La Russie envisage
de revoir sa doctrine nucléaire en réponse aux actions de l’Occident. Selon les experts, les États-Unis montent actuellement sur ce que l’on appelle l’échelle de l’escalade, non seulement
dans le soutien aux forces armées ukrainiennes, mais aussi dans d’autres régions du monde, forçant ainsi Moscou à réagir. Quelles pourraient être les implications pratiques de cette
révision, et quels changements les experts anticipent-ils dans la doctrine nucléaire ?
La Russie poursuit son travail pour modifier la doctrine nucléaire. Dmitri Peskov, porte-parole du président russe, a déclaré que l’actualisation de ce
document était nécessaire en raison de l’agenda actuel et de la situation résultant des actions de l’Occident collectif. Il a expliqué qu’il s’agissait du refus de Washington et de
Bruxelles de dialoguer avec Moscou.
Sergueï Riabkov, vice-ministre russe des Affaires étrangères, a également indiqué que les ajustements étaient basés sur l’analyse des conflits récents et
des actions occidentales dans le cadre de l’opération militaire spéciale. Les modifications concernent principalement les Fondements
de la politique de l’État en matière de dissuasion nucléaire.
En août, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a rappelé que la doctrine nucléaire russe était en cours de «rectification»
et que Washington était bien au courant de cette doctrine.
En juin déjà, Vladimir Poutine avait évoqué des modifications possibles de la doctrine nucléaire, expliquant que des adversaires potentiels abaissaient le
seuil d’utilisation des armes nucléaires. Il avait également mentionné que la Russie continuait de développer sa triade nucléaire en tant que garante de la dissuasion stratégique et de
l’équilibre des forces dans le monde.
L’une des raisons de cette réflexion pourrait être la livraison d’avions F-16 en soutien à l’armée ukrainienne. En mai, le ministère russe des Affaires
étrangères avait indiqué que la Russie considérait les F-16 en Ukraine comme des vecteurs potentiels d’armes nucléaires, ces avions étant capables d’embarquer des équipements à double
usage.
Dans la doctrine de 2020, l’article 19 concernant les conditions d’utilisation des armes nucléaires par la Russie ne spécifiait pas la portée des missiles
lancés en direction de la Russie ni leur charge utile, mais se limitait à mentionner les missiles balistiques.
Les experts suggèrent que la révision pourrait inclure la suppression de cette limitation. Il pourrait ainsi être question de tout missile (balistique, de
croisière ou hypersonique), de n’importe quelle portée et origine (terrestre, aérienne ou maritime), lancé en direction de la Russie.
La doctrine nucléaire pourrait donc être révisée pour abaisser le seuil d’utilisation des armes nucléaires, soit pour clarifier les conditions d’utilisation
des armes nucléaires tactiques et stratégiques.
La doctrine actuelle est dissuasive, l’usage des armes nucléaires n’étant envisagé qu’en réponse à une agression.
Les ajustements à la doctrine pourraient également concerner le nombre autorisé de vecteurs d’armes nucléaires et les méthodes de leur utilisation. La
Russie pourrait-elle envisager des essais nucléaires pour montrer à ses adversaires qu’elle ne plaisante pas ? Toutes ces questions, y compris celles liées à l’extension des capacités
nucléaires vers l’Arctique ou l’espace, seraient intégrées dans les Fondements, selon les experts.
Les analystes conviennent également que la Russie et les États-Unis sont actuellement en train de monter sur l’échelle
de l’escalade, comprenant 44 niveaux, théorisée en 1965 par l’analyste nucléaire Herman Kahn pour justifier la faisabilité de guerres nucléaires de différentes intensités. «Nous sommes
actuellement au niveau 13, où se profile la menace d’utilisation d’armes nucléaires tactiques à échelle limitée. Le niveau 44 représente l’anéantissement total l’un de l’autre»,
expliquent les experts.
En outre, la révision de la doctrine est également liée aux nouveaux risques posés par les missiles de portée intermédiaire (FNI). Le traité FNI a pris fin
après le retrait des États-Unis, et ces derniers commencent
à déployer des missiles à moyenne intermédiaire en Europe, notamment des missiles polyvalents SM-6 et Tomahawk, qui peuvent embarquer des ogives nucléaires.
La doctrine pourrait également inclure un volet visant à réduire l’écart en matière de défense antimissile ?
Les États-Unis ont rapproché de la Russie leurs systèmes terrestres et maritimes Aegis Ashore, le déploiement de missiles d’interception d’une portée de
2500 km limitant ainsi considérablement les capacités russes. Il est donc possible que la Russie réinstalle des radars et des intercepteurs en Amérique latine.
L’escalade entre la Russie et les États-Unis pourrait mener à une répétition de l’opération soviétique Anadyr de 1962, consistant à déployer secrètement des
armes nucléaires à Cuba. La question qui se pose est de savoir quel pays jouera le rôle de Cuba.
Cependant, il reste encore suffisamment de marge de manœuvre entre la Russie et les États-Unis avant d’atteindre le seuil nucléaire, et les deux pays en
sont conscients.
Le
président russe Vladimir Poutine s’est longuement exprimé sur l’ensemble des sujets d’actualité lors de son intervention au Forum économique de l’Est (EEF) qui se tient à
Vladivostok.
La protection des régions frontalières de la Russie contre les attaques ukrainiennes est le devoir sacré des forces armées russes, a déclaré Vladimir
Poutine. Le président russe a souligné que son pays n’était pas contre le transit de son gaz par l’Ukraine, mais qu’il ne pouvait pas contraindre Kiev à faire quoi que ce soit à cet
égard. Poutine a également noté que le problème de Moscou avec le dollar provenait du fait qu’il lui était «refusé» de régler ses factures dans cette monnaie. Sur une note positive, il a
attiré l’attention sur la baisse de l’inflation en Russie.
Tour d’horizon des principaux sujets abordés par le président russe au cours de son intervention.
La région de Koursk
En attaquant la région de Koursk et d’autres zones frontalières, l’Ukraine voulait distraire la Russie de son offensive dans le Donbass.
Cette stratégie a échoué : Kiev s’est gravement affaiblie dans d’autres directions, tandis que l’armée russe n’a fait qu’accélérer son offensive. Les pertes
des forces armées ukrainiennes sont si importantes que l’armée du pays pourrait bientôt perdre sa capacité de combat : «L’ennemi subit de
lourdes pertes, tant en hommes qu’en matériel», a souligné Poutine.
La protection des régions frontalières de la Russie contre les attaques des forces armées ukrainiennes est le «devoir sacré»
des forces armées russes. Le nombre de militaires sous contrat a «fortement
augmenté» après l’attaque ukrainienne contre la région de Koursk.
L’Ukraine frappe des centrales nucléaires
Les frappes ukrainiennes contre les centrales nucléaires de Zaporojia et de Koursk sont des «attaques terroristes
flagrantes», a mis en garde le président russe.
«On ne peut
qu’imaginer ce qui se passerait si nous donnions une réponse du type «coup pour coup», ce qui arriverait à cette partie de l’Europe».
Règlement du conflit ukrainien
Pour régler la crise ukrainienne, la Russie recherchera «des garanties qui
pourraient fonctionner au moins dans une certaine mesure».
L’Occident et les autorités de Kiev ont abandonné les accords d’Istanbul de 2022 sur le règlement de la situation en Ukraine au profit d’une tentative
d’infliger une défaite stratégique à la Russie, ce qui «ne fonctionne
pas».
La Russie n’a jamais refusé de négocier sur l’Ukraine, mais elle ne le fera pas sur la base de «quelques demandes
éphémères, mais uniquement sur la base des documents qui ont été convenus et effectivement paraphés à Istanbul», a répété Vladimir Poutine.
Moscou et Kiev ont réussi à s’entendre sur le règlement du conflit en mars 2022 à Istanbul. La seule raison pour laquelle les accords n’ont pas été mis en
vigueur est que l’Occident a mis un terme au processus.
La Russie défendra toujours ses intérêts et ceux du peuple ukrainien qui adhère à la langue et aux traditions russes.
Le dollar
La Russie ne mène pas une politique de dédollarisation : «Nous n’avons pas
refusé de régler nos comptes en dollars. On nous a refusé les règlements, et nous devons simplement chercher d’autres possibilités. C’est tout».
L’économie russe
L’économie russe est déjà la quatrième économie mondiale, tandis que l’écart entre la Chine et les États-Unis se creuse. Elle se développe de manière
constante, mais «il faut toujours
s’efforcer de franchir de nouvelles étapes», a promis Poutine.
La croissance du PIB de la Russie pour le premier semestre 2024 est de 4,6%, et cette hausse devrait éclipser celle de 2023 d’ici la fin de l’année.
L’inflation dans le pays est désormais en baisse, même si elle a récemment dépassé 9% avec un objectif de 4%.
Les autorités russes sont déjà en train de «refroidir» la
situation sur le marché du crédit et dans l’économie dans son ensemble en augmentant le taux directeur et en annulant certains programmes hypothécaires préférentiels.
Les BRICS
Les pays du Sud représentent plus de la moitié du PIB mondial, tandis que les pays BRICS en représentent un tiers. «Les priorités dans
l’utilisation de certaines monnaies évoluent également naturellement».
Le cas du PDG de Telegram, Pavel Durov
Les autorités russes n’ont jamais eu de problèmes avec le fondateur de Telegram, Pavel Durov, contrairement à d’autres pays, a simplement commenté
Poutine.
Élections américaines
C’est le peuple américain qui déterminera le vainqueur de l’élection présidentielle américaine, la Russie n’a donc pas besoin de parler de qui elle préfère
ou ne préfère pas, s’est limité à dire le président russe.
Échange de prisonniers
L’échange de prisonniers entre la Russie et l’Occident qui a eu lieu en août a été «une situation
gagnant-gagnant pour toutes les parties impliquées».
La Russie aidera toujours ses citoyens qui ont besoin d’aide, y compris ceux qui vivent à l’étranger, a martelé Poutine.
Transit de gaz
La Russie ne refuse pas de faire transiter son gaz par l’Ukraine : «Nous avons un contrat
de transit qui expire le 31 décembre de cette année. Mais si l’Ukraine refuse ce transit, eh bien, nous ne pourrons pas la forcer».
Le refus de l’Allemagne de lancer la dernière partie du gazoduc Nord Stream 2 est «de la schizophrénie
et de l’absurdité» : «Pourquoi ne le
font-ils pas ? Je ne comprends pas», s’est exclamé le président russe.
L’expansion des livraisons de gaz russe à l’Extrême-Orient et à l’Asie centrale n’est pas liée aux événements en Ukraine : «Les économies de ces
pays se développent rapidement, ils ont donc besoin de ressources supplémentaires».
L’Iran demande à la Russie de lui fournir du gaz, ce qui est «un projet tout à fait
réalisable».
Le Moyen-Orient
La Russie s’efforce de résoudre les problèmes liés à la libération des otages détenus par le mouvement radical palestinien Hamas dans la bande de Gaza et
réalise des progrès sur ce dossier, a confié Poutine.
La situation militaire proprement dite de la
SVO en août 2024 dans la région de Kharkov puis celle de Koursk, fera l’objet d’une étude à part, focalisée sur les développements opérationnels. Le présent document tente
d’analyser les autres facteurs pesant sur l’affrontement de la Russie avec l’Occident collectif et son proxy kiévien, au-delà des données spécifiquement militaires. Distinguons donc deux
«fronts», l’évolution interne (I) et le contexte international (II).
I.
Évolution interne de la Russie post-élection présidentielle
a) Le
nouveau gouvernement reste dirigé par le Premier ministre Mikhaïl Michoustine, bon technicien et gestionnaire, sans velléités politiques, qui a été renouvelé à son poste.
b) En revanche, le ministère de la Défense connaît d’importants changement ; le départ de Sergueï Choïgou ne semble pas traduire une défaveur1 mais
son remplaçant Andrei Belusov est un économiste et il est assisté de personnalités compétentes en matière militaire, comme Alexei Dyumin2.
Le président a acté mi-mai la conservation de l’état-major général et du CEM Guerasimov ; certains signes, comme le maintien en détention du fameux Igor Strelkov semblent indiquer
que le pouvoir veut maîtriser complètement l’évolution sur le terrain et éviter la résurgence locale d’une problématique de type «Wagner».
Cependant l’évolution militaire et l’extension de l’affrontement avec l’Occident collectif imposent une révolution interne. Avant même l’invasion du
territoire de la Fédération dans l’Oblast de Koursk, la lutte contre la corruption a impacté les personnels militaires. Un grand nombre de responsables issus du ministère de la Défense,
des instances de contrôle de l’immigration, des services pénitentiaires et policiers, et des gouvernorats3 ont
été écartés, voire mis en cause pénalement ; il s’agit notamment de généraux «du temps de paix», sans vraie crédibilité militaire ni engagement au front et empêtrés dans des affaires de
corruption. Cela semble en lien avec le discours de Vladimir Vladimirovitch Poutine portant sur la place à donner dans la société aux combattants méritants et capables.
Les vice-ministres nouvellement nommés sont sélectionnés pour épauler efficacement le ministre dans la double démarche économique et militaro-technique. Il
s’agit de mettre en place un appareil industriel capable de satisfaire les besoins quantitatifs (compensation des parcs aéroterrestres et navals subissant l’attrition, alimentation en
munitions de tous types, fourniture aux troupes des systèmes de soutien et logistiques) et qualitatifs (R&D, spatial, cyber…), en maintenant les acquis tout en réduisant les déficits
capacitaires constatés (drones, artillerie de précision à longue portée, radars aéroportés…).
Sans s’aventurer dans une exégèse des rapports de force au sein du gouvernement russe, sur fond d’opposition entre le FSB et l’Armée, il semble que Vladimir
Poutine veuille donner sa chance à une nouvelle génération de managers, tant civils que militaires. Il est intéressant de lire à ce propos le
rapport du groupe Minchenko consulting «politburo 2.0 The
long winter».
Proposition
d’analyse :
Dans le cadre d’une guerre civilisationnelle, la société russe se met sur le pied de guerre, pour ne pas subir le sort de l’URSS («piège lacédémonien») et
pour pouvoir affronter le bloc adverse dans la durée.
Le challenge consiste à générer une production militaire qui alimente l’économie sans la «plomber» et sans sacrifier l’objectif de développement intérieur à
long terme. C’est un défi qui n’est pas sans rapport avec le «New deal» étatsunien, qui a pu fonctionner grâce à la 2ème GM. Cela nécessite que l’appareil d’État soit confié à des
responsables civils et militaires adaptés à cette évolution.
Interrogations :
a) Malgré les importantes ressources en matières premières et énergétiques et certaines supériorités techniques, la Russie dispose-t-elle d’une masse
critique démographique permettant d’équilibrer le «Milliard doré» occidental ?
b) La fenêtre d’opportunité créée par les carences avérées des Occidentaux en matière de production de guerre sera-t-elle assez durable pour permettre
à l’économie russe d’exploiter le différentiel en sa faveur avant la réaction adverse ? Les observateurs militaires s’accordent sur une échéance impérative fixée à 2025/27 pour
régler le cas kiévien. Le mandat présidentiel est de six années en Russie et une révision constitutionnelle de 2021 permet à Vladimir Poutine de briguer deux mandats (2036). Il semble
toutefois que l’échéance du mandat en cours le portera à un âge raisonnable de départ (afin d’éviter la gérontocratie de la fin de l’ère soviétique), ce qui correspond à un créneau de
cinq années pour finaliser les évolutions programmées.
c) La politique d’alliances qui tente de fédérer les exclus du bloc occidental débouchera-t-elle sur le résultat tangible et stabilisé d’un «nouvel ordre
mondial» multipolaire, dépassant les lignes de fractures existant entre États de natures variables et d’intérêts divergents ?
d) Le personnel disponible, politique et administratif, militaire et civil, permettra-t-il de relever le défi en évitant les pièges déjà identifiés en
Russie tsariste, en URSS et dans la Fédération actuelle ?
Dans le cadre de ce qui prend désormais la forme d’une lutte civilisationnelle contre l’Occident, la volonté Poutinienne de mener une «semi-guerre»,
retenue, raisonnable et limitée afin de préserver l’objectif de développement intérieur, est-elle encore viable ? Les développements autour de Koursk témoignent de la volonté de
l’hégémon d’aller jusqu’au bout (et de l’inanité de toute «ligne rouge») et des difficultés à faire face à cette menace avec des moyens limités, posant la question de la mobilisation,
militaire mais aussi de toute la société russe. On peut espérer que l’appareil militaire est en cours de mutation, comme en témoignent les nombreuses arrestations et renvois de
responsables. Il est avéré que les combattants évoluent et apprennent à améliorer leurs performances sur le terrain, tactiquement et techniquement. Toutefois, en sus
de la purge anti-corruption, il semble nécessaire de mener une réforme administrative et organisationnelle pour dépasser les faiblesses structurelles d’un système militaire, expression de
la société civile russe, qui a conservé certaines tares de l’armée tsariste et les pesanteurs de l’armée soviétique.
2.
Mobilisation de la population et de la société civile russes
Constats
a) Pour être viable, la démarche économique repose sur un accompagnement social et éthique («réarmement moral», valorisation d’un substrat idéologique
partagé culture russe et histoire, harmonie pluriethnique de la Fédération). Cela est nécessaire pour le fonctionnement du système de marché tempéré par le contrôle étatique des filières
d’intérêt stratégique et régaliens que professe le président russe depuis 2000.
c) Il est également nécessaire de faire accepter aux populations la guerre en cours, ouvertement en Ukraine et indirectement contre l’hégémon. La présidence
repousse autant que possible la mobilisation et fait reposer le recrutement sur le volontariat, actuellement suffisant (160 000 hommes en 2024, complétant les 300 000 rappelés en 2022
qu’il est question de libérer cette année) pour compenser les pertes et accroître les forces, situation qui ne peut perdurer que si un certain statu quo opérationnel est maintenu. Le
discours de Vladimir Poutine du 7 juin établit clairement que l’accélération des offensives serait génératrice de pertes, qui sont refusées au profit d’une stratégie de «grignotage». Mais
l’ennemi imposera peut-être un changement, car il est apparu que la protection efficace des frontières et les opérations de combat excèdent la ressource disponible avec une armée même
portée à 1,2 millions d’hommes. L’URSS en alignait 3,8 et une masse critique entre 2,5 et 3 semble nécessaire face à l’Europe occidentale otanisée et belliciste.
d) Il faut également assurer l’unité des populations, en évitant les flux de départ pour causes idéologiques ou sociétales («fuite des cerveaux» et des
jeunes urbains plus occidentalisés, massives au début de la SVO mais apparemment taries depuis) et également les tentatives occidentales de générer des fractures en exploitant le
multiculturalisme ethnique en Russie et en particulier le fondamentalisme islamique. Ce dernier point mobilise les attentions et la réaction de l’État contre l’immigration néfaste est
perceptible (nouvelles lois restrictives votées par la Douma, propositions répressives présentées par Alexander Bastrykin et le président de la Douma Viatcheslav Volodine, qui débouchent
sur de très nombreux raids du FSB. Cette politique est cependant tardive (au moins 17 millions de migrants d’Asie centrale établis en Russie), se heurte à l’héritage de l’URSS (pas de
visa, un peu comme les relations de la France avec ses anciennes colonies), soulève des problèmes géopolitiques (relations avec les anciennes républiques, toutes majoritairement
musulmanes sauf la Géorgie et courtisées par l’occident, la Turquie et la Chine). Il est fort probable que les milieux d’affaires russes souhaitent conserver l’accès à une main-d’œuvre
bon marché et n’appuient pas la réaction de l’État.
e) Il faut enfin améliorer l’image de la «gouvernance» russe, entachée par la corruption. Le narratif qui semble se développer est que la situation de
guerre impose une reprise en main et que ce qui a été toléré lorsque le quotidien des Russes avait connu une amélioration très notable (de 2000 à 2010 en gros) ne peut plus l’être. Cela
correspond à une attente de la population qu’avait bien senti et représenté Evgueni Prigojine. Cela s’inscrit également dans une certaine continuité historique du «roman russe» pendant la
grande guerre patriotique, sur fond de menace existentielle. Malgré un patriotisme russe davantage préservé qu’en Europe de l’ouest, il est patent que les nouvelles générations en Russie,
notamment les urbains, y sont moins attachés et restent souvent fascinés par le modèle occidental.
