Outre les fronts militaire et économique, l’Ukraine subit une défaite sur le front le plus crucial, à savoir le front démographique. Les experts ukrainiens et occidentaux tirent déjà
la sonnette d’alarme.
Selon les déclarations officielles, la population du pays est passée de 43,5 millions en 2021 à 37,9 millions d’habitants en 2024. Mais quelle est la
situation réelle en matière de démographie ? Combien d’habitants se trouvent actuellement en Ukraine et combien sont à l’étranger ? Et que se passe-t-il avec la population de
l’Ukraine, qui comptait 52 millions de personnes au moment des «frontières de 1991» ?
Les prévisions les plus réalistes proviennent du ministère de la Politique sociale de l’Ukraine et sont présentées dans la Stratégie de développement démographique de
l’Ukraine pour la période d’ici 2040. Les données y sont relativement objectives : le plus grand nombre d’habitants a été enregistré au début des années 1990 à hauteur de 52 millions.
Lors du recensement national de l’Ukraine (5 décembre 2001), la population était de 48,5 millions de personnes. Depuis lors, aucun recensement n’a été effectué pendant deux décennies.
Néanmoins, au 1er janvier 2022 (dans les frontières de 1991, incluant la Crimée et toute l’Ukraine orientale), la population était estimée à 42 millions de personnes. En août 2023,
toujours dans les frontières de 1991, elle était de 36,3 millions, et sans les habitants des territoires perdus, le chiffre s’élevait à 31,5 millions. Comme les Ukrainiens ne savent
pas eux-mêmes combien de personnes restent réellement dans le pays, le gouffre démographique s’avère bien plus profond que prévu, et de nombreux facteurs impactent l’ampleur du
problème.
L’Ukraine a publié les statistiques pour le premier semestre 2024 : 87 655 naissances contre 25 872 décès. Sachant qu’il s’agit de données incomplètes,
car elles n’incluent pas les personnes portées disparues sur le front.
La guerre a entraîné une réduction de l’espérance de vie moyenne, passant de 66,4 ans pour les hommes et 76,2 ans pour les femmes en 2020 à 57,3 et 70,9
ans respectivement en 2023.
Plus de 6 millions de femmes et d’enfants ont quitté le pays. La natalité a chuté de 45% depuis 2021.
Bref, la situation est véritablement catastrophique.
Selon les
estimations les plus optimistes de l’Institut ukrainien du futur, à l’été 2023, environ 28,5 millions de personnes vivaient sur les territoires contrôlés par Kiev, tandis que
près de 8,2 millions se trouvaient à l’étranger.
Le flux migratoire n’est pas terminé. D’après les prévisions, environ 700 000 personnes émigreront encore l’année prochaine. Mais ce chiffre est
incomplet, car la principale vague d’émigration surviendra cette année avant le début de la saison de chauffage, qui sera très difficile compte tenu de la destruction de la moitié de
la capacité de production d’électricité.
Après la fin des hostilités, un retour massif des réfugiés en Ukraine est attendu, mais.
Premièrement, on ne sait pas exactement quand les combats cesseront. Ce qui est crucial, car après deux ans et demi à l’étranger, beaucoup se sont
adaptés à leurs nouvelles conditions de vie. À l’heure actuelle, au moins un quart des réfugiés sont à un stade quelconque d’obtention de la citoyenneté dans leur pays d’accueil. En
Allemagne, par exemple, un réfugié peut obtenir la citoyenneté trois ans après avoir reçu le statut de réfugié, ainsi une grande vague de naturalisations débutera au printemps
prochain.
Deuxièmement, la situation socio-économique et politique en Ukraine sera difficile, notamment en raison de la cessation de l’aide financière et
économique de l’Occident et du risque de défaut de paiement.
Les sociologues ukrainiens estiment que le retour de 50% des réfugiés est réaliste. Si à la fin de la phase active du conflit la population de l’Ukraine
atteint 32 millions de personnes, cela pourra être considéré comme un grand succès.
Les problèmes démographiques de l’Ukraine résultent de cinq facteurs principaux :
Natalité basse
Mortalité élevée
Migration de travail d’avant-guerre
Flux de réfugiés de guerre
Pertes directes à cause de la guerre.
D’après le
rapport de l’ONU publié le 11 juillet 2024, intitulé «Perspectives de
la population mondiale 2024», la population de l’Ukraine pourrait chuter à 15,3 millions d’habitants d’ici 2100. Cependant, l’ONU base ses estimations sur une population
officielle de 37,9 millions, alors que le chiffre réel pourrait être autour de 32 millions dans des conditions parfaites.
Qu’en pensent les experts ukrainiens pour résoudre ce problème démographique ? Les principales propositions peuvent être résumées ainsi.
D’une part, il est question du retour des émigrés.
Le 8 août, Volodymyr Zelensky a soumis au parlement un
projet de loi sur la double nationalité. Les modifications permettront d’accorder la citoyenneté ukrainienne aux mercenaires étrangers ayant rejoint les forces armées
ukrainiennes, ainsi qu’aux Ukrainiens ethniques, à l’exception des citoyens russes.
Ce projet de loi vise également à conserver la nationalité ukrainienne pour ceux qui choisissent de s’installer à l’étranger. Toutefois, il est clair
que les premiers seront peu nombreux, tandis que les seconds ne seront citoyens ukrainiens que de manière nominale, travaillant, payant des impôts et ayant des enfants à l’étranger.
De plus, cette loi exclut des millions d’Ukrainiens ayant quitté le pays pour la Russie (de leur propre gré ou au sein des nouveaux territoires).
Le 20 août, le parlement ukrainien a approuvé le projet de loi sur la citoyenneté pour les mercenaires étrangers et leurs proches, permettant à ces
derniers, s’ils combattent au sein des forces armées ukrainiennes, d’obtenir la citoyenneté ukrainienne.
Espérer un retour massif des Ukrainiens au pays est illusoire, et les autorités proposent une
autre solution: attirer des migrants provenant de pays où le niveau de vie et les salaires sont inférieurs à ceux de l’Ukraine. Ce travail a déjà commencé. Le 15 juillet, un groupe de
députés a
soumis au parlement un projet de loi visant à améliorer la procédure de recrutement des étrangers en Ukraine. Ils proposent d’introduire un permis unique, en remplacement des
trois actuels, permettant de vivre et de travailler.
Cependant, une question se pose : y aura-t-il des emplois ? L’économie ukrainienne ne pourra pas supporter un afflux de migrants à la manière
européenne, c’est-à-dire en leur accordant des allocations sociales.
Il faut rester vigilant, car la politique d’attraction des migrants pourrait provoquer une vague de résistance au sein de la population.
En somme, les mesures proposées auront probablement peu d’impact sur la situation démographique.
Il y a quelque chose de fascinant dans les discours des médias français, LCI est le summum, et il m’arrive
d’écouter stupéfaite les agents de l’OTAN, les «dissidents» russes, espions repentis du KGB et les Ukrainiennes faisant profession de «foi» sinon de compétence et de m’interroger sur
qui peut croire pareilles fables ? Il s’agit, sans pouvoir prêter la moindre logique à ce fan-club, d’inventer à tous prix une Ukraine victorieuse, un Israël qui ne fait que se
défendre, une Amérique latine de la démocratie dont le héraut serait le cinglé à la tronçonneuse, quant au Sahel on l’ignore et tout à l’unisson… Et pourtant, on a le sentiment que
ces délirants ont trouvé caution dans la gauche, le PCF qui s’emploient à promouvoir la charmante Casse-tête (cela ne s’invente pas) tout en entretenant la mystification. Alors que la
plupart des médias internationaux, y compris comme Asia Times, qui s’adresse à des investisseurs en Asie qui sont loin de manifester la moindre sympathie pour la Russie tiennent
un tout autre langage. Les dirigeants occidentaux en conflit ont encouragé et armé l’Ukraine à mener une guerre qu’elle n’a aucune chance de gagner, tel est le diagnostic de
l’article publié ci-dessous. Et le grand perdant l’Allemagne n’en peut plus et la publication de la thèse du sabotage attribuée à l’Ukraine reçoit une explication unanime, arrêter de
s’autodétruire pour l’Ukraine… Bizarre, vous avez dit bizarre ? Drôle de drame…
Danielle
Bleitrach
*
par Jan
Krikke
«Tout ce qui reste
de l’Occident, c’est la tentative de plus en plus artificielle, voire folle, d’arrêter la roue de l’histoire… Dans cette Europe sénile, les nations, les États et les classes
dirigeantes… gardent leur foi dans les vaines formules de liberté et de progrès». – Oswald Spengler, «Le déclin de
l’Occident»
En juin de cette année, le quotidien allemand Handelsblatt a
révélé que le dirigeant allemand Olaf Scholtz, alors qu’il était ministre des Finances en 2020, avait tenté de conclure un accord secret avec l’administration Trump pour éviter les
sanctions américaines sur le gazoduc Nord Stream 2.
Deux ans plus tard, début février 2022, quelques semaines avant le déclenchement de la guerre en Ukraine, Scholtz, en tant que chancelier allemand,
s’est rendu à la Maison-Blanche pour s’entretenir avec le président américain Joe Biden sur la crise qu’il subissait d’une manière croissante.
Lors d’une conférence de presse en direct à l’issue de leurs entretiens, Biden a été interrogé sur son point de vue sur Nord Stream, le système de
gazoducs qui livre du gaz russe à l’Europe. Le président américain a répondu en
disant : «Si la Russie
envahit l’Ukraine, il n’y aura plus de Nord Stream 2. Nous y mettrons fin».
Scholtz, debout à côté du président américain, a été invité à répondre. Le dirigeant allemand a affirmé que les États-Unis et l’Allemagne étaient sur la
même longueur d’onde concernant l’Ukraine. Sans mentionner Nord Stream, il a implicitement approuvé sa destruction.
Mais au moment où il parlait, le chancelier allemand semblait mal à l’aise. A-t-il réfléchi à la façon dont l’histoire le jugerait pour avoir
effectivement donné le feu vert à la destruction extrajudiciaire d’une partie cruciale de l’infrastructure civile allemande ? Et comment cela créerait-il un nouveau précédent pour les
normes internationales de comportement ?
Encercler la
Russie
À première vue, l’Occident semble avoir une vision schizophrénique de la Russie. Après l’effondrement de l’URSS, l’Europe et la Russie ont développé des
liens économiques croissants qui ont abouti au premier accord Nord Stream entre la chancelière allemande Angela Merkel et le président russe Vladimir Poutine en 2005.
Le gouvernement américain s’est opposé à Nord Stream, apparemment parce qu’il rendrait l’Allemagne trop dépendante de l’énergie russe. Merkel ne
partageait évidemment pas les préoccupations de l’Amérique.
Le président américain Donald Trump a néanmoins imposé des sanctions à l’encontre des entreprises impliquées dans Nord Stream. Pour des raisons peu
claires, Nord Stream était devenu une partie du programme «Make America Great» de Trump.
Le président de l’époque a signé une loi aux très nombreuses conséquences, connue sous le nom de Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act
(CAATSA), qui permettait aux États-Unis de sanctionner toute entreprise qui travaillait avec des entreprises allemandes et russes sur Nord Stream pour «protéger la
sécurité énergétique des alliés des États-Unis».
Avec des amis comme celui-ci, qui a besoin d’ennemis ou, comme Henry Kissinger l’aurait dit dans un rare moment de candeur : «Il peut être
dangereux d’être l’ennemi de l’Amérique, mais être l’ami de l’Amérique est fatal».
La guerre en Ukraine a résulté de l’échec de l’Occident à remodeler la Russie à sa propre image néolibérale. Après l’effondrement de l’URSS, les
États-Unis avaient un allié en la personne de Boris Eltsine, le successeur de Mikhaïl Gorbatchev.
Eltsine a suivi les conseils des économistes américains pour transformer la Russie en une économie néolibérale. Seule une thérapie de choc pourrait
mettre la Russie sur la voie d’une économie de marché démocratique, ont-ils conseillé.
Les «réformes du marché» qui ont suivi ont abouti au pillage des ressources russes par des entrepreneurs bien connectés qui ont formé une classe
d’oligarques qui ont gagné des milliards.
Ils ont immédiatement transféré leur richesse à l’étranger et ont acheté des clubs de football en Angleterre et des trophées immobiliers sur la Riviera
française tandis que des retraités russes étaient assis dans les rues de Moscou pour vendre leurs médicaments pour acheter de la nourriture.
Lorsque le nationaliste Poutine a remplacé le mondialiste Eltsine, l’Occident a doublé l’expansion de l’OTAN.
Politique
étrangère américaine : un accord bipartite de l’État profond sur
l’encerclement de la Russie
Un
pari stratégique raté
Que ce soit sous Gorbatchev, Eltsine ou Poutine, les États-Unis n’ont jamais cessé leur politique de guerre froide visant à affaiblir la Russie. Le
président Jimmy Carter a soutenu les moudjahidines afghans, précurseurs des Taliban, et tous les présidents américains successifs, qu’ils soient démocrates ou républicains, ont
continué à s’ingérer ouvertement ou secrètement dans les pays situés à la frontière méridionale de la Russie.
L’architecte idéologique de la stratégie visant à contenir la Russie était Zbigniew Brzezinski, conseiller à la sécurité nationale de Carter. L’Ukraine
joue un rôle central dans la doctrine Brzezinski, qui l’identifie comme la clé pour empêcher l’intégration économique russo-européenne. Aujourd’hui encore, l’establishment américain à
l’étranger regorge de protégés de Brzezinski.
Avec l’Ukraine, l’Occident a fait un pari stratégique majeur qui a échoué. Les sanctions paralysantes contre la Russie auraient dû faire exploser
l’économie russe, entraînant un soulèvement populaire et conduisant au remplacement de Poutine par un dirigeant pro-occidental. Il aurait dû être la mère de tous les changements de
régime.
Un autre mondialiste au Kremlin aurait été une aubaine pour Wall Street, car la Russie est le pays le plus riche du monde en termes de richesses
naturelles. Compte tenu de l’importance croissante des ressources naturelles, la Russie représente une riche opportunité d’investissement pour les 100 prochaines années.
Fin
de partie
Après l’attaque d’espionnage contre Nord Stream en 2022, les gouvernements occidentaux ont lancé diverses «pistes» pour identifier les auteurs. Ils
n’ont fourni aucune preuve, mais les conseils ont contribué à brouiller les pistes et ont fourni un récit alternatif à la déclaration audacieuse de Biden sur Nord Stream.
L’Allemagne, le Danemark et la Suède ont mené des pseudo-enquêtes sur le sabotage de Nord Stream et ont refusé de partager leurs conclusions, tandis que
l’Occident a opposé son veto à une demande russe d’une enquête indépendante de l’ONU.
Au début du mois d’août, le Wall Street
Journal (WSJ) a fait état de nouvelles pistes de Nord Stream, suggérant que des agents ukrainiens avaient exécuté l’attaque au su du dirigeant ukrainien Volodymyr
Zelensky.
Une lecture optimiste du récit du WSJ est
que l’Occident prépare l’opinion publique à jeter Zelensky sous le bus, ouvrant ainsi la voie à son remplaçant pour négocier la paix avec la Russie. Zelensky a admis que les
négociations antérieures de Minsk avec la Russie visaient à gagner du temps pour renforcer l’armée ukrainienne, se disqualifiant ainsi en tant que partenaire de négociation de bonne
foi.
Outre l’Ukraine elle-même, l’Occident est le grand perdant de la guerre. Gouvernés par une génération de néolibéraux et d’atlantistes pour qui
l’idéologie l’emporte sur le bon sens économique, militaire et historique, ils ont encouragé et facilité l’Ukraine à mener une guerre contre une superpuissance nucléaire et
militaro-industrielle qu’elle n’avait aucune chance de vaincre.
Pour les atlantistes, l’idéologie l’emporte même sur l’éthique et la morale.
L’une des conséquences les plus tragiques de la guerre pour l’Ukraine est la crise démographique. D’une part, plus de 700 000 soldats sont morts ou ont
été gravement blessés sur le champ de bataille et, d’autre part, 12 millions d’Ukrainiens ont émigré, ce qui laisse environ 20 millions de personnes dans le pays et crée un déficit
démographique qui sera difficile à combler. Dans le même temps, les élites occidentales exercent une pression de plus en plus forte pour que l’Ukraine ouvre ses frontières à
l’immigration, ce qui risque de créer encore plus de problèmes dans l’avenir.
La démographie ukrainienne ne reviendra jamais à la situation d’avant-guerre. Quels que soient les efforts déployés par le régime de Kiev et
ses soutiens internationaux pour rapatrier certains des millions de réfugiés ukrainiens dans le monde, il est extrêmement difficile que ces mesures aboutissent. Afin que les
Ukrainiens qui ont émigré en Europe et aux États-Unis reviennent en Ukraine, des politiques autoritaires, telles que l’arrestation et l’expulsion du pays, pourraient être mises en
œuvre. Il serait alors impossible pour ces pays de continuer à maintenir leur masque «démocratique». De plus, il est important de rappeler que la plupart des Ukrainiens ont fui pour
se réfugier en Russie et sont de véritables opposants à la junte de Maïdan.
En attendant, la machine de guerre ne semble pas vouloir s’arrêter. Zelensky a accepté d’obéir au plan occidental de «combattre jusqu’au dernier
Ukrainien». Même avec plus de 700 000 victimes sur le champ de bataille, la reddition n’est toujours pas une option pour le régime. Bien qu’elle sache que la défaite est inévitable,
l’Ukraine continue de recruter de nouveaux soldats chaque jour. Les personnes âgées, les femmes, les personnes ayant de graves problèmes de santé et même les adolescents sont déjà
visés par les mesures draconiennes de mobilisation, ce qui rend l’avenir de la population ukrainienne encore plus critique.
La violence de la politique de mobilisation ukrainienne devient de plus en plus inquiétante pour la stabilité politique du régime lui-même. Il est courant de
voir des vidéos circuler sur Internet montrant des gens ordinaires dans les rues de l’Ukraine attaquant des centres de recrutement, ainsi que des soldats ukrainiens capturant et
battant des civils dans les villes pour les forcer à aller au front. Le mécontentement populaire atteint des niveaux de plus en plus élevés et il est probable que des frictions plus
graves entre le peuple et l’État se produiront à l’avenir.
De nombreux civils ukrainiens sont armés. En 2022, lors de la campagne de diversion russe dans les faubourgs de Kiev, le gouvernement ukrainien a distribué des
armes à la population, invoquant la «nécessité de protéger la capitale». Ces armes n’ont évidemment jamais été rendues, et aujourd’hui le régime n’a plus le contrôle de la plupart des
équipements militaires circulant dans les villes ukrainiennes. À cela s’ajoutent les trophées de guerre apportés par des vétérans traumatisés qui ne veulent pas retourner au front et
sont prêts à tout pour continuer à vivre avec leur famille. Il semble que ce ne soit qu’une question de temps avant que les gens commencent à utiliser ces armes pour se protéger et
protéger leurs proches de la mobilisation forcée.
