Les conséquences de l’après opération Aramco – Abqaiq :

Les désillusions et le retour de manivelle

...Par le Général Amine Htaite - Le 25/09/2019.

Avant le 25 août, la conception de tous les spécialistes et chercheurs stratégiques de la région reposait sur le fait que le Moyen-Orient, avec ses grands objectifs stratégiques, était vital pour l’Occident mené par les États-Unis, que l’Occident ne pouvait rester les bras croisés face à toute menace, quelle que soit son étendue, qui mettrait en danger ces objectifs, quelle que soit leur envergure , et que la riposte occidentale pourrait être une guerre destructrice contre toute partie représentant cette menace. C’est en effet ce qui était arrivé à Saddam Hussein lorsqu’il avait envahi le Koweït et menacé en partie l’un des objectifs stratégiques de l’Occident : le pétrole koweïtien et l’hégémonie occidentale.

L’Occident estimait, et le considère toujours, la région du Moyen-Orient comme le cœur du monde qui contient la plupart des réserves pétrolières mondiales ainsi que les principales voies navigables nécessaires au commerce mondial, et dans lequel se trouve la principale base occidentale : Israël. C’est pourquoi l’Occident en général et l’Amérique en particulier ont déployé les bases militaires dans la région, afin d’assurer son contrôle et prévenir toute situation susceptible de menacer la sécurité ou le devenir de l’un des trois grands objectifs stratégiques sus mentionnés : pétrole, voies navigables, Israël.

Soit dit en passant, l’Amérique à elle seule a déployé dans la région, et de façon permanente, 65 000 soldats et se prépare à former une coalition internationale pour faire face à toute menace ou tout danger contre ces objectifs stratégiques, allant jusqu’à mobiliser des forces militaires aéronavales et terrestres de près de 400 000 soldats et officiers, comme elle l’avait déjà fait durant les trois dernières décennies. Pour le déploiement de ses troupes dans la région, l’Amérique a établi 54 bases militaires, appuyées par les cinquième, sixième et septième flottes.

Cette force permanente, susceptible d’être constamment renforcée par des forces actives supplémentaires, a convaincu les Etats du Golfe et les autres pays du camp américain qu’ils sont protégés par les Etats-Unis et qu’ils peuvent être rassurés sur leur existence et leur avenir face à toute menace interne ou externe. Et afin de profiter de cette protection et la défense de leurs régimes face à leurs peuples et à quiconque dans la région ou au-delà, ils n’ont pas besoin de former de véritables armées, mais sont tenus de payer l’Occident en achetant des armes, garantir son patronage et pérenniser leur dépendance à la domination américaine. Les régimes du Golfe étaient totalement confiants sur le fait que l’argent versé à l’Occident en général et à l’Amérique en particulier leur assurerait une protection absolue face à qui que ce soit.

Par cette force, l’Amérique a été en mesure de prendre le contrôle de la région, de s’assurer une domination permanente, et d’obtenir la richesse et l’argent. Sur la base de cette puissance avec son double aspect physique – diverses formations militaires – et moral découlant du prestige militaire couplé avec le pouvoir politique et diplomatique, l’Amérique a pu soumettre les forces régionales, États et entités informelles, à sa volonté. Le fonctionnaire de l’ambassade des États-Unis dans un de ces pays est devenu de fait son véritable dirigeant.

Mais cette situation a commencé à être ébranlée avec l’émergence d’une résistance la rejetant. Un conflit a éclaté entre les partisans du colonialisme et l’établissement du Moyen-Orient colonisé par l’Amérique, d’une part, et ceux qui aspirent à établir un Moyen-Orient pour son peuple, collaborant avec d’autres pays du monde dans le cadre du respect mutuel qui préserve l’indépendance et la souveraineté nationale et populaire pour les peuples et les entités de la région, d’autre part.

Au cœur de ce conflit, des guerres et de profondes confrontations ont éclaté au cours des dernières décennies, jusqu’à ce que la guerre par procuration soit déclenchée et mis le feu à la région sous la dénomination de printemps arabe ; une guerre qui a été provoquée par le camp américain pour briser la résistance rejetant la colonisation occidentale et démanteler l’axe ou le front de résistance qui, après 2000, a commencé à s’étendre et englobe de larges entités et catégories populaires réparties dans toute la région du Moyen Orient.

Les promoteurs du projet colonial pensaient que leur guerre par procuration, de nature criminelle et terroriste, leur permettrait de détruire la région et d’affamer son peuple, puis de la soumettre après l’avoir ravagée et renvoyée à l’âge de pierre, ce qui mettrait ce peuple dans l’incapacité de penser à la liberté et à l’indépendance car sa préoccupation première se réduirait à survivre. Afin de garantir le succès, ils ont accompagné la guerre terroriste sanguinaire sur le terrain avec une guerre terroriste économique sans précédent, menée et exécutée par l’Amérique, rassurée sur le fait que la combinaison entre les deux guerres, par le feu et l’économie, lui garantira la continuité de son contrôle et la défaite de la résistance et le démantèlement de son axe et ses fronts.