Proposition
d’analyse :
La guerre en Ukraine est un épiphénomène d’une opposition fondamentale avec l’Occident collectif, sa mainmise mondiale et sa volonté de contrôler l’Eurasie.
Cela prolonge la volonté de résister à l’insertion forcée de la Russie dans les périphériques étatsuniens, exprimée dès le fameux discours
de Munich en 2008. Cette opposition militaire n’étant que la continuation de la politique, engendre un important volet économique et culturel. La réactivation des valeurs
traditionnelles et conservatrices est le moyen de s’opposer au soft power corrosif et délétère de l’Occident. L’enjeu consiste à découpler la modernité et la performance technologique et
économique de ce socle intellectuel et social. Il faut également cantonner le «choc de civilisation» aux deux blocs en évitant que n’apparaissent des fissures internes, ethniques
religieuses et sociétales. La guerre peut s’avérer un accélérateur ou un facteur de résistance.
Interrogations :
a) Les observateurs étrangers considèrent souvent qu’il n’existe pas réellement de société civile en Russie. Les efforts du président témoignent pourtant
d’une volonté de susciter l’adhésion et d’une aspiration à expliciter les décisions. Le pouvoir met en avant la notion de limitation des pertes humaines et celle de répression des excès
de la corruption. Il est certainement aidé en cela par l’attitude, la rhétorique et les fournitures d’armes occidentales. La perte d’attractivité du modèle occidental, en particulier
européen – et, disons-le, français – est également un facteur favorable dans ce cadre. Toutefois, quel serait le soutien si la guerre tournait mal, prenait un tour plus impactant
qu’actuellement ou menaçait de dégénérer en apocalypse nucléaire ?
b) Pour assurer cette politique, le contrôle direct par l’appareil d’État, et indirect par l’adhésion et la création du consentement, demeure un
facteur-clef. Il est difficile de quantifier la part de soutien en fonction de critères variables entre les grands centres urbains et les régions et «objets lointains», entre la
génération d’après 2000 et les ex-Soviétiques, et entre les différentes ethnies de la Fédération notamment à cause de l’exacerbation du fait religieux et de l’irrédentisme qu’il crée
souvent.
c) La création d’un bloc conservateur mondial, sublimant ses différences dans le refus des valeurs de l’Occident collectif, semble en cours. On ne peut
cependant prophétiser sa robustesse, sa pérennité ni sa viabilité. Le rôle moteur qu’entend conserver la Russie dans ce cadre ne peut pas davantage être garanti. La Fédération dispose
certes d’atouts, qui se déclinent en creux des caractéristiques actuelles de l’Occident, mais son leadership n’est pas assuré au-delà d’un magister moral relatif.
3.
Actions de contrôle interne
Constats
a) Les instances décisionnaires ont fait des choix de politique économique et financière qui visent évidemment à minorer les effets des sanctions
occidentales, mais aussi à consolider la base de production et la balance entre importations et exportations, à renforcer la constitution d’une réserve fiduciaire. Le rôle confirmé de la
Banque centrale, les textes permettant désormais la prise de contrôle d’entités privées stratégiques ou déficientes, la réorganisation de la filière militaro-industrielle, l’exigence de
rendre des comptes par les gouverneurs, entrent dans ce cadre de construction de l’économie de guerre.
b) La question des travailleurs étrangers est devenue fondamentale. L’entrisme au sein des instances publiques, la subversion par les diasporas, l’existence
de quasi-cartels criminels à base ethnique et/ou en lien avec le crime organisé, la non-assimilation des personnes issues d’Asie centrale et la promotion d’une forme d’Islamisme
fondamentaliste, dérogeant souvent aux cultures et pratiques traditionnelles, ont été identifiés comme des menaces pour la Russie. Bien que la Russie connaisse une pénurie de main
d’œuvre, des décisions semblent avoir été prises. Le FSB mène des raids fréquents contre le travail clandestin, plus de 30 000 ressortissants étrangers ont été expulsés depuis le début
2024 et 11 000 refusés à l’entrée avec 2000 affaires pénales concernant des réseaux d’immigration illicite. Moscou exploite sa situation de pourvoyeur financier indirect (par les
rapatriements de fonds dans le pays d’origine) pour faire pression sur les gouvernements concernés. La réglementation -notamment relative aux facilités accordées aux nationaux des
Ex-Républiques soviétiques- a été amendée pour faciliter le contrôle des populations, la répression et l’expulsion et les critères d’intégration sont revus à la hausse. Les enquêtes liées
à l’attentat du Crocus témoignent d’une prise de conscience et d’une capacité de réaction, voire d’anticipation (attentat déjoué avec l’aide de la Turquie). La reprise en mains des
institutions notamment chargées de la répression des fraudes et de l’immigration illicite est un préalable indispensable et le DVKR du FSB semble être chargé de ce travail.
Interrogations :
À la différence des pays européens et notamment de la France, la population semble soutenir ces mesures, les autorités religieuses ne s’y opposent pas, les
États d’origine n’osent pas adopter une posture hostile, et les agents des ministères de force peuvent encore considérer que «force reste à la loi»4.
Néanmoins, une structure fédérative comme la Russie doit tenir compte des disparités et des spécificités, d’autant que la frange périphérique subit un effet de contagion islamiste. La
capacité à provoquer et imposer l’adhésion est donc le facteur dirimant pour éviter une explosion centrifuge (dans la logique du projet de démembrements régionaux toujours en vogue dans
les pays baltes, en Pologne et dans certains think tanks étatsuniens). La résilience étatique malgré les défauts de gouvernance et si une situation économique plus tendue survenait reste
inconnue. L’évolution du risque islamiste reste une inconnue préoccupante. La démographie est aussi prégnante, tant pour les relations avec la ceinture d’Asie centrale qu’au sein même de
la Fédération.
II.
Éléments liés à la situation internationale
Constats :
De nombreux points sont à relever :
a) L’activité diplomatique du président Poutine, après l’Uzbekistan, a confirmé les liens avec la RPC (visite
du 16 mai), la Corée du Nord (signé
le 17 juin 2024 l’accord prévoit une assistance mutuelle en cas d’agression), le Viet
Nam (19 juin). Cela renforce les chaînes logistiques militaires, l’appui économique et technologique et l’image diplomatico-médiatique5.
Toutefois les États n’ont pas d’amis et l’appui indien se révèle relatif, avec des difficultés sur la flotte de pétroliers fantômes russes et une visite prévue à Kiev. Après l’intégration
de la Suède et de la Finlande dans l’OTAN, la bascule de l’Arménie et de la Moldavie confirment une stratégie périphérique contre Moscou.
b) Les partenariats économiques et commerciaux continuent et les exhortations occidentales à supprimer les échanges gaziers et pétroliers (Inde) ou
l’approvisionnement en supra conducteurs et «puces» (RPC) semblent voués à rester lettre morte (d’autant que Washington s’est autorisé à continuer à acquérir les matières premières dont
les USA ont besoin, comme l’uranium, auprès de la Russie !).
c) Les candidatures d’adhésion aux BRICS se multiplient (Turquie, Thaïlande) ; cela porte à terme un risque d’hypertrophie trop rapide, génératrice
d’implosion d’une entité réunissant des partenaires trop hétérogènes ou trop nombreux, comme l’a souligné le ministère des affaires étrangères russe. La tendance illustre toutefois une
volonté incontestable et croissante de se désolidariser du système économique actuel, sous hégémonie occidentale. Les BRICS rassemblent actuellement neuf États : Brésil, Russie,
Inde, Chine, Afrique du Sud, Émirats arabes unis, Iran, Égypte et Éthiopie.
d) Le président russe a évoqué de manière indirecte la possibilité de remettre des armements performants à des États hostiles à Washington (on a évoqué les
Houthis dans le cadre de leur lutte en Mer rouge). Des navires de guerre russes, dont un croiseur lance-missiles Zyrkon et un sous-marin nucléaire, ont opéré au large de Cuba, ce qui est
un avertissement évident dans le cadre de la gesticulation diplomatico-militaire.
e) Les jeux des BRICS ont accueilli en Russie 5000 athlètes de 90 pays à partir du 12 juin, en réponse à son traitement en paria par un CIO sous influence
occidentale.
f) L’Arabie saoudite n’a pas renouvelé l’accord de 50 ans qui la contraignait à effecteur ses ventes de pétrole en Dollars.
g) L’initiative dite de Paix qui s’est tenue les 15 et 16 juin au Bürgenstock en Suisse n’a logiquement débouché sur aucune action concrète, si ce n’est
refuser la proposition de négociation du président russe du 14 juin. A cette occasion, il s’est confirmé que nombre d’États agissent en équilibristes pour tenter de ne pas être
sanctionnés par les USA mais sans aller trop en avant dans la condamnation de la Russie. Ainsi, la liste des pays qui ont soutenu la déclaration finale est intéressante puisqu’elle
comprend la Hongrie, la Serbie et la Turquie, mais pas l’Arménie, le Brésil, l’Arabie saoudite, la Slovaquie et l’Afrique du Sud.
h) Les USA continuent à alimenter la pression sur la Russie, sans se mettre en première ligne, par crainte d’une confrontation nucléaire directe. On ne
distingue cependant aucun signe de détente et le relais semble passé à une Union Européenne otanisée (le traité de Lisbonne du 13 décembre 2007 établissait déjà, notamment par son article
42 et le paragraphe 7 de l’article 28 A – titre V, section II, l’implication de l’OTAN dans la politique de sécurité de l’UE) :
Après avoir autorisé l’emploi de ses armements à longue portée à Kiev, ouvrant la voie à quinze autres pays de l’OTAN pour bombarder la Russie.
Le secrétaire général de l’OTAN Stoltenberg (bientôt remplacé par le néerlandais Mark Rutte) a défini le 12 juin une obligation pour les États-membres
de livrer à Kiev les armements nécessaires.
Les dépenses militaires des pays de l’OTAN ont augmenté de 10,9% en 2024.
Les attaques de drones ukrainiens à longue portée continuent à bénéficier du renseignement de l’OTAN (drones de surveillance RQ 4B global Hawk et avion
ISR Rafale, Poséidon, Orion et RC 135W au-dessus de la zone internationale de la mer Noire) ce qui pose la question de la réponse russe à cette menace identifiée.
Par ailleurs la plupart des matériels déployés lors des manœuvres de l’OTAN steadfast defender sont restés sur place, facilitant un éventuel déploiement
sur des «couloirs» dans la Baltique.
Viktor Orban a annoncé que la Hongrie a négocié de ne pas participer à l’installation d’un «bureau de l’OTAN» en Ukraine, cet été. Cette mesure
occidentale vise certainement à fournir les personnels techniques nécessaires au fonctionnement de la flotte de F-16 en cours de livraison.
Pour rappel, la Moldavie a été le premier tat à signer un accord de coopération militaire avec l’UE, faute d’adhérer à l’OTAN.
i) Lors de la réunion du G7 en Italie la première ministre Georgia Meloni a fait des déclarations anti russes («Nous forcerons la
Russie à se rendre» assez proche de la rhétorique macronienne «Nous ferons tout pour
que La Russie ne gagne pas»), pro-Ukraine et otaniennes. Après avoir tenté une gymnastique d’évitement (Matteo Salvini conseillant au président français Macron de prendre un casque
et d’aller lui-même en Ukraine) l’Italie envisage de fournir des missiles anti-aériens Aster et peut être des Storm Shadow.
j) L’Espagne, qui tente également de rester assez loin du champ de bataille ukrainien va toutefois remettre 19 chars Leopard 2A4.
k) L’OTSC (organisation du traité de sécurité collective) demeure, malgré le retrait de l’Arménie (encore membre dans une posture qui ressemble un peu à
celle de la France gaullienne en 1966 vis-à-vis de l’OTAN). Le régime Pashinyan, qui a signé des accords de coopération avec les USA et la France, et qui va acquérir des matériels
militaires français, est en butte à une contestation massive et permanente. Toutefois, on notera que l’archevêque, figure clef de l’opposition et favorable à un durcissement à l’encontre
de l’Azerbaïdjan, désormais soutenu par Ankara et associé avec Moscou dans des contrats énergétiques importants, a été en poste de 1993 à 2003 au Canada et a suivi des études à Leeds au
Royaume-Uni. Sa position relativement à l’alliance russe ou occidentale pourrait donc ne pas forcément rompre avec celle de l’actuel Premier ministre. Moscou a annoncé mettre un terme à
toute fourniture militaire à l’Arménie. À l’inverse, il semble que l’invasion de Koursk ait pu bénéficier du transfert d’armements soviétiques arméniens.
l) La Géorgie semble résister à la menace d’une révolution
de couleur, malgré la position pro-UE de l’actuelle présidente (binationale française et ex-ambassadrice de France à Tbilissi) à laquelle la constitution confère peu de
pouvoirs.
m) Après la tentative
d’assassinat «par un déséquilibré isolé» naturellement, du Premier ministre Fico, la Slovaquie garde un cap antiguerre et l’ancien ministre de la Défense est poursuivi pour
avoir fourni des armements vitaux à l’Ukraine au détriment de son pays.
n) La Hongrie a confirmé son orientation anti-guerre en obtenant de l’OTAN d’être exemptée des mesures bellicistes programmées. Budapest est l’objet
de rétorsions
économiques de l’UE avec une condamnation à 200 millions d’euros plus un million par jour de retard, pour non-respect de décision de la CEJ sur les migrants ; le pays ne
reçoit pas non plus les financements UE. Ainsi que la Slovaquie (mais aussi la Pologne et… la France) il a aussi été condamné pour dérive budgétaire, ce qui conduit à des pénalités
financières. La volonté de faire plier financièrement les États qui n’appliquent pas les décisions politiques de l’oligarchie (non élue) des commissaires européens est ici flagrante. Quoi
que puisse en penser le lecteur français focalisé sur la politique intérieure, les élections récentes pour le Parlement européen ont tristement confirmé le PPE et Mme von der Leyen, même
si des évolutions sont notables.
o) Le président serbe Vucic a été confirmé par le vote mais, sous la menace du proxy albanais de l’OTAN, il a fait des déclarations inquiétantes annonçant
une guerre ouverte à brève échéance entre les Alliés et la Russie. Alarmisme à vocation fédératrice ou excellent Renseignement, l’avenir le dira. La volonté du président Dodic de la
Republika serbska de rejoindre la Serbie (en quittant donc l’entité créée après les accords de Dayton pour rassembler Bosniaques et Serbes) en réponse à la déclaration du Conseil de
sécurité de l’ONU reconnaissant les serbes comme peuple génocidaire à Srebrenica crée un facteur de risque supplémentaire dans les Balkans. La position serbe fait figure d’équilibrisme,
dénonçant les pressions occidentales mais sans exclure l’adhésion à l’UE et déclarant les USA comme «alliés», affirmant un risque de guerre mais vendant des obus qui alimentent les canons
de Kiev.
p) L’opposition entre le bloc occidentalo-pacifique (USA, Australie, Nouvelle Zélande, Corée du Sud, Japon, Philippines récemment réintégrées) et la RPC va
concerner d’autres acteurs, comme l’Indonésie et le Viet Nam, voire l’Inde, pays actuellement plutôt alliés de la Russie). À cet égard, on notera un retour aux positions clefs de la
guerre du Pacifique, ce qui donne un éclairage intéressant et discordant aux troubles en Nouvelle Calédonie.
Interrogations :
a) La situation internationale reste dominée par l’opposition entre le bloc occidental et un «reste du Monde» superficiellement et ponctuellement rassemblé
contre son hégémon.
Grossièrement, les interrogations majeures portent donc sur la robustesse et la pérennité de ces deux blocs, quelque peu artificiellement constitués et qui
recouvrent nombre d’oppositions internes ou externes, souvent même au sein des éléments constitutifs ; en effet, les États ne recouvrent plus véritablement les nations et des lignes
de fractures considérables existent en leur sein même.
b) Un questionnement plus modeste se pose quant à l’influence d’un changement de management au sein de ces blocs. L’Occident ne fait pas mystère de sa
volonté d’influer sur le cours des événements en facilitant la destitution de Vladimir Poutine et la destruction de son régime, précédant un possible démantèlement de la fédération de
Russie. Cette option ne semble pas la plus probable en l’état des choses mais n’empêche pas le jeu de déstabilisation des dominos respectifs (v ; supra). Outre un intérêt économique
(relance du complexe d’armement, prêts non désintéressés…) et politique (resserrement de la suzeraineté étatsunienne sur le bloc européen et épouvantail de l’ennemi commun en politique
intérieure), la prolongation de la guerre en Ukraine vise évidemment à lasser les populations russes et fissurer leur soutien patriotique.
c) Certains imaginent qu’un changement de la direction des USA pourrait avoir une influence majeure sur la guerre. Cela nous apparaît peu vraisemblable.