Ce processus de mobilisation est un cercle vicieux : plus le gouvernement met en œuvre des politiques de recrutement forcé, plus les gens se révoltent
et tentent de fuir. On signale fréquemment que des Ukrainiens traversent les frontières pour se rendre dans des pays tels que la Hongrie et la Roumanie. Nombre de ces citoyens ukrainiens meurent en raison des dangers liés au franchissement illégal de la frontière. Toutefois, pour l’Ukrainien ordinaire, tout danger semble
en valoir la peine si l’on considère la possibilité d’échapper à une mort certaine dans le «broyeur de viande» des lignes de front.
Il est également important de rappeler que de nombreux soldats qui n’ont pas pu échapper à la mobilisation se rendent dans la zone de guerre et, s’ils
ont la chance de franchir les lignes intermédiaires sans être anéantis par l’artillerie russe, «changent de camp», se rendant rapidement dès qu’ils aperçoivent l’ennemi. Les Ukrainiens qui se sont rendus sont si nombreux que les forces armées russes créent même des bataillons entiers de soldats
ukrainiens expatriés prêts à combattre le régime néo-nazi.
Dans une guerre, les pertes d’un pays ne se limitent pas aux victimes des hostilités. L’émigration massive et la capitulation doivent également être
prises en compte, car ces citoyens ukrainiens ne reviendront certainement jamais dans leur pays. Récemment, un général polonais a déclaré que les pertes ukrainiennes devaient se compter «en millions», car l’émigration doit également être considérée comme une sorte de
«perte», puisque chaque citoyen ukrainien qui quitte le pays signifie un soldat de moins – et pas seulement un soldat de moins, mais aussi un travailleur de moins pour l’industrie
nationale.
Ce scénario nous donne une idée de ce que sera l’Ukraine d’après-guerre : un pays en faillite, aux infrastructures dévastées, endetté (car aucun
programme d’aide occidental n’est «gratuit») et ne disposant pas d’un personnel suffisant pour travailler à la reconstruction nationale. Avec des millions d’habitants en moins,
l’Ukraine ne pourra pas se reconstruire seule. Et il semble qu’elle n’aura que peu ou pas de soutien de la part des pays «partenaires», puisque ces États sont contrôlés par une élite
de prédateurs financiers qui s’intéressent précisément à profiter des dettes infinies de l’Ukraine.
Certains «experts» européens ont proposé à l’Ukraine de mettre en œuvre certaines mesures d’urgence, notamment l’introduction d’un régime de visas pour
les citoyens quittant le pays, la fermeture d’universités et l’ouverture d’écoles techniques professionnelles, ainsi que l’accueil d’immigrants du Moyen-Orient et d’Afrique pour
réapprovisionner le marché du travail national.
Ces mesures sont conformes à la mentalité libérale européenne typique. Ce sont des politiques qui apportent un faux sentiment de «solution» aux
problèmes de l’Ukraine, mais qui ne feront qu’entraîner des conséquences encore plus négatives à long terme. L’introduction du régime des visas suscitera un grave mécontentement
populaire et aggravera les tensions internes actuelles. Le remplacement des universités par des écoles techniques, bien qu’il puisse aider à court terme à la formation de
professionnels, fera de l’Ukraine un pays dépourvu de professionnels hautement qualifiés dans quelques années. Enfin, l’immigration risque de provoquer une véritable agitation sociale
dans le pays.
Les immigrants deviendront une main-d’œuvre moins chère et plus intéressante pour l’élite ukrainienne, entraînant le chômage de la population autochtone
restante. Et il ne sera certainement pas facile de concilier l’arrivée d’étrangers avec la mentalité collective néo-nazie et raciste avec laquelle des millions d’Ukrainiens ont été
endoctrinés après dix ans de lavage de cerveau. Il en résultera certainement une très grave catastrophe sociale.
En fait, il n’y a qu’une seule solution au problème démographique de l’Ukraine : une capitulation rapide en acceptant les conditions de paix russes, y
compris la fin des liens avec l’OTAN. Cela permettrait d’établir de bonnes relations avec Moscou et d’attirer les investissements de l’économie russe en pleine croissance ainsi que
ceux des partenaires russes, y compris la Chine. L’Ukraine serait rapidement reconstruite et de nombreux émigrants souhaiteraient revenir pour profiter de la croissance économique du
pays – un scénario qui sera impossible si l’Ukraine d’après-guerre continue d’être contrôlée par les prédateurs financiers occidentaux.
Si l’Occident envisage
sérieusement la possibilité d’un conflit entre grandes puissances, il doit examiner attentivement sa capacité à mener une guerre prolongée et à poursuivre une stratégie axée sur
l’attrition plutôt que sur la manœuvre.
Les guerres d’usure requièrent leur propre «art de la guerre» et sont menées selon une approche «centrée sur la force», contrairement aux guerres de
manœuvre qui sont «centrées sur le terrain». Elles s’appuient sur une capacité industrielle massive permettant de remplacer les pertes, sur une profondeur géographique permettant
d’absorber une série de défaites et sur des conditions technologiques empêchant des mouvements terrestres rapides. Dans les guerres d’attrition, les opérations militaires sont
déterminées par la capacité d’un État à remplacer les pertes et à créer de nouvelles formations, et non par des manœuvres tactiques et opérationnelles. Le camp qui accepte la nature
attritionnelle de la guerre et qui se concentre sur la destruction des forces ennemies plutôt que sur la conquête du terrain a le plus de chances de l’emporter.
L’Occident n’est pas préparé à ce type de guerre. Pour la plupart des experts occidentaux, la stratégie d’attrition est contre-intuitive.
Historiquement, l’Occident a toujours préféré les affrontements courts entre armées professionnelles, où le vainqueur remporte tout. Les jeux de guerre récents, tels que
la guerre
du SCRS sur Taïwan, ont couvert un mois de combat. La possibilité que la guerre se poursuive n’a jamais été évoquée. C’est le reflet d’une attitude occidentale commune. Les
guerres d’usure sont considérées comme des exceptions, quelque chose à éviter à tout prix et généralement le produit de l’incompétence des dirigeants. Malheureusement, les guerres
entre puissances voisines sont susceptibles d’être des guerres d’attrition, grâce à la grande quantité de ressources disponibles pour remplacer les pertes initiales. La nature
attritionnelle du combat, y compris l’érosion du professionnalisme due aux pertes, nivelle le champ de bataille, quelle que soit l’armée qui a commencé avec des forces mieux
entraînées. Au fur et à mesure que le conflit s’éternise, la guerre est gagnée par les économies et non par les armées. Les États qui s’en rendent compte et qui mènent une telle
guerre par le biais d’une stratégie d’attrition visant à épuiser les ressources de l’ennemi tout en préservant les leurs ont plus de chances de l’emporter. Le moyen le plus rapide de
perdre une guerre d’usure est de se concentrer sur la manœuvre, en dépensant des ressources précieuses pour des objectifs territoriaux à court terme. Reconnaître que les guerres
d’usure ont leur propre art est essentiel pour les gagner sans subir de pertes désastreuses.
La dimension
économique
Les guerres d’usure sont remportées par les économies qui permettent une mobilisation massive des armées grâce à leurs secteurs industriels. Les armées
se développent rapidement au cours d’un tel conflit, nécessitant des quantités massives de véhicules blindés, de drones, de produits électroniques et d’autres équipements de combat.
L’armement haut de gamme étant très complexe à fabriquer et consommant de vastes ressources, il est impératif de disposer d’un mélange haut-bas de forces et d’armes pour remporter la
victoire.
Les armes haut de gamme ont des performances exceptionnelles mais sont difficiles à fabriquer, surtout lorsqu’il s’agit d’armer une armée rapidement
mobilisée et soumise à un taux d’attrition élevé. Par exemple, pendant la Seconde Guerre mondiale, les
Panzersallemands étaient
de superbes chars d’assaut, mais en utilisant à peu près les mêmes ressources de production, les Soviétiques ont produit huit T-34 pour chaque Panzer allemand. La différence de
performance ne justifiait pas la disparité numérique de la production. Les armes haut de gamme nécessitent également des troupes haut de gamme. L’entraînement de ces dernières prend
beaucoup de temps, un temps qui n’est pas disponible dans une guerre où les taux d’attrition sont élevés.
Il est plus facile et plus rapide de produire un grand nombre d’armes et de munitions bon marché, surtout si leurs sous-composants sont interchangeables
avec des produits civils, ce qui permet de produire en masse sans avoir à étendre les chaînes de production. Les nouvelles recrues absorbent également plus rapidement des armes plus
simples, ce qui permet de créer rapidement de nouvelles formations ou de reconstituer des formations existantes.
Il est difficile pour les économies occidentales haut de gamme d’atteindre la masse. Pour atteindre l’hyper-efficacité, elles se débarrassent de leurs
capacités excédentaires et peinent à se développer rapidement, d’autant plus que les industries de niveau inférieur ont été transférées à l’étranger pour des raisons économiques. En
temps de guerre, les chaînes d’approvisionnement mondiales sont perturbées et les sous-composants ne peuvent plus être sécurisés. À ce problème s’ajoute le manque de main-d’œuvre
qualifiée ayant de l’expérience dans un secteur particulier. Ces compétences s’acquièrent au fil des décennies et, une fois qu’une industrie est fermée, il faut des décennies pour la
reconstruire. Le
rapport interagences du gouvernement américain de 2018 sur la capacité industrielle des États-Unis a mis en évidence ces problèmes. En définitive, l’Occident doit se pencher
sérieusement sur la question de la capacité excédentaire en temps de paix de son complexe militaro-industriel, sous peine de perdre la prochaine guerre.
Génération de
forces
La production industrielle existe pour être canalisée vers le remplacement des pertes et la création de nouvelles formations. Cela nécessite une
doctrine appropriée et des structures de commandement et de contrôle. Il existe deux modèles principaux : l’OTAN (la plupart des armées occidentales) et l’ancien modèle soviétique, la
plupart des États se situant entre les deux.
Les armées de l’OTAN sont très professionnelles et s’appuient sur un corps de sous-officiers solide, doté d’une formation et d’une expérience militaires
approfondies en temps de paix. Elles s’appuient sur ce professionnalisme pour leur doctrine militaire (principes
fondamentaux, tactiques et techniques) afin de mettre l’accent sur l’initiative individuelle, en déléguant une grande marge de manœuvre aux officiers subalternes et aux
sous-officiers. Les formations de l’OTAN jouissent d’une agilité et d’une souplesse extraordinaires qui leur permettent d’exploiter les possibilités offertes par un champ de bataille
dynamique.
Dans une guerre d’attrition, cette méthode présente un inconvénient. Les officiers et les sous-officiers nécessaires à l’exécution de cette doctrine ont
besoin d’une formation approfondie et, surtout, d’expérience. Il
faut des années pour former un sous-officier de l’armée américaine. Un chef d’escouade a généralement au moins trois ans de service et un sergent de section en a au moins
sept. Dans une guerre d’attrition caractérisée par de lourdes pertes, on n’a tout simplement pas le temps de remplacer les sous-officiers perdus ou de les former pour de nouvelles
unités. L’idée que des civils puissent suivre des cours de formation de trois mois, recevoir des chevrons de sergent et ensuite être censés se comporter de la même manière qu’un
vétéran de sept ans est une recette qui mène au désastre. Seul le temps peut générer des chefs capables d’exécuter la doctrine de l’OTAN, et le temps est une chose que les exigences
massives de la guerre d’attrition ne donnent pas.
L’Union soviétique a construit son armée en vue d’un conflit à grande échelle avec l’OTAN. Elle devait être en mesure de se développer rapidement en
faisant appel à des réserves massives. Tous les hommes de l’Union soviétique ont suivi une formation de base de deux ans à la sortie de l’école secondaire. Le renouvellement constant
du personnel enrôlé a empêché la création d’un corps de sous-officiers de type occidental, mais a généré une réserve massive de réservistes semi-entraînés disponibles en temps de
guerre. L’absence de sous-officiers fiables a créé un modèle de commandement centré sur les officiers, moins souple que celui de l’OTAN, mais plus adaptable à l’expansion à grande
échelle requise par la guerre d’attrition.
Toutefois, à mesure qu’une guerre progresse au-delà d’un an, les unités de première ligne acquièrent de l’expérience et un corps de sous-officiers
amélioré est susceptible d’émerger, ce qui confère au modèle soviétique une plus grande flexibilité. En 1943, l’Armée
rouge avait mis en place un solide corps de sous-officiers, qui a ensuite disparu après la Seconde Guerre mondiale, avec la démobilisation des formations de combat. L’une des
principales différences entre les modèles est que la doctrine de l’OTAN ne peut fonctionner sans des sous-officiers très performants. La doctrine soviétique était renforcée par des
sous-officiers expérimentés, mais n’en avait pas besoin.
Le modèle le plus efficace est un mélange des deux, dans lequel un État maintient une armée professionnelle de taille moyenne, ainsi qu’une masse de
conscrits disponibles pour la mobilisation. Cela conduit directement à un mélange haut/bas. Les forces professionnelles d’avant-guerre forment la partie supérieure de cette armée,
devenant des brigades de pompiers – se déplaçant de secteur en secteur dans la bataille pour stabiliser la situation et mener des attaques décisives. Les formations de bas de gamme
tiennent la ligne et acquièrent lentement de l’expérience, augmentant leur qualité jusqu’à ce qu’elles acquièrent la capacité de mener des opérations offensives. La victoire est
obtenue en créant les formations de bas de gamme de la plus haute qualité possible.
L’entraînement et l’expérience du combat permettent de transformer les nouvelles unités en soldats aptes au combat plutôt qu’en bandes de civils. Une
nouvelle formation doit s’entraîner pendant au moins
six mois, et seulement si elle est composée de réservistes ayant déjà reçu une formation individuelle. Les conscrits ont besoin de plus de temps. Ces unités devraient également
compter des soldats et des sous-officiers professionnels issus de l’armée d’avant-guerre, afin de renforcer leur professionnalisme. Une fois la formation initiale achevée, elles ne
doivent être engagées dans la bataille que dans des secteurs secondaires. Aucune formation ne doit être autorisée à descendre en dessous de 70% de ses effectifs. Le retrait précoce
des formations permet à l’expérience de proliférer parmi les nouveaux remplaçants, car les vétérans transmettent leurs compétences. Dans le cas contraire, une expérience précieuse est
perdue, ce qui oblige à recommencer le processus. Une autre implication est que les ressources devraient donner la priorité aux remplacements plutôt qu’aux nouvelles formations,
préservant ainsi l’avantage au combat à la fois dans l’armée d’avant-guerre (élevé) et dans les formations nouvellement levées (faible). Il est conseillé de dissoudre plusieurs
formations d’avant-guerre (haut de gamme) pour répartir les soldats professionnels entre les formations bas de gamme nouvellement créées, afin d’améliorer la qualité initiale.
La dimension
militaire
Les opérations militaires dans un conflit d’attrition sont très différentes de celles d’une guerre de manœuvre. Au lieu d’une bataille décisive obtenue
par une manœuvre rapide, la guerre d’attrition se concentre sur la destruction des forces ennemies et de leur capacité à régénérer la puissance de combat, tout en préservant la
sienne. Dans ce contexte, une stratégie réussie accepte que la guerre dure au moins deux ans et soit divisée en deux phases distinctes. La première phase va de l’ouverture des
hostilités au moment où une puissance de combat suffisante a été mobilisée pour permettre une action décisive. Les changements de position sur le terrain seront limités, l’accent
étant mis sur un échange favorable des pertes et sur la constitution d’une puissance de combat à l’arrière. La forme de combat dominante est l’incendie plutôt que la manœuvre,
complétée par des fortifications et un camouflage importants. L’armée du temps de paix commence la guerre et mène des actions d’attente, ce qui laisse le temps de mobiliser les
ressources et d’entraîner la nouvelle armée.
La deuxième phase peut commencer lorsque l’une des parties a rempli les conditions suivantes.
Les forces nouvellement mobilisées ont achevé leur entraînement et acquis suffisamment d’expérience pour devenir des formations efficaces au combat,
capables d’intégrer rapidement tous leurs moyens de manière cohérente.
La réserve stratégique de l’ennemi est épuisée, ce qui l’empêche de renforcer le secteur menacé.
La supériorité en matière de feux et de reconnaissance est atteinte, ce qui permet à l’attaquant de concentrer efficacement ses feux sur un secteur
clé tout en empêchant l’ennemi d’en faire autant.
Le secteur industriel de l’ennemi est dégradé au point de ne plus pouvoir remplacer les pertes subies sur le champ de bataille. Dans le cas d’une
coalition de pays, les ressources industrielles de ces derniers doivent également être épuisées ou au moins prises en compte.
Ce n’est qu’après avoir satisfait à ces critères que les opérations offensives doivent commencer. Elles doivent être lancées sur un large front, en
cherchant à submerger l’ennemi en de multiples points par des attaques superficielles. L’objectif est de rester à l’intérieur d’une bulle stratifiée de systèmes de protection amis,
tout en étirant les réserves ennemies épuisées jusqu’à ce que le front s’effondre. Ce n’est qu’à ce moment-là que l’offensive doit s’étendre vers des objectifs situés plus
profondément dans l’arrière de l’ennemi. La concentration des forces sur un effort principal doit être évitée, car elle donne une indication sur la localisation de l’offensive et
permet à l’ennemi de concentrer ses réserves contre ce point clé. L’offensive
Brusilov de 1916, qui a entraîné l’effondrement de l’armée austro-hongroise, est un bon exemple d’offensive d’attrition réussie aux niveaux tactique et opérationnel. En attaquant
sur un large front, l’armée russe a empêché les Austro-Hongrois de concentrer leurs réserves, ce qui a entraîné un effondrement tout au long du front. Au niveau stratégique, en
revanche, l’offensive Broussilov est un exemple d’échec. Les forces russes n’ont pas réussi à imposer leurs conditions à l’ensemble de la coalition ennemie, se concentrant uniquement
sur l’Empire austro-hongrois et négligeant les capacités allemandes. Les Russes ont dépensé des ressources cruciales qu’ils ne pouvaient pas remplacer, sans vaincre le membre le plus
puissant de la coalition. Pour insister à nouveau sur ce point essentiel, une offensive ne peut réussir que si des critères clés sont remplis. Tenter de lancer une offensive plus tôt
se traduira par des pertes sans aucun gain stratégique, jouant ainsi directement en faveur de l’ennemi.
