qui s’ouvre devant nous. Voici donc, sans notion d’ordre : le rapprochement du Royaume-Uni d’un « Hard Brexit » ; l’« Initiative des Trois Mers », menée par la Pologne, se renforçant de plus en plus comme « cordon sanitaire »soutenue par les USA pour séparer la Russie et l’Allemagne ; l’alliance entre partis populistes italiens de gauche et de droite ; la France et l’Allemagne plongées chacun à son niveau dans des soulèvements populaires, sur fond de politiques économiques pour l’une, et migratoire pour l’autre ; et les développements troublants dans les Balkans après que le gouvernement issu de la révolution de couleur macédonienne a signé un « accord de renommage » controversé avec la Grèce ; et la province serbe du Kosovo, occupée par l’OTAN, proclamant la création d’une « armée » propre.

 

Pour commencer avec le premier de la liste précédente, il est probable que le Royaume-Uni aille jusqu’au bout d’un « Hard Brexit », quelles que soient les spéculations des observateurs. L’instabilité politique qui a émergé depuis quelques mois, causée par le manque de direction de Theresa May, Premier ministre, sur ce sujet, pourrait en revanche provoquer un changement de régime dans le pays, dont il reste difficile d’évaluer les conséquences ; on pourrait voir le parti travailliste prendre les rênes du pays, ou une personnalité plus conservatrice prendre le pouvoir. De l’autre coté de la Manche, l’Union européenne va se trouver sous pression pour résoudre sa crise d’identité persistante, et se décider : ou bien une véritable centralisation sous gouvernance allemande, ou bien l’engagement vers le modèle de décentralisation prôné par la Pologne, dont l’« Initiative des Trois Mers » constitue un premier jet.

Varsovie travaille main dans la main avec Washington sur ce projet, dans le but de se repositionner comme une puissance régionale sur laquelle il faudra compter, en mesure de compliquer les relations russo-allemandes. Les tentatives conjuguées de la Pologne et des USA de faire capoter le North Stream II vont probablement échouer, mais les deux pays vont probablement approfondir leurs liens mutuels en matière d’énergie, et essayer de les étendre vers l’espace des « Trois Mers », en modernisant les chemins d’échanges énergétiques, qui répondent au besoin politique de diversification des économies, et de sortie du giron de la dépendance russe en la matière. Voilà à quoi ressemble le projet sur le papier, mais les choses seront plus compliquées dans la réalité une fois le North Stream II et le Turkish Stream entrés en exploitation. On peut résumer ce point en énonçant que les objectifs géopolitiques de l’« Initiative des Trois Mers » sont visionnaires, mais trop ambitieux pour se voir accomplis dans un avenir prédictible.

Ceci étant dit, le mouvement idéologique de décentralisation euro-réaliste qui est derrière est quant à lui beaucoup plus puissant : il a déjà créé une sorte de bloc d’influence régional avec le groupe de Visegrad, qui vise à s’étendre à travers les régions d’Europe centrale et d’Europe de l’est, pour se poser en contradicteur des euro-libéraux d’Europe occidentale, qui ont encore la main sur l’Union européenne. Les processus politiques qui ont été libérés au cours des dernières années ont fini par atteindre l’Italie début 2018, et ont amené à la formation sans précédent d’un gouvernement de coalition populiste entre la gauche et la droite, qui a fortement compliqué les tentatives de l’axe franco-allemand de centraliser les affaires européennes, elles-mêmes initiées après la victoire surprise du Brexit à l’été 2016. Ces transformations de la situation européenne vont se poursuivre l’an prochain, et vont faire de l’Italie l’un des États les plus influents du continent sur le plan politique.

Quant aux Balkans, souvent considérés comme un « coin oublié » d’Europe du sud, ils vont recommencer à gronder et à s’agiter quelque peu, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le gouvernement sorti de la révolution de couleur en Macédoine est en porte-à-faux avec la volonté du peuple sur l’« accord de renommage » controversé conclu avec la Grèce : le référendum organisé à ce sujet récemment n’a pas atteint le quorum légal, mais le gouvernement persiste. Des craintes courent également de voir les autorités réaliser une « partition interne » du pays, en le transformant en « fédération » entre la majorité macédonienne et la minorité albanaise. La soi-disant « Question albanaise » est revenue faire la une après que le Kosovo viole sa propre « Constitution » auto-promulguée, en constituant une « armée ». Il reste pour autant peu probable de voir Belgrade réagir de façon tangible face à cela.

Somme toute, les tendances principales qui seront derrière les événements de l’an prochain en Europe résident dans l’opposition entre euro-réalistes et euro-libéraux quant à l’avenir de l’UE, la montée de l’« Initiative des Trois Mers » comme « cordon sanitaire »entre la Russie et l’Allemagne, et les ingérences américaines dans la zone explosive des Balkans. Il est possible, mais fort peu probable, de voir la France et l’Allemagne entrer en compétition pour diriger l’UE, si Macron finit par sentir que Merkel est trop faible pour maintenir sa main-mise, et des chances existent également que l’on voie l’Ukraine replonger dans la guerre civile. Dans l’ensemble, l’Europe est au milieu du gué de profonds changements systémiques, qui vont rendre cette région d’Eurasie, jusqu’ici stable, de plus en plus imprévisible à l’avenir.

Le présent article constitue une retranscription partielle de l’émission radiophonique context countdown, diffusée sur Radio Sputnik le vendredi 28 décembre 2018.

Source : https://lesakerfrancophone.fr/previsions-2019-pour-leurope

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