Tout d’abord, si
Donald Trump était en position de redevenir président (ce qui n’est pas certain) et souhaitait aller en ce sens, on peut penser qu’il serait encore un POTUS à trouver une fin tragique. Même en écartant cette
hypothèse, la
résistance du deep state, d’une partie de la population et des médias, de l’establishment lié au complexe militaro-industriel, rendrait un changement de cap plus que compliqué. Enfin,
Trump est un milliardaire et probablement patriote américain et agira comme tel ; il est peu crédible qu’il agisse de manière contraire aux intérêts économique des USA, à ceux de
l’aristocratie capitoline (dont il n’est finalement qu’un opposant ponctuel), et aux siens propres.
d) Les élections européennes et leurs réplique internes ne sont pas en mesure de permettre des évolutions drastiques des relations avec Kiev et Moscou. Les
partis qualifiés d’extrême droite sont loin d’avoir accédé à la réalité du pouvoir, et font face à des coalitions parfois contradictoires mais représentatives de fractions importantes de
la population ; de plus, leurs orientations se sont considérablement adoucies avec le temps et dérogent peu au consensus socialdémocrate et du libéralisme occidental et quasiment pas du
tout à l’atlantisme. L’exemple de l’Italie semble parlant à cet égard et les déclarations de leaders français confirment ce constat.
e) L’influence extérieure via les diasporas est une réalité observée dans le cadre du conflit israélo-palestinien en Europe. En revanche, il semble que la
majorité du Monde, particulièrement les États d’Afrique et d’Asie font montre d’une relative indifférence à la question ukrainienne, d’ailleurs assez compréhensible de leur point de
vue.
f) Le risque de développement majeur nous semble tenir à la possibilité d’un dérapage «à la 1914» conduisant à un affrontement nucléaire, d’abord limité
puis général. Cette hypothèse est consolidée par la perte de contrôle interne qui pourrait conduire des dirigeants désavoués à tenter un va-tout hypothéquant et détournant une Dissuasion
conçue comme un instrument stratégique de défense, en tant que moyen de pression, voire d’existence, internationale et interne. Ce risque de perte de contrôle catastrophique s’applique
aux deux camps et justifie peut-être que l’opposition soit graduelle6 et
n’aboutisse pas à un bouleversement brutal du champ de bataille.
Conclusion
Bien orgueilleux celui qui prétendrait tirer des affirmations péremptoires sur la base de ces constats. On distingue cependant une tendance à l’affrontement
de la part de l’OTAN, la confirmation que les négociations ne sont que prétextes mala fide, dans une perspective de renforcement militaire et que les informations distillées par la
communication occidentale et kiévienne ne permettent pas de former une image authentique et sincère de la situation, aggravant volontairement certains faits pour en dissimuler d’autres et
créer une surprise stratégique et médiatico-politique.
Bien que cristallisant la haine de E. Prigojine et de certains nostalgiques de l’URSS, au-delà de ses relations personnelles avec le président, en tant
que silovik et membre fondateur du parti Russie Unie, Sergueï Choïgou est majoritairement apprécié pour son action au sein du ministère de la Sécurité civile («situations d’urgence»
en Russie, une création de Choïgou lui-même). Ses fonctions au ministère de la Défense exigeaient une aptitude d’organisateur et ses remplaçants sont davantage profilés en fonction
des circonstances du SVO et de l’exigence de rigueur budgétaire et comptable. Moquées par certains détracteurs, ses nouvelles fonctions de secrétaire au Conseil de sécurité de la
Fédération de Russie ne sont pas uniquement honorifiques et le maintiennent proche du président. Cependant son départ de la Défense peut être mis en perspective avec l’action du FSB
au motif de la lutte contre la corruption, car il avait incarné le «retour de l’Armée» notamment face aux services spéciaux.
Garde du corps de Vladimir Poutine depuis 1999, il est nommé responsable des activités des forces spéciales qui ont été fondamentales pour la récupération de la Crimée en 2014,
vice-ministre de la Défense en 2015 et gouverneur de la région de Tula en 2016. Avec Nikolai Patrouchev, il fait désormais partie des assistants du président et pourra conseiller
techniquement son ministre de tutelle sur les aspects purement stratégiques et militaires.
De mi-mai à la mi-août 2024 :
– Arrestations du général vice-ministre de la Défense Timur Ivanov le 23 avril 2024, remplacé par le jeune Pavel Fradkov (fils de l’ancien Premier
ministre et considéré comme un homme du président) ancien chef adjoint du service de gestion immobilière de l’État, du général Sukhrab Akhmedov (ex-chef de la 20e armée), du chef
de la direction générale des forces armées et adjoint à l’état-major général, le général Vadim Shamarin. Le vice-ministre Dmitri Bulganov, le chef de la division du personnel Yuri
Kutzenov, le chef de la direction des communications Vadim Shamarin, le chef du département des achats de défense Vladimir Vertelestsky, le directeur de la société de construction
militaire Andrei Belkov, le directeur du département des relations immobilières Mikhail Sapirov, le directeur de Voenorg Vladimir Pavlov, le directeur du parc patriotique
Viatechslav Akhmidov (considéré comme membre de l’équipe Choïgou), le chef adjoint de la direction du développement et de l’innovation Vladimir Shesterov (également proche de l’ex
ministre Choïgou), l’ex commandant de la 83e brigade d’assaut aérien Artem Gorolov, l’ancien chef adjoint de la 144e division de fusiliers motorisés Dmitri Pershkov, ont tous été
arrêtés pour fraude et corruption. Le général Popov, apprécié comme chef de la 58e armée, n’est désormais plus inculpé mais témoin assigné à résidence dans une affaire de
corruption impliquant ses subordonnés.
– Départs des vice-ministres de la Défense Nikolai Pankov (vétéran de la Défense) non remplacé, Ruslan Tsalikov (considéré comme un homme de
Choïgou) remplacé par le conseiller d’État Lonid Gornin, Tatiana Shevtsova (pour des difficultés dans la gestion des fonds remis aux personnels militaires), Youri Sadoveko
remplacé par le commissaire aux comptes Savelyev considéré comme un redoutable auditeur et contrôleur dans la répression de la corruption et très loyal au président, du chef du
département des achats de défense Vladimir Verteletsky et du responsable de l’information et de l’innovation Pavel Popov, actuellement non remplacé. Anna Evgenieva Tsivileva,
épouse du ministre de l’Énergie et directrice du fonds d’État des défenseurs de la patrie où elle a apparemment brillé dans la gestion du soutien aux militaires de la Région
militaire Nord.
– Pour les responsables administratifs et politiques civils : Arrestation du vice-gouverneur de l’Altai Kibardin, du gouverneur d’Orel Sergei
Lejnev, du chef de du département des migrations du ministère de l’Intérieur, à Tula, Oskin et de son adjointe Borovik, du directeur de l’Institut d’État de langue à Smolensk, le
major de justice Marat Tambiev, ex-chef du département d’enquête de Moscou, du chef adjoint de la direction pénitentiaire de Moscou Vladimir Talaev, de la vice-gouverneure
d’Ivanovo Irina Ermish, du vice-président du logement à Moscou Vladimir Talalykin, de l’ancien ministre des Transports régional à Sverdlovsk Vasily Starkov, du directeur adjoint
du fonds de rénovation de Moscou Mtislav Dymmich, du vice-président du gouvernement régional de Khabarovsk Evegeni Nikonov, de l’ancien vice-ministre des Communications Alexei
Sodatov, du chef adjoint du ministère des Situations d’urgence de Krasnodar Sergei Simochenko, du maire de Sergiev Posad à Moscou Dmitri Akulov, de l’ancien directeur adjoint de
Gazprom Belgorod Alexander Belusov. Un scandale lié à un marché de gilets pare-balles défectueux pour l’armée a débouché sur l’arrestation d’Andrei Esipov et deux associés de la
société GC Pickett, trois hommes d’affaires ont été arrêtés pour corruption dans le marché de rénovation de la zone militaire de Kazan, l’ancien chef d Oboroenergo mark Manukyan
et le chef de Voenorg a été interpelé par le FSB pour corruption et fraude.
Si la réaction à l’attaque du Crocus n’a pas évité de nombreux morts, il en va différemment de la réduction exemplaire de la prise d’otages de personnels pénitentiaires par des
détenus islamistes à Rostov : en trois heures, après intervention des SOBR, six preneurs d’otages morts et les otages libérés… Dans les deux cas, le comportement radical des
intervenants n’a pas semblé soulever de problèmes judiciaires ni médiatiques en Russie.
Naturellement les États n’ont pas d’amis. L’attitude des «alliés» doit s’interpréter au regard de relations multifactorielles, notamment par rapport aux USA. On notera ainsi
que des entreprises chinoises cessent leur partenariat en Russie sous l’effet des pressions occidentales. Quant au Viet Nam il bénéficie du statut d’atelier du monde occidental, avec
des projets d’en faire une silicon valley bis. Sa balance économique avec les USA (29%, 15,5 % pour la Chine) est 22 fois supérieure de celle avec la Russie, qui ne peut jouer sur la
ressource énergétique faute de vecteurs d’approvisionnement. Le rapprochement avec la Russie, alors que les nouvelles générations sont relativement indifférentes à l’histoire de
l’alliance avec l’URSS, a plutôt à voir avec le différend sino-vietnamien notamment en Mer de Chine, qui pousse Hanoï à chercher des rééquilibrages en conservant une ligne
bienveillante mais sans trop s’avancer. C’est à la lumière de ces faits qu’il faut interpréter l’adhésion à l’accord de libre-échange de l’Union économique eurasienne et le souhait
d’intégrer les BRICS. La déclaration finale établit tout de même un renforcement de la coopération de défense et le développement de projets nucléaires civils.
Remarquons que les «lignes rouges successives (fourniture d’armes uniquement défensives, puis de moyens de combat, puis de blindés, puis d’avions, soutien aux assassinats
ciblés, extension des autorisations d’emploi des armes, attaques sur des civils ans les villes et même sur les plages, envoi de conseillers occidentaux, attaques de radars
stratégiques de la défense nucléaire, activation de terrorisme internes frappant les civils en Russie même…) ont toutes été franchies à l’exception de la remise d’armements nucléaires
à Kiev.
Les forces russes continuent de s’aguerrir, de perfectionner leurs armes et leurs techniques pour le combat de haute intensité moderne, de s’entraîner
en conditions réelles. Bref, loin de s’affaiblir, elles se renforcent et continuent d’avancer quotidiennement, prudemment et inexorablement sur plusieurs secteurs du front.
La gouvernance russe observe avec attention, peut être même avec délectation, les difficultés d’ordre politique et économique qui agitent, chaque jour un peu plus,
les grands pays de l’occident otanien (USA avec un Biden à la dérive, UK qui vote demain, France qui vote dimanche prochain, mais aussi Allemagne).
Vladimir Poutine reste maître des horloges. Il dispose des moyens en personnels et matériels pour accélérer le rythme de l’opération spéciale, pour ouvrir de
nouveaux fronts, pour en finir plus rapidement, lorsqu’il jugera le moment opportun. Pour l’instant, il joue la montre et observe les otaniens s’autodétruire, avant de porter le coup final
au régime de Kiev, peut être avant la fin de cette année.
Le lecteur observera que les Forces russes font tout leur possible pour épargner la vie des civils, ce que ne font pas les otano-kiéviens dans leurs frappes sur le
territoire russe (ou à Gaza). L’excellent et célèbre géopoliticien américain Jeffrey Sachs envoie un message au monde :
Sur l’Ukraine enfin, j’invite le lecteur à prendre connaissance de l’excellent travail de recherche signé par Eric Dénecé, fondateur et cheville ouvrière du Centre
Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R). Ce rapport très étayé, argumenté et sourcé est paru sous le titre : «La CIA et la Guerre en
Ukraine : Jusqu’où ne pas aller trop loin … Vraiment ?»
Nous avons récemment
assisté au pathétique spectacle montrant que, même après sept décennies d’indépendance et d’expérience en tant que démocratie où des centaines de millions de personnes se sentent
véritablement concernées, l’élite politique pouvait se comporter de manière infantile pendant le cycle électoral.
Ce n’était pas le cas
auparavant. Mon père, aujourd’hui décédé, se souvenait que Pundit Nehru, en tant que Premier ministre, avait l’habitude de se diriger vers les députés communistes dans le Central Hall pour
discuter avec eux. C’était dans les années 1950 et 1960, lorsque mon père était membre du Lok Sabha.
Ce souvenir est
revenu à mon esprit lorsque j’ai lu dans la presse russe le geste extraordinaire du président Vladimir Poutine à l’égard du secrétaire général du parti communiste russe, Guennadi Ziouganov, à
l’occasion de son 80e anniversaire de naissance, le 26 juin.
Poutine a rendu hommage à Ziouganov en signant un décret présidentiel attribuant le titre de Héros du travail de la Fédération de Russie au vénérable dirigeant
communiste.
Le décret précise que cette récompense est attribuée “pour sa contribution exceptionnelle au développement de l’État
russe et de la société civile, ainsi que pour son travail fructueux de longue haleine“. Poutine a ensuite adressé un message personnel de félicitations à Ziouganov, dont voici un extrait
:
« Vous êtes connu pour être un homme politique expérimenté et une personne honnête et attachée à ses principes, dévouée aux intérêts de la
patrie.
Vous restez immergé dans la vie publique du pays en vous efforçant de défendre les principes de la justice sociale, en apportant une contribution importante
au travail législatif et au parlementarisme russe, et en abordant des questions d’importance nationale. Je tiens en particulier à saluer vos efforts visant à améliorer le bien-être de la
population et à renforcer la souveraineté et les positions de notre pays sur la scène internationale. Ces activités multiformes et indispensables méritent un profond respect.
Je vous souhaite une bonne santé, beaucoup de succès dans la mise en œuvre de vos projets et tous mes vœux de réussite.
Une fois encore, veuillez accepter mes sincères félicitations pour avoir reçu le titre élevé de Héros du travail de la Fédération de Russie. »
Plus tard, Poutine a reçu Ziouganov au Kremlin. Le communiqué du Kremlin indique que “le président a remercié le dirigeant du parti communiste de la
Fédération de Russie pour les nombreuses années qu’il a passées au service de la patrie et a souligné que son parti a toujours défendu des positions patriotiques“.
Ces mots ont été choisis avec soin. En effet, Zyuganov est un homme aux convictions fortes et n’a jamais hésité à exprimer ses positions sur les questions
politiques dans ses commentaires publics, ses déclarations de campagne présidentielle et ses votes. Mais son amour sans faille pour la patrie n’a jamais été mis en doute.
Il a souvent été en désaccord avec Poutine. Mais ce dernier ne l’a jamais pris à cœur. Dans les années 1980, Ziouganov, membre du PCUS, a même critiqué le
programme de réformes du secrétaire général Mikhaïl Gorbatchev, la “glasnost” et la “perestroïka“.
Cela peut sembler paradoxal, mais les bons communistes font en réalité de grands nationalistes. Ziouganov s’est opposé à l’implication de l’Occident en Syrie et
a soutenu les opérations militaires spéciales de la Russie en Ukraine, accusant l’OTAN de planifier “l’asservissement de l’Ukraine” pour créer des “menaces critiques pour la sécurité de la Russie“. Il a
soutenu l’appel de Poutine à la “démilitarisation et à
la dénazification” de l’Ukraine.
Ziouganov a écrit un jour dans une tribune du New York Times : “Nous restaurerons la puissance de l’État russe et son statut dans
le monde. Cela rendra ses politiques incomparablement plus prévisibles et responsables qu’elles ne le sont aujourd’hui“. On pourrait dire qu’il s’agit là d’un “poutinisme” sans fard. Ziouganov estime que la Russie
détient le “rôle unique de pivot et de point
d’appui” de l’Eurasie.
Sans surprise, Zyuganov s’est opposé à la privatisation des industries d’État et s’est engagé à rétablir le contrôle de l’État sur l’économie. Mais en
s’éloignant de manière rafraîchissante du dogme soviétique, il a également fait de l’agriculture l’un des principaux chevaux de bataille du parti communiste, notamment en ce qui concerne le
manque de soutien de l’État aux régions rurales.
Il est tout à l’honneur de Poutine de n’avoir eu aucun scrupule à emprunter le programme de Ziouganov et de se faire un devoir de le consulter et de suivre ses
conseils, tout en orientant la Russie sans complexe vers un pays capitaliste qui en a fini avec le socialisme.
Il est intéressant de noter que Ziouganov affirme également que la Russie devrait s’inspirer de l’exemple réussi de la Chine et construire le socialisme russe.
Il a déjà encouragé les membres du parti à lire les œuvres choisies de Deng Xiaoping. Il a également déclaré que si son pays s’était inspiré de la réussite de la Chine plus tôt, l’Union
soviétique n’aurait pas été dissoute.
Rétrospectivement, Ziouganov a connu son heure de gloire au milieu des années 1990, lorsque, épuisé et désillusionné par le choc et l’effroi provoqués par
l’évolution de Boris Eltsine vers le marché libre et le capitalisme, qui a détruit la vie de vastes pans de la société habituée à une vie protégée et prévisible, le peuple russe s’est tourné
en masse vers le parti communiste lors de l’élection présidentielle de 1996.
En fait, la candidature de Ziouganov a progressé à un point tel qu’il semblait que la Russie était en train de revenir vers le socialisme. C’est alors que Bill
Clinton s’est rendu à Moscou avec son conseiller, Strobe Albott. Alarmé par ce qu’ils voyaient, Clinton est retourné à Washington et a approuvé une feuille de route visant à assurer la
victoire d’Eltsine, en faisant même appel au FMI. Clinton a déployé des experts américains comme directeurs de campagne d’Eltsine et rompu le sens des élections démocratiques. Le reste
appartient à l’histoire.
Mais Ziouganov n’a jamais montré de rancœur ou d’amertume. En fait, il n’a jamais exercé de fonction publique. Mais il peut se réjouir qu’à 80 ans, il soit
considéré comme l’éminence grise de la politique russe, alors que la réputation d’Eltsine est en très mauvais état.
La grande question est de savoir ce qu’est la démocratie. S’agit-il d’organiser régulièrement des élections ? Je viens de passer une semaine en Iran, au sein
d’un groupe d’observateurs, pour assister au scrutin de vendredi. Ce qui m’a le plus intrigué, c’est la liste des six candidats soigneusement préparés par le Conseil des gardiens sur la base
de l’engagement des candidats potentiels envers l’idéologie nationale et le système de gouvernement que l’Iran a choisi dans sa sagesse après la tumultueuse révolution islamique de
1979.
Ce processus subtil est peut-être le reflet de l’esprit “islamique persan-chiite“, mais une fois que les six
candidats (dont un religieux) sont annoncés, les règles du jeu sont les mêmes pour tous. Une demi-douzaine de débats télévisés ont été organisés pour s’assurer que les gens se familiarisent
avec les candidats. Le fait que seuls les conformistes soient autorisés à participer aux élections iraniennes est une parodie de vérité.