Toutefois, les résultats de l’affrontement ont été contraires aux attentes de l’Amérique et son camp. Pire encore, la guerre terroriste d’agression, durant ces dernières semaines, a engendré le désappointement américain, a anéanti les illusions du Golfe et a constitué un scandale pour tout le camp de l’agression américaine après qu’une nouvelle configuration ne soit tracée à partir du Yémen, de l’Arabie Saoudite, de l’Iran, de la Syrie et du Liban, confirmant :

  • L’impuissance à faire chuter la Syrie et la capacité du gouvernement syrien à continuer d’exister et à maintenir l’entité politique de l’État, puis son succès à regagner la majeure partie de ce qui a échappé à son contrôle, et à consolider l’idée qu’il est impossible que le camp agresseur ne mettre la main sur la Syrie ni n’atteigne le moindre de ses objectifs.
  • La restriction d’Israël avec l’équation de dissuasion stratégique rigoureuse, l’obligeant à respecter les règles d’engagement qui protègent le Liban et sa résistance et le renforcement de ces règles par une autre relative à la protection aérienne.
  • L’incapacité de l’Arabie Saoudite et l’ensemble du camp agresseur du Yémen, formé sous l’étiquette de l’alliance arabe, à atteindre les objectifs de l’agression, puis leur obligation, surtout l’Arabie saoudite, de passer à la défense de sites très importants sur son territoire. La frappe d’Aramco – Abqaiq par des drones et des armes yéménites n’est que le début d’une nouvelle ère dont seul apparaît jusqu’à présent le sommet de l’iceberg.
  • L’incapacité de déclencher une guerre contre l’Iran et l’impuissance à reproduire ce que les Américains ont infligé à l’Afghanistan, à l’Irak et à la Libye. L’Iran apparaît comme une puissance imprenable, s’appuyant sur sa propre aptitude et celle de ses alliés à assener les coups les plus douloureux au camp agresseur. Il est important de rappeler que dans les 54 bases militaires américaines déployées au Moyen-Orient, les 65000 soldats, censés être une force pour imposer l’hégémonie américaine sur la région et l’asservir à son bon vouloir, sont devenus des otages et des cibles dans le viseur du feu iranien et celui de la Résistance, et dont la simple préoccupation à assurer leur sécurité dissuade l’Amérique et ses alliés à lancer une guerre, passant ainsi de force capable de mettre en œuvre la volonté américaine à une force incapable de faire respecter cette volonté et celle de ses subordonnés du Golfe ; d’où la déception des Saoudiens qui, croyant que l’Amérique serait le gendarme qui les servirait dans le Golfe, ont constaté à quels point ils se trompaient.

Il y a trois semaines, le président français Macron en a apporté la confirmation en déclarant que l’Occident devait reconnaître que l’ère de son hégémonie sur l’Orient a commencé à péricliter. Après la frappe d’Aramco – Abqaiq, l’Amérique a également déclaré que l’Arabie saoudite devait se protéger elle-même, que l’Amérique ne lui apportait que son soutien, et que l’armée américaine ne serait pas une armée mercenaire combattant pour l’Arabie saoudite.

Cette scène atteste que la guerre et la puissance sur lesquelles l’Occident s’appuie pour contrôler la région ont perdu leur fonction et ne sont plus en mesure de réaliser ses objectifs. La guerre économique quant à elle commence à être contre-productive, les chercheurs et les experts commencent en effet à parler avec assurance du fléchissement ou de la chute du dollar et même de son effondrement prochain. Cela se produit après que les pays et les entités ciblés par cette guerre aient résisté, et après qu’ils aient commencé à être un système financier, commercial et économique alternatif, ce qui présente une indication sur le début de l’effondrement de l’empire financier des États-Unis.

En conclusion, nous affirmons que l’échec des deux guerres terroristes, à la fois dévastatrices et économiques, ou du moins leur incapacité à protéger le contrôle étranger, ne se limitera pas dans ses effets à un lieu, un territoire ou une région, mais que cet échec s’élargira et aura des répercussions qui affecteront l’ensemble des relations internationales. Les chercheurs découvriront à quel point Macron était précis et avait raison lorsqu’il a déploré l’hégémonie occidentale sur le Moyen-Orient, et que l’ambition américaine de construire un Moyen-Orient américain s’évanouit pour devenir un rêve impossible, alors que le projet du Moyen-Orient pour son peuple progresse, ce qui impose aux trois grandes nations arabe, turque et persane d’engager un dialogue sérieux pour bâtir cet Orient libéré, indépendant et maître chez lui.

 

Général Amine Htaite

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