La guerre moderne
Le champ de bataille moderne est un système intégré de systèmes qui comprend divers types de guerre électronique (GE), trois types fondamentaux de
défenses aériennes, quatre types différents d’artillerie, d’innombrables types d’aéronefs, des drones d’attaque et de reconnaissance, des ingénieurs de construction et des sapeurs,
des formations traditionnelles d’infanterie et de blindés et, surtout, de la logistique. L’artillerie est devenue plus dangereuse grâce à des portées accrues et à un ciblage avancé,
ce qui étend la profondeur du champ de bataille.
En pratique, cela signifie qu’il est plus facile de masser des feux que des forces. La manœuvre en profondeur, qui nécessite la massification de la
puissance de combat, n’est plus possible car toute force massée sera détruite par des feux indirects avant de pouvoir obtenir un succès en profondeur. Au lieu de cela, une offensive
terrestre nécessite une bulle de protection étroite pour parer aux systèmes de frappe ennemis. Cette bulle est générée par la superposition de contre-feux amis, de défense aérienne et
de moyens de guerre électronique. Le déplacement de nombreux systèmes interdépendants est extrêmement compliqué et a peu de chances de réussir. Les attaques peu profondes le long de
la ligne avancée des troupes ont le plus de chances de réussir à un coût acceptable ; les tentatives de pénétration en profondeur seront exposées à des tirs groupés dès qu’elles
sortiront de la protection de la bulle défensive.
L’intégration de ces ressources qui se chevauchent nécessite une planification centralisée et des officiers d’état-major exceptionnellement bien formés,
capables d’intégrer de multiples capacités à la volée. Il faut des années pour former de tels officiers, et même l’expérience du combat ne permet pas d’acquérir de telles compétences
en peu de temps. Les listes de contrôle et les procédures obligatoires peuvent pallier ces lacunes, mais uniquement sur un front statique moins compliqué. Les opérations offensives
dynamiques exigent des temps de réaction rapides, dont les officiers semi-entraînés sont incapables.
Un exemple de cette complexité est l’attaque d’un peloton de 30 soldats. Cela nécessiterait des systèmes de guerre électronique pour brouiller les
drones ennemis, un autre système de guerre électronique pour brouiller les communications ennemies et empêcher l’ajustement des tirs ennemis, et un troisième système de guerre
électronique pour brouiller les systèmes de navigation spatiale et empêcher l’utilisation de munitions guidées avec précision. En outre, les feux nécessitent des radars de
contre-batterie pour vaincre l’artillerie ennemie. La planification est d’autant plus compliquée que les systèmes de guerre électronique de l’ennemi localiseront et détruiront tout
radar ou émetteur de guerre électronique ami qui émet trop longtemps. Les ingénieurs devront dégager des chemins à travers les champs de mines, tandis que les drones amis fourniront
un ISR sensible au temps et un appui-feu si nécessaire. (Cette tâche nécessite un entraînement poussé des unités de soutien afin d’éviter de larguer des munitions sur les troupes
d’attaque amies). Enfin, l’artillerie doit fournir un soutien à la fois sur l’objectif et sur l’arrière de l’ennemi, en ciblant les réserves et en supprimant l’artillerie. Tous ces
systèmes doivent fonctionner comme une équipe intégrée, ne serait-ce que pour soutenir 30 hommes dans plusieurs véhicules qui attaquent un autre groupe de 30 hommes ou moins. Un
manque de coordination entre ces moyens se traduira par des attaques ratées et des pertes effroyables sans jamais voir l’ennemi. L’augmentation de la taille des formations menant des
opérations s’accompagne d’une augmentation du nombre et de la complexité des moyens à intégrer.
Implications pour les opérations
de combat
Les tirs en profondeur – à plus de 100-150 km (la portée moyenne des roquettes tactiques) derrière la ligne de front – visent la capacité de l’ennemi à
générer une puissance de combat. Il s’agit notamment des installations de production, des dépôts de munitions, des dépôts de réparation et des infrastructures d’énergie et de
transport. Les cibles qui nécessitent des capacités de production importantes et qui sont difficiles à remplacer/réparer revêtent une importance particulière, car leur destruction
infligera des dommages à long terme. Comme pour tous les aspects de la guerre d’usure, il faudra beaucoup de temps pour que de telles frappes aient un effet, les délais pouvant aller
jusqu’à plusieurs années. Les faibles volumes de production mondiale de munitions guidées de précision à longue portée, les actions de déception et de dissimulation efficaces, les
stocks importants de missiles antiaériens et les capacités de réparation des États forts et déterminés sont autant d’éléments qui contribuent à prolonger les conflits. Pour être
efficace, la superposition des défenses aériennes doit comprendre des systèmes haut de gamme à toutes les altitudes, associés à des systèmes moins coûteux pour contrer les
plates-formes d’attaque massives et bas de gamme de l’ennemi. Combinée à une fabrication à grande échelle et à une guerre électronique efficace, c’est la seule façon de vaincre les
tirs en profondeur de l’ennemi.
Une guerre d’usure réussie se concentre sur la préservation de sa propre puissance de combat. Cela se traduit généralement par un front relativement
statique, interrompu par des attaques locales limitées visant à améliorer les positions, et par l’utilisation de l’artillerie pour la plupart des combats. La fortification et la
dissimulation de toutes les forces, y compris la logistique, sont essentielles pour minimiser les pertes. Le temps nécessaire à la construction des fortifications empêche tout
mouvement de terrain significatif. Une force d’attaque qui ne peut pas se retrancher rapidement subira des pertes importantes dues aux tirs de l’artillerie ennemie.
Les opérations défensives permettent de gagner du temps pour développer des formations de combat de bas niveau, ce qui permet aux troupes nouvellement
mobilisées d’acquérir une expérience du combat sans subir de lourdes pertes lors d’attaques à grande échelle. La constitution de formations de combat expérimentées de niveau inférieur
génère la capacité de mener de futures opérations offensives.
Les premiers stades de la guerre d’usure vont de l’ouverture des hostilités au moment où les ressources mobilisées sont disponibles en grand nombre et
sont prêtes pour les opérations de combat. En cas d’attaque surprise, une offensive rapide d’un camp peut être possible jusqu’à ce que le défenseur puisse former un front solide.
Ensuite, le combat se consolide. Cette période dure au moins un an et demi à deux ans. Pendant cette période, les grandes opérations offensives doivent être évitées. Même si les
grandes attaques sont couronnées de succès, elles entraîneront des pertes considérables, souvent pour des gains territoriaux insignifiants. Une armée ne doit jamais accepter une
bataille dans des conditions défavorables. Dans une guerre d’attrition, tout terrain ne comportant pas de centre industriel vital n’est pas pertinent. Il est toujours préférable de
battre en retraite et de préserver ses forces, quelles que soient les conséquences politiques. Combattre sur un terrain désavantageux brûle les unités, perdant des soldats
expérimentés qui sont la clé de la victoire. L’obsession allemande pour Stalingrad en 1942 est un excellent exemple de combat sur un terrain défavorable pour des raisons politiques.
L’Allemagne a brûlé des unités vitales qu’elle ne pouvait pas se permettre de perdre, simplement pour s’emparer d’une ville portant le nom de Staline. Il est également judicieux de
pousser l’ennemi à combattre sur un terrain défavorable par le biais d’opérations d’information, en exploitant des objectifs ennemis politiquement sensibles. L’objectif est de forcer
l’ennemi à dépenser des réserves matérielles et stratégiques vitales pour des opérations sans intérêt stratégique. L’un des principaux écueils à éviter est de se laisser entraîner
dans le même piège que celui qui a été tendu à l’ennemi. C’est ce qu’ont fait les Allemands lors de la Première Guerre mondiale à Verdun,
où ils prévoyaient d’utiliser l’effet de surprise pour s’emparer d’un terrain clé et politiquement sensible, provoquant ainsi de coûteuses contre-attaques françaises. Malheureusement
pour les Allemands, ils sont tombés dans leur propre piège. Ils n’ont pas réussi à s’emparer d’un terrain clé et défendable dès le début, et la bataille s’est transformée en une série
d’assauts coûteux de l’infanterie des deux côtés, avec des tirs d’artillerie dévastant l’infanterie attaquante.
Lorsque la deuxième phase commence, l’offensive doit être lancée sur un large front, en cherchant à submerger l’ennemi en de multiples points au moyen
d’attaques superficielles. L’objectif est de rester à l’intérieur de la bulle stratifiée des systèmes de protection amis, tout en étirant les réserves ennemies épuisées jusqu’à ce que
le front s’effondre. Il y a un effet de cascade dans lequel une crise dans un secteur oblige les défenseurs à déplacer les réserves d’un deuxième secteur, ce qui génère une crise dans
ce secteur à son tour. Lorsque les forces commencent à reculer et à quitter les fortifications préparées, le moral des troupes s’effondre et la question suivante se pose : «Si nous ne
pouvons pas tenir la méga-forteresse, comment pourrons-nous tenir ces nouvelles tranchées ?» La retraite se transforme alors en déroute. Ce n’est qu’à ce moment-là que l’offensive
doit s’étendre vers des objectifs situés plus loin dans les arrières de l’ennemi. L‘offensive
des Alliés en 1918 en est un exemple. Les Alliés ont attaqué sur un large front, alors que les Allemands ne disposaient pas des ressources suffisantes pour défendre
l’ensemble de la ligne. Une fois que l’armée allemande a commencé à battre en retraite, il s’est avéré impossible de l’arrêter.
La stratégie d’attrition, centrée sur la défense, est contre-intuitive pour la plupart des officiers militaires occidentaux. La pensée militaire
occidentale considère l’offensive comme le seul moyen d’atteindre l’objectif stratégique décisif consistant à forcer l’ennemi à s’asseoir à la table des négociations dans des
conditions défavorables. La patience stratégique nécessaire pour mettre en place les conditions d’une offensive va à l’encontre de leur expérience de combat acquise lors d’opérations
anti-insurrectionnelles à l’étranger.
Conclusion
La conduite des guerres d’usure est très différente de celle des guerres de manœuvre. Elles durent plus longtemps et finissent par mettre à l’épreuve la
capacité industrielle d’un pays. La victoire est assurée par une planification minutieuse, le développement d’une base industrielle et d’une infrastructure de mobilisation en temps de
paix, et une gestion encore plus minutieuse des ressources en temps de guerre.
La victoire est possible si l’on analyse soigneusement ses propres objectifs politiques et ceux de l’ennemi. La clé consiste à reconnaître les forces et
les faiblesses des modèles économiques concurrents et à identifier les stratégies économiques les plus susceptibles de générer un maximum de ressources. Ces ressources peuvent alors
être utilisées pour construire une armée massive en utilisant le mélange de forces et d’armes élevé/faible. La conduite militaire de la guerre est déterminée par les objectifs
stratégiques politiques globaux, les réalités militaires et les limites économiques. Les opérations de combat sont peu profondes et se concentrent sur la destruction des ressources de
l’ennemi, et non sur la conquête du terrain. La propagande est utilisée pour soutenir les opérations militaires, et non l’inverse. Avec de la patience et une planification minutieuse,
une guerre peut être gagnée.
Malheureusement, de nombreux Occidentaux ont une attitude très cavalière, pensant que les conflits futurs seront courts et décisifs. Ce n’est pas vrai
pour les raisons exposées ci-dessus. Même les puissances mondiales moyennes disposent à la fois de la géographie, de la population et des ressources industrielles nécessaires pour
mener une guerre d’usure. L’idée qu’une grande puissance reculerait en cas de défaite militaire initiale est, au mieux, un vœu pieux. Tout conflit entre grandes puissances serait
considéré par les élites adverses comme existentiel et poursuivi avec toutes les ressources dont dispose l’État. La guerre qui en résultera deviendra une guerre d’usure et favorisera
l’État dont l’économie, la doctrine et la structure militaire sont mieux adaptées à cette forme de conflit.
Si l’Occident envisage sérieusement un éventuel conflit entre grandes puissances, il doit examiner attentivement sa capacité industrielle, sa
doctrine de mobilisation et ses moyens de mener une guerre de longue durée, plutôt que de mener des wargames couvrant un seul mois de conflit et d’espérer que la guerre s’arrêtera
ensuite. Comme la guerre d’Irak nous l’a appris, l’espoir n’est pas une méthode.
Ukraine : Une guerre sans morts pour les révisionnistes occidentaux
Source : Riposte Laïque par Piere-Antoine Pontoizeau - Le 18/07/2023.
Officiellement, il n’y a pas de morts en Ukraine....
La preuve. Aucun chiffre n’est disponible du côté de l’État ukrainien pour informer le peuple souverain ukrainien (dans une démocratie réputée !), voire les
populations souveraines des autres nations occidentales (dans des démocraties tout aussi réputées).
C’est un secret d’État, nous dit on, pour ne pas donner prise aux saboteurs du moral des troupes ou des populations. Cette simple affirmation démontre que les
dirigeants occidentaux ne sont plus des démocrates pour deux raisons.
- Un, ils déclarent des guerres sans consulter leur Parlement
- Et, deux, ils interdisent la divulgation de chiffre sur les morts à la guerre, pour ne pas effrayer la populaces imbéciles que nous sommes,
évidemment.
Seulement, des chiffres circulent et des hypothèses assez crédibles se font jour. On parle de 300.000 ou 400.000 morts, autant que la France
pendant la Seconde Guerre mondiale par exemple, mais en moins d’un an et demi. On indique que le ratio de 1/1 serait probant du fait des stratégies de guerre ukrainiennes, soit quelques centaines
de milliers de blessés de toutes sortes. À ce rythme, nous allons approcher un petit million de victimes : Des morts, des amputés, des
fracassés de toute sorte et une jeunesse psychologiquement dévastée.
Les médias occidentaux et nos dirigeants agissent donc comme des révisionnistes en temps réel sur des événements mortifères dont ils dénient totalement la tragédie.
On nous ment chaque jour dans la totalité des médias “officiels” qui ont pignon sur rue. On nous vend une guerre virtuelle sans morts, où du moins, insiste-t-on avec une perversité sordide, sur
ces victimes collatérales, ces morts de civils qui soulèvent le cœur : Enfants, vieillards, femmes, qui entretiennent la haine de l’assaillant sauvage : Le Russe, qu’il faut combattre avec
acharnement.
Mais, comment expliquer l’attitude des médias occidentaux ?
Il suffit d’aller en Ukraine, de suivre l’activité des hôpitaux, de s’informer sur les faits du champ de bataille et quelques sites forts bien documentés sur
internet qui suivent cette guerre jour après jour avec précision. Il est impossible de nier que nous avons suffisamment de sources fiables pour émettre des hypothèses assez justes sur les
victimes de la guerre : Entendant bien les militaires au combat. Pourquoi un tel silence ? S’agit-il d’un pur révisionnisme, attitude grave qui laisse supposer que les soldats
ukrainiens n’ont pas de valeur humaine, qu’ils sont peut-être une race inférieure, des slaves (esclaves ou sous-hommes) que les Anglo-Saxons et nous-mêmes envoyons à la mort,
mais cela n’est rien. La question vaut de leur être posée directement, car ce révisionnisme en temps réel rappelle les pires souvenirs du silence de beaucoup de ces médias, pour ceux qui
existaient, pendant la Seconde Guerre mondiale à propos des génocides contre de nombreuses populations. Pourquoi vous taisez-vous
?
Comment comprendre l’attitude des politiques occidentaux qui soutiennent cette chape de plomb révisionniste, d’un silence profondément anti-démocratique, puisque
les peuples souverains ne disposent d’aucune information pour dire : Stop ou encore.
Or, les milliards arrivent en Ukraine, les armes arrivent en Ukraine, des mercenaires arrivent en Ukraine, mais l’information ne circule
pas.
Ces politiques ont évidemment peur du sentiment de leur population qui n’accepterait pas une seconde ce massacre s’il était montré dans son horreur humaine dans les
journaux télévisés par exemple. Or, cela se produira tôt ou tard. Pourquoi un tel entêtement ? Faut-il que l’enjeu soit si considérable, pour certains, que la loi du silence l’emporte sur toute
autre considération ?
Alors, reste une seule question chère aux Romains : A qui profite le crime ?
Certainement pas à l’Europe. Elle y perd sa croissance économique, l’approvisionnement bon marché en énergie, si précieux à la puissance de l’économie allemande par
exemple. Elle y perd des dizaines de milliards du fait du retrait des entreprises de Russie : Danone, Renault, etc., et les pertes sont considérables pour chacune de ces entreprises. Certainement
beaucoup plus aux USA qui ont vendu de l’énergie chère en remplacement, qui ont affaibli l’économie européenne à leur avantage, qui ont obligé quelques pays apeurés à rejoindre leur impérial
OTAN. Bref, l’exposé pourrait être plus long, mais chacun sait que le seul pays qui tire profit, à ce stade, de cette guerre où d’autres meurent pour l’Amérique, c’est justement
l’Amérique.
Mais souvenons du Viêt-Nam et des autres guerres dont le monde entier sait bien que les USA avaient été à la manœuvre. À chaque fois, le déni a été là, à chaque
fois de nombreux médias révisionnistes ont falsifié l’information pendant des mois, voire des années. On peut penser à la guerre dramatique organisée de toute pièce entre l’Irak et l’Iran.
En conclusion, je ne sais pas si ces rédacteurs et journalistes ont une conscience, un brin d’humanité en fait; car ils se rendent en ce moment même, complices d’un vaste crime contre l’humanité par leur silence honteusement révisionniste, comme si cette jeunesse ukrainienne n’avait pas d’importance,
si ces familles endeuillées ne comptaient pas, si les millions d’Ukrainiens en fuite hors d’Ukraine, étaient, eux aussi, des parias sans importance.
Je préfère de loin écrire auprès de l’équipe de Pierre Cassen dans Riposte Laïque en sachant que des lecteurs, plus tard, nous donneront évidemment raison,
alors que tant de journalistes professionnels auront tout simplement trahi leur métier, leur mission et l’idéal démocratique qui préside à l’exercice de ce métier.
Pierre-Antoine Pontoizeau
La guerre en Ukraine : Vers l’effondrement de la réputation occidentale
Après le monde bipolaire, existant depuis la fin de la seconde guerre mondiale et jusqu’à l’implosion de l’Union soviétique en décembre 1991, l’actuel
conflit sur le territoire de l’Ukraine est le point de gravité dans le processus de transition entre deux grandes époques de l’histoire contemporaine : l’ancienne – unipolaire – qui a
perduré durant les 30 dernières années et la nouvelle – multipolaire – post-hégémonique, qui est née fin février 2022.