Il est pratiquement impossible de créer des présidents sur mesure. L’expérience montre qu’une fois élus à de hautes fonctions, certains d’entre eux ont même
tendance à se comporter comme Thomas Becket, qui, après être devenu archevêque de Canterbury, a pris son travail trop au sérieux pour le confort du roi Henri II. Bien entendu, de telles
luttes épiques ne se terminent jamais bien.
À l’autre extrême, on trouve l’étrange variante qui passe pour du “pluralisme politique” aux États-Unis. Un candidat âgé de 81
ans et l’autre de 78 ans, tous deux obsédés par les calomnies qu’ils se lancent l’un à l’autre. Le meilleur pari de Trump est que Biden a l’air “tordu et sénile“, tandis que le refrain de ce dernier est
que son adversaire est congénitalement malhonnête.
Un troisième candidat, Robert Kennedy Jr, bien qu’il soit un homme d’idées et de réflexion, est jugé indigne de participer au débat national sous le prétexte
spécieux qu’il est un “candidat indépendant”
!
Le résultat est un véritable spectacle de la faillite du système politique américain. Coïncidence ou non, Poutine a décerné l’honneur national à Zyuganov le
jour même où Trump et Biden s’affrontaient au nom du pluralisme démocratique.
M.K.
Bhadrakumar
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
Discours intégral de Vladimir Poutine à la réunion avec le corps diplomatique russe
Dans son intervention, le chef du Kremlin est revenu sur les origines du conflit ukrainien et a annoncé les conditions pour le lancement des négociations.
Chers collègues, bonjour !
Je suis ravi de vous accueillir tous et, au début de notre rencontre, je tiens à vous remercier pour votre travail acharné dans l'intérêt de la Russie et de notre peuple.
Nous nous sommes réunis aussi nombreux à la fin de l'année 2021, en novembre. Depuis, de nombreux événements cruciaux, sans exagération décisifs, ont eu lieu dans le pays et dans le
monde. C'est pourquoi je considère qu'il est important d'évaluer la situation actuelle dans les affaires mondiales et régionales, ainsi que de fixer les tâches correspondantes pour le
ministère des affaires étrangères. Toutes ces tâches sont subordonnées à l'objectif principal : créer les conditions pour un développement durable du pays, garantir sa sécurité et
améliorer le bien-être des familles russes.
Le travail dans ce domaine, dans les réalités modernes, complexes et en rapide évolution, exige de nous tous une plus grande concentration des efforts, de l'initiative, de la
persévérance, ainsi que la capacité non seulement de réagir aux défis actuels, mais aussi de définir notre propre agenda - celle à long terme - en collaboration avec nos partenaires, de
proposer et discuter, dans le cadre de discussions ouvertes et constructives, des solutions aux questions fondamentales qui préoccupent non seulement nous-mêmes, mais aussi la communauté
mondiale dans son ensemble.
Je le répète : le monde change rapidement. Il n'y aura plus de retour en arrière en politique globale, en économie ni même en termes de compétition technologique. De plus en plus de
nations cherchent à renforcer leur souveraineté, leur autosuffisance, ainsi que leur identité nationale et culturelle. Les pays du Sud global, de l'Est prennent de plus en plus
l'avant-scène, le rôle de l'Afrique et de l'Amérique latine croît. Depuis l'époque soviétique, nous avons toujours souligné l'importance de ces régions du monde, mais aujourd'hui, la
dynamique est tout autre et cela devient visible. Les processus de transformation s'accélèrent également en Eurasie, où de nombreux projets d'intégration de grande envergure sont
activement mis en œuvre.
C'est précisément sur la base de cette nouvelle réalité politique et économique que se dessinent aujourd'hui les contours d'un ordre mondial multipolaire et multilatéral. Ce processus est
objectif. Il reflète la diversité culturelle et civilisationnelle qui, malgré toutes les tentatives d'uniformisation artificielle, est intrinsèquement propre à l'humanité.
Ces changements profonds et systémiques inspirent, sans aucun doute, optimisme et espoir, car l’établissement des principes de multipolarité et de multilatéralisme dans les affaires
internationales, y compris le respect du droit international et une large représentation, permet de résoudre ensemble les problèmes les plus complexes dans l'intérêt commun, d'établir des
relations mutuellement bénéfiques et une coopération entre les États souverains dans l'intérêt du bien-être et de la sécurité des peuples.
Cette image de l'avenir correspond aux aspirations de la majorité absolue des pays du monde.Nous le constatons, entre autres, par l'intérêt croissant pour les travaux d'une organisation
aussi universelle que les BRICS, fondée sur une culture particulière de dialogue de confiance, d'égalité souveraine de ses membres et de respect mutuel. Dans le cadre de la présidence
russe cette année, nous allons faciliter l'intégration harmonieuse de nouveaux membres des BRICS dans les structures de travail de l’organisation.
Je demande au gouvernement et au ministère des affaires étrangères de poursuivre le travail substantiel et le dialogue avec nos partenaires, afin d'arriver au sommet de BRICS à Kazan en
octobre avec un ensemble solide de décisions concertées, qui orienteront notre coopération dans les domaines de la politique et de la sécurité, de l'économie et des finances, de la
science, de la culture, du sport et des relations humanitaires.
D'une manière générale, je pense que le potentiel des BRICS leur permettra de devenir, avec le temps, l'une des institutions régulatrices centrales de l'ordre mondial multipolaire.
Je tiens à noter à cet égard que la discussion internationale sur les paramètres de l'interaction entre les États dans un monde multipolaire, ainsi que sur la démocratisation de
l'ensemble du système des relations internationales, est bien sûr déjà en cours. Ainsi, avec nos collègues de la Communauté des États indépendants, nous avons convenu et adopté un
document conjoint sur les relations internationales dans un monde multipolaire. Nous avons invité des partenaires à discuter de ce sujet sur d'autres plateformes internationales,
notamment au sein de l'OCS et des BRICS.
Nous sommes intéressés à ce que ce dialogue soit sérieusement développé également au sein des Nations Unies, y compris sur un sujet de base, vital pour tous que la création d'un système
de sécurité indivisible. En d'autres termes, l'établissement dans les affaires mondiales du principe selon lequel la sécurité des uns ne peut être assurée au détriment de la sécurité des
autres.
Je rappelle à cet égard qu'à la fin du XXe siècle, après la fin de la confrontation militaire et idéologique aiguë, la communauté mondiale avait une opportunité unique de construire un
ordre de sécurité fiable et juste. Pour cela, il ne fallait pas grand-chose : simplement la capacité d'écouter l'avis de toutes les parties prenantes et une volonté mutuelle de les
prendre en compte.Notre pays était déterminé à faire ce genre de travail constructif.
Cependant, une autre approche a prévalu. Les puissances occidentales, menées par les États-Unis, ont estimé qu'elles avaient remporté la " guerre froide " et qu'elles avaient le droit de
déterminer seules comment le monde devait être organisé. La manifestation pratique de cette vision du monde a été le projet d'expansion sans limites géographiques et temporelles du bloc
nord-atlantique, bien qu'il y ait eu, bien sûr, d'autres idées pour assurer la sécurité en Europe.
À nos questions légitimes, on répondait par des excuses du genre que personne n’allait attaquer la Russie et que l'expansion de l'Otan n'était pas dirigée contre la Russie. Les promesses
faites à l'Union soviétique et ensuite à la Russie à la fin des années 80 et au début des années 90 de ne pas inclure de nouveaux membres dans le bloc ont été discrètement oubliées. Et
même s'ils s'en souvenaient, ils évoquaient avec un sourire sarcastique le fait que ces assurances étaient verbales et donc non contraignantes.
Nous avons constamment, tant dans les années 90 que par la suite, souligné l'erreur de la trajectoire choisie par les élites occidentales. Nous n'avons pas seulement critiqué et mis en
garde, mais nous avons également proposé des options et des solutions constructives, en insistant sur l'importance de mettre au point un mécanisme de sécurité européen et mondial qui
convienne à tous - je veux le souligner, vraiment à tous. La simple énumération des initiatives que la Russie a avancées au fil des ans occuperait plusieurs paragraphes.
Rappelons-nous au moins l'idée d'un traité sur la sécurité européenne que nous avons proposée dès 2008. Ces mêmes sujets ont été abordés dans le mémorandum du ministère des Affaires
étrangères de la Russie, qui a été remis aux États-Unis et à l'Otan en décembre 2021.
Mais toutes nos tentatives — et elles ont été nombreuses, plus qu'on ne pourrait les énumérer — pour sensibiliser nos interlocuteurs, pour expliquer, exhorter, avertir et demander de
notre part, n'ont rencontré absolument aucune réponse. Les pays occidentaux, sûrs non seulement de leur propre bon droit mais surtout de leur pouvoir et de leur capacité à imposer leur
volonté au reste du monde, ont simplement ignoré les autres points de vue. Au mieux, ils se disaient disposés à discuter de questions secondaires qui, en réalité, ne résolvaient rien, ou
de sujets qui étaient exclusivement avantageux pour l'Occident.
Entre-temps, il est vite devenu clair que le schéma occidental, proclamé comme le seul modèle correct pour assurer la sécurité et la prospérité en Europe et dans le monde, ne fonctionne
pas en réalité. Rappelons-nous la tragédie des Balkans. Les problèmes internes – bien sûr, ils existaient – accumulés dans l'ex-Yougoslavie, se sont soudainement aggravés à cause d'une
ingérence extérieure brutale. Déjà à cette époque, le grand principe de la diplomatie de type Otan s’était manifesté dans toute sa splendeur – profondément vicieux et stérile dans la
résolution de conflits internes complexes, à savoir : accuser une partie, qui pour une raison ou une autre ne leur plaît pas beaucoup, de tous les maux et lui diriger contre elle toute la
puissance politique, informationnelle et militaire, ainsi que des sanctions et des restrictions économiques.
Par la suite, les mêmes approches ont été appliquées dans différentes parties du monde, nous le savons très bien : Irak, Syrie, Libye, Afghanistan, et ainsi de suite, et elles n'ont
jamais rien apporté d'autre que l'aggravation des problèmes existants, la destruction de la vie de millions de personnes, la destruction de pays entiers, la multiplication des
catastrophes humanitaires et sociales, et des enclaves terroristes, et d’enclaves terroristes. En fait, aucun pays au monde n'est à l'abri de rejoindre cette triste liste.
Ainsi, l'Occident s'efforce aujourd'hui de se mêler impudemment dans les affaires du Moyen-Orient. Ils ont autrefois monopolisé cette région, et le résultat est clair et évident pour tous
aujourd'hui. Le Caucase du Sud, l'Asie centrale. Il y a deux ans, au sommet de l'Otan à Madrid, il a été annoncé que l'Alliance s'occuperait désormais des questions de sécurité non
seulement en Euro-Atlantique, mais aussi dans la région Asie-Pacifique. En quelque sorte, ils prétendent que là-bas aussi, on ne peut se passer d'eux. Il est évident que cela cache une
tentative d'accentuer la pression sur les pays de cette région, dont le développement, selon eux, doit être freiné. Comme on le sait, notre pays, la Russie, figure en bonne place sur
cette liste.
Je rappelle également que c'est Washington qui a sapé la stabilité stratégique en déclarant unilatéralement son retrait des traités sur la défense antimissile, sur l'élimination des
missiles de portée intermédiaire et à courte portée, ainsi que sur le traité Ciel ouvert. De plus, conjointement avec ses satellites de l'Otan, ils ont détruit le système de mesures de
confiance et de contrôle des armements en Europe, qui avait été mis en place pendant des décennies.
Au final, l'égoïsme et l'arrogance des États occidentaux ont conduit à la situation extrêmement dangereuse actuelle. Nous sommes arrivés dangereusement près du point de non-retour. Les
appels à infliger une défaite stratégique à la Russie, qui possède les plus grands arsenaux d'armes nucléaires, montrent un aventurisme extrême de la part des politiciens occidentaux.Soit
ils ne comprennent pas l'ampleur de la menace qu'ils représentent eux-mêmes, soit ils sont simplement obsédés par la croyance en leur propre impunité et en leur propre exceptionnalisme.
Dans les deux cas, la situation peut s'avérer tragique.
Il est clair que nous assistons à l'effondrement du système de sécurité euro-atlantique. Aujourd'hui, il n'existe tout simplement plus. Il faut le recréer pratiquement de toutes pièces.
Tout cela exige de notre part, conjointement avec nos partenaires et tous les pays concernés, et ils sont nombreux, d'élaborer nos propres options pour garantir la sécurité en Eurasie,
puis de les proposer pour une large discussion internationale.
C'est précisément la mission qui a été énoncéelors de l’adresse à l'Assemblée fédérale. Il s'agit de formuler, dans un avenir proche, sur le continent eurasiatique, un cadre de sécurité
égal et indivisible, de coopération et de développement mutuellement bénéfiques et équitables.
Qu'est-ce qu'il nous reste à faire pour atteindre cet objectif et sur quels principes devons-nous nous baser ?
Premièrement, il est nécessaire d’établir un dialogue avec tous les participants potentiels à ce futur système de sécurité. Pour commencer, je demande que les questions nécessaires soient
examinées avec les États ouverts à une coopération constructive avec la Russie.
Lors de la récente visite en République populaire de Chine, nous avons discuté de cette problématique avec le Président de la RPC, Xi Jinping. Nous avons constaté que la proposition russe
ne contredit pas, mais au contraire, complète et s'aligne pleinement avec les principes fondamentaux de l'initiative chinoise en matière de sécurité globale.
Deuxièmement, il est important de partir du principe que la future architecture de sécurité est ouverte à tous les pays eurasiens qui souhaitent participer à sa création. Par "tous", on
entend bien entendu les pays européens et les pays de l'Otan. Nous vivons sur un seul continent, quoi qu'il arrive, nous ne pouvons pas changer de géographie, nous devrons coexister et
travailler ensemble d'une manière ou d'une autre.
Oui, les relations de la Russie avec l'UE et avec un certain nombre de pays européens se sont actuellement dégradées, et je l'ai souligné à plusieurs reprises, ce n'est pas de notre
faute. Une campagne de propagande anti-russe impliquant de très hautes personnalités européennes s'accompagne de spéculations selon lesquelles la Russie s'apprêterait à attaquer l'Europe.
J'en ai parlé à maintes reprises, et il n'est pas nécessaire de le répéter plusieurs fois dans cette salle : nous sommes tous conscients qu'il s'agit d'une absurdité absolue, d'une simple
justification de la course aux armements.
À cet égard, je me permettrai une petite digression. Le danger pour l'Europe ne vient pas de la Russie. La principale menace pour les Européens est la dépendance critique et toujours
croissante, presque totale, vis-à-vis des États-Unis : dans les domaines militaire, politique, technologique, idéologique et de l'information. L'Europe est de plus en plus poussée en
marge du développement économique mondial, plongée dans le chaos des migrations et d'autres problèmes aigus, et privée de sa subjectivité internationale et de son identité culturelle.
Il semble parfois que les politiciens européens au pouvoir et les représentants de la bureaucratie européenne craignent davantage de tomber dans l'escarcelle de Washington que de perdre
la confiance de leur propre peuple, de leurs propres citoyens. Les récentes élections au Parlement européen le montrent également. Les politiciens européens avalent les humiliations, les
grossièretés et les scandales en surveillant les dirigeants européens, tandis que les États-Unis les utilisent simplement dans leurs propres intérêts : ils les forcent à acheter leur gaz
coûteux - soit dit en passant, le gaz est trois ou quatre fois plus cher en Europe qu'aux États-Unis - ou, comme aujourd'hui, par exemple, ils exigent des pays européens qu'ils augmentent
les livraisons d'armes à l'Ukraine. D'ailleurs, les demandes sont constantes ici et là. Et des sanctions sont imposées contre eux, contre les opérateurs économiques en Europe. Ils les
imposent sans la moindre gêne.
Et maintenant, ils les forcent à augmenter les livraisons d'armes à l'Ukraine, à étendre leurs capacités de production de munitions d'artillerie. Écoutez, qui aura besoin toutes ces
munitions lorsque le conflit en Ukraine sera terminé ? Comment cela peut-il assurer la sécurité militaire de l'Europe ? Ce n'est pas clair. Les États-Unis eux-mêmes investissent dans les
technologies militaires, et surtout dans les technologies de demain : dans l'espace, dans les drones modernes, dans les systèmes d'armement basés sur de nouveaux principes physiques,
c’est-à-dire dans les domaines qui, à l'avenir, détermineront la nature des combats armés, et donc le potentiel militaire et politique des puissances, leurs positions dans le monde. Et on
leur attribue maintenant le rôle suivant : investissez votre argent là où nous en avons besoin. Mais cela n'augmente en rien le potentiel européen. Tant pis pour eux, laissons-les faire.
Pour nous, peut-être que c'est une bonne chose, mais en fait, c'est comme ça.
Si l'Europe veut se maintenir comme l'un des centres autonomes du développement mondial et comme un des pôles culturels et civilisationnels de la planète, elle doit, sans aucun doute,
entretenir de bonnes relations avec la Russie, et nous, avant tout, y sommes prêts.
Cette réalité simple et évidente a été bien comprise par les politiciens d’envergure véritablement paneuropéenne et mondiale, des patriotes de leurs pays et de leurs peuples, qui
pensaient en termes historiques, et non par les figurants qui suivent la volonté et les directives des autres. Charles de Gaulle en a beaucoup parlé dans l'après-guerre. Je me souviens
bien de la conversation en 1991, à laquelle j'ai eu l'occasion de participer personnellement, où le chancelier allemand, Helmut Kohl, a souligné l'importance du partenariat entre l'Europe
et la Russie. Je suis persuadé que tôt ou tard, les nouvelles générations d'hommes politiques européens reviendront à cet héritage.
Quant aux États-Unis eux-mêmes, les tentatives incessantes des élites libérales-mondialistes qui y règnent aujourd'hui pour répandre leur idéologie dans le monde entier par tous les
moyens, pour préserver leur statut impérial et leur domination, ne font qu'épuiser de plus en plus le pays, le conduire à la dégradation et entrer en contradiction flagrante avec les
intérêts véritables du peuple américain.Sans cette voie sans issue, ce messianisme agressif, mêlé à la croyance en son propre choix et en son exclusivité, les relations internationales
auraient été stabilisées depuis longtemps.
Troisièmement. Afin de promouvoir l'idée d'un système de sécurité eurasien, il est nécessaire d'intensifier considérablement le processus de dialogue entre les organisations
multilatérales qui travaillent déjà en Eurasie. Je fais principalement référence à l'État de l'Union, à l'Organisation du traité de sécurité collective, à l'Union économique eurasienne, à
la Communauté des États indépendants et à l'Organisation de coopération de Shanghai.
Nous pensons que d'autres associations eurasiennes influentes, de l'Asie du Sud-Est au Moyen-Orient, se joindront à l'avenir à ces processus.
Quatrièmement. Nous pensons que le moment est venu d'entamer un large débat sur un nouveau système de garanties bilatérales et multilatérales de sécurité collective en Eurasie. Dans le
même temps, à long terme, il est nécessaire de réduire progressivement la présence militaire des puissances extérieures dans la région eurasienne.
Nous sommes bien sûr conscients que cette thèse peut sembler irréaliste dans la situation actuelle, pourtant c'est le cas aujourd'hui. Mais si nous construisons un système de sécurité
fiable à l'avenir, une telle présence de contingents militaires extrarégionaux ne sera tout simplement pas nécessaire. En fait, pour être honnête, il n'y en a pas besoin aujourd'hui - il
n'y a qu'une occupation, c'est tout.
En fin de compte, nous pensons qu'il appartient aux États et aux structures régionales de l'Eurasie d'identifier des domaines spécifiques de coopération dans le domaine de la sécurité
commune. Sur cette base, ils devraient également construire un système d'institutions, de mécanismes et d'accords de travail qui serviraient réellement à atteindre les objectifs communs
de stabilité et de développement.
À cet égard, nous soutenons l'initiative de nos amis biélorusses visant à élaborer un document de programme - une charte sur la multipolarité et la diversité au XXIe siècle. Ce document
pourrait formuler non seulement les principes cadres de l'architecture eurasienne basés sur les normes fondamentales du droit international, mais aussi, dans un sens plus large, une
vision stratégique de l'essence et de la nature de la multipolarité et du multilatéralisme en tant que nouveau système de relations internationales qui remplace le monde centré sur
l'Occident. Je pense qu'il est important et je demande qu'un tel document soit élaboré en profondeur avec nos partenaires et tous les États intéressés. J'ajouterai que lorsque nous
discutons de questions aussi complexes, nous avons bien sûr besoin d'un maximum, d'une large représentation et de la prise en compte d'approches et de positions différentes.
Cinquièmement. Une partie importante du système eurasien de sécurité et de développement devrait sans aucun doute concerner les questions d'économie, de bien-être social, d'intégration et
de coopération mutuellement bénéfique, en abordant des problèmes communs tels que la lutte contre la pauvreté, l'inégalité, le climat, l'environnement, le développement de mécanismes pour
répondre aux menaces de pandémies et de crises dans l'économie mondiale - tout est important.
L'Occident, par ses actions, a non seulement sapé la stabilité militaire et politique dans le monde, mais il a aussi discrédité et affaibli les principales institutions du marché par des
sanctions et des guerres commerciales. En utilisant le FMI et la Banque mondiale, en modifiant l'agenda climatique, il a étouffé le développement du Sud. En perdant la compétition, même
dans le cadre des règles que l'Occident s'est fixées, il a recours à des barrières prohibitives et à toutes sortes de protectionnisme. Ainsi, aux États-Unis, on a en fait renoncé à
l'Organisation mondiale du commerce en tant que régulateur du commerce international. Tout est bloqué. Ils exercent des pressions non seulement sur leurs concurrents, mais aussi sur leurs
satellites. Il suffit de voir comment ils "siphonnent" aujourd'hui les économies européennes, qui sont au bord de la récession.
Les pays occidentaux ont gelé une partie des actifs et des réserves de change russes. Désormais, ils réfléchissent à comment trouver une base juridique quelconque pour les approprier
définitivement. Mais, malgré toutes ces subtilités légales, le vol restera un vol sans aucun doute et ne restera pas impuni, d'une manière ou d'une autre.
La question est encore plus profonde. En volant les actifs russes, ils feront un pas de plus vers la destruction du système qu'ils ont eux-mêmes créé et qui pendant de nombreuses
décennies a assuré leur prospérité, leur permettant de consommer plus qu'ils ne gagnent, en attirant de l'argent du monde entier grâce aux dettes et aux obligations. Désormais, il devient
évident pour tous les pays et entreprises, ainsi que pour les fonds souverains, que leurs actifs et réserves ne sont pas du tout en sécurité – ni juridiquement, ni économiquement parlant.
Et n'importe lesquels de ces fonds peuvent être les prochains pour être expropriés par les États-Unis et l'Occident.
Dès à présent, la méfiance envers le système financier basé sur les monnaies de réserve occidentales augmente. Il y a un flux de capitaux sortant des titres et obligations des États
occidentaux, ainsi que de certaines banques européennes, qui étaient encore récemment considérées comme des lieux absolument sûrs pour conserver des capitaux. Maintenant, même l'or est
exporté. Et à juste titre.
Je pense que nous devons sérieusement intensifier la formation de mécanismes économiques extérieurs efficaces et sûrs, bilatéraux et multilatéraux, en alternative à ceux contrôlés par
l'Occident. Ceci inclut, entre autres, l'expansion des règlements en monnaies nationales, la création de systèmes de paiement indépendants et l'établissement de chaînes de production et
de distribution contournant les canaux bloqués ou compromis par l'Occident.
Il est évidemment nécessaire de continuer les efforts pour développer les corridors de transport internationaux en Eurasie – le continent dont la Russie est le noyau géographique naturel.
Je charge le ministère des Affaires étrangères de maximiser le soutien à l'élaboration d'accords internationaux dans tous ces domaines. Ils sont extrêmement importants pour renforcer la
coopération économique de notre pays et de nos partenaires. Cette approche devrait également donner un nouvel élan à la construction d'un grand partenariat eurasien, qui pourrait devenir,
en substance, la base socio-économique d'un nouveau système de sécurité indivisible en Europe.
Chers collègues ! Le sens de nos propositions est de former un tel système dans lequel tous les États seraient assurés de leur propre sécurité. Alors nous pourrons, d'ailleurs, aborder de
manière vraiment constructive la résolution des nombreux conflits qui existent aujourd'hui. Les problèmes de manque de sécurité et de confiance mutuelle ne concernent pas seulement le
continent eurasiatique, la tension croissante est observée partout. Et le fait que le monde est interconnecté et interdépendant, nous le constatons en permanence, et la crise ukrainienne,
dont les conséquences se font sentir dans le monde entier, est un exemple tragique pour nous tous.
Mais je veux dire tout de suite : la crise liée à l'Ukraine n'est pas un conflit entre deux États, encore moins entre deux peuples, causé par certains problèmes entre eux. Si c'était le
cas, il n'y a aucun doute que les Russes et les Ukrainiens, unis par une histoire et une culture communes, des valeurs spirituelles, des millions de liens de parenté et familiaux,
auraient trouvé un moyen de régler équitablement toutes les questions et divergences.
Mais la situation est différente : les racines du conflit ne se trouvent pas dans les relations bilatérales. Les événements en Ukraine sont le résultat direct des développements mondiaux
et européens de la fin du XXe et du début du XXIe siècle, de la politique agressive, sans cérémonie et absolument aventureuse que l'Occident a menée et poursuit toutes ces années, bien
avant que l'opération militaire spéciale n’ait commencé.
Ces élites des pays occidentaux, comme je l'ai déjà dit aujourd'hui, après la fin de la "guerre froide", ont mis le cap sur une restructuration géopolitique mondiale, pour créer et
imposer l'ordre soi-disant basé sur des règles, dans lequel des États forts, souverains et autosuffisants n'ont tout simplement pas leur place.
D'où la politique de confinement de notre pays. Les objectifs de cette politique sont déjà ouvertement déclarés par certaines personnalités aux États-Unis et en Europe. Aujourd'hui, ils
parlent de la soi-disant décolonisation de la Russie. En substance, il s'agit d'une tentative de fournir une base idéologique à la désintégration de notre Patrie sur une base nationale.
En fait, on parle depuis longtemps de la désintégration de l'Union soviétique, de la Russie. Tous ceux qui sont présents dans cette salle le savent bien.
En mettant en œuvre cette stratégie, les pays occidentaux ont choisi la ligne d'annexion et d'appropriation politico-militaire des territoires proches de nous. Il y a eu cinq, et
maintenant déjà six vagues d'élargissement de l'Otan. Ils ont essayé de transformer l'Ukraine en leur bastion, d'en faire une "anti-Russie". Pour atteindre ces objectifs, ils ont investi
de l'argent, des ressources, acheté des politiciens et des partis entiers, réécrit l'histoire et les programmes éducatifs, nourri et cultivé des groupes néonazis et radicaux. Ils ont tout
fait pour saper nos liens interétatiques, diviser et monter nos peuples les uns contre les autres.
Cette politique effrontée et délibérée était contrée par le sud-est de l'Ukraine – des territoires qui, pendant des siècles, ont fait partie de la grande Russie historique. Là vivaient,
et vivent encore aujourd'hui, des gens qui, même après la proclamation de l'indépendance de l'Ukraine en 1991, étaient favorables à des relations bonnes et très étroites avec notre pays.
Des gens – à la fois des Russes et des Ukrainiens, représentant différentes nationalités, unis par la langue russe, la culture, les traditions, la mémoire historique.
La position, l'humeur, les intérêts et les voix de ces gens – des millions de personnes vivant dans le sud-ouest – devaient simplement être pris en compte par les Présidents ukrainiens et
les politiciens de l'époque, qui se battaient pour ce poste et utilisaient les voix de ces électeurs. Mais en utilisant ces voix, ils se dérobaient ensuite, manoeuvraient, mentaient
beaucoup, parlaient du soi-disant choix européen. Ils n'osaient pas rompre complètement avec la Russie, car le sud-est de l'Ukraine pensait autrement, et cela ne pouvait être ignoré. Ce
double jeu a toujours été propre au pouvoir ukrainien pendant toutes les années après la reconnaissance de l'indépendance.
Bien entendu, l'Occident le voyait. Il voyait et comprenait depuis longtemps les problèmes qui existaient et qui pouvaient être exacerbés, comprenait l'importance dissuasive du facteur
sud-est, ainsi que le fait qu'aucune propagande de longue durée ne pouvait fondamentalement changer la situation. Bien sûr, beaucoup de choses ont été faites, mais il était difficile de
changer la situation en profondeur.
Ils n'ont pas réussi à déformer l'identité historique, la conscience de la majorité des gens dans le sud-est de l'Ukraine, à éradiquer en eux, y compris parmi les jeunes générations, une
attitude favorable envers la Russie et le sentiment de notre communauté historique. Et c'est pourquoi ils ont de nouveau décidé d'agir par la force, de simplement briser les gens du
sud-est, de se moquer de leur opinion. Pour cela, ils ont organisé, financé, et bien sûr profité des difficultés et des complications d'ordre politique interne en Ukraine, mais ont malgré
tout préparé de manière cohérente et ciblée un coup d'État armé.
Les villes ukrainiennes ont été submergées par une vague de pogroms, de violences, d'assassinats. Le pouvoir à Kiev a été définitivement pris et usurpé par les radicaux. Leurs slogans
nationalistes agressifs, y compris la réhabilitation des collaborateurs nazis, ont été élevés au rang d'idéologie d’État. Une politique a été proclamée en faveur de l'abolition de la
langue russe dans les sphères étatiques et publiques, la pression sur les croyants orthodoxes et l'ingérence dans les affaires de l'Église se sont accrues, ce qui a finalement conduit à
un schisme. Personne ne semble remarquer cette interférence, comme si c’était ainsi que les choses devraient se passer. Essayez de faire quelque chose de similaire ailleurs et il y aura
un tel tollé artistique que les oreilles vous en tomberont. Mais là-bas, c'est permis, parce que c'est contre la Russie.
Des millions d'habitants de l'Ukraine, en particulier de ses régions orientales, se sont opposés au coup d'État, comme on le sait. Ils ont été menacés de répression et de terreur. Et
avant tout, les nouvelles autorités à Kiev ont commencé à préparer une attaque contre la Crimée russophone, qui autrefois, en 1954, comme vous le savez, avait été transférée de la RSFSR à
l'Ukraine en violation de toutes les normes légales et procédures en vigueur même à l'époque en Union soviétique. Dans cette situation, bien entendu, nous ne pouvions pas abandonner,
laisser sans protection les citoyens de Crimée et de Sébastopol. Ils ont fait leur choix, et en mars 2014, comme on le sait, il y a eu la réunification historique de la Crimée et de
Sébastopol avec la Russie.
À Kharkov, Kherson, Odessa, Zaporojié, Donetsk, Louhansk et Marioupol, les manifestations pacifiques contre le coup d'État ont été réprimées, le régime de Kiev et les groupes
nationalistes ont déclenché la terreur. Il n'est probablement pas nécessaire de rappeler que tout le monde se souvient bien de ce qui s'est passé dans ces régions.
En mai 2014, des référendums ont eu lieu sur le statut des Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, au cours desquels une majorité absolue des habitants s'est prononcée pour
l'indépendance et la souveraineté. C’est immanquablement que se pose la question : les gens pouvaient-ils ainsi exprimer leur volonté, pouvaient-ils déclarer leur indépendance ? Ceux qui
sont présents dans cette salle comprennent bien sûr qu'ils le pouvaient, qu'ils avaient pleinement le droit de le faire, conformément au droit international, y compris le droit des
peuples à l'autodétermination. Il n'est pas besoin de vous le rappeler, mais néanmoins, puisque les médias sont là, je dirai que l'article 1, paragraphe 2 de la Charte des Nations Unies
octroie ce droit.
Je rappelle à ce propos le fameux précédent du Kosovo. On en a déjà beaucoup parlé à l'époque, et je vais le dire encore une fois maintenant. Un précédent que les pays occidentaux
eux-mêmes ont créé dans une situation absolument analogue, en reconnaissant légitime la séparation du Kosovo de la Serbie, qui a eu lieu en 2008. Ensuite, il y a eu la fameuse décision de
la Cour internationale de justice de l'ONU qui, le 22 juillet 2010, sur la base de l'article 1, paragraphe 2 de la Charte des Nations Unies, a déclaré, je cite : "Il n'existe pas
d'interdiction générale du Conseil de sécurité de déclarer unilatéralement l'indépendance". Et encore une citation : "Le droit international général ne contient aucune interdiction
applicable à la déclaration d'indépendance". De plus, il est également clairement écrit que les parties d'un pays, quel qu'il soit, qui décident de déclarer leur indépendance ne sont pas
obligées de s'adresser aux organes centraux de leur ancien État. Tout est écrit noir sur blanc de leur propre main.
Donc, ces républiques – de Donetsk et de Lougansk – avaient-elles le droit de déclarer leur indépendance ? Bien sûr que oui. La question ne peut même pas être examinée autrement.
Qu'a fait le régime à Kiev dans cette situation ? Il a complètement ignoré le choix des gens et a déclenché une guerre totale contre les nouveaux États indépendants – les républiques
populaires du Donbass, en utilisant l'aviation, l'artillerie et les chars. Les bombardements et les tirs sur les villes paisibles ont commencé, ainsi que des actions d'intimidation. Et
qu'est-il arrivé ensuite ? Les habitants du Donbass ont pris les armes pour protéger leur vie, leur maison, leurs droits et leurs intérêts légitimes.
En Occident, ils affirment constamment que la Russie a commencé la guerre dans le cadre de l'opération militaire spéciale, qu'elle est l'agresseur, et que par conséquent, il est possible
de frapper son territoire en utilisant des systèmes d'armes occidentaux, car l'Ukraine selon eux se défend et peut donc le faire.
Je veux encore souligner ceci : la Russie n'a pas commencé la guerre, c'est le régime de Kiev qui, rappelons-le, après que les habitants d'une partie de l'Ukraine avaient déclaré leur
indépendance conformément au droit international, a commencé les hostilités et les poursuit. C'est cela l'agression, quand on ne reconnaît pas le droit de ces peuples, vivant sur ces
territoires, à déclarer leur indépendance. Et sinon, que serait-ce ? C'est de l'agression. Et ceux qui ont aidé la machine militaire du régime de Kiev ces dernières années sont des
complices de l'agresseur.
À l'époque, en 2014, les habitants du Donbass ne se sont pas résignés. Les unités de miliciens ont résisté, ont repoussé les forces répressives, et les ont finalement repoussées de
Donetsk et Lougansk. Nous espérions que cela réveillerait ceux qui avaient déclenché cette tuerie. Pour arrêter l'effusion de sang, la Russie a lancé des appels habituels – des appels aux
négociations, et elles ont commencé avec la participation de Kiev et des représentants des républiques du Donbass, avec le soutien de la Russie, de l'Allemagne et de la France.
Les discussions ont été difficiles, mais en 2015, les accords de Minsk ont été conclus. Nous avons pris leur mise en œuvre très au sérieux, en espérant que nous pourrions régler la
situation dans le cadre d'un processus pacifique et du droit international. Nous espérions que cela permettrait de prendre en compte les intérêts légitimes et les revendications du
Donbass, d’inscrire dans la constitution un statut spécial pour ces régions et les droits fondamentaux des personnes qui y vivent, tout en maintenant l'unité territoriale de l'Ukraine.
Nous étions prêts à cela et nous étions prêts à persuader les habitants de ces territoires de résoudre les questions de cette manière, proposant à plusieurs reprises divers compromis et
solutions.
Mais tout cela a finalement été rejeté. Les accords de Minsk ont été jetés à la poubelle par Kiev. Comme l'ont avoué plus tard des représentants de la haute direction ukrainienne, aucune
des dispositions de ces documents ne leur convenait, ils mentaient et trichaient comme ils pouvaient.
L'ancienne chancelière allemande et l'ancien président français, qui étaient pratiquement des co-auteurs et des garants des accords de Minsk, ont soudainement reconnu plus tard qu'ils
n'avaient jamais prévu de les mettre en œuvre, qu'il leur fallait juste gagner du temps pour renforcer les formations armées ukrainiennes, les armer et les équiper. Ils nous ont
simplement dupés une fois de plus, nous ont trompés.
Au lieu d'un véritable processus de paix, au lieu d'une politique de réintégration et de réconciliation nationale, dont ils aimaient parler à Kiev, le Donbass a été bombardé pendant huit
ans. Ils ont organisé des attentats, des meurtres, un blocus impitoyable. Pendant toutes ces années, les habitants du Donbass (femmes, enfants, personnes âgées) ont été qualifiés de
"citoyens de seconde zone", de "sous-hommes", ont été menacés de représailles, disant "nous viendrons et nous vengerons de chacun d'entre vous". Qu'est-ce d'autre si ce n'est un génocide
au cœur de l'Europe au XXIe siècle ? Et en Europe et aux États-Unis, ils faisaient semblant de ne rien voir, de ne rien remarquer.