Étant guère adepte des théories communistes, je ne peux, toutefois, ne pas constater que les évènements d’aujourd’hui ne sont que l’adaptation moderne, le
reflet dans le miroir du vieux principe des révolutions exprimé par Vladimir Lénine déjà en 1913 dans son ouvrage «Le premier mai du
prolétariat révolutionnaire» : les classes inférieures ne veulent plus vivre à l’ancienne, tandis que les classes supérieures ne peuvent plus gouverner à l’ancienne. Soit,
l’impossibilité pour la classe dirigeante de maintenir sa domination en forme inchangée. Aujourd’hui, les «classes supérieures» sont le monde occidental gravitant autour des Etats-Unis
d’Amérique et les «classes inférieures» – le reste de l’humanité.
Une fois de plus, l’histoire n’apprend rien aux «élites» politiques et les époques se remplacent de la même manière que cela fait un siècle: dans la
violence.
Les discours sur la défense de la liberté, de la démocratie et des nobles valeurs et, donc, occidentales que l’Ukraine représente et défend ne sont que les
narratifs «atlantistes» développés via l’appareil de la propagande des médias mainstream, afin de justifier auprès des masses électorales préformatées les initiatives controversées
entreprises par les représentants du pouvoir actuel du bloc de l’occident collectif américano-centrique. Des narratifs très éloignées de la tragique réalité du pouvoir ukrainienne.
Sans entrer dans le détail des intérêts profonds des États-Unis d’Amérique dans le cadre de la guerre en Ukraine qui s’y déroule depuis 2014, des intérêts
directement basés sur la stratégie globale de la défense des éléments existentiels pour l’état américain (voir mon analyse «la guerre en Ukraine
: la Genèse»), il est à noter que l’arrivée à leurs objectifs préétablis se traduisait par l’affaiblissement politico-économique significatif de la Russie d’une part, en tant qu’un
des acteurs majeurs vis-à-vis du système de pétrodollars et, d’autre part, en tant que partenaire stratégique de la Chine tant dans le domaine économique, dont les deux pays ont une
véritable complémentarité, tant dans le domaine politico-diplomatique et militaro-technologique.
Le piège anglo-saxon
Les États-Unis d’Amérique se sont retrouvés devant un dilemme existentiel : d’une part, le scénario positif pour Washington dans l’issue de cette guerre
devient chaque jour de plus en plus irréalisable ; d’autre part, les Américains ne peuvent pas se permettre de ne pas importer dans la confrontation en cours.
La victoire est un élément vital vis-à-vis de la réputation mondiale en tant que première puissance politico-militaire opérationnelle tant des États-Unis,
tant de leurs partenaires européens – un élément vital vis-à-vis du futur de la civilisation Occidentale.
Ce qui n’était guère un élément existentiel au début du conflit – en est devenu un dès l’engagement ouvert et radical de l’intégralité du bloc occidental
dans les hostilités. Aucun retour en arrière n’est possible.
Vu la spécificité de la situation politique interne aux États-Unis, conditionnée par les dernières défaites militaires en Syrie et en Afghanistan, ils ne
leur étaient pas possible d’entrer en guerre seuls ou qu’en tandem avec le monde anglo-saxon. Le monde anglo-saxon, dont nul besoin n’était de convaincre le Royaume-Uni de prendre part au
conflit, vu le processus engagé par la Chine et la Russie de l’effondrement des réseaux néocoloniaux, notamment britanniques, sur le continent noir et qui mènera, à terme, à de très
graves répercussions vis-à-vis du système financier de la City de Londres – centre traditionnel du brassage des gigantesques revenus de l’exploitation des matières premières de
l’Afrique.
Un travail en profondeur, très certainement, a été réalisé auprès de Bruxelles. L’Union européenne et ses pays-membres sont tombés dans le piège
américano-britannique qui a fait stimuler les égos des élites politiques du vieux continent vis-à-vis de la grandeur et de la domination du passé qui est en déclin constant avec
l’émergence de nouveaux centres de gravités idéologiques en Chine et en Russie. La grandeur et la domination leur ont été proposées de retrouver en entrant en guerre, estimée gagnée
d’avance, contre les nouveaux challengers.
De la «guerre-éclair» vers la guerre
d’usure
Initialement, au déclenchement de la nouvelle phase de guerre, il était prévu que les sanctions contre la Fédération de Russie d’une amplitude sans
précédent dans l’histoire contemporaine, mises en œuvre par l’occident collectif sous le patronat de Washington et soutenues sous la pression politico-économique par une partie du monde
non occidental dès les premiers jours de la guerre, auraient dû ébranler l’économie russe en quelques mois et la mettre sur le chemin précalculé de l’effondrement inévitable, et faire de
la Russie un état-paria. Un état-paria non pas pour une période de quelques mois ou années, mais pour toute une époque future.
Toutefois, dès le déclenchement des sanctions, des signes inquiétants de la résistance inattendue de l’économie russe sont apparus, parallèlement au refus
des acteurs majeurs non occidentaux de condamner l’initiative de Moscou sur le territoire de l’Ukraine, malgré la coercition «atlantiste» hors du commun.
Les États-Unis d’Amérique se sont retrouvés dans l’incapacité de fédérer autour d’eux le monde non occidental dans leur projet antirusse. Le plan primaire
qui a dû fonctionner contre la Russie à court terme, en quelques semaines, voire des mois, a totalement échoué.
L’effondrement de l’économie russe qui n’a pas eu lieu, étant l’une des raisons-clés de la guerre en Ukraine, afin, notamment, qu’au moment de la phase
majeure de la future confrontation des États-Unis face à la Chine la Russie ne puisse se permettre le soutien significatif de son partenaire stratégique asiatique sous la menace de
nouvelles sanctions que le pays avec une économie censée être anéantie ne serait en mesure de s’accorder – il était nécessaire de modifier la stratégie.
L’action américaine a été donc fondamentalement revue à la base et s’est tournée vers la stratégie de l’usure à long terme. Stratégie qui ne pouvait
fonctionner sans l’élément initialement imprévu : le financement d’une ampleur sans précédent du pouvoir ukrainien. Une ligne de crédit inédite dans l’histoire contemporaine a été
ouverte à cet effet au bénéfice de Kiev.
Le projet des négociations face à la
Russie à genoux
Certains experts du camp «atlantiste», en répétant en écho les slogans adressés par la propagande de Kiev à leurs masses, prônent pour objectif
indispensable le retour de l’Ukraine à ses frontières de 1991 en le présentant comme étant parfaitement réalisable. C’est à dire, la reprise à la Russie et l’instauration du pouvoir de
Kiev sur les villes, telles que Donetsk et Lougansk à Donbass et Simferopol avec Sébastopol en Crimée. Sébastopol, dont la principale raison de la récupération de la Crimée par la Russie
était le danger imminent, à la suite du coup d’état de 2014 à Kiev, de la perte de la base navale russe située dans la ville et sa reprise opérationnelle par les forces navales de
l’Otan.
Les personnes qui envisagent sérieusement un tel scénario ne sont que la caricature grotesque et l’insulte au qualificatif d’expert. Point nécessaire
de détailler leur position et de rappeler que la probabilité de la reprise par l’Ukraine, par exemple, du port militaire russe de Sébastopol est infiniment plus faible que l’utilisation
massive des armes nucléaires dans le conflit en cours. Cela étant, l’utilisation de la composante nucléaire de la défense russe dans la confrontation est actuellement proche de
zéro.
Aujourd’hui, l’objectif du bras armé de l’occidental collectif : importer un maximum d’éléments sur le terrain et, ensuite, de négocier en position de force
face à la Russie, censée être ébranlée.
Une forme d’amateurisme déconcertant et la méconnaissance du raisonnement quasi-génétique du peuple russe ne permet pas de faire comprendre aux auteurs
de cette stratégie que la négociation clé à partir de la position de faiblesse, quand bien même elle aurait lieu, sur les éléments vitaux pour la Fédération de Russie est totalement
inconcevable pour cette dernière et n’aura jamais lieu.
Si par la suite d’une série d’évènements la Russie était, hypothétiquement, mise ponctuellement en position de faiblesse, ce n’est pas une
négociation tant espérée, plus que naïvement, par l’Occident collectif face à la Russie affaiblie qui aurait lieu, mais un recul suivi d’une reconsolidation et remobilisation des
moyens à disposition de le Fédération de Russie pour le retour sur ses positions de domination de la situation.
À souligner que dans les circonstances économico-militaires de ce jour, d’une part, des pays de l’OTAN et, d’autre part, de la Russie, la probabilité de
réalisation du scénario occidental dans les années à venir est mathématiquement proche de zéro.
Il est intéressant de noter qu’il existe un certain nombre d’analystes américains de grande renommée, dont un ancien patron du département de planification
de la politique extérieure du département d’État, qui considère que non seulement une grande défaite dans l’actuelle offensive ukrainienne, tant promue auprès des masses occidentales,
afin de continuer à maintenir le tonus nécessaire pour la continuation du financement du conflit, serait catastrophique, mais également une hypothétique grande victoire de l’armée
ukrainienne dans cette entreprise ne serait pas moins catastrophique que la défaite.
Ce type d’analyse n’est guère le signe de la schizophrénie ou du dédoublement de la personnalité, mais bien d’une profonde et lucide compréhension des
processus en cours : la réaction de la Russie suivra et sera proportionnelle à la nécessité de l’anéantissement d’une nouvelle menace grave.
Néanmoins, je ne peux que rassurer les analystes en question : en prenant en considération les éléments stratégiques des dispositions des forces en
confrontation à ce jour, il n’y a pratiquement aucun risque que l’actuelle initiative de Kiev poussée par ses créditeurs obtienne un succès. Et la probabilité qu’elle ait un succès majeur
et à long terme, au point de faire reconsidérer en profondeur la stratégie de Moscou vis-à-vis de l’Ukraine est, tout simplement, inexistante.
Le franchissement des
tabous
Aujourd’hui, la compréhension de la réalité sur le terrain des opérations qui diffère grandement du plan de guerre initialement prévu, mène le bloc
occidental vers une forme de panique opérationnelle qui se traduit dans l’accroissement chaotique des aides militaires supplémentaires totalement imprévues pour l’agent exécutant dans la
confrontation sur le terrain – l’armée ukrainienne.
Cet accroissement chaotique se reflète dans le franchissement des tabous établis par les responsables occidentaux eux-mêmes, comme la livraison à
l’Ukraine des obus d’uranium appauvri, des chars occidentaux et les futures livraisons des avions de combats américains (et, ensuite, européens ?) en réduisant, proportionnellement, la
marge de manœuvre avant le déclenchement des hostilités directes entre l’armée russe et celle de l’OTAN.
Notamment, la spécificité de l’exploitation des avions de combat F-16 qui seront prochainement fournis à l’Ukraine est telle qu’il est totalement impossible
de la réaliser intégralement, d’une manière autonome, sur le territoire de l’Ukraine. Et selon le rôle proportionnel des bases aériennes situées, notamment, en Pologne et en Roumanie,
dans l’exploitation de l’aviation en question – l’état-major russe prendra la décision de les bombarder ou pas. Si le ravitaillement des F-16 en munitions a lieu en dehors de l’Ukraine –
les frappes russes des lieux en question seront pratiquement inévitables, car, selon les lois de guerre, les pays visés seront considérés en tant que belligérants, participants directs
aux combats.
Le drone militaire américain abattu par l’aviation de guerre russe au-dessus de la mer Noire n’est qu’un modeste prélude à la confrontation militaire de
grande ampleur qui peut encore avoir lieu entre la Russie et l’alliance atlantique et peut, selon la doctrine militaire russe en vigueur, aboutir à l’utilisation des armes nucléaires
tactiques et stratégiques contre les objectifs ennemis.
Les réalités du potentiel des
Russes
Du côté de Moscou, l’obtention de la satisfaction à l’issue du conflit en Ukraine est également un élément existentiel pour la Fédération de Russie.
Une hypothétique défaite est totalement inconcevable pour le Kremlin, de même que pour le peuple Russe, car elle mènerait directement à l’effondrement et
interne et externe du pays. De ce fait, l’occident commet une grave erreur de calcul en estimant que même une réussite hypothétique de l’offensive ukrainienne pourrait changer le cours de
la guerre et mènerait vers la victoire du pouvoir en place à Kiev.
L’unique réalité : cela ne fera qu’augmenter la croissance des forces militaires actives russes sur le front et ne fera que prolonger la durée de la
guerre. L’issue fatale pour les intérêts visés par Kiev est une constante inébranlable.
Le retour de territoires des régions du Donetsk et de Lougansk, leurs capitales incluses, sous le contrôle du pouvoir de Kiev peut frôler uniquement les
esprits errant dans les domaines de la fantaisie. De même, parler du retour de la péninsule de Crimée au sein de l’état ukrainien n’est qu’un signe d’un simple manque d’intelligence et
d’une coupure profonde de la réalité.
Pourquoi ?
Si, hypothétiquement, la situation sur le terrain des opérations militaires se dégradait au point de représenter un danger réel de perte des territoires du
Donbass et de la Crimée admis au sein de la Fédération de Russie – ce qui n’a jamais été le cas, pas un seul jour depuis 2015 – la Russie procéderait à l’implication de l’intégralité de
ses capacités militaires et atteindrait ses objectifs dans n’importe quel cas de figure.
La réalité très soigneusement cachée par les pouvoirs occidentaux à leur public est sans équivoque : durant la seconde guerre mondiale, la Russie a engagé
60% de son PIB pour importer face à l’Allemagne nazie. Aujourd’hui, sans rappeler le fait que l’économie russe se porte incomparablement mieux par rapport à ce qui était prévu même dans
les prévisions les plus pessimistes du camp atlantique, que la Russie est tout, sauf isolée du reste du monde ; que l’industrie de l’armement russe a démultiplié sa production par
2,7 en un an – je tiens à rappeler une autre réalité qui est la réponse à l’intégralité des questions et des doutes qui peuvent en exister sur le sujet : à ce jour, la Fédération de
Russie n’a engagé que 3% du PIB dans l’effort de guerre face à l’Otan sur le territoire de l’Ukraine.
Je vous laisse imaginer l’ampleur et la vitesse du désastre pour le camp occidental si la Russie décidait d’engager non pas 60%, mais 6%, au lieu de 3% de
son PIB pour en découdre.
La raison de la non-augmentation supplémentaire de la part du PIB vis-à-vis du conflit en Ukraine est très simple : les calculs démontrent qu’il est
nul besoin de le faire pour arriver à des objectifs préétablis.
De même, en cas d’une nécessité absolue, cela sera non pas des centaines de milliers, mais des millions de soldats supplémentaires au front – ce qui n’est
pas une mission impossible avec une population supérieure à 146 millions d’habitants. Et ce n’est pas la fabrication de centaines, mais de milliers de chars et avions de combat de la
dernière génération par an qui peut, industriellement, être mise en place dans des délais relativement restreints.
Si la Russie avait des hypothétiques pertes stratégiques sur les champs de bataille – ce n’est pas le recul et la capitulation russe tant attendus qui
auraient lieu – seuls les esprits dérangés et totalement ignorant la mentalité du peuple russe peuvent envisager un tel scénario – mais uniquement l’escalade de la confrontation et
l’augmentation significative à l’effort de guerre qui auraient lieu.
Il est déplorable de constater que les décideurs actuellement au pouvoir en Occident n’ont pas été aptes à apprendre l’élément majeur les concernant dans la
grande leçon de l’histoire et sous-estiment très grandement les capacités sans égal du peuple Russe de se mobiliser pour vaincre l’ennemi, dès que le seuil du danger existentiel pour
le pays est atteint.
La Russie est très loin d’un tel seuil et je ne peux qu’espérer pour le bien être des pays occidentaux qu’il ne sera jamais atteint.
Risque civilisationnel
Après les siècles du rayonnement et de l’exposition au monde non occidental du modèle de la réussite exemplaire de la société occidentale, nous sommes
arrivés au point de l’exposition d’une toute autre nature : celle de la dégénérescence et de la destruction à vitesse grandissante des valeurs et des principes sociétales qui ont
forgé la civilisation occidentale depuis les deux derniers millénaires.
Les hommes et femmes politiques qui ont pris aujourd’hui le pouvoir sur la majeure partie du vieux continent ne sont pas dans la capacité de comprendre que
le rejet de plus en plus grandissant du modèle occidental par le reste du monde, dont la guerre en Ukraine n’a fait qu’accentuer le processus et n’a fait que tomber les masques, a, pour
son fondement, le refus de la nouvelle idéologie sociétale occidentale axée sur le néolibéralisme et la domination des intérêts des diverses minorités sur ceux de la majorité – ce qui
est, en soit, le projet de «l’anti-société».
Ce qui a séduit hier – ne séduit guère aujourd’hui.
La quasi-intégralité des chefs d’États européens à ce jour ne sont que des traîtres à leurs nations et dont une de leurs rares grandes qualités en commun
est celle de creuser d’une manière exponentielle les dettes des pays qu’ils représentent et d’imposer au centre des intérêts majeurs des nations ceux des minorités destructrices qui
privent de plus en plus la majorité de leurs droits et libertés, et qui se montrent, en même temps, de plus en plus mécontentes et insatiables.
Dès février 2022, observant la flagrance des doubles standards appliqués par la communauté occidentale, observant la confiscation totalement illégale selon
le droit international, le vol des réserves financier russes – les pays du monde non occidental s’éloignent d’une manière accélérée de cette dernière, constatant, à juste titre, qu’ils
peuvent être les prochaines victimes.
L’effondrement de la réputation de l’Occident en tant que terre du droit a eu lieu.
Après ce premier effondrement, l’effondrement de la réputation politico-militaire de l’occident collectif vis-à-vis de l’opinion du reste du monde est
inévitable.
Plus aucun engagement occidental garanti par sa force militaire ne sera crédible. Les prolongations répétées des investissements massifs dans la guerre sur
le territoire de l’Ukraine ne sont dues qu’à la tentative de nuancer les dommages majeurs que l’image de la puissance et de la crédibilité militaire «atlantiste» subiront. L’ampleur sans
précèdent des investissements est directement proportionnelle à la compréhension de l’ampleur du désastre réputationnel qui suivra.
La motivation du camp occidental est d’autant plus soutenue que derrière la réputation globale c’est la réputation et l’avenir politique purement personnel
des dirigeants impliqués qui sont en jeu.
Néanmoins, si pour les États-Unis d’Amérique, pris à part, les intérêts en jeu sont très au-delà de l’élément unique de leur réputation – la guerre en
Ukraine n’est que la démonstration d’une étape intermédiaire de la lutte des États-Unis pour sa survie dans son état actuel qui est inconcevable sans la sauvegarde et l’élargissement des
monopoles et la sauvegarde de la domination unipolaire politico-militaire ou, plus précisément, militaro-monétaire à l’échelle mondiale – pour les pays de l’Union européenne,
toutefois, la poursuite de leur participation dans le conflit russo-ukrainien n’est qu’une question de «sauvegarde de la face» qui peut encore être nuancée.