À la fin de 2021 et au début de 2022, le processus de Minsk a été définitivement enterré, enterré par Kiev et ses protecteurs occidentaux, et une nouvelle offensive massive était
planifiée contre le Donbass. Une grande formation des forces armées ukrainiennes se préparait à lancer une nouvelle offensive contre Lougansk et Donetsk, bien sûr avec des nettoyages
ethniques et de nombreuses victimes humaines, avec des centaines de milliers de réfugiés. Nous étions obligés de prévenir cette catastrophe, de protéger les gens, nous ne pouvions pas
prendre une autre décision.
La Russie a finalement reconnu les Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk. Pendant huit ans, nous ne les avons pas reconnues, espérant parvenir à un accord. Le résultat est
désormais connu. Et le 21 février 2022, nous avons conclu avec ces républiques, que nous avons reconnues, des traités d'amitié, de coopération et d'assistance mutuelle. La question est la
suivante: les Républiques populaires avaient-elles le droit de nous demander un soutien une fois que nous avions reconnu leur indépendance? Et avions-nous le droit de reconnaître leur
indépendance, tout comme elles avaient le droit d'annoncer leur souveraineté conformément aux articles et décisions de la Cour internationale de justice des Nations Unies que j'ai
mentionnés? Avaient-elles le droit de déclarer leur indépendance? Oui, elles l'avaient. Mais si elles avaient ce droit et l'ont utilisé, alors nous avions le droit de signer des accords
avec elles – et nous l'avons fait, en pleine conformité avec le droit international et l'article 51 de la Charte des Nations Unies.
Dans le même temps, nous nous sommes adressés aux autorités de Kiev en leur demandant de retirer leurs troupes du Donbass. Je peux vous dire que des contacts ont eu lieu, nous leur avons
immédiatement dit : retirez vos troupes de là-bas, et tout se terminera ainsi. Cette proposition a été quasiment immédiatement rejetée, simplement ignorée, bien qu'elle offrait une réelle
opportunité de résoudre la question de manière pacifique.
Le 24 février 2022, la Russie a été contrainte d'annoncer le début d'une opération militaire spéciale. En m'adressant aux citoyens russes, aux habitants des républiques de Donetsk et de
Lougansk, ainsi qu'à la société ukrainienne, j'ai alors précisé les objectifs de cette opération : protéger les habitants du Donbass, rétablir la paix, procéder à la démilitarisation et à
la dénazification de l'Ukraine et ainsi éloigner les menaces de notre pays, rétablir l'équilibre en matière de sécurité en Europe.
Nous avons néanmoins continué à considérer que l'atteinte des objectifs par des méthodes politico-diplomatiques était prioritaire. Je rappelle qu’au tout premier stade de l’opération
militaire spéciale, notre pays a accepté de négocier avec les représentants du régime de Kiev. Ces négociations ont d'abord eu lieu en Biélorussie, puis en Turquie. Nous avons essayé de
transmettre notre message principal: respectez le choix du Donbass, la volonté des personnes qui y vivent, retirez les troupes, arrêtez les bombardements des villes et villages paisibles.
Rien de plus n'était nécessaire, les autres questions seraient réglées plus tard. La réponse a été: “non, nous allons nous battre”. Évidemment, c'était l'ordre des maîtres occidentaux; et
je vais en parler aussi.
À cette époque, en février-mars 2022, nos troupes, comme vous le savez, se sont approchées de Kiev. À ce sujet, en Ukraine et en Occident, il y a eu et il y a encore beaucoup de
spéculations. Que veux-je dire à ce sujet ? Nos unités étaient effectivement à Kiev, et au sein des ministères de la défense et des forces de sécurité, diverses propositions sur nos
actions futures étaient examinées, mais il n'y a jamais eu de décision politique d'assaut sur cette ville de trois millions d’habitants, peu importe ce qui est dit ou imaginé.
En réalité, ce n'était rien d'autre qu'une opération visant à contraindre le régime ukrainien à faire la paix. Les troupes étaient là pour pousser la partie ukrainienne à négocier,
essayer de trouver des solutions acceptables et ainsi mettre fin à la guerre déclenchée par Kiev contre le Donbass dès 2014, résoudre les questions qui menaçaient la sécurité de notre
pays, la sécurité de la Russie.
Curieusement, il a finalement été possible de parvenir à des accords qui, en principe, convenaient à la fois à Moscou et à Kiev. Ces accords ont été mis sur papier et paraphés à Istanbul
par le chef de la délégation ukrainienne de négociation. Cela signifie que les autorités de Kiev étaient satisfaites de cette solution au problème.
Le document s’intitulait "Traité sur la neutralité permanente et les garanties de sécurité pour l’Ukraine". Il s'agissait d'un compromis, mais ses points essentiels correspondaient à nos
revendications fondamentales et résolvaient des problèmes considérés comme fondamentaux, même au début de l’opération militaire spéciale, notamment la démilitarisation et la
dénazification de l'Ukraine - aussi étrange que cela puisse paraître. Et ici, nous avons également réussi à trouver des solutions complexes. Il s’agissait notamment d’adopter une loi en
Ukraine interdisant l’idéologie nazie et toutes ses manifestations. Tout cela a été écrit sur papier.
En outre, en échange de garanties de sécurité internationales, l'Ukraine devrait limiter la taille de ses forces armées, s'engager à ne pas conclure d'alliances militaires, à ne pas
accueillir les bases militaires étrangères ni leurs contingents et à ne pas mener d'exercices militaires sur son territoire. Tout est écrit sur papier.
Pour notre part, comprenant également les préoccupations de sécurité de l’Ukraine, nous avons convenu que l’Ukraine, sans adhérer formellement à l’Otan, bénéficierait de garanties presque
identiques à celles dont bénéficient les membres de cette alliance. Cela n’a pas été une décision facile pour nous, mais nous avons reconnu la légitimité des exigences de l’Ukraine visant
à assurer sa sécurité et, en principe, nous n’avons pas d’objection à la formulation proposée par Kiev. Ce sont les formulations proposées par Kiev, et nous ne nous y sommes généralement
pas opposés, sachant que l’essentiel est d’arrêter l’effusion de sang et la guerre dans le Donbass.
Le 29 mars 2022, nous avons retiré nos troupes de Kiev, car on nous avait assuré qu'il était nécessaire de créer les conditions nécessaires pour achever le processus de négociation
politique. Une des parties ne pouvait pas signer de tels accords le pistolet sur la tempe, comme l’ont dit nos collègues occidentaux. D'accord, nous l’avons également accepté.
Cependant, immédiatement après le retrait des troupes russes de Kiev, les dirigeants ukrainiens ont suspendu leur participation au processus de négociation, organisant une provocation
bien connue à Boutcha, et ont abandonné la version préparée des accords. Je pense qu'il est clair aujourd'hui pourquoi cette sale provocation était nécessaire - pour expliquer d'une
manière ou d'une autre le rejet des résultats obtenus au cours des négociations. La voie vers la paix a de nouveau été rejetée.
Comme nous le savons maintenant, cela a été fait sur l’ordre de conservateurs occidentaux, parmi lesquels l'ancien Premier ministre de Grande-Bretagne qui a directement dit: pas
d'accords, il est nécessaire de vaincre la Russie sur le champ de bataille, lui infliger une défaite stratégique. Et ils ont commencé à doter intensément l’Ukraine d’armes tout en parlant
de la nécessité de nous infliger cette défaite stratégique. Et quelque temps plus tard, comme chacun le sait, le Président ukrainien a publié un décret interdisant à ses représentants et
même à lui-même de mener des négociations avec Moscou. Notre tentative de résoudre le problème par des moyens pacifiques n’a encore une fois abouti à rien.
Quant aux négociations, j'aimerais rendre public un épisode supplémentaire dont je n’en ai jamais parlé publiquement auparavant, mais certaines personnes présentes sont au courant. Après
que l'armée russe ait pris une partie des régions de Kherson et de Zaporojié, de nombreux hommes politiques occidentaux ont proposé leur médiation pour mettre fin au conflit
pacifiquement. L'un d'eux était en visite de travail à Moscou le 5 mars 2022. Et nous avons accepté ses efforts de médiation, d'autant plus qu'au cours de l’entretien, il a évoqué le fait
qu'il avait obtenu le soutien des dirigeants allemands et français, ainsi que de hauts représentants américains.
Au cours de la conversation, notre invité étranger a demandé: si vous aidez le Donbass, alors pourquoi les troupes russes sont-elles présentes dans le sud de l'Ukraine, y compris dans les
régions de Kherson et de Zaporojié? Nous avons répondu que c’était la décision de l’état-major russe qui planifiait l’opération. Et aujourd'hui, j'ajouterai que l'idée était de contourner
certaines des zones fortifiées que les autorités ukrainiennes ont construites dans le Donbass pendant huit ans, principalement pour la libération de Marioupol.
Puis notre collègue étranger, qui est un professionnel, nous devons le reconnaître, a voulu préciser: est-ce que les troupes russes resteront dans les régions de Kherson et de Zaporojié
et qu'arrivera-t-il à ces régions après avoir que les objectifs de l’opération spéciale seront atteints? J’ai répondu que, d'une manière générale, je n'exclus pas le maintien de la
souveraineté ukrainienne sur ces territoires, à condition toutefois que la Russie ait des liens terrestres forts avec la Crimée.
Autrement dit, Kiev devait garantir ce qu’on appelle la servitude de passage – le droit d’accès de la Russie à la péninsule de Crimée par les régions de Kherson et de Zaporojié. Il s’agit
d’une décision politique majeure. Et bien sûr, dans la version finale, elle ne devait pas être adoptée de manière individuelle, mais seulement après consultations avec le Conseil de
sécurité, avec d'autres structures, bien sûr, après discussion avec les citoyens, l'opinion publique de notre pays et, surtout, avec le résidents des régions de Kherson et de
Zaporojié.
En fin de compte, c’est exactement ce que nous avons fait: nous l’avons demandé aux gens et organisé des référendums. Et nous avons agi conformément à la décision du peuple dans les
régions de Kherson et de Zaporojié, dans les républiques populaires de Donetsk et de Lougansk.
A cette époque, en mars 2022, notre partenaire de négociation a annoncé qu'il se rendrait à Kiev à l'avenir pour poursuivre la conversation, désormais avec des collègues dans la capitale
ukrainienne. Nous avons salué cette décision, comme toutes les tentatives de trouver une solution pacifique au conflit, car chaque jour de combat entraîne de nouvelles victimes.
Cependant, en Ukraine, comme nous l'avons appris plus tard, les services du médiateur occidental n'ont pas été acceptés, mais au contraire, comme nous l'avons appris, ils l'ont accusé de
prendre des positions pro-russes - sous une forme assez dure, il faut le dire, mais ce sont des détails.
Aujourd’hui, comme je l’ai déjà dit, la situation a radicalement changé. Les habitants de la région de Kherson et de Zaporojié ont exprimé leur position lors des référendums; les régions
de Kherson et de Zaporojié, ainsi que les républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, sont devenues partie intégrante de la Fédération de Russie. Et il ne peut être question de
violer l’unité de notre État. La volonté du peuple d’être aux côtés de la Russie est inébranlable. La question est définitivement close et ne peut plus être discutée.
Je tiens à le répéter encore une fois: c’est l’Occident qui a préparé et provoqué la crise ukrainienne, et maintenant il fait tout pour que cette crise se prolonge sans fin, affaiblissant
mutuellement les peuples de Russie et d’Ukraine et les dressant les uns contre les autres.
Ils envoient toujours de nouveaux lots de munitions et d’armes. Certains responsables politiques européens ont commencé à évoquer la possibilité de stationner leurs troupes en Ukraine.
Dans le même temps, comme je l'ai déjà souligné, ce sont les véritables maîtres actuels de l'Ukraine - et il ne s'agit malheureusement pas du peuple ukrainien, mais des élites
mondialistes situées à l'étranger - qui tentent de confier au pouvoir exécutif ukrainien le fardeau de prendre des décisions impopulaires, notamment celle de baisser l'âge de la
conscription.
Maintenant, comme vous le savez, c’est 25 ans, la prochaine étape pourrait être 23, puis 20 ou 18 tout de suite. Et après ils se débarrasseront bien sûr de ces personnalités qui prendront
ces décisions impopulaires sous la pression de l'Occident. Il se débarrassera d’eux et mettra à leur place d'autres personnes, également dépendantes de l'Occident, mais pas encore avec
une réputation aussi ternie.
D’où vient peut-être l’idée d’annuler les prochaines élections présidentielles en Ukraine. Maintenant, ceux qui sont au pouvoir feront tout, puis ils seront jetés dans la
poubelle.
Dans ce contexte, je veux vous rappeler quelque chose dont les dirigeants de Kiev préfèrent désormais ne pas se souvenir, et même en Occident, ils préfèrent ne pas en parler. En mai 2014,
la Cour constitutionnelle d'Ukraine a statué que - je cite encore - "Le Président est élu pour cinq ans, qu'il soit élu lors d'élections anticipées ou régulières". En outre, la Cour
constitutionnelle d'Ukraine a noté que - autre citation - "le statut constitutionnel du Président ne contient pas de normes qui établiraient un mandat autre que celui de cinq ans". Point
final. La décision de la Cour était définitive et sans appel.
Qu’est-ce que cela veut dire par rapport à la situation actuelle? Le mandat présidentiel du chef de l’Ukraine élu a expiré, ainsi que sa légitimité, qui ne peut être restaurée par aucune
astuce. Je ne parlerai pas maintenant en détail du contexte de la décision de la Cour constitutionnelle d'Ukraine sur le mandat présidentiel. Il est clair qu’elle était associée à des
tentatives visant à légitimer le coup d’État de 2014. Mais néanmoins, un tel verdict existe, et c'est un fait juridique. Il remet en question toutes les tentatives visant à justifier le
show de l'annulation des élections.
En effet, la page tragique actuelle de l’histoire de l’Ukraine a commencé avec la prise du pouvoir par la force, comme je l’ai déjà dit, par un coup d’État anticonstitutionnel en 2014. Je
le répète : la source du régime actuel de Kiev est un putsch armé. Et maintenant, la boucle est bouclée: le pouvoir exécutif en Ukraine est à nouveau, comme en 2014, usurpé et détenu
illégalement, en fait il est illégitime.
J'en dirai davantage: la situation de l'annulation des élections est l'expression même de la nature du régime actuel de Kiev, issu du coup d'État armé de 2014, qui y trouvent ses racines.
Et le fait qu'après avoir annulé les élections, ils continuent de s'accrocher au pouvoir, ce sont des actions directement interdites par l'article 5 de la Constitution ukrainienne. Je
cite: "Le droit de déterminer et de modifier le système constitutionnel en Ukraine appartient exclusivement au peuple et ne peut être usurpé par l'État, ses organes ou ses
fonctionnaires". En outre, de tels actes relèvent de l'article 109 du Code pénal ukrainien, qui fait spécifiquement référence au changement violent ou au renversement de l'ordre
constitutionnel ou à la prise du pouvoir, ainsi qu'au complot en vue de commettre de tels actes.
En 2014, on justifiait cette usurpation était justifiée par la révolution, et maintenant – par les actions militaires. Mais le sens est le même. En substance, nous parlons d'un complot
entre le pouvoir exécutif de l'Ukraine, la direction de la Verkhovna Rada et la majorité parlementaire contrôlée par celle-ci, visant à usurper le pouvoir de l'État, ce qui constitue une
violation de la loi ukrainienne.
En plus, la Constitution ukrainienne ne prévoit pas la possibilité d'annuler ou de reporter les élections du Président du pays, ni le maintien de ses pouvoirs dans le cadre de la loi
martiale, dont il est désormais question. Que dit la loi fondamentale ukrainienne ? Elle dit que, pendant la loi martiale, les élections parlementaires peuvent être reportées. Il s'agit
de l'article 83 de la Constitution du pays.
La législation ukrainienne prévoit donc la seule exception lorsque les pouvoirs d'un organisme gouvernemental sont prolongés pour une période de loi martiale sans organiser les élections.
Et cela ne s'applique qu'à la Verkhovna Rada. Cela fixe le statut du Parlement ukrainien en tant qu'organe permanent sous la loi martiale.
En d’autres termes, c’est la Verkhovna Rada qui est aujourd’hui un organe légitime, contrairement au pouvoir exécutif. L’Ukraine n’est pas une république présidentielle, mais une
république parlementaire-présidentielle.
En outre, le président de la Verkhovna Rada qui exerce les fonctions de Président en vertu des articles 106 et 112 est investi de pouvoirs spéciaux, notamment dans les domaines de la
défense, de la sécurité et du commandement suprême des forces armées. Tout y est écrit noir sur blanc.
À propos, plus tôt cette année, l'Ukraine a conclu un ensemble d'accords bilatéraux de coopération dans le domaine de la sécurité à long terme avec un certain nombre d'États européens. Un
document similaire vient d’être signé avec les États-Unis.
Depuis le 21 mai dernier, la question se pose naturellement quant à la légitimité des représentants ukrainiens qui signent de tels documents. Pour nous c’est égal, qu’ils signent ce
qu’ils veulent. Il est clair qu’il y a ici une composante politique et de propagande. Les États-Unis et leurs satellites veulent en quelque sorte soutenir leurs protégés, leur donner du
poids et de la légitimité.
Et pourtant, si un jour les États-Unis effectuent un examen juridique sérieux d'un tel accord (je ne parle pas de son essence, mais de la composante juridique), alors la question se
posera certainement: qui a signé ces documents et avec quelle autorité? Et il s’avèrera que tout cela n’est que du bluff et que l’accord est nul, et que toute la structure s’effondrera.
On peut prétendre que tout est normal, mais il n’y a rien de normal là-dedans. Tout est écrit dans les documents, tout est écrit dans la Constitution.
Je veux rappeler également qu'après le début de l'opération militaire spéciale, l'Occident a lancé une vaste campagne essayant d'isoler la Russie sur la scène internationale. Aujourd’hui,
il est clair pour tout le monde que cette tentative a échoué, mais l’Occident, bien sûr, n’a pas abandonné son idée de construire un semblant de coalition anti-russe internationale et
d’exercer un simulacre de pression sur la Russie. Nous le comprenons nous aussi.
Comme vous le savez, ils ont commencé à promouvoir l'initiative visant à organiser en Suisse une soi-disant conférence internationale de haut niveau sur la paix en Ukraine. En outre, ils
envisagent de l'organiser immédiatement après le sommet du Groupe des Sept, c'est-à-dire du groupe de ceux qui, par leur politique, ont en fait alimenté le conflit en Ukraine. Ce que
proposent les organisateurs de la réunion en Suisse n'est qu'un stratagème de plus pour détourner l'attention, inverser les causes et les effets de la crise ukrainienne, pousser le débat
sur une mauvaise voie et, dans une certaine mesure, donner l'apparence de légitimité de l'actuelle pouvoir exécutif en Ukraine une fois de plus.