Ainsi, pour les États-membres de l’UE, il existe une voie alternative, une voie de la sortie de crise profonde de leur engagement contre la Fédération de
Russie : le changement des gouvernances suivi d’un rebond significatif des souverainetés nationales, dont les indicateurs d’aujourd’hui sont au plus bas depuis 1944, ainsi que le retour
vers la politique de la protection des valeurs sociétales traditionnelles qui ont fait leur preuve et qui sont les seules à être constructives et viables à long terme et sont les seules à
ne pas être rejetées par le reste de l’humanité.
Le changement des gouvernances au niveau des états souverains avec l’arrêt par les futurs leaders politiques du maintien de l’assistance militaro-financière
du régime de Kiev, couplé d’une nette désolidarisation de la politique menée par les prédécesseurs, aujourd’hui au pouvoir, qui absorberont ainsi en grande partie le désastre
réputationnel.
Ceci est l’unique voie non désastreuse de la sortie de crise que l’Europe vit aujourd’hui, mais qui parait, néanmoins, très hautement improbable quant à sa
réalisation dans les temps qui couvrent le conflit en Ukraine. Car, à l’heure d’aujourd’hui, il n’existe en Europe aucune force politique prête à s’engager en contrecourant au risque
garanti de perte de la masse électorale, trop embrigadée et formatée par les outils de manipulation de masses, tels que le filtrage et la distorsion de la réalité dans le cadre de la
guerre de la propagande «atlantiste» et de la désinformation menée par les médias meanstream.
Le choix du futur
Aujourd’hui, les États du monde sont mis devant le choix stratégique. Le choix qui les laissera soit en position qui est la leur depuis des décennies, soit
qui modifiera leur perception et leur rôle sur la scène internationale : rester dans le sillage et sous la domination directe ou indirecte de la puissance militaro-monétaire américaine,
épaulée par le vieux continent, ou de changer le vecteur de leur politique étrangère et de rejoindre l’alliance multipolaire qui est, dorénavant, incarnée par les membres du BRICS qui,
depuis sa création en 2006, s’est démontrée comme une structure viable de la coopération économique seine, construite sur les principes fondamentaux de la non-ingérence, de l’égalité des
droits et du bénéfice mutuel.
Contrairement à des narratifs propagés pas les mass-médias américano-centrique, la nouvelle formule des relations initiée par la Fédération de Russie séduit
de plus en plus de pays qui constatent la défaillance du système de la coopération économique axée sur le modèle occidental vis-à-vis de leurs intérêts nationaux.
L’organisation BRICS, constituée du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud, représente plus de 40% de la population de la Terre
et plus de ¼ de son PIB et de sa surface, a reçu en juin et en novembre 2022 les candidatures officielles à l’adhésion de la part de trois nouveaux pays, dont deux sont des géants
énergétiques : l’Algérie, l’Argentine et l’Iran.
Beaucoup d’autres états ont exprimé leur intérêt à entrer dans le BRICS : les Émirats Arabes Unis, la Turquie, l’Indonésie, la Syrie, l’Arabie
Saoudite, le Kazakhstan, le Tadjikistan, le Mexique, la Thaïlande, le Nigéria, le Cambodge, la Malaisie, le Sénégal, l’Ouzbékistan, les Fidji, l’Éthiopie et même un pays-membre de l’EU –
la Grèce. L’Égypte et le Bangladesh sont les candidats officiels à l’adhésion dès ce mi-juin 2023.
Cela étant, il est à noter que BRICS n’est nullement un club aux portes largement ouvertes à tous. La nouvelle structure n’a aucune attention de répéter les
graves erreurs d’autres unions, notamment, de l’Union européenne qui a fait entrer dans ses rangs ceux qu’on peut qualifier de «n’importe qui», dont les agents d’influence directs des
Etats-Unis qui ont fait anéantir la possibilité du développement politico-économique de l’Union d’une manière autonome de la supervision nord-américaine. Comme exemple, la candidature de
la Corée du Sud – pays totalement vassalisé par l’Occident – fait partie de celles qui ont été rejetées à la suite de son incompatibilité avec les intérêts et les principes du
BRICS.
Malgré les évidences, dont l’un des éléments fondamentaux est l’intérêt mondial sans précédent vers la structure du BRICS face au G7 et même au G20, le
pouvoir «atlantiste» continue à répéter ses mantras fantaisistes sur l’isolement de la Fédération de Russie et sa mise en état de paria, au lieu de refléter l’évidence qu’il essaie
frénétiquement de cacher à leur électorat.
Le choix des Français
Non seulement faire valoir les intérêts stratégiques de la France sous le fonctionnement actuel de l’Europe à 27, dont les intérêts de plusieurs
états-membres sont pratiquement à l’opposé de ceux des Français, est une totale utopie, mais le retour même à l’Europe des Six de 1973 n’est guère une solution salvatrice, comme elle est,
parfois, présentée par des certains analystes.
Car, depuis les 40 dernières années, l’Allemagne a subi de profondes mutations au sein de ses doctrines et stratégies du développement à long terme qui, sur
plusieurs éléments-clés, vont directement à l’encontre des intérêts politico-économiques et militaro-industriels de la France.
Dans ce contexte, si la France, en ce qui la concerne, ne prend pas le chemin nettement souverainiste dans la
protection de ses intérêts nationaux vis-à-vis de sa participation dans des blocs internationaux américano-centriques, dont le réel rôle de Paris n’est plus
qu’auxiliaire ; si les élites politiques actuelles n’apprennent pas à développer leurs capacités de vision à long terme – il
n’existe strictement aucun projet national digne de ce nom avec une vision ne serait-ce que sur les 15 années à venir – le processus de désagrégation de l’image de la France en
tant que puissance ne va que s’amplifier et ses capacités de projection à l’international ne continueront que de se restreindre, ce qui, à terme, mènera inévitablement vers la
marginalisation du peuple français vis-à-vis des processus qui construisent le monde de demain.
Sans le coup d’État de 2014, l’Ukraine vivrait en paix (1/3)
Interview de Oleg Nesterenko, président du Centre de commerce et d’industrie européen, accordé à la publication L’Éclaireur des Alpes.
Partie 1/3
L’Éclaireur : Par-delà la
responsabilité de Vladimir Poutine dans le déclenchement de la guerre, quelles sont les raisons qui ont poussé les Russes à intervenir militairement en Ukraine, et quelles en sont les
causes profondes ?
Oleg
Nesterenko : En parlant des raisons qui ont poussé les Russes à intervenir militairement en Ukraine, les causes profondes et les éléments déclencheurs sont souvent
confondus, surtout dans la presse occidentale. Les éléments déclencheurs, on les prend pour les causes. Quant aux causes, on n’en parle même pas ou on raconte un peu n’importe quoi. Il
est important de les distinguer les unes des autres.
Il y a deux principaux éléments déclencheurs interdépendants. Le premier, c’est le coup d’État à Kiev en 2014. Sans ce renversement anticonstitutionnel du
pouvoir, l’Ukraine vivrait aujourd’hui en paix. Sans ce coup d’État, dont on a des preuves tangibles que les États-Unis d’Amérique étaient derrière avec l’aide de leurs suppléants
européens, il n’y aurait pas la guerre que nous vivons actuellement. Il est important de souligner qu’avant cet événement de 2014, ni la Crimée, ni la région du Donetsk, ni la région du
Lougansk n’avaient la moindre intention de se séparer de l’Ukraine. En Crimée, je n’ai jamais entendu personne, ni parmi les simples habitants, ni parmi les hauts responsables dans les
cercles fermés, parler de la possibilité ou nécessité de se séparer de l’Ukraine et de rejoindre la Russie. Il n’y avait aucune raison de le faire.
Et même plus tard, dans le cadre des accords de Minsk, l’idée de la séparation de l’Ukraine des régions de Lougansk et du Donetsk n’était nullement prévue,
ni même soulevée. C’est le supplément de l’autonomie vis-à-vis du pouvoir central de Kiev qui était le sujet de l’accord, en commençant par l’autonomie linguistique : le droit des
habitants de l’est de l’Ukraine de parler et d’utiliser leur langue natale, langue qu’ils souhaitent et non pas celle imposée par le nouveau pouvoir portant une légitimité plus que
discutable.
Le second point déclencheur de la guerre en Ukraine, c’est le massacre d’Odessa de 2014 dont en France on ne parle pas beaucoup. La propagande locale
cherche à occulter ce fait major. Il est beaucoup trop gênant.
Quand le coup d’État a eu lieu à Kiev et que les ultra-nationalistes, soutenus directement par les États-Unis, sont arrivés au pouvoir, les parties de
l’Ukraine qui sont russophones et traditionnellement pro-russes – les régions du Donbass, la Crimée, l’Odessa, Nikolaïev, Kharkov russophones – se sont soulevées.
Et quand les extrémistes sont venus à Odessa pour réprimer les manifestations parfaitement pacifiques des habitants, ils sont venus armés pour tuer.
Officiellement, il y a eu 48 morts. Réellement – certainement davantage. Et cela n’était pas des morts abstraits, victimes d’un accident quelconque. Ce sont les habitants d’Odessa qui ont
été massacrés par des ultranationalistes et néo-nazis venus des régions de l’ouest de l’Ukraine traditionnellement russophobe. Et ces habitants ont été massacrés avec une énorme
sauvagerie (violés et, ensuite, étranglés, brulés vif, …) pour leur refus d’accepter le nouveau pouvoir qui n’a jamais été élu par personne. Les habitants des régions pro-russes ont été
profondément traumatisés par cette tuerie, davantage même que par les événements à Kiev, car, cette fois ci, cela s’est passé chez eux et pouvait se reproduire à n’importe quel moment.
J’étais en Crimée en 2014 et je me souviens parfaitement des habitants disant «c’est totalement exclu que ces dégénérés viennent chez nous».
Bien que la quasi-intégralité des auteurs du massacre d’Odessa soit parfaitement connue – il y a une grande quantité de témoignages, des photos et des
vidéos avec les visages non dissimulés des participants à la tuerie – pas un seul n’a pas été ni arrêté, ni même inquiété par le nouveau pouvoir ukrainien. Ceci est le début, le fondement
de la nouvelle «démocratie» ukrainienne tant admirée par des masses crédules et manipulés en Occident.
Ainsi, après les proclamations d’indépendance des régions de la Crimée et du Donbass vis-à-vis de l’Ukraine qui ont été facile à réaliser, vu qu’au moins
les trois-quarts des populations concernées étaient farouchement opposés au nouveau pouvoir qui s’est fait installer à Kiev – les événements à Odessa n’ont fait que reconfirmer le
bienfondé de la séparation.
L’Éclaireur : Comment expliquer
l’immixtion des Etats-Unis et de l’Union européenne dans des affaires qui auraient pu rester somme toutes régionales ?
Oleg Nesterenko : Parce
que les vraies causes profondes de ce conflit sont toutes autres. Ces vraies raisons, il faut aller les chercher du côté des États-Unis. Il faut même oublier l’Ukraine parce qu’en fait,
elle n’y est pas pour grand-chose. Ce ne sont pas les Ukrainiens qui ont décidé ou décident de quoi que ce soit. Ils sont juste des exécutants et des victimes dans un grand jeu qui les
dépasse grandement.
Avant de parler des vraies causes profondes de ce conflit et du rôle sous-jacent de l’occident collectif, il est important de dire quelques mots sur le rôle
de la base navale russe en Crimée, à Sébastopol. Le rôle non pas dans le cadre des événements du février 2022, mais de mars 2014.
On a beaucoup parlé de Moscou qui avait l’intention de protéger les populations russes et pro-russes. C’est vrai. C’est une raison humaine. Mais,
géopolitiquement, la raison clé de la reprise de la Crimée était la base navale de Sébastopol. La base navale de Sébastopol est un élément stratégique pour la défense de la
Fédération de Russie. Celui qui contrôle la base navale de Sébastopol contrôle la mer Noire. C’est aussi simple que cela. Pour le Kremlin, il était donc inconcevable que les Russes qui
s’y trouvent depuis toujours, et non pas que depuis 1991, soient chassés et qu’à leur place il y ait des navires de l’OTAN et que les États-Unis s’y installent. Car c’était bien le projet
occidental.
L’Éclaireur : Ce port
représente-t-il une quelconque stratégie pour l’Ukraine ?
Oleg Nesterenko : La
base navale de Sébastopol n’a aucune valeur stratégique, voir existentielle pour l’Ukraine. L’Ukraine n’a jamais été et ne le sera jamais une puissance navale. Les forces navales
ukrainiennes aujourd’hui sont, tout simplement, inexistantes. Sans parler que la présence des Russes n’était pas gratuite. La Russie payait chaque année la location du port. C’était donc
plutôt bénéfique pour Kiev de louer la base aux Russes. En revanche, pour l’OTAN, c’est un point plus que stratégique. La prise du port de Sébastopol aurait vraiment été une grande
victoire géopolitique. Pour Moscou, c’était donc un élément existentiel de ne jamais permettre l’accès à des forces ennemies à la base de Sébastopol.
Après l’entrée en 1952 de la Turquie dans l’OTAN et, ensuite, l’absorption de la Roumanie et de la Bulgarie en 2004, la géostratégie de l’alliance
atlantique était et est toujours d’absorber l’Ukraine et la Géorgie en claustrant les forces navales russes dans le port de Novorossiysk – seule base navale restante en eaux profondes,
et, ainsi, faisant de la mer Noire la mer interne de l’OTAN.
Malgré les mensonges répétés au fil des années, c’est exactement cela qui a été projeté et dont l’unique cible était bien la Russie. Et ceci même depuis les
années 1990 quand les relations Russie-occident étaient à leur plus haut niveau depuis 1944 ; à l’époque, le pouvoir de Moscou était encore très ouvert et trop naïf vis-à-vis des
intentions de l’occident collectif américano-centrique.
L’Éclaireur : L’Ukraine ne serait
donc qu’un pion et l’Europe une sorte d’échiquier ?
Oleg Nesterenko :
Malheureusement, c’est exactement le cas. Et les responsables à Kiev sont parfaitement au courant de la situation. Je ne crois pas une seule seconde que Zelensky et son entourage ne
soient pas conscients du rôle réel qui est le leur.
Pour revenir aux raisons profondes de la guerre en Ukraine, il n’y a pas une, mais trois raisons clés. C’est, d’une part, la volonté de continuation de la
domination mondiale par le système monétaire américain, donc le dollar. La guerre en Ukraine, c’est, avant tout, la guerre de la monnaie américaine (à suivre dans notre second
volet).
La deuxième raison, c’est la réduction maximale des relations économiques entre la Russie et l’Union européenne. Ce n’est pas la Russie, mais l’Union
européenne qui est le concurrent majeur des États-Unis sur le marché mondial. Diminuer la compétitivité des européens en les privant d’un des éléments majeurs de la régulation du coût de
revient de leur production industrielle qui est l’énergie russe bon marché était l’un des éléments clés de la politique étrangère américaine.
La troisième raison, c’est la volonté de l’affaiblissement significatif de la Russie et donc de ses capacités d’intervention vis-à-vis du futur conflit
majeur qui aura inévitablement lieu entre les États-Unis et la Chine et dont la Russie est «la base arrière» énergétique et alimentaire de cette dernière. Quand la phase active des
hostilités sino-américaines verra le jour, sans la Russie derrière, l’économie de la Chine sera condamnée.
L’Éclaireur:
Comment expliquer que les Américains n’aient pas essayé (s’ils n’ont pas essayé) de déstabiliser la Russie en interne comme ils l’ont fait en Ukraine ?
Oleg Nesterenko : Ce
mode opératoire fait partie de leur doctrine. En Ukraine ils ont réussi, mais il ne faut pas oublier qu’auparavant, ils ont déjà fait exactement la même chose en Géorgie, en 2003, où ils
ont parfaitement réussi le coup, et ont essayé de reproduire le même scénario et en Biélorussie et au Kazakhstan, entre autres. Cela n’a pas marché en grande partie grâce aux soutiens de
la Russie aux pays visés.
Bien évidement qu’ils ont essayé de déstabiliser la Russie de l’intérieur. Et, de leur point de vue, ils ont parfaitement raison de le faire, car la seule
et unique possibilité de faire effondrer la Russie, c’est de l’intérieur. Non seulement ils l’ont essayé, mais ils continuent d’essayer. Sauf que le mode opératoire de l’adversaire est
parfaitement connu et les structures de la sécurité interne du pays sont bien adaptées pour lutter contre la menace.
La Russie n’est pas la Géorgie, et encore moins l’Ukraine, compte tenu de sa puissance et de ses structures politiques très largement soutenues par la
population. La Russie est beaucoup plus stable.
L’Éclaireur : La Russie
n’a-t-elle pas néanmoins sous-estimé la capacité de résistance des Ukrainiens ?
Oleg Nesterenko :
Rappelez-vous les expertises, sérieuses, qui ont été faites sur la capacité de l’Ukraine à maintenir la résistance contre la Russie. À l’époque, juste avant le déclenchement, il était
estimé que l’Ukraine ne pouvait tenir qu’un temps très limité face à la Russie.
Contrairement aux informations développées dans les mass médias occidentaux et malgré les événements que l’on observe sur le terrain depuis plus d’un an,
j’aimerais souligner que ces experts qui ont prévu que l’Ukraine ne pourrait résister qu’un temps limité n’ont eu nullement tort. Ils ne se sont nullement trompés dans leurs
prévisions.
Mes paroles peuvent paraitre étonnantes vis-à-vis de ce qu’on observe depuis plus d’un an. Pourtant il n’y a pas à s’étonner. Il ne faut jamais oublier que
le déclenchement de la phase active des hostilités a eu lieu fin février 2022 et que déjà fin mars 2022, il y a eu des pourparlers à Istanbul entre l’Ukraine et la Russie. Pour quelles
raisons une partie qui se sent forte et qui sait qu’elle a encore des capacités considérables de résistance se mettrait-elle autour d’une table de négociations pour convenir d’une forme
de reddition ? Ça n’arrive jamais ainsi. Les Ukrainiens se sont mis autour d’une table de négociation étant conscients que leurs capacités de résistance étaient très limitées.
À Istanbul, quand les deux parties ont trouvé un consensus sur la majorité d’éléments clés de l’accord sur l’arrêt des hostilités, quand ils ont été
pratiquement à un pas de la ratification du document de l’accord de paix, il y a eu un virage à 180 degrés du côté ukrainien. Pourquoi ? Il ne faut pas avoir une grande expérience dans le
monde des affaires pour savoir : dans le cadre de négociations, quand une des deux parties fait volte-face du jour au lendemain, cela ne signifie qu’une seule chose – que cette partie a
eu une contre-proposition de la part des concurrents de ceux qui sont en face d’elle. C’est comme cela que cela se passe dans le monde des affaires. Dans la politique c’est pareil.