Il est donc évident qu'aucune question véritablement fondamentale à l’origine de crise actuelle de sécurité et de stabilité internationales, les véritables racines du conflit ukrainien ne
seront pas évoquées en Suisse malgré toutes les tentatives de donner une apparence plus ou moins décente à cette conférence.
On peut déjà s’attendre à ce que tout se résume à des conversations générales à caractère démagogique et à une nouvelle série d’accusations contre la Russie. L’idée est simple et
prévisible: impliquer par tous les moyens le plus d’États possible et, par conséquent, présenter les choses comme si les recettes et les règles occidentales étaient partagées par
l’ensemble de la communauté internationale, ce qui signifie que notre pays doit les accepter sans condition.
Comme vous le savez, nous n'avons pas été invités à la réunion en Suisse. Après tout, en substance, il ne s’agit pas de négociations, mais d’une tentative d’un groupe de pays de pousser
encore plus loin leur ligne, de résoudre de leur propre manière les problèmes qui affectent directement nos intérêts et notre sécurité.
Je voudrais donc souligner que sans la participation de la Russie et sans un dialogue honnête et responsable avec nous, il est impossible de parvenir à une solution pacifique en Ukraine
et d’assurer la sécurité européenne.
Pour le moment, l’Occident ignore nos intérêts, tout en interdisant à Kiev de négocier, et nous appelle hypocritement à une sorte de négociation. Cela semble idiot: d’un côté, il leur est
interdit de négocier avec nous, mais ils nous appellent à négocier et laissent entendre également que nous refusons de négocier. C’est absurde.
Mais, d'abord, ils devraient donner à Kiev l'ordre de lever l'interdiction, l'interdiction auto-imposée de négocier avec la Russie, et deuxièmement, nous sommes prêts à nous asseoir à la
table des négociations, ne serait-ce que demain. Nous comprenons la singularité de la situation juridique, mais il existe des autorités légitimes, même conformément à la Constitution,
comme je viens de le dire, et il y a des gens avec qui négocier. S'il vous plaît, nous sommes prêts. Nos conditions pour entamer une telle conversation sont simples et se résument à ce
qui suit.
Vous savez, je vais prendre le temps de reproduire toute la chaîne des événements pour qu'il soit clair que ce que je vais dire n'est pas la conjoncture d'aujourd'huipour nous, mais que
nous nous sommes toujours tenus à une certaine position, que nous avons toujours cherché la paix.
Ces conditions sont donc très simples. Les troupes ukrainiennes doivent être complètement retirées des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, des régions de Kherson et de
Zaporojié. J'attire votre attention sur le fait qu'il s'agit de l'ensemble du territoire de ces régions, à l'intérieur de leurs frontières administratives, qui existaient au moment de
leur entrée en Ukraine.
Dès que Kiev se déclarera prêt à prendre une telle décision et entamera le retrait effectif de ses troupes de ces régions, tout en informant officiellement de l'abandon du projet
d'adhésion à l'Otan, un ordre de cesser le feu et de commencer des négociations suivra immédiatement, littéralement à la minute même, de notre côté. Je le répète, nous le ferons
immédiatement. Naturellement, nous garantirons en même temps le retrait sans entrave et en toute sécurité des unités et des formations ukrainiennes.
Nous voudrions bien sûr compter à ce qu'une telle décision sur le retrait des troupes, sur le statut de pays non aligné et sur le début du dialogue avec la Russie, dont dépend l'existence
future de l'Ukraine, sera prise à Kiev de manière indépendante, sur la base des réalités actuelles, et guidée par les véritables intérêts nationaux du peuple ukrainien, et non sur ordre
de l'Occident, bien qu'il existe, bien évidemment, de grands doutes à ce sujet.
Quoi qu'il en soit, qu'est-ce que je veux redire à ce sujet, qu'est-ce que je dois vous rappeler ? J'ai dit que j'aimerais revenir à la chronologie des événements. Prenons le temps de le
faire.
Ainsi, lors des événements du Maïdan à Kiev en 2013-2014, la Russie a proposé à plusieurs reprises son aide pour la résolution constitutionnelle de la crise, orchestré en fait de
l'extérieur. Revenons à la chronologie des événements de fin février 2014.
Le 18 février, des affrontements armés provoqués par l'opposition débutent à Kiev. Plusieurs bâtiments, dont l'hôtel de ville et la Maison des syndicats, sont incendiés. Le 20 février,
des tireurs d'élite inconnus ont ouvert le feu sur des manifestants et des membres des forces de l'ordre, ce qui signifie que ceux qui avaient préparé le coup d'État armé faisaient tout
pour pousser la situation vers la violence et la radicalisation. Les personnes qui étaient dans les rues de Kiev à l'époque et qui exprimaient leur mécontentement à l'égard du
gouvernement en place ont été délibérément utilisées à des fins égoïstes, comme de la chair à canon. Ils font exactement la même chose aujourd'hui, en menant la mobilisation et en
envoyant des gens à l'abattoir. Pourtant, il existait à l'époque une possibilité de sortir de cette situation de manière civilisée.
On sait que le 21 février, un accord a été signé entre le Président ukrainien de l'époque et l'opposition sur le règlement de la crise politique. Les garants de cet accord étaient, comme
on le sait, les représentants officiels de l'Allemagne, de la Pologne et de la France. L'accord prévoyait le retour à une forme de gouvernement parlementaire et présidentiel, la tenue
d'élections présidentielles anticipées, la formation d'un gouvernement de confiance nationale, ainsi que le retrait des forces de l'ordre du centre de Kiev et la remise des armes par
l'opposition.
Je dois ajouter que la Rada suprême a adopté une loi excluant toute poursuite pénale à l'encontre des manifestants. Il existait un tel accord, qui aurait permis de mettre fin à la
violence et ramener la situation dans le champ constitutionnel. Cet accord a été signé, bien que Kiev et l'Occident préfèrent ne pas s'en souvenir.
Aujourd'hui, j'irai plus loin et parlerai d'un autre fait important qui n'a pas encore été évoqué publiquement, à savoir que, littéralement à la même heure, le 21 février, une
conversation avec mon homologue américain a eu lieu à l'initiative de la partie américaine. L'essentiel était le suivant : le dirigeant américain a soutenu sans équivoque l'accord entre
les autorités et l'opposition à Kiev. En outre, il l'a qualifié de véritable percée, de chance pour le peuple ukrainien pour que la violence qui a éclaté ne franchisse pas les frontières
imaginables.
En outre, au cours de notre échange, nous avons élaboré ensemble la formule suivante : la Russie essaiera de persuader le Président ukrainien de l'époque de faire preuve de la plus grande
retenue possible, de ne pas utiliser l'armée et les forces de l'ordre contre les manifestants. Les États-Unis, pour leur part,d'après ce qui a été dit, rappelleraient l'opposition à
l'ordre, à libérer les bâtiments administratifs, à ce que la rue se calme.
Tout cela devait créer les conditions du retour de la vie dans le paysà la normale, dans la dimension constitutionnelle et légale. D'une manière générale, nous avons convenu de travailler
ensemble dans l'intérêt d'une Ukraine stable, pacifique et se développant normalement. Nous avons complètement tenu parole. Le Président ukrainien de l'époque, M.Ianoukovitch, qui n'avait
pas en fait l'intention d'utiliser l'armée, n'a pas eu le recours à elle et a même retiré les unités de police supplémentaires de Kiev.
Qu'en est-il de nos collègues occidentaux ? Dans la nuit du 22 février et tout au long du jour suivant, alors que le Président Ianoukovitch était parti pour Kharkov, où devait se tenir un
congrès des députés des régions du sud-est de l'Ukraine et de la Crimée, les radicaux, malgré tous les accords et toutes les garanties de l'Occident (à la fois de l'Europe et, comme je
viens de le dire, des États-Unis), ont pris par la force le contrôle du bâtiment de la Rada, de l'administration du président, et se sont emparés du gouvernement. Aucun garant de tous ces
accords sur le règlement politique, ni les États-Unis, ni les Européens, n'a levé le petit doigt pour remplir ses obligations, pour appeler l'opposition à libérer les bâtiments
administratifs occupés, à renoncer à la violence. Il est clair que ce cours des événements non seulement leur convenait, mais, il semble, qu'ils soient les auteurs de ce revirement de la
situation.
De plus, dès le 22 février 2014, en violation de la Constitution ukrainienne, la Rada suprême a adopté une résolution sur la soi-disant auto-démission du Président Ianoukovitchdu poste du
Président et a fixé des élections extraordinaires pour le 25 mai. En d'autres termes, un coup d'État armé, fomenté de l'extérieur, a eu lieu. Les radicaux ukrainiens, avec le consentement
tacite et le soutien direct de l'Occident, ont fait échouer toutes les tentatives de résolution pacifique de la situation.
Puis, nous persuadions Kiev et les capitales occidentales d'entamer un dialogue avec les habitants du sud-est de l'Ukraine et de respecter leurs intérêts, leurs droits et leurs libertés.
Non, le régime qui a pris le pouvoir à la suite du coup d'État a choisi la guerre et a lancé des actions punitives contre le Donbass au printemps et à l'été 2014. La Russie a de nouveau
appelé à la paix.
Nous avons tout fait pour résoudre les graves problèmes surgis dans le cadre des accords de Minsk, mais l'Occident et les autorités de Kiev, comme je l'ai déjà souligné, n'allaient pas
les honorer. Bien qu'en paroles, nos collègues occidentaux, y compris le chef de la Maison Blanche, nous ont assuré que les accords de Minsk étaient importants et qu'ils étaient engagés
dans les processus de leur mise en œuvre. Que, selon eux, cela permettrait de résoudre la situation en Ukraine, de la stabiliser et de prendre en compte les intérêts des habitants de
l'Est. Au lieu de cela, dans la pratique, ils ont organisé un blocus, comme je l'ai déjà mentionné, du Donbass. Les forces armées ukrainiennes étaient de manière consécutive préparéesà
une opération de grande envergure visant à détruire les républiques populaires de Donetsk et de Lougansk.
Les accords de Minsk ont été définitivement enterrés par le régime de Kiev et l'Occident. J'y reviendrai plus tard. C'est pourquoi, en 2022, la Russie a été contrainte de lancer
l'opération militaire spéciale pour mettre fin à la guerre dans le Donbass et protéger les civils du génocide.
Dans le même temps, dès les premiers jours, nous avons à nouveau proposé des options pour une solution diplomatique à la crise, j'en ai déjà parlé aujourd'hui. Il s'agit de négociations
en Biélorussie, en Turquie, du retrait des troupes de Kiev afin de créer les conditions nécessaires à la signature des accords d'Istanbul, qui ont en principe été acceptés par tous. Mais
même ces tentatives ont finalement été rejetées une nouvelle fois. L'Occident et Kiev ont mis le cap visant à nous infliger une défaite. Mais, comme nous le savons, tout cela a échoué.
Aujourd'hui, nous avançons une nouvelle proposition de paix, concrète et réelle. Si Kiev et les capitales occidentales la refusent également, comme auparavant, c'est en fin de compte leur
affaire, leur responsabilité politique et morale pour la poursuite de l'effusion de sang. De toute évidence, les réalités sur le terrain et sur la ligne de contact continueront d'évoluer
défavorablement pour le régime de Kiev. Et les conditions d'ouverture des négociations seront différentes.
J'insiste sur le point principal : l'essence de notre proposition n'est pas une trêve temporaire ou un cessez-le-feu, comme le souhaite l'Occident, afin de combler les pertes, de réarmer
le régime de Kiev et de le préparer à une nouvelle offensive. Je le répète, il ne s'agit pas de geler le conflit, mais d'y mettre un terme définitif.
Je le redis : dès que Kiev acceptera un scénario similaire à celui qui estproposé aujourd'hui, dès qu'il acceptera un retrait complet de ses troupes des républiques populaires de Donetsk
et de Lougansk, des régions de Zaporojié et de Kherson, et dès qu'il entamera effectivement ce processus, nous serons prêts à entamer des négociations sans tarder.
Je le répète, notre position de principe est la suivante : le statut neutre, non aligné et dénucléarisé de l'Ukraine, sa démilitarisation et sa dénazification, d'autant plus que ces
paramètres ont fait l'objet d'un accord général lors des pourparlers d'Istanbul en 2022. Tout était clair sur la démilitarisation, tout était précisé : le nombre de ceci et de cela, le
nombre de chars. Nous étions d'accord sur tout.
Bien entendu, les droits, les libertés et les intérêts des citoyens russophones d'Ukraine doivent être pleinement garantis, et les nouvelles réalités territoriales ainsi que le statut de
la Crimée, de Sébastopol, des républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, des régions de Kherson et de Zaporojié en tant qu'entités constitutives de la Fédération de Russie doivent
être reconnus. À l'avenir, toutes ces dispositions de principe et fondamentales devraient être fixées sous la forme d'accords internationaux fondamentaux. Naturellement, cela implique
également l'annulation de toutes les sanctions occidentales à l'encontre de la Russie.
Je crois que la Russie propose une option qui permettra de mettre réellement fin à la guerre en Ukraine, c'est-à-dire que nous appelons à tourner la page tragique de l'histoire et à
commencer à restaurer progressivement, étape par étape, les relations de confiance et de bon voisinage entre la Russie et l'Ukraine et dans l'ensemble de l'Europe, même si c'est
difficile.
Après avoir résolu la crise ukrainienne, nous pourrions, y compris avec nos partenaires de l'OTSC et de l'OCS, qui continuent aujourd'hui à apporter une contribution significative et
constructive à la recherche d'une résolution pacifique de la crise ukrainienne, ainsi qu'avec les États occidentaux, y compris européens, qui sont prêts au dialogue, nous attaquer à la
tâche fondamentale que j'ai mentionnée au début de mon intervention, à savoir la création d'un système indivisible de sécurité eurasienne qui prend en compte les intérêts de tous les
États du continent, sans exception.
Bien entendu, il est impossible de revenir littéralement aux propositions de sécurité que nous avons présentées il y a 25, 15 ou même deux ans, car trop de choses se sont produites et les
circonstances ont changé. Toutefois, les principes de base et, surtout, l'objet même du dialogue restent inchangés. La Russie est consciente de sa responsabilité dans la stabilité
mondiale et réaffirme sa volonté de dialoguer avec tous les pays. Mais il ne doit pas s'agir d'une imitation du processus de paix visant à servir la volonté égoïste de quelqu'un, les
intérêts particuliers de quelqu'un, mais d'une conversation sérieuse et approfondie sur toutes les questions, sur l'ensemble des questions de sécurité mondiale.
Chers collègues, je suis convaincu que vous êtes tous conscients de l'ampleur des tâches qui attendent la Russie et de tout ce que nous devons faire, y compris dans le domaine de la
politique étrangère.
Je vous souhaite sincèrement de réussir dans ce travail difficile pour assurer la sécurité de la Russie, nos intérêts nationaux, renforcer la position du pays dans le monde, promouvoir
les processus d'intégration et les relations bilatérales avec nos partenaires.
Pour sa part, la direction de l'État continuera à apporter le soutien nécessaireau ministère diplomatique et à tous ceux qui participent à la mise en œuvre de la politique étrangère de la
Russie.
Je vous remercie une fois de plus pour votre travail, pour votre patience et pour l'attention que vous portez à ce qui est dit. Je suis convaincu que nous réussirons.
Merci beaucoup.
S. Lavrov : Cher Vladimir Vladimirovitch, je voudrais tout d'abord vous remercier pour votre
évaluation denotre travail.
Nous faisons des efforts, et la vie nous pousse à les amplifier, et nous continuerons à le faire, parce que tout le monde comprend que c'est indispensable pour le destin du pays, le
destin de notre peuple, et dans une certaine mesure pour le destin du monde. Nous allons mettre en œuvre les instructions, que vous venez d'exposer en détaillant le concept de la sécurité
eurasienne, de manière très concrète, avec nos collègues d'autres ministères.
Dans le contexte de la mise en place d'un nouveau système de sécurité équitable, que vous avez appelé indivisible et basé sur les mêmes principes, nous continuerons à aider à résoudre les
situations de crise, parmi lesquelles, bien sûr, la crise ukrainienne est de la plus haute priorité pour nous.
Nous utiliserons certainement votre nouvelle initiative dans diverses situations, y compris dans notre travail au sein des BRICS, de l'Organisation de coopération de Shanghai, avec la
République populaire de Chine, avec les pays d'Amérique latine et d'Afrique, qui ont également présenté leurs initiatives, mais qui ont jusqu'à présent été complètement ignorées par ceux
qui gouvernent l'Ukraine.
Merci encore ! Nous allons poursuivre nos efforts.
Les traditionnelles «vacances» de mai, au lieu de l’accalmie habituelle des nouvelles, se sont avérées extrêmement mouvementées, dont les principales
ont été la formation d’un nouveau gouvernement et l’activation de l’armée russe en direction de Kharkiv. Cependant, la principale bombe d’information a été déclenchée par Vladimir
Poutine quelques heures avant le retour du pays à son horaire de travail habituel : Sergueï Choïgou a été nommé secrétaire du Conseil de sécurité de la Russie, et Andreï Belousov, qui
occupait auparavant le poste de premier vice-Premier ministre, a été proposé par le président pour le poste de ministre de la Défense.
Il y a quelques jours, lorsque l’on a appris que Denis Manturov avait été proposé par Mikhail Michoustine pour le poste de premier vice-Premier ministre
du nouveau gouvernement, cela a suscité une réaction quelque peu confuse et même un peu méfiante de la part des personnes qui suivent la politique économique de la Russie. La
contribution de Mantourov et du ministère de l’Industrie et du Commerce qu’il dirige à la façon dont l’économie nationale a fait face à tous les défis de ces dernières années (de la
pandémie aux «sanctions de l’enfer») est énorme, et sa nouvelle nomination est absolument méritée.
Mais la question s’est naturellement posée : Qu’en est-il de Belousov ?
Le fait est que c’est le premier vice-Premier ministre qui, pendant de nombreuses années, alors qu’il était encore assistant du président, a constamment
promu les idées de renforcement de la réglementation de l’État, de réindustrialisation de la Russie et de s’appuyer sur le secteur réel comme principal moteur du développement du pays
– en général, tous les changements que nous avons observés ces dernières années.
Certains le considéraient même comme un ennemi implacable du bloc financier du gouvernement, qui repose traditionnellement sur une approche monétariste.
La fausseté de ce point de vue a été démontrée de manière convaincante ces dernières années, lorsque c’est le travail bien coordonné du gouvernement, y compris des financiers et des
industriels, qui a permis à l’économie russe non seulement de faire face à la tempête organisée pour elle par l’Occident, mais aussi de faire une véritable percée. L’importance de
Belousov dans ce travail en tant que premier vice-Premier ministre ne peut guère être surestimée. Et puis il s’est soudainement retrouvé sans position – bien sûr, cela a conduit à des
chuchotements et à diverses théories du complot.