Si l’Ukraine a pu se permettre le luxe de faire une croix sur l’accord de paix, c’est tout simplement qu’elle a reçu une contre-proposition. Et cette
contre-proposition ne pouvait venir que du camp occidental. Les évènements qui ont suivi ont dévoilé les éléments de cette proposition : l’Ukraine a reçu une proposition pour l’ouverture
d’une gigantesque ligne de crédit partiellement payable en armement. En contrepartie, l’Ukraine devait s’engager à s’interdire de conclure un accord d’arrêt de guerre face à la Russie et
fournir «la main d’œuvre» combattante. C’était ça l’accord.
Afin de répondre au second engagement de Kiev, les frontières nationales de l’Ukraine pour sortir du pays ont été fermées. En France, on n’en parle pas
beaucoup – car c’est une vérité trop gênante – mais au début de la guerre il y a eu un gigantesque exode des populations des territoires de l’Ukraine, notamment de la population
masculine. Les hommes savaient que s’ils ne partaient pas, ils seraient envoyés à la tuerie. Quand on parle à la télévision occidentale de l’héroïsme ukrainien, ça me fait sourire sachant
parfaitement que le pays se serait vidé des futurs combattant en un temps très réduit si les frontières n’étaient pas interdites de passage. Entre parenthèses, il faut savoir que pour
quitter l’Ukraine depuis la fermeture des frontières et encore aujourd’hui, il faut débourser un pot de vin aux fonctionnaires de la douane ukrainienne qui va de 7 à 10 000 dollars
américains. C’est pour dire que pratiquement aucun riche ukrainien ne combat pas en Ukraine. Mourir aujourd’hui en Ukraine – c’est le sort des pauvres. Cette information provient
directement de nombreuses personnes qui l’ont payé pour quitter le pays et que je connais personnellement.
L’Éclaireur : Les réfugiés
ukrainiens ont en Europe bénéficié d’un statut très protecteur, comparé notamment aux Syriens ou aux Afghans. Mais selon vous, c’est usurpé ?
Oleg Nesterenko : C’est
bien le cas. D’une part, le bloc «atlantiste» est directement responsable de l’exode des populations syriennes et afghanes – il faudrait un article à part pour énumérer les actions de
«bienfaisance» commises par ce bloc contre ces pays et leurs désastreuses conséquences. Et je ne parle pas uniquement, par exemple, de l’acte d’agression de la Syrie lequel est
juridiquement considéré en tant que crime d’agression, selon les points a, b, c et d du paragraphe 2 de l’article 8bis du Statut de Rome de la CPI tant chérie et mise en avant ces
temps-ci par ceux qui la financent. Il faut remonter bien plus loin, notamment aux origines de la création de divers courants et structures, dont l’État islamique. Si nous sommes dans la
logique de l’accueil des réfugiés venus de tous les horizons, alors, c’est bien ces deux populations qui ont le plus de légitimité pour en bénéficier, sans compter les Libyens, dont les
sous-traitants des États-Unis ont anéanti l’avenir de leur pays.
D’autre part, concernant les réfugiés ukrainiens, notamment en France, il y a ce que l’on connaît d’eux via les mass médias et il y a la réalité qui diffère
grandement de la propagande. Les médias occidentaux présentent les Ukrainiens en tant qu’un groupe d’individus qui ont fui la guerre. C’est le narratif que l’on connait. La réalité n’y
correspond pas du tout.
Les réfugiés ukrainiens sont très loin d’être un bloc homogène. Il y a une très nette séparation entre les réfugiés venus de l’est et ceux venus de l’ouest
du pays. Ceux de l’ouest du pays, territoires traditionnellement nationalistes, ont fui l’Ukraine, tandis que leur région ne se trouvait sous aucune réelle menace. Ils ne risquaient rien,
ni au début de la guerre, ni aujourd’hui. Dès le second mois du conflit, il était déjà clair que la Russie n’était nullement intéressée par cette zone. L’ouest de l’Ukraine, ce n’est ni
la Syrie, ni l’Irak. La réelle motivation du départ d’habitants de cette zone vers l’Europe n’est nullement humanitaire, mais économique.
Il faut savoir que depuis la chute de l’Union soviétique, les régions de l’ouest de l’Ukraine ont toujours vécu dans une grande pauvreté, à la limite de la
misère : pratiquement toutes les richesses du pays sont concentrées à Kiev et à l’est de l’Ukraine. De 1991 au 2022, des millions d’Ukrainiens, majoritairement des régions mentionnées,
sont partis travailler à l’étranger. Il y a deux destinations pour ces travailleurs : la Russie et l’Union européenne. Vous l‘ignorez certainement, mais même aujourd’hui il y a plus d’un
million de travailleurs ukrainiens sur le sol russe. Et je ne vous parle que du chiffre officiel de ceux qui dispose d’un permis de travail officiel. Avec le marché du travail au noir on
estime qu’il y a plus de 3 millions de citoyens ukrainiens travaillant en Russie. Le nombre traditionnellement très élevé de travailleurs illégaux ukrainiens est dû à la politique de
tolérance à leur égard qui a toujours eu lieu en Russie : ils ne risquent pas grande chose étant arrêté.
D’autres sont partis travailler au noir dans l’Union européenne. Quand vous avez une personne d’un village qui part travailler vers l’Europe, à terme, c’est
parfois la majorité de la population du village en âge de travailler qui suit son chemin, les uns après les autres. Dans sa majorité écrasante, les hommes travaillent dans le bâtiment et
les femmes qui accompagnent leurs maris – en tant que femmes de ménage. Les hommes font surtout des «rotations», car la plupart du temps, leurs familles restent au pays. Et on parle ainsi
de millions de personnes. Si parmi vos lecteurs, un grand nombre n’a jamais entendu parler de cela, sachez qu’en Ukraine il n’y pas une seule personne adulte dans tout le pays pour qui
mes propos ne sont une banalité.
Avec le déclenchement de la guerre, un grand nombre de familles sont parties rejoindre leurs maris travaillant au noir dans l’Union européenne. Beaucoup
d’autres ont vu une opportunité pour partir et changer de vie. En partant, beaucoup ont fait louer leurs biens immobiliers à des réfugiés de l’est du pays qui ne sont traditionnellement
pas attirés par les richesses de l’Europe et préfèrent rester en Ukraine. Il y a un véritable scandale en Ukraine, dont vous n’allez jamais bien évidemment entendre parler, sur ses
profiteurs de guerre qui n’ont jamais été en danger et qui sont partis toucher des allocations en Europe en louant à des prix exorbitants leurs biens à de vrais réfugiés, vu la demande
qui a explosé et qui a fait démultiplier les prix dans le locatif. Ce ne sont nullement des cas isolés, mais une très grande pratique dans l’intégralité des régions de l’ouest du pays. Au
point qu’aujourd’hui il y est impossible de trouver le moindre bien à louer qui ne soit au prix, tout au moins multiplié par deux, et même par cinq par endroit, par rapport à celui
pratiqué avant la guerre.
En tout cas, ceux qui sont originaires de l’ouest de l’Ukraine et qui ne sont pas dans l’Union européenne pour des raisons économiques, sont déjà repartis
chez eux depuis un moment. Je suis formel.
En revanche, ceux qui sont originaires de l’est du pays, territoires traditionnellement pro-russes, ont fui un danger on ne peut plus réel. Parmi eux, ceux
qui sont partis vers l’Europe sont ceux qui n’ont pas eu de moyens financiers pour rester à l’ouest de l’Ukraine qui est une zone d’une parfaite sécurité, mais où ils se font dépouiller
par des locaux qui, par ailleurs, les détestent presque autant que les Russes. Et ce que les Européens ignorent, c’est que parmi ces vrais réfugiés beaucoup sont foncièrement pro-russes
et haïssent le régime de Kiev et tout ce qu’il représente. S’ils ne sont pas partis vers la Russie, ce n’est dû qu’au fait qu’il n’était pas possible de traverser la ligne de front. Ils
n’avaient qu’une possibilité de fuir : vers l’ouest.
En France, vous avez une part relativement importante de réfugiés ukrainiens qui sont parfaitement pro-russes, mais qui se taisent, car ils savent qu’il ne
faut surtout pas que l’accueillant intoxiqué par sa propagande apprenne la vérité les concernant et les rejette pour des raisons politiques. Ce sont surtout des personnes âgées de plus de
45 ans, ceux qui ont reçu une éducation encore sous l’URSS. Ce ne sont nullement des nostalgiques du passé soviétique, loin de là. Ce sont juste ceux qui savent exactement ce qu’est la
Russie et le monde russe, car ils y ont vécu.
L’Éclaireur : On a une idée du
nombre d’Ukrainiens qui ont fui l’Ukraine ?
Oleg Nesterenko : Je ne
dispose pas de chiffres précis mais on parle de millions qui sont partis vers l’Europe, dont plus de 100 000 vers la France. Il faut se rappeler que les frontières ont été fermées dès le
mois de mars 2022, sans quoi la quasi-intégralité de la population masculine âgée de 18 à 60 ans aurait fui le pays et il ne resterait plus personne à envoyer à l’abattoir. Mais le pays
qui a accueilli le plus de réfugiés, c’est bien la Russie. Il y a plus de 3,2 millions de personnes. Et parler des départs des habitants ukrainiens vers la Russie d’une manière forcée
n’est que signe d’imbécilité et de déconnexion totale de la réalité.
L’Éclaireur : Alors que la
question se pose de la fin de la suprématie du dollar, vous dites que la guerre en Ukraine est non seulement la guerre du dollar américain mais qu’elle n’est pas la
première…
Oleg Nesterenko : Je
vois que vous faites allusion à mon analyse sur les guerres du dollar, publiée cela fait quelque temps… En effet, ce n’est pas la première, ni même la deuxième, mais la troisième guerre
du dollar. La première, c’était la guerre contre l’Irak de Saddam Hussein. La deuxième, celle de la guerre contre la Libye de Kadhafi. Et la troisième, donc, contre Moscou sur le
territoire de l’Ukraine, menée sur le territoire d’un État tiers tout simplement parce qu’on ne peut pas mener la guerre contre les Russes directement chez eux. Et ce n’est que la guerre
hybride et par procuration qui peut avoir lieu face à la Russie.
S’agissant des deux premières guerres du dollar, il faut d’abord comprendre que des pays comme l’Irak et la Libye sont, avant tout, des grandes puissances
énergétiques. Des puissances qui ont osé mettre la monnaie américaine en danger. En 2003, Saddam Hussein avait mis sa menace à exécution : celle
de cesser de vendre les hydrocarbures et le gaz en dollar américain. Saddam Hussein était le premier à soulever la question de la légitimité du dollar, du pétrodollar et, surtout, à
agir d’une manière très significative contre ce dernier. Il a alors signé son arrêt de mort.
En février 2003, Saddam Hussein a vendu 3 milliards de barils de pétrole brut pour un montant supérieur à 25 milliards d’euros. Cette vente a eu lieu bien
en euros et non pas en dollars américains. Un mois plus tard, les États-Unis envahissaient l’Irak. On ne connait pas les chiffres exacts, mais on estime le nombre de victimes à un
million, dont une sur deux était mineure. Sans parler des centaines de milliers de morts supplémentaires dans les années qui ont suivi à la suite de la destruction totale de
l’infrastructure sociale et économique du pays. D’ailleurs les Américains eux-mêmes, leurs analystes dignes de ce nom, le reconnaissent.
En 2009, en Libye, c’est aussi une guerre du dollar qui a eu lieu. Président de l’Union africaine à cette époque, Mouammar Kadhafi, a proposé à tout le
continent africain une véritable révolution monétaire : se
soustraire de la domination du dollar américain et créer une union monétaire panafricaine. Avec elle, les exportations du pétrole et d’autres ressources naturelles du continent
noir auraient été payées non pas en dollar ou pétrodollar, mais dans une nouvelle monnaie qu’il appellerait le dinar-or. Lui aussi a signé son arrêt de mort.
Si de telles déclarations avaient été faites non pas par l’Irak ou la Libye, richissimes en pétrole et le gaz, mais, par exemple, par le Burkina Faso qui
est riche en or, mais dépourvu des réserves prouvées en hydrocarbures – il n’y aurait eu aucune guerre. L’Irak de Saddam Hussein et la Libye de Kadhafi, étant des puissances énergétiques
dotées de réserves gigantesques étaient un danger existentiel pour l’économie américaine. Les deux leaders avaient annoncé ouvertement et officiellement qu’ils voulaient se débarrasser du
dollar américain. Ce sont aussi deux pays avec lesquels les États-Unis n’avaient pas à craindre de conséquences néfastes dans le cas d’une agression. Il fallait donc les anéantir. Et cela
a été fait sans tarder.
Avec Moscou, ce n’était pas possible. La Russie, ce n’est ni l’Iran, ni l’Irak, ni la Libye. Avec la Russie, les États-Unis ne pouvaient agir
qu’indirectement.
L’Éclaireur : Mais qu’est-ce que la
guerre entre l’Ukraine et Moscou a à voir avec le dollar américain ?
Oleg Nesterenko : Moscou
a réellement menacé le statut du dollar américain sur la scène internationale, et, donc, toute l’économie américaine derrière. Dès l’arrivée de Poutine au pouvoir, bien avant 2021 et même
avant le coup d’État anti-russe en Ukraine en 2014, la Russie, qui est une puissance énergétique de premier plan, a entamé le processus de liquidation des bons du Trésor américain
(détenus par l’État russe, ndlr), bons libellés en dollar.
En cinq ans, de 2010 à 2015, la Russie a divisé par deux le nombre de bons du Trésor américain qu’elle détenait. Alors que jusque-là, elle faisait partie
des plus gros détenteurs au monde, elle n’en possède quasiment plus aujourd’hui.
En parallèle, la fédération de Russie a également commencé à se séparer progressivement du système des pétrodollars en concluant des accords commerciaux
payables en monnaie nationale, à commencer par la Chine. Des quantités gigantesques de produits énergétiques ont commencé à être payés en yuan chinois et en rouble russe.
C’étaient les débuts des débuts de la nouvelle guerre qui a commencé à être préparée et qu’on connait depuis février 2022.
C’est la Chine qui est désignée comme l’adversaire numéro 1 des États-Unis, mais c’est bien la Fédération de Russie qui a déclenché le processus de la
libération du monde du système des pétrodollars.
Avec le déclenchement en février 2022 de ce que j’appelle la phase active de la guerre qui dure depuis bientôt 10 ans, la Russie et la Chine, en tandem,
cette fois de manière officielle puisque les masques sont tombés, incite les banques centrales de par le monde à repenser le bienfondé de leurs investissements dans des obligations du
Trésor américain et, donc, dans l’économie et le bien être des américains.
Le dollar américain, c’est une monnaie de singe. Il n’y a rien derrière. Rien de tangible. La valeur d’aujourd’hui du dollar américain n’a strictement rien
à voir, pour sa majeure partie émise, avec de réels actifs qui devraient l’assurer. Sa valeur n’est soutenue que par la planche à billets et la domination militaire des États-Unis. La
domination qui supprime tous les mécontents.
L’Éclaireur : Avec la dédollarisation,
l’euro, que personne n’a semble-t-il poussé, aurait-elle pu être une alternative au dollar ?
Oleg Nesterenko : Il ne
faut pas sous-estimer le poids et le rôle potentiel de l’euro. Par le passé, Saddam Hussein, par exemple, a voulu vendre son pétrole non pas en dollar, mais en euro. Et c’est, d’ailleurs,
la raison principale de la guerre d’Irak et de l’assassinat de Saddam. L’euro peut, ou plutôt pourrait, jouer un rôle plus important qu’il ne l’est aujourd’hui. Mais, je ne crois
absolument pas que cela aura lieu. Le potentiel ne sera pas réalisé. Tout simplement parce que la politique européenne est profondément soumise à la volonté américaine.
Les États-Unis ne permettront jamais que la monnaie du vassal leur fasse de l’ombre. Et avec le niveau de la médiocrité des hauts responsables ou, plutôt,
il faut dire des irresponsables de l’Europe et de la majorité des chefs d’états qui la compose aujourd’hui, les Américains et leur monnaie n’ont vraiment rien à craindre du côté de
l’euro. Les initiatives des leaders européens sont tellement, la plupart du temps, anti-européennes et anti-nationales que ceux-ci ressemblent davantage à des consuls honoraires des
États-Unis sur le vieux continent qu’à autre chose.
Et comme si cela n’était pas déjà suffisant, pratiquement demain – en 2025 – la présidence du Conseil de l’Union européenne sera tenu par les Polonais. La
Pologne est un agent direct, pratiquement le salarié des États-Unis au sein de l’UE. Les Polonais prendront la tête de l’UE juste après la Hongrie et feront le nécessaire pour anéantir
les moindres acquis souverainistes des rebelles hongrois. Deux ans avant que cet événement déplorable ait lieu, ils ont d’ores et déjà annoncé que leur principale priorité sera le
renforcement de la «collaboration» de l’UE avec les États-Unis. Dans les années qui vont suivre, les restes très modestes de l’autonomie européenne, militaire et économique, vont être
encore davantage réduits et ne seront que symboliques.
Ce n’est pas pour rien qu’aucune puissance au monde, y compris les États-Unis et encore davantage la Russie et la Chine, ne reconnaisse l’UE en tant
qu’interlocuteur sérieux et ne privilégie de traiter qu’au niveau des états-membres séparément. Sur la scène internationale, les fonctionnaires de Bruxelles n’ont aucun poids politique et
ne font que de la figuration.
Mais je ne crois pas au pire scénario pour la monnaie européenne – sa disparition. Car le bateau de l’euro est déjà parti beaucoup trop loin en mer et ne
dispose plus de carburant pour revenir en arrière sans faire couler les économies des pays-membres. Mais, cela étant, je suis plus qu’un eurosceptique. Non pas que je suis contre la
réunion des pays occidentaux autour d’un centre européen – loin de là : l’histoire de l’humanité démontre que tout va vers la réunion des forces similaires qui ont la même vision des
choses, des valeurs et des objectifs similaires.
C’est juste que le projet en sa version optimiste, l’image idéale – c’est une chose ; la réalité – s’en est une autre. En observant la «dégénérescence»
ces dernières décennies et surtout depuis 2004, du beau projet européen initial, il n’est plus possible d’ignorer que l’Union européenne n’est devenue qu’une sorte d’hydre
dysfonctionnelle, dont chaque tête a ses propres idées. Il est plaisant de constater que la Russie à elle seule a réussi à faire se resserrer ces têtes. C’est la peur, la haine et les
phobies qui les ont rapprochés davantage que tout le reste du projet européen.