Mais la principale surprise était à venir : la nouvelle de son passage au ministère de la Défense a fait l’effet d’un coup de tonnerre, et quel choc en
Occident ! Dans les jours à venir, les raisons pour lesquelles Poutine a choisi un homme purement civil et un économiste – voire un macro-économiste-stratège – pour le poste de
ministre de la défense seront multiples.
Pendant ce temps, le Kremlin, comme dans beaucoup d’autres cas, a donné une explication franche à ce choix du président.
Premièrement, ces dernières années, en raison de circonstances bien connues, le budget militaire et énergétique de la Russie dans son ensemble a
fortement augmenté : il a déjà atteint 6,7% du PIB et se rapproche du chiffre soviétique tardif de 7,4%. Et à la tête de l’État, nous avons des gens qui se souviennent très bien que
le fardeau colossal du budget militaire était l’une des raisons qui ont enterré l’économie soviétique. Cela ne signifie pas qu’il faille le réduire immédiatement. L’Occident a lancé
une guerre contre la Russie, qui perd sous nos yeux le préfixe «proxy» – il ne peut être question de réduction. Il faudra peut-être l’augmenter davantage. Dans de telles conditions,
il est nécessaire que l’argent militaire soit dépensé avec un maximum d’efficacité et d’avantages – à la fois pour l’armée et pour le pays dans son ensemble. Et c’est un travail pour
un économiste.
Face au Pentagone et à son sac de noix à 90 000 dollars, le ministère russe de la Défense apparaît comme un modèle de transparence, d’efficacité et
d’innovation, mais nous avons suffisamment de problèmes – le cas de Timur Ivanov nous le rappelle.
Cela explique pourquoi Vladimir Poutine a choisi Andreï Belousov, un économiste à l’esprit stratégique et national doté d’une vaste expérience dans la
transformation de l’économie russe et de liens étroits avec l’industrie travaillant pour l’armée, comme ministre de la Défense.
Pour la guerre, la Russie dispose de l’état-major général, et pour transformer l’armée et le complexe militaro-industriel en un système moderne
qui s’adapte rapidement aux nouveaux défis avec l’introduction rapide d’innovations et une efficacité économique élevée, le président envoie Andreï Belousov au ministère de la
Défense.
Le remplacement de Sergueï Choïgou par Andreï Beloussov a fait couler beaucoup d’encre chez les commentateurs occidentaux. Nous en avons commenté les implications politiques dans
“Chaos Global” ce lundi avec Eric Verhaeghe. Une intéressante analyse complémentaire a été proposée par Scott Ritter, l’analyste militaire américain bien connu de nos lecteurs.
Sur son canal Telegram, Scott Ritter
change le point de vue pour interpréter le départ de Choïgou et l’arrivée de Bousilov au Ministère de la Défense à Moscou:
Eviter que l’industrie de défense étouffe l’industrie civile
La nomination d’Andrei Beloussov par le président russe Vladimir Poutine va au-delà de la simple tentative d’apporter une structure et une discipline économiques à une base
industrielle militaire en expansion.
Il est vrai que la croissance rapide de l’industrie militaire russe au cours des deux dernières années a fait craindre qu’un secteur économique civil russe fragile mais en pleine
expansion, qui se remet encore du choc des sanctions américaines et européennes sévères prises à la suite de l’opération militaire spéciale (OMS) lancée par la Russie en Ukraine,
ne se retrouve pris en otage par des dépenses de défense non maîtrisées qui faussent artificiellement les chaînes d’approvisionnement et les prix d’une manière qui pourrait
conduire l’économie russe à suivre le chemin de son prédécesseur soviétique à forte intensité d’industrie de défense.
Beloussov, économiste accompli, a été chargé de gérer l’intersection des économies civile et militaire afin de s’assurer que l’industrie civile reste saine et viable, même si la
nécessité d’une production robuste de l’industrie militaire reste élevée.
Mais l’aspect le plus important de la nomination de M. Beloussov est peut-être son rôle d’innovateur industriel.
La Russie se dirige vers une nouvelle révolution dans les affaires militaires (RMA) qui sera définie par le lien entre :
a) le développement technologique engendré par les expériences de la SMO (guerre des drones, guerre électronique, létalité accrue des munitions) ;
b) l’innovation doctrinale qui est apparue au fur et à mesure que les leçons tirées du champ de bataille de la SMO étaient étudiées et que les changements requis étaient
incorporés dans les systèmes formels d’éducation militaire chargés de produire une doctrine actualisée ; et
c) l’adaptation organisationnelle qui implique des changements structurels et intellectuels majeurs reflétant la réalité des nouvelles technologies et de la nouvelle doctrine.
Sous la direction de Sergei Shoigu, l’armée russe a réalisé d’importants progrès dans les deux premiers volets du trio RMA. Mais le type d’innovation structurelle nécessaire à
l’armée russe pour transformer les changements systémiques en une véritable RMA est le point fort de Beloussov. La Russie est sur le point de mettre en œuvre une nouvelle RMA qui
transformera le champ de bataille moderne de la même manière que la Blitzkrieg allemande a transformé la conduite de la Seconde Guerre mondiale.
C’est une bonne nouvelle pour les Russes. Pour l’Occident collectif, confronté à la perspective d’une expansion coûteuse de l’OTAN, une RMA pilotée par la Russie
équivaudrait à un désastre
Le défilé de la Victoire le plus grandiose de l’histoire de la Russie (vidéo)
par Russia
Beyond
Aujourd’hui, le défilé de la Victoire, célébrant la fin de la Seconde Guerre mondiale pour l’URSS, a lieu le 9 mai. Cependant, en 1945, il a été
organisé bien plus tard, seulement le 24 juin. Regardez des images d’archives de cet événement grandiose, dans lequel le triomphe de l’ensemble du peuple soviétique se mêle à
l’amertume des pertes récentes.
Dans un discours prononcé il y a quelques jours, l’ancien président russe Dimitri Medvedev a dit très explicitement ce que la Russie souhaite en Ukraine. En proposant une distinction entre
“frontières territoriales” et “frontières stratégiques”, il ouvre la porte à la possibilité de négociations sur une Ukraine neutre. Mais l’Occident n’entendra pas. A vrai dire, les attitudes
respectives n’ont pas changé depuis la Guerre froide. A l’ouest, en 2024 comme en 1945, on préfère la destruction des peuples d’Europe centrale et orientale à un compromis avec une sphère
d’influence russe.
C’est un discours dont les médias subventionnés et les généraux de plateau n’ont pas parlé: en réalité, les Occidentaux ne sont pas capables de comprendre ce que propose Dimitri Medvedev. Pour
des raisons d’idéologisation présente et de manque de culture historique.
Premièrement. Nous n’avons pas besoin de la terre de quelqu’un d’autre. Nous ne renoncerons jamais à la nôtre. Il en a été ainsi et il en sera ainsi. C’est le principe qui régit la politique
frontalière de notre État.
…
Les auteurs des diverses théories géopolitiques de différents pays (de la Chine à l’Europe et à l’Amérique) partent d’une thèse évidente. Tout État, en tant que sujet souverain des relations
internationales, possède deux types de frontières : les frontières géographiques et les frontières stratégiques.
Les premières sont des lignes de démarcation et de délimitation stables et officiellement reconnues par le droit international, qui fixent les limites géographiques de l’État. C’est l’un des
principaux éléments de son cadre politique et territorial.
…
Les frontières stratégiques d’un État dépendent directement de l’étendue de son pouvoir politique. Plus un État est puissant, plus ses frontières stratégiques sont situées à l’extérieur de
ses frontières nationales. L’espace stratégique sur lequel un tel pays exerce une influence économique, politique et socioculturelle est d’autant plus vaste. Il s’agit de la zone dite des
intérêts nationaux de l’État. Bien que les frontières stratégiques et les intérêts nationaux ne soient pas les mêmes concepts. (…)
Deuxièmement. La présence de frontières stratégiques en dehors de leur propre territoire aujourd’hui ne signifie pas que des pays forts et responsables ont l’intention d’entrer en guerre avec
leurs voisins et de redessiner la carte politique. C’est la différence entre notre époque et les siècles précédents, où les frontières étaient soumises à des fluctuations constantes et
pouvaient être remises en cause à tout moment.
…
En général, la Russie, comme toute grande puissance, a des frontières stratégiques qui vont bien au-delà des frontières géographiques. Et elles ne reposent pas sur la force militaire ou sur
des injections financières, mais sur une base beaucoup plus solide, presque inébranlable.
Troisièmement. Il existe plusieurs niveaux de frontières stratégiques russes.
Le premier niveau se limite au paysage naturel (les Carpates, les hauts plateaux iraniens, les montagnes du Caucase, les Pamirs). Et les frontières civilisationnelles – il est clair qu’un
certain nombre de nos voisins, pour des raisons historiques, sont impossibles à inclure dans l’écoumène russe.
…
L’essentiel est que nous n’ayons pas de différends territoriaux avec les pays inclus dans cette ceinture. Au cours des années qui se sont écoulées depuis l’effondrement de l’URSS, nous avons
maintenu une coopération commerciale fructueuse et une communication interpersonnelle confortable.
…
Si nous parlons de nos frontières stratégiques de deuxième niveau, elles couvrent l’espace communément appelé Grande Eurasie. C’est pourquoi le président russe Vladimir Poutine a proposé
l’initiative de créer un grand partenariat eurasien. Il s’agit de la principale voie d’intégration sur notre continent. Son essence est d’unir les potentiels de tous les États et
organisations régionales d’Eurasie aussi largement que possible.
…
Et à propos du niveau le plus élevé de nos frontières stratégiques. Les intérêts globaux de la Russie dans le monde sont tout à fait compréhensibles et naturels. Ils n’ont pas changé au cours
des dernières décennies. En tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, notre pays est une grande puissance mondiale. Et il continuera à faire preuve d’une attention
saine et appropriée à l’égard de ceux qui ont besoin d’aide. Les relations traditionnellement fortes avec les pays africains et l’Amérique latine en sont la preuve. (…)
Quatrièmement. Dans le cas de la soi-disant “Ukraine” (ou plutôt de la Petite Russie), tous nos adversaires doivent comprendre fermement et pour toujours la simple vérité. Les territoires
situés sur les deux rives du Dniepr font partie intégrante des frontières stratégiques historiques de la Russie. Par conséquent, toutes les tentatives visant à les modifier par la force, à
les couper “vivants”, sont vouées à l’échec.
Nos ennemis insistent constamment sur le fait que l’objectif principal de la Russie est de “s’emparer” des terres ukrainiennes, de certains “trésors indicibles de l’indépendance” : le blé,
l’acier, le gaz, le charbon. Mais en fait, il s’avère qu’il n’y a rien de si spécial dans l'”Ukraine” de Bandera en termes d’économie que la Russie – contrairement à l’Occident – n’aurait pas
elle-même et dans des volumes beaucoup plus importants.En “Ukraine”, la principale richesse pour nous est d’une toute autre nature. La grande valeur que nous ne céderons à personne et pour
rien, ce sont les gens. Nos proches et notre famille. …
Cinquièmement. Il existe une différence de contraste entre les approches de la Russie et de l'”Occident collectif” (principalement les États-Unis). L’Amérique et ses satellites tentent
d’étendre leurs frontières stratégiques à presque toutes les régions du monde. Sous le prétexte de “répandre la démocratie”, des guerres sont fomentées sur toute la planète. Le but est tout à
fait transparent : faire de l’argent.
…
Sachant parfaitement où s’étendent nos frontières stratégiques, l’Occident a craché sur les fondations centenaires et a organisé une intervention géopolitique d’abord en Géorgie, puis en
Ukraine. Nous observons des tentatives similaires en Moldavie et dans les pays d’Asie centrale. Heureusement, les autorités des États d’Asie centrale font preuve de retenue et de sagesse.
Dans leur désir de prospérité pour leurs peuples, elles se concentrent sur leurs voisins de la Grande Eurasie, plutôt que sur une Europe obèse et dépendante. (…)
Sixièmement. Pour l’Occident, le conflit sur l’Ukraine s’est transformé en une confrontation entre deux civilisations. La nôtre, toute russe ou russophile (dont le cœur est le territoire de
la Russie, du Belarus et de l’Ukraine), et l’occidentale. (…)
Nous ne manquerons pas de mener l’opération militaire spéciale à sa conclusion logique. Jusqu’à la victoire finale. Avant la capitulation des néo-nazis. Les tristes séniles de Washington et
de Bruxelles ont peur : si, disent-ils, les Russes prennent le dessus, après l’Ukraine, ils iront plus loin – en Europe et même outre-mer. Vous ne saurez pas ce qui est le plus fort dans ces
délires : l’habitude des mensonges éhontés ou la démence sénile. En réalité, tout est simple : nous n’avons pas besoin des territoires de la Pologne, des États baltes ou d’autres pays
européens. Mais les gens qui y vivent, qui ne font qu’un avec nous, n’ont pas le droit d’être harcelés par qui que ce soit.
La victoire inévitable de la Russie créera également une nouvelle architecture de la sécurité eurasienne et internationale. Elle devrait se refléter dans de nouveaux documents interétatiques
qui “concrétiseront” ces réalités. Il s’agit notamment de respecter les règles internationales de bienséance avec tous les pays, en accordant une attention particulière à leur histoire et aux
frontières stratégiques existantes. Le monde occidental doit enfin tirer une leçon simple et apprendre à respecter nos intérêts nationaux
Expert.ru,
15 avril 2004
Décryptage
Ce que dit Dimitri Medvedev est très simple: contrairement à ce qu’on répète en Occident, la Russie ne se comporte pas comme un empire mais comme une nation. Elle n’a pas besoin de conquérir
l’Ukraine. Elle demande simplement que l’on respecte les liens de cette dernière avec la Russie.
Ceci est très important à comprendre pour interpréter ce qui s’est passé en mars 2022. On est étonné de voir que, dans le protocole d’accord qui avait été mis au point à Istanbul, et qui
n’attendait plus que la signature des deux Vladimir, Poutine et Zelensky, la Russie avait peu d’exigences territoriales. Ce qu’elle voulait, c’était obtenir la neutralité militaire de l’Ukraine
et la liberté, pour cette dernière, de développer ses liens historiques et économiques avec la Russie.
Gerhard Schröder l’a raconté à l’automne dernier dans un entretien avec la Berliner Zeitung:
« En 2022, j’ai reçu une demande de l’Ukraine me demandant si je pouvais servir de médiateur entre la
Russie et l’Ukraine. La question
était de savoir si je pouvais transmettre un message à Poutine. Il y aurait aussi quelqu’un qui aurait une relation très étroite avec le président ukrainien lui-même. Il s’agit de Rustem
Umerov, l’actuel ministre de la Défense de l’Ukraine. Il est membre de la minorité tatare de Crimée. La question était alors : comment mettre fin à la guerre ?
Comment?
Il y a cinq points. Premièrement, la renonciation de l’Ukraine à l’adhésion à l’OTAN. Quoi qu’il en soit, l’Ukraine ne peut pas remplir ces conditions. Deuxièmement, il y a le problème de la
langue. Le parlement ukrainien a aboli le bilinguisme. Cela doit changer. Troisièmement, le Donbass fait toujours partie de l’Ukraine. Cependant, le Donbass a besoin d’une plus grande
autonomie. Un modèle de travail serait celui du Tyrol du Sud. Quatrièmement, l’Ukraine a également besoin de garanties de sécurité. Le Conseil de sécurité des Nations unies et l’Allemagne
devraient fournir ces garanties. Cinquièmement, la Crimée. Combien de temps dure la Crimée russe ? Pour la Russie, la Crimée est plus qu’une simple bande de terre, elle fait partie de son
histoire. La guerre aurait pu prendre fin s’il n’y avait pas d’intérêts géopolitiques.
Et le droit international.
Oui, mais il ne s’agit pas seulement d’une question de droit. Les seuls qui pourraient régler la guerre contre l’Ukraine sont les Américains. Lors des négociations de paix à Istanbul en mars
2022 avec Rustem Umerov, les Ukrainiens ne se sont pas mis d’accord sur la paix parce qu’ils n’y étaient pas autorisés. Pour tout ce dont ils discutaient, ils devaient d’abord demander aux
Américains. J’ai eu deux entretiens avec Umerov, puis une rencontre en tête-à-tête avec Poutine, puis avec l’envoyé de Poutine. Umerov a ouvert la conversation avec les salutations de
Zelensky. En guise de compromis pour les garanties de sécurité de l’Ukraine, le modèle autrichien ou le modèle 5+1 a été proposé. Umjerow pensait que c’était une bonne chose. Il s’est
également montré volontaire sur les autres points. Il a également déclaré que l’Ukraine ne voulait pas d’adhésion à l’OTAN. Il a également déclaré que l’Ukraine souhaitait réintroduire le
russe dans le Donbass. Mais finalement, il ne s’est rien passé. J’avais l’impression qu’il ne pouvait rien se passer, parce que tout le reste était décidé à Washington. Cela a été fatal
Berliner
Zeitung, 21.10.2023, version française dans “L’Hermine Rouge”
Les continuités de la politique russe
On aime bien souligner, en Europe de l’Ouest, les continuités de l’URSS à la Russie. Elles existent mais ce ne sont pas celles que croient les experts auto-proclamés de la Russie poutinienne.
Qui sait que, durant la Seconde Guerre mondiale, Staline avait prévu une Europe
tripartite. Entre la sphère des intérêts soviétiques immédiats (ce qu’il appelait le “glacis” et qui comprenait les Pays Baltes, la Pologne, l’obtention par l’Ukraine et la Biélorussie
d’un siège aux Nations Unies en plus de celui de l’URSS, la Roumanie et la Bulgarie) et la sphère des intérêts anglo-américains (en gros l’Europe de l’Ouest), Staline prévoyait une grande
zone neutre de la Scandinavie aux Balkans, en passant par l’Allemagne, l’Autriche, la Tchécoslovaquie.
Aucun historien sérieux
ne peut affirmer que la coupure de l’Europe en deux serait uniquement le résultat de l’agressivité de Staline. Peut-être un accord aurait-il été possible sur la neutralisation militaire
de la partie centrale de l’Europe si la Grande-Bretagne et la France avaient été les puissances dominantes. Mais l’URSS s’est retrouvée face aux USA qui ne veulent pas entendre parler de “sphère
d’influence” et qui ne voulaient en aucun cas d’une influence économique soviétique en Europe centrale. Constatant la poussée américaine, Staline s’est protégé par la soviétisation de l’Europe