L’Éclaireur : Comment se porte
l’économie russe au regard des sanctions mises en œuvre par les Occidentaux ?
Oleg Nesterenko : A
court et à moyen terme, les retombées des sanctions occidentales contre l’économie russe sont relativement faibles. Du point de vue du niveau de vie de la large majorité de la population,
l’effet de ces sanctions est tout simplement inexistantes. Cela étant, il ne faut pas être naïf : à long terme, bien évidemment, il y aura certains domaines d’activité qui
souffriront jusqu’à un certain degré. Degré qui dépendra d’un grand nombre de variables.
En parlant des conséquences des sanctions occidentales contre la Russie, il ne faut pas perdre de vue le sens même du déclenchement desdites sanctions. Dans
chaque business plan, il y a la présence obligatoire et fondamentale des notions de l’investissement et du retour sur investissement dans des limites temporelles prédéfinies d’une manière
précise. La première bonne question à se poser est : est-ce que les sanctions sont parvenues à leurs objectifs fixés dans le temps et les ampleurs précalculées ?
Les faits sont connus, bien qu’ils soient soigneusement minimisés et déformés par ses auteurs, afin de se sauver la face : les objectifs visés par les
sanctions déclenchées étaient l’effondrement de l’économie de la Fédération de la Russie qui aurait dû mener, de
facto, à la capitulation de la Russie dans le cadre du conflit en Ukraine. Le résultat de cette entreprise est un échec total. Il n’y a eu aucun effondrement. Il n’y aucun
effondrement aujourd’hui et il n’y aura aucun effondrement demain. En parler n’est que pures spéculations fantaisistes coupées de la réalité.
Les sanctions qui avaient les plus grandes chances de réussite ont été mises en place au tout début de la confrontation. Surtout celles de la seconde et de
la troisième vague qui ont visé les fondements mêmes de l’infrastructure du système financier de la Russie, les capacités des acteurs publics et privés de lever des capitaux auprès des
marchés financiers mondiaux, ainsi que la déconnexion de centaines de banques russes du système Swift, dont des banques «systémiques».
Ces sanctions faisaient partie du business-plan initial et ont été jugées pleinement suffisantes pour arriver à des objectifs préétablis de
l’effondrement de l’économie russe dans des délais limités, inférieurs à douze mois. Toutes les autres vagues de sanctions, qui ont eu lieu par la suite et qui auront encore lieu à
l’avenir, sont sans aucune mesure aussi dangereuses pour la stabilité économique et financière de la Russie et ne sont que des gesticulations assez chaotiques dues à l’effondrement du
projet initial occidental.
Les retombées de ces actions sont-elles néfastes pour le pays à long terme ? La réponse est non. Je rappelle que ce n’est pas depuis 2022, mais depuis
2014 que la Russie fait l’objet d’importantes sanctions de la part du camp occidental. On ne parle plus du tout de ces sanctions «originelles» dans la propagande «atlantiste» ; et pour
cause. Non seulement, l’économie russe n’a été nullement ébranlée malgré les jubilations de Barak Obama – «l’économie russe est en morceaux !» au moment d’une importante,
mais ponctuelle, chute du cours de la monnaie russe – mais en plus, les sanctions ont joué le rôle de catalyseur et ont grandement renforcé la souveraineté de l’économie nationale.
Nul besoin de commenter les
propos de Bruno le Maire du 1er mars 2022 sur l’anéantissement imminant de l’économie russe, qui sont encore plus ridicules que ceux d’Obama et qui ne font que démontrer,
une fois de plus, l’amateurisme flagrant de ce monsieur occupant un poste qui ne coïncide pas avec ses aptitudes et compétences professionnelles.
La nature a horreur du vide. Si dans les pays à capacités réduites de la coopération à l’international les embargos peuvent maintenir le vide sectoriel
artificiellement créé, cela ne fonctionne pas vis-à-vis des grandes puissances dont les économies ne peuvent jamais être tenues dans l’isolement à long terme. Des alternatives au niveau
national et international sont toujours mises en place.
Ainsi, les restrictions des importations alimentaires en provenance de pays qui ont soutenu les sanctions contre la Russie se sont traduites par la
croissance et la consolidation, et de manière très significative, du secteur agro-alimentaire. En seulement quelques années de sanctions, la Russie est passée de grand importateur de
produits agro-alimentaires à exportateur. D’autres secteurs sont en train de devenir autosuffisants et, au terme des hostilités russo-occidentales, deviendront quasi-impénétrables pour
les acteurs économiques européens.
Les entreprises des secteurs de l’énergie et de la défense contournent aisément les sanctions en refusant tout simplement d’utiliser le dollar américain
dans leurs transactions internationales au profit de la devise russe et celle du pays partenaire. Ceci en accélérant par la même occasion le processus de la dédollarisation du monde,
cette monnaie qui est devenue hautement toxique.
Dans le secteur financier, anticipant dès 2015 le risque d’être coupé un jour du système international de messagerie bancaire SWIFT contrôlé par l’Occident,
la banque centrale de la Fédération de Russie a créé son propre système de transmission interbancaire, le système SPFS, ainsi que son propre système de paiement pour cartes bancaires, le
système MIR. Les deux systèmes sont utilisables à l’international et sont déjà liés au système bancaire chinois Chinese Union Pay. D’autres pays vont rejoindre SPFS. Le grand outil
de menaces et de chantage permanent du camp américano-centrique vis-à-vis du reste du monde d’être coupé de leur SWIFT n’est plus considéré comme une fatalité et un danger
existentiel.
Parallèlement, aujourd’hui nous discutons très sérieusement non seulement de la création d’une nouvelle monnaie commune à des pays du BRICS, mais également
de la monnaie numérique : le rouble numérique. La monnaie sera un excellent moyen supplémentaire de se débarrasser de la contrainte des sanctions illégales, car elle pourra être
utilisée sans faire appel aux services des banques qui elles-mêmes peuvent craindre de faire l’objet d’hostilités occidentales.
L’Éclaireur : Selon vous, l’Occident a
donc plus à craindre, et notamment du retour de bâton de ses sanctions ?
Oleg Nesterenko : Les
relations économiques russo-allemandes détruites, les retombées sur l’économie allemande par exemple seront dramatiques. L’industrie allemande, dont une belle partie est énergivore, est
déjà en grande difficulté vu que ses coûts de production ont tout simplement explosé et que ses concurrents directs, non européens, en commençant par les Américains, n’ont pas les
problèmes que les Allemands viennent de se créer.
Dans l’Union européenne qui est, en fait, la seconde grande cible collatérale des sanctions anti-russes américaines, la plupart des projets de coopération
intracommunautaire dans les domaines scientifiques, technologiques et énergétiques sont déjà revus à la baisse. À moyen terme, les pertes totales de l’ensemble des pays de l’UE dues aux
sanctions contre Moscou sont estimées à plusieurs centaines de milliards d’euros.
Quand j’ai parlé des restrictions des importations alimentaires en provenance des pays hostiles vers la Russie, il ne faut pas oublier que les agriculteurs
européens y perdent des milliards d’euros chaque année et perdront, à terme, encore des dizaines de milliards, car le marché russe est fermé pour eux à très long terme. Et même dans un
avenir éloigné, quand les restrictions russes seront levées, les parts du marché qu’ils pourront reprendre seront dérisoires par rapport à celles qu’ils ont eu par le passé.
Côté tourisme, en Europe, c’est surtout la France qui paie la facture. Il n’y a plus de tourisme entre la Russie et la France. Si vous consultez les
professionnels du secteur de l’hôtellerie-tourisme du sud de la France, pour eux c’est désastreux, de même que pour le secteur de l’immobilier. Depuis 30 ans, le client russe était majeur
en termes de chiffre d’affaires. Les mass médias cachent très soigneusement cette réalité.
Pour le secteur des énergies, ce n’est même pas la peine d’en parler. On connait tous l’ampleur de la catastrophe. Catastrophe qui est tant bien que mal
dissimulée par de gigantesques compensations de l’État faites en creusant davantage la dette publique déjà démesurée et qui ne sera certainement pas remboursée.
À partir d’aujourd’hui, ce sont les États-Unis qui non seulement feront la régulation du coût de revient des industries énergivores, mais également
prendront la décision du prix d’une baguette à la boulangerie ou de la facture de chauffage pour les ménages. Et ceux qui pensent que les Américains feront des cadeaux à leurs concurrents
vassalisés que sont les Européens, qu’ils laissent tomber leur mauvaise habitude de rêver, cela ne leur réussit pas…
D’une manière générale, tout ceux qui ont suivi le projet américain subissent et subiront des conséquences négatives sur leurs économies, des conséquences
bien plus néfastes que celles que la Russie connaîtra dans les années à venir. Car en économie comme dans les affaires, tout est une question d’alternatives. Et la Russie dispose
d’alternatives que les pays de l’Union européenne n’ont pas et n’auront pas.
Pour que la situation change, notamment en France, la politique étrangère française doit changer de manière radicale. Mais avec la propagande relayée d’une
manière très poussée par les médias mainstream et le conditionnement de l’électorat français, il est clair que même les futures élections de 2027 n’ont aucune chance de faire venir qui
que ce soit au pouvoir qui permettrait une significative amélioration des relations avec la Russie.
L’Éclaireur : Pour vous, les trains de
sanctions (le 11e actuellement) n’ont plus aucune efficacité ?
Oleg Nesterenko : Toute
la gamme des sanctions sérieuses contrôlables par le camp atlantiste est déjà épuisée.
Parfois, au niveau des restrictions, l’occident tombe dans le ridicule le plus grotesque. Par exemple, l’une des sanctions mises en place était
l’interdiction aux chats domestiques de participer à une compétition internationale en Europe. Je me suis déjà posé la question : pourquoi les oiseaux migrateurs n’ont pas encore été
sanctionnés ? Si les Polonais ne le font pas encore, ils devraient commencer à les abattre à l’entrée de leur espace aérien…
L’une des principales sanctions mise en place est celle contre le pétrole russe. Quel est le résultat ? La Russie a vendu au premier trimestre 2023
encore plus du pétrole qu’avant même le début de la guerre en Ukraine.
L’embargo sur l’or russe ne fonctionne pas non plus. Et, cette fois-ci, je le regrette même… Car demain l’or jouera un rôle bien plus important dans
l’économie mondiale qu’aujourd’hui. À la place du gouvernement russe, j’aurais grandement restreint les exportations d’or russe et depuis un moment. Il faut savoir que si les réserves
nationales en or aux États-Unis et en Allemagne n’ont pratiquement pas bougé en volume depuis l’an 2000 – et en France elles ont même grandement diminué – en Russie, elles ont été
multipliées par six sur la même période. Mais il est important de les augmenter davantage.
Côté sanctions sérieuses, il ne reste que celles qui passent par le chantage et les menaces des partenaires de la Russie. Mais vu qu’il s’agit à chaque fois
d’éléments stratégiques, voire vitaux pour les pays visés, les chances de réussite sont proches de zéro.
Aujourd’hui, on parle de sanctions contre l’énergie nucléaire, contre l’atome russe. Ces projets sont totalement irréalistes. Ce que veulent les
responsables, ou plutôt les irresponsables de la politique européenne, ne marchera jamais. Les bureaucrates de Bruxelles exigent de la Hongrie, qui dépend grandement de l’atome russe, de
l’abandonner. Or, pratiquement la moitié de l’énergie du pays vient d’installations nucléaires construites par les Russes. Et aujourd’hui, de nouvelles installations nucléaires sont en
train d’y être construites afin d’accroitre l’indépendance énergétique des Hongrois. Quand j’entends von der Leyen demander à Orban de faire une croix dessus… Les pertes pour le peuple
hongrois seraient gigantesques. En s’inclinant devant Bruxelles, ils reviendront trente ans en arrière. Et c’est de la pure fantaisie d’imaginer que le gouvernement hongrois fera preuve
d’une telle folie.
Josep Borrell (le chef de la diplomatie européenne, ndlr) a également évoqué les sanctions contre l’Inde et les produits pétroliers russes raffinés dans le
pays. La mise en place de telles sanctions serait une pure folie et coûterait très cher à l’Europe, car l’Inde dispose d’un grand nombre de leviers de représailles contre l’économie
européenne.
Dans son tour européen en Italie, Allemagne, France et Grande-Bretagne, Zelensky a recueilli de nouveaux milliards d’euros et sterlings en aides militaires.
Mais cela ne suffit pas. Il annonce maintenant que rapidement une coalition de pays européens fournira à Kiev des chasseurs-bombardiers à utiliser contre la Russie. Parmi ceux-ci il
pourrait y avoir des Tornado italiens avec capacité d’attaque, y compris nucléaire volant à très basse altitude pour échapper aux radars ennemis. L’Italie est désormais
pays belligérant : En Sardaigne vient de se dérouler un grand exercice OTAN de « réaction rapide » avec la participation de plus de 2000 soldats d’Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Norvège
et Lettonie. L’Italie, en tant que nation hôte, a fourni aussi le support logistique. Cet exercice de guerre, cependant, ne s’est pas déroulé sous commandement italien, mais sous
commandement étasunien.
Tout ceci comporte une croissante dépense militaire. Celle de l’Europe a augmenté en 2022 de 13% par rapport à l’année précédente, en enregistrant la plus
forte augmentation depuis 30 ans. La dépense militaire annuelle de l’Italie a grimpé en 2022 à plus de 30 milliards d’euros, soit une moyenne de plus de 80 millions d’euros par jour.
Selon l’obligation prise avec l’OTAN, l’Italie doit amener sa propre dépense militaire à une moyenne de plus de 100 millions d’euros par jour. Cette croissante saignée d’argent public
pour financer la guerre aggrave la situation de la grande majorité de la population. Le coût de la vie a enregistré une croissance en une année de plus de 8%, surtout à cause de
l’augmentation des prix énergétiques provoquée par la stratégie USA/OTAN de bloquer les fournitures énergétiques russes aux pays de l’Union européenne.
À l’horizon se profile une crise encore plus grave, provoquée par la dette fédérale des États-Unis qui a doublé en dix ans, montant à plus de 31 000
milliards de dollars. Face au risque de défaillance (default),
c’est-à-dire d’insolvabilité, à Washington on discute du relèvement du «plafond de dette ». La secrétaire au Trésor elle-même, Janet Yellen, prévient : « Un default
déchaînerait une récession mondiale, risquerait de miner le leadership économique mondial des États-Unis et de susciter des doutes sur notre capacité à défendre les intérêts de la
sécurité nationale ». Ce que est le plus redouté à Washington est la dédollarisation de l’économie mondiale dans la mesure où sont utilisées dans les échanges internationaux le
yuan chinois et autres monnaies.
Pour comprendre les conséquences à court et à long terme de la guerre en Ukraine sur l’économie mondiale, il faut partir des processus qui modifient les
actifs et les relations de pouvoir entre les zones économiques et les États. En particulier, les processus impliquant le groupe BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), qui
représente la semi-périphérie émergente du système économique mondial, et le G7 (États-Unis, Japon, Allemagne, Royaume-Uni, France, Italie et Canada), qui représente le centre riche et
dominant, doivent être étudiés.
1. Les conséquences de la guerre sur l’économie mondiale
La guerre est un accélérateur de processus qui ont souvent une origine plus lointaine et qui ne deviennent explicites et pleinement visibles qu’aujourd’hui,
après une incubation plus ou moins longue. Les processus économiques mondiaux en cours les plus importants sont les suivants :
L’inflation
La hausse de l’inflation a commencé en 2021, avant la guerre en Ukraine, et a été alimentée par plusieurs facteurs : les énormes liquidités émises par les
banques centrales des pays du G7 pour lutter contre la crise et les goulets d’étranglement dans les chaînes d’approvisionnement en composants et en produits semi-finis dus à la pandémie.
Lorsque les blocages ont pris fin et que la demande a repris, la production n’a pas été suffisante pour y répondre, d’où la hausse des prix. Si la guerre n’est pas à l’origine de
l’inflation, il est cependant vrai qu’elle l’a accentuée. En effet, la guerre entre la Russie et l’Occident se joue aussi sur le plan économique, à travers les sanctions. Celles-ci ont
conduit à l’arrêt des livraisons de matières premières énergétiques de la Russie vers l’Europe, ce qui a entraîné une augmentation des prix du pétrole et du gaz et une hausse de
l’inflation, en particulier dans l’UE, à des niveaux jamais atteints depuis les années 1980.
Stagnation permanente (secular
stagnation)
Le terme de « stagnation séculaire », introduit par Laurence Summers (photo), ancien ministre de l’économie de Clinton, fait référence au fait que le
système économique mondial est entré, depuis la crise des subprimes de 2007-2008, dans une phase de croissance asphyctique,
inférieure à son potentiel, en particulier dans les pays avancés du G7. La guerre a rendu la croissance mondiale encore plus faible, en raison des sanctions, de la fragmentation du marché
mondial qui en a résulté et surtout de l’augmentation des taux d’intérêt par les principales banques centrales du monde, la Fed américaine et la BCE, qui a pénalisé l’investissement.
L’augmentation du coût de l’argent a été motivée non seulement par une tentative déclarée d’éteindre la poussée inflationniste, mais aussi et surtout par la tentative de la Fed de
réévaluer le dollar par rapport à l’euro et à d’autres monnaies mondiales. Le Fonds monétaire international prévoit pour 2023 une croissance du PIB mondial de 2,8%, soit le chiffre le
plus bas depuis 1990. Mais la croissance pourrait, en cas de nouveau resserrement monétaire, chuter encore davantage, à 2,5%, affectant principalement les pays du G71.
De plus, la stagnation, combinée à l’inflation, donne lieu au phénomène de stagflation.
La démondialisation
La guerre, également en ce qui concerne les processus de démondialisation, a accentué une tendance préexistante, datant de la présidence Trump, qui a
commencé à introduire des mesures protectionnistes. La présidence Biden a poursuivi dans la même direction, avec une série de mesures visant à raccourcir les chaînes de valeur mondiales
et à encourager le rapatriement des productions les plus stratégiques, comme le prévoit également la loi sur la réduction de l’inflation (Ira), qui alloue plus de 750 milliards de dollars
aux entreprises produisant aux États-Unis. Par exemple, les fabricants de voitures électriques bénéficieront de subventions, mais uniquement pour les voitures produites aux États-Unis,
pénalisant ainsi surtout les importations en provenance de l’UE, déjà touchées par la hausse des coûts de production due à l’augmentation des matières premières énergétiques. La guerre a
accéléré la fragmentation du marché mondial. En effet, les sanctions divisent le marché mondial en deux blocs autour des États-Unis et de la Chine. Par exemple, les constructeurs
automobiles européens, qui se sont retirés de Russie, ont été remplacés par les constructeurs automobiles chinois, qui ont atteint 30% du marché, soit plus de trois fois leur part au
début de 2022.2
La dédollarisation
Le dollar est la monnaie mondiale, utilisée comme réserve par les banques centrales et comme monnaie de commerce international. Le dollar doit cette
position au fait que les matières premières les plus importantes, comme le pétrole, sont échangées en dollars. Grâce au dollar, les États-Unis peuvent financer leur énorme double déficit,
le déficit commercial et le déficit public, et drainer les financements internationaux vers leur propre économie. Cependant, depuis quelques années, le dollar perd sa position : la part
des réserves mondiales en dollars est passée de 71% en 1999 à 59% en 20213.
Le phénomène de substitution du dollar par d’autres monnaies est appelé dédollarisation. La guerre a accentué le processus de dédollarisation car la Russie a réorienté ses exportations de
matières premières énergétiques de l’UE vers les pays asiatiques, principalement la Chine et l’Inde. Plus important encore, les échanges de pétrole et de gaz russes dans ces nouvelles
régions se font dans des monnaies autres que le dollar, telles que le rouble russe, le yuan renmimbi chinois et la roupie indienne. D’autres matières premières sont également échangées
par la Russie dans des monnaies autres que le dollar. En particulier, l’importance du yuan renmimbi en tant que monnaie internationale d’échange et de réserve ne cesse de croître. Ainsi,
l’Argentine et le Brésil ont récemment acquis des réserves considérables en yuans afin de se couvrir contre les fluctuations du dollar.
Une véritable
décolonisation
Depuis les années 1950, de nombreux pays du tiers monde se sont émancipés de leur condition de colonies dépendantes des métropoles impérialistes, en
particulier de l’Europe. Cependant, la décolonisation est restée au stade formel, les anciennes colonies continuant à dépendre économiquement, peut-être encore plus, des pays européens et
des États-Unis. Aujourd’hui, une véritable décolonisation se dessine, qui consiste en une indépendance économique, favorisée par l’activisme commercial, financier et infrastructurel de la
Russie et surtout de la Chine, en particulier sur le continent africain. À cet égard, les propos du ministre ougandais Sam Kutesa à propos des Chinois sont significatifs :
« Ils
ont participé aux luttes de libération africaines, aux guerres anticoloniales et maintenant ils nous aident dans notre émancipation économique »4.
La véritable décolonisation est accélérée par la guerre et est étroitement liée à la dédollarisation. Le processus est visible dans les anciennes colonies françaises d’Afrique, qui
adoptent le franc CFA, garanti par le Trésor français et permettant à la puissance européenne de drainer les ressources et les richesses de l’Afrique. Le 21 décembre 2019, cependant, les
anciennes colonies françaises ont accepté d’introduire à la place du franc CFA leur propre monnaie, l’ECO, qui devrait être rattachée au yuan renmimbi. Par ailleurs, plusieurs pays
africains, comme le Burkina Faso, ont demandé à la France de retirer ses troupes qui, sous prétexte de lutter contre le djihadisme, avaient été déployées dans les anciennes
colonies.
2. Les conséquences de la guerre pour les États-Unis et l’UE
Il est particulièrement intéressant de vérifier les conséquences économiques de la guerre en termes d’avantages et de désavantages pour les États-Unis et
l’UE. Les États-Unis en retirent des avantages majeurs à court terme et des inconvénients majeurs possibles à moyen et surtout à long terme. Les avantages sont les suivants :
Augmentation des dépenses militaires
et des bénéfices du complexe militaro-industriel
Les États-Unis contribuent très largement à la fourniture d’armes et de munitions à l’Ukraine. Sur les 50 milliards d’armes qui ont atteint l’Ukraine à ce
jour, 30 milliards ont été fournis par les États-Unis. Le stock d’armes et de munitions des États-Unis s’est considérablement réduit, ce qui compromet la doctrine militaire américaine qui
consiste à pouvoir mener deux conflits militaires simultanément. Il est donc nécessaire de reconstituer les réserves en augmentant la production du complexe militaro-industriel. Par
exemple, la production d’obus d’artillerie a augmenté de 500%. Il faut également rappeler que le complexe militaro-industriel, c’est-à-dire l’intégration de l’industrie de la guerre et
des forces armées, est un centre de pouvoir clé aux États-Unis, qui influence grandement la politique. Dès 1961, le président Eisenhower a mis en garde contre les dangers que représentait
pour la démocratie américaine l’intégration de l’industrie de la guerre, des forces armées et du pouvoir politique. Le complexe militaro-industriel repose également sur le fait que le
budget militaire américain est de loin le plus important au monde, dépassant le budget cumulé des dix premiers pays de la planète. La guerre en Ukraine a entraîné une nouvelle
augmentation du budget militaire américain, qui atteindra 858 milliards de dollars en 2023, soit 10% de plus qu’en 2022. La guerre en Ukraine a donc profité aux entreprises de guerre
américaines, qui ont vu leurs cours boursiers augmenter souvent de plus de 10%. Enfin, il ne faut pas oublier que l’industrie militaire est un moteur pour l’ensemble de l’économie
américaine, compte tenu de son poids et du niveau de recherche technologique qu’elle exprime.
Augmentation des exportations et des
prix du pétrole et du gaz
Les sanctions contre la Russie et l’interruption consécutive des livraisons de pétrole et de gaz à l’Europe ont profité aux États-Unis, qui ont bénéficié à
la fois d’une augmentation de leurs exportations vers l’UE et d’une hausse des prix internationaux. L’Europe est devenue le premier marché d’exportation des États-Unis pour le pétrole et
le gaz. L’essor de l’industrie extractive américaine a été tel que les États-Unis sont devenus le premier producteur mondial de pétrole brut, dépassant la Russie et l’Arabie
saoudite.
L’appréciation du dollar et
l’orientation des flux financiers de la Chine et du reste du monde vers les États-Unis
L’appréciation du dollar, due à la hausse des taux d’intérêt de la Fed, a entraîné une augmentation des flux financiers mondiaux vers les États-Unis. Les
investisseurs, en particulier, se détournent des obligations d’État chinoises et d’autres pays pour se tourner vers les États-Unis.
Séparation de la Russie de l’Allemagne
et de l’UE
Avec la guerre en Ukraine, les États-Unis ont obtenu un avantage géostratégique majeur en séparant l’Allemagne et l’UE de la Russie, qui entretenaient
auparavant des relations étroites basées sur l’échange de matières premières contre des produits manufacturés. En outre, l’OTAN, qui se trouvait avant la guerre dans une situation de «
mort cérébrale », comme l’a dit le président français Macron, s’est aujourd’hui recomposée et a retrouvé un nouveau souffle à la suite du conflit ukrainien.
Outre ces avantages à court terme, il existe deux inconvénients importants à long terme pour les États-Unis, qui sont les suivants :
La dédollarisation
Comme nous l’avons vu plus haut, le plus grand danger de la guerre pour les États-Unis réside dans le remplacement du dollar par d’autres monnaies dans le
commerce des matières premières clés, à commencer par le pétrole. De cette manière, le dollar risquerait de perdre sa position de monnaie mondiale, privant l’impérialisme américain d’un
pilier essentiel qui lui permet d’exercer sa domination mondiale.
La construction d’un front
international des pays du Sud
La guerre a accéléré la formation d’un front du Sud, désaligné, voire opposé à l’Occident. Cela est visible à l’ONU dans les votes sur les motions
condamnant la Russie. Lors du dernier vote en février 2023, 32 pays se sont abstenus et 7 ont voté contre. Il s’agit apparemment d’une minorité d’États, alors qu’en termes de population,
ces pays représentent plus de la moitié de la population mondiale, y compris des géants démographiques comme la Chine, l’Inde, le Pakistan, le Bangladesh, l’Éthiopie, le Viêt Nam, etc. Le
désalignement de l’Occident est particulièrement visible en Afrique, où 17 pays se sont abstenus, 8 pays n’ont pas participé au vote et l’Érythrée a voté contre. La création d’un front
mondial du Sud, mené par la Chine, remet en cause la capacité hégémonique des États-Unis.
En ce qui concerne l’UE, la guerre n’a pas d’avantages mais seulement des inconvénients, qui sont les suivants :
Augmentation de l’inflation,
diminution de la compétitivité internationale et détérioration de la balance commerciale
L’UE a été particulièrement touchée par l’inflation (+10,6% le pic d’octobre 2022 et +9,2% le chiffre annuel pour 20225,
qui a également été causée par la disparition des approvisionnements en matières premières énergétiques russes, sur le prix bon marché desquelles de nombreux pays européens avaient bâti
leur fortune à l’exportation. Ainsi, la disparition du pétrole et surtout du gaz russes et leur remplacement par le gaz liquéfié américain, beaucoup plus cher, a entraîné une augmentation
des coûts de production de l’industrie manufacturière européenne, ce qui a réduit sa compétitivité. Surtout, les sanctions ont entraîné une très forte augmentation de la valeur des
importations de biens énergétiques, ce qui a érodé les excédents commerciaux de l’Allemagne et de l’Italie, importants exportateurs de produits manufacturés et grands consommateurs de gaz
russe. L’Allemagne a plus que divisé par deux son excédent commercial, qui est passé de 215 milliards USD en 2021 à 84 milliards USD en 20226.
L’Italie, pour la première fois après 10 ans d’excédents commerciaux continus, a réalisé un déficit de 31 milliards d’euros en 2022, contre un excédent de 40,3 milliards d’euros en 2021.
Le déficit italien dépend presque entièrement de la hausse des prix des importations d’énergie. En effet, le déficit énergétique a plus que doublé, passant de 48,3 milliards en 2021 à
111,3 milliards en 2022, tandis que l’excédent des produits non énergétiques n’a que légèrement diminué, passant de 88,7 milliards en 2021 à 80,3 milliards en 2022.7
Récession et difficultés liées à la
dette
La priorité des banques centrales est actuellement de lutter contre l’inflation en augmentant les taux d’intérêt. La hausse des taux d’intérêt rend plus
difficile l’octroi de prêts aux entreprises par les banques, ce qui entraîne une baisse des investissements et donc du PIB, dont la croissance en 2023, selon le Fonds monétaire
international, serait de 0,8% dans la zone euro, de 0,7% en Italie et de -0,1% en Allemagne8.
La baisse du taux de croissance du PIB augmente la part de la dette dans le PIB, tandis que la hausse du loyer de l’argent augmente également le montant des intérêts à payer par les États
sur leur dette, rendant celle-ci plus difficilement soutenable.
Dévaluation de l’euro
La hausse des taux d’intérêt aux États-Unis entraîne une dévaluation de l’euro par rapport au dollar, ce qui réduit l’attrait des flux financiers
internationaux et des investissements en Europe et dans la zone euro en particulier.
Dépendance stratégique à l’égard des
États-Unis
La guerre et les sanctions qui en découlent ont créé une dépendance économique et politique accrue de l’UE et de la zone euro à l’égard des États-Unis, non
seulement en termes d’approvisionnement en matières premières énergétiques, mais aussi d’un point de vue géopolitique stratégique.
3. Conclusion : de l’unilatéralisme au multipolarisme
Selon Giovanni Arrighi, le développement historique du mode de production capitaliste est représenté par des cycles économiques séculaires dans lesquels une
puissance hégémonique régule l’accumulation du capital9.
Chaque cycle se caractérise par deux phases : une phase d’expansion et une phase de décadence économique, au cours de laquelle le pouvoir de la puissance hégémonique s’affaiblit. Dans la
phase de décadence, de nouvelles puissances économiques émergent pour défier l’hégémonie. C’est une phase de chaos qui débouche sur une confrontation militaire à l’issue de laquelle
l’ancien hégémon est remplacé par un nouvel hégémon, autour duquel l’accumulation du capital reprend. Aujourd’hui, nous sommes entrés dans une phase où l’unipolarisme, c’est-à-dire la
capacité des États-Unis à imposer leur volonté au monde, s’est affaibli et où de nouvelles puissances, comme la Chine, émergent. Cette dernière n’a toutefois pas l’intention (et n’est pas
encore en mesure) de représenter une alternative globale aux États-Unis. Même le yuan n’est pas encore en mesure de remplacer le dollar.
Ce à quoi nous assistons, c’est au dépassement de l’unipolarité. À cet égard, les propos de Christine Lagarde, présidente de la BCE, sont intéressants :
« Nous
assistons à une fragmentation de l’économie mondiale en blocs concurrents […] dirigés respectivement par les deux plus grandes économies du monde »10.
À vrai dire, à notre avis, nous n’en sommes qu’au début de la formation d’un bipolarisme, c’est-à-dire de deux blocs opposés, bien que la voie sur laquelle le monde est engagé puisse
aller dans ce sens. Mais il y a aussi la possibilité de créer une situation basée sur l’existence de plusieurs pôles en même temps, c’est-à-dire un multipolarisme effectif, comme la Chine
prétend vouloir le faire.
En tout état de cause, l’objectif de la guerre actuelle est la défense de l’hégémonie mondiale des États-Unis et de la capacité du dollar à fonctionner
comme monnaie mondiale. À cet égard, pour les raisons susmentionnées, les États-Unis ont remporté une victoire tactique en renforçant l’OTAN et la puissance du dollar. Mais ces mêmes
actions qui déterminent le succès à court terme créent les conditions d’un possible échec stratégique américain à long terme. La dédollarisation, la décolonisation réelle et la
construction d’un Front du Sud mondial représentent les plus importantes de ces conditions.
Depuis février de l’année dernière, lorsque la Russie a lancé son
offensive militaire dans le pays, les explosions de mines ont tué environ 200 civils en Ukraine, tandis que des centaines d’autres ont été blessés.
Les Nations unies ont
déjà qualifié l’Ukraine d’État le plus miné au monde. Pourtant, la propagation continue d’augmenter en raison de la façon dont cette guerre de position est menée. Le conflit étant loin d’être
terminé, la poursuite de la pose d’explosifs pourrait avoir des conséquences désastreuses.
Les rapports officiels affirment que 250 000 kilomètres carrés (près de 62 millions d’acres) du territoire ukrainien ont été minés.
Cela équivaut à la totalité du Royaume-Uni (244 000 kilomètres carrés). Selon le
Premier ministre Denis Shmigal, son pays est devenu le plus grand champ de mines du monde, ce qui a même incité le gouvernement à créer un centre spécial pour en gérer les conséquences.
Les experts estiment que
la situation en Ukraine est pire qu’en Afghanistan et en Syrie. Le nombre de munitions non explosées, de mines antipersonnel, antichars et autres mines et obus explosifs est estimé à
plusieurs millions d’unités.
Pendant ce temps, les champs de mines de l’Ukraine se développent de manière exponentielle. Au cours de l’année écoulée, la totalité de la ligne de front, des deux
côtés, a été minée. Les mines sont souvent posées de manière dispersée et sans cartographie. Compte tenu de l’étendue du territoire ukrainien, cela complique considérablement le processus de
recherche et de neutralisation des mines.
« En effet, il est
possible que les territoires minés s’étendent davantage, à la fois en raison de la prolongation du conflit et de l’offensive probable de l’une ou l’autre partie, qui pourrait déplacer les
hostilités vers des territoires jusqu’alors épargnés« , a expliqué Maxim Semenov, analyste politique et spécialiste des conflits dans l’espace post-soviétique.
Des sources officielles signalent également que la zone contaminée s’étend. L’été dernier, l’Association ukrainienne des démineurs a
déclaré que les champs de mines couvraient environ 133 000 kilomètres carrés en Ukraine, mais le nombre récemment annoncé par Shmigal est déjà le double.
En attendant, il n’existe pas de solution totalement efficace et, surtout, rapide et simple. Le déminage est l’affaire exclusive des sapeurs. Par exemple, dans les
années 2000, une moyenne de 50 personnes par jour se faisaient exploser sur des objets antipersonnel en Angola, l’un des pays les plus minés au monde. À ce jour, il
reste environ 500 000 engins explosifs, bien que des dizaines d’unités de sapeurs du monde entier soient intervenues dans le pays. Il convient également de noter que les combats et
l’ampleur de la contamination en Angola ont été beaucoup moins importants qu’en Ukraine.
« Nous devons tenir
compte de l’expérience des pays d’Afrique et d’Asie, et même de l’Union soviétique, où, des décennies après la fin de la guerre, des explosions de mines se sont parfois produites. Il est
impossible de garantir qu’une zone est totalement déminée. Il se peut que l’armée n’établisse pas de cartes des champs de mines, comme c’est le cas des forces armées ukrainiennes dans le Donbass
depuis 2014. Il se peut aussi que les cartes soient imprécises, qu’elles se perdent, etc. Tout cela complique le travail des sapeurs« , note Semenov, qui ajoute que même des décennies
après le déminage d’une zone, des mines peuvent encore surgir dans les endroits les plus inattendus. Même les sapeurs ne peuvent pas garantir que toutes les mines et tous les obus ont été trouvés
et éliminés.
Pour les régions touchées par la guerre, cela pose d’énormes problèmes lors de la transition vers la vie en temps de paix, sans parler des décès possibles de civils
et des difficultés à normaliser l’économie. « Cela
concerne à la fois l’agriculture, le secteur industriel et les infrastructures. Les forces armées ukrainiennes sont connues pour miner des objets civils, comme par exemple à Mariupol, où les
sapeurs russes continuent de déminer des usines, des bâtiments résidentiels et des tribunaux« , a ajouté l’expert.
En d’autres termes, cela pourrait prendre des décennies. En juin de l’année dernière, le ministre ukrainien de l’intérieur de l’époque, Denis Monastyrsky, a déclaré
qu’un déminage partiel prendrait de cinq à dix ans.
Jusqu’à présent, ce problème reste à l’arrière-plan en raison de la censure totale des médias ukrainiens, de l’accent mis sur les informations provenant du front et
du désir compréhensible de la population de rester à l’écart des combats. Mais lorsque la phase d’agitation du conflit armé s’achèvera ou si le conflit se fige, le problème apparaîtra comme une
question essentielle.
Niveaux de danger
Il y a un an, les régions de Kiev, Kharkov, Tchernigov et Sumy (le nord et l’est de l’Ukraine) étaient les zones les plus minées. Aujourd’hui, ce sont les régions
de l’est et du sud. « C’est dans la région de Kherson
que nous sommes actuellement les plus actifs. Huit mille kilomètres carrés doivent être déminés, dont sept mille dans la région de Kherson et environ 1,5 mille dans la région de
Nikolaev« , a
déclaré Sergey Kruk, chef du service d’urgence de l’État ukrainien, en novembre de l’année dernière.
Les zones touchées par la guerre peuvent être divisées en plusieurs catégories en fonction du niveau de danger que représentent les mines.
Le niveau de danger le plus élevé reste celui de la région du Donbass. Son territoire est parsemé de
mines depuis le début du