Note d'actualités n°  569 - Avril 2020.

Rapport "HOROWITZ" : Le FBI dans la tourmente

...par Eric Denécé

Source : https://cf2r.org/actualite/rapport-horowitz-le-fbi-dans-la-tourmente/

 

L’Inspecteur général (OIG[1]) du ministère américain de la Justice (DoJ[2]), Michael E. Horowitz, a rendu au Congrès, début décembre 2019, un rapport de près de 500 pages concernant les agissements du FBI dans l’enquête lancée en 2016 contre Donald Trump et son équipe de campagne. Son témoignage est accablant quant à la conduite du FBI à l’occasion de ces investigations.

 

LES IRRÉGULARITÉS DE L’ENQUÊTE RUSSIAGATE

 

Crossfire Hurricane est le nom de code de l’enquête de contre-espionnage entreprise par le FBI de juillet à novembre 2016 – avec l’aide de la CIA et de la NSA – sur les liens entre les proches de Trump et les responsables russes pour voir “si les individus associés à la campagne Donald J. Trump se coordonnaient, consciemment ou involontairement, avec les efforts du gouvernement russe pour interférer dans l’élection présidentielle américaine de 2016″.

Le rapport Horowitz révèle que, dans le cadre de cette investigation, alors qu’ils jouissaient d’un très large degré d’autonomie, les agents du FBI se sont rendus coupables, d’affirmations biaisées, d’erreurs importantes et d’un certain nombre d’omissions afin d’obtenir des mandats pour placer sous surveillance Carter Page, l’un des conseillers de Trump, dans l’espoir de prouver qu’il était de connivence avec les services russes et de poursuivre leurs enquêtes secrètes contre Donald Trump et son équipe de campagne dans le cadre du Foreign Intelligence Surveillance Act (FISA).

 

LA PRISE EN COMPTE D’INFORMATIONS FANTAISISTES

Lorsque fin 2016, les enquêteurs du FBI ont eu accès au dossier très controversé de l’ex-officier du renseignement britannique Christopher Steele – qui présente Carter Page comme un personnage central dans un « complot de coopération bien développé » entre Trump et le Kremlin – cela leur a semblé confirmer ce qu’ils soupçonnaient déjà. Retenant cette théorie comme probable, les agents du Bureau ont intégré dans leur dossier, sans les vérifier davantage, ces nouvelles informations qui correspondaient à l’hypothèse à laquelle ils croyaient, et ont plus ou moins délibérément ignoré des faits contraires à celle-ci.

Pourtant, en janvier 2017, le DoJ et les enquêteurs ont reçu de multiples avertissements sur la crédibilité de Christopher Steele et de son dossier. Le gouvernement britannique a notamment informé les autorités américaines qu’il « désavouait totalement toute crédibilité de Christopher Steele », ce qui réduisait à néant les allégations de collusion avec la Russie sur lesquelles le FBI se fondait pour poursuivre ses investigations.

Pourtant l’enquête s’est poursuivie. Ainsi, selon les informations rendues publiques par Horowitz, le FBI a interrogé l’une des principales sources de Steele, laquelle a désavoué une grande partie des preuves de collusion avec la Russie qui lui étaient attribuées dans le dossier. Mais ce fait a été caché au tribunal par le FBI ainsi que le confirme une récente note[3] du Juge James Boasberg, qui préside la Foreign Intelligence Surveillance Court (FISC) : « Le FBI n’a cependant pas signalé au Département de la Justice ou à la Cour les incohérences entre les sections du rapport de Steele qui avaient été utilisées dans les demandes et les déclarations faites au FBI par la principale source de Steele concernant l’exactitude des informations attribuées à la « Personne 1 », qui, selon le FBI, était la source des informations des rapports ».

Un cadre du FBI a également révélé que presque toutes les informations de Steele dans le dossier étaient fausses, ou étaient des rumeurs recueillies sur Internet, ce qui les rendait sans valeur et inexploitables.

Le procureur spécial Robert Mueller n’a lui-même trouvé aucune preuve à l’appui des nombreuses assertions du dossier Steele, notamment celles selon laquelle l’ancien avocat de Trump, Michael Cohen, se serait rendu à Prague dans le cadre d’un complot avec des pirates russes, ou celles affirmant que Page avait reçu un paiement important d’un géant pétrolier russe ; que Moscou menait une campagne de désinformation par le biais d’un consulat inexistant à Miami ; ou que les Russes effectuaient un chantage sur le candidat Trump…

Dans son rapport Horowitz affirme donc que sans les allégations du dossier Steele il n’y aurait pas eu de preuves suffisantes pour autoriser un mandat de la FISC sur Page : « Nous avons déterminé que la réception par l’équipe du [FBI] Crossfire Hurricane du rapport électoral de Steele le 19 septembre 2016 a joué un rôle central et essentiel dans la décision du FBI et du Département de demander l’ordonnance de la FISA ».

Par ailleurs, le Juge Boasberg, relève également que le FBI n’a pas informé la FISC du fait que le « dossier Steele » avait été payé par l’équipe de campagne d’Hillary Clinton et le Comité national démocrate (DNC[4]).

 

L’OMISSION D’INFORMATIONS CAPITALES DANS LE DOSSIER PAGE

L’intérêt du FBI pour Carter Page – ex-conseiller en matière de politique étrangère de Donald Trump – est antérieur à sa participation à la campagne électorale de 2016.  Le Bureau le soupçonnait en effet depuis quelques temps d’être un agent des services russes. Il aurait ainsi fait l’objet d’un mandat FISA dès 2014 et d’une enquête de contre-espionnage ouverte en avril 2016, plusieurs mois avant que le FBI n’entreprenne une enquête sur les liens potentiels entre la campagne de Trump et l’opération d’ingérence électorale de la Russie. Après que Carter Page ait quitté l’équipe Trump, le FBI a demandé et obtenu l’autorisation de la FISC pour écouter ses communications électroniques pendant environ un an.

Toutefois, dès 2016, la CIA avait fait savoir au FBI que Carter Page travaillait pour elle en Russie en tant que « contact opérationnel » collectant des renseignements. Bien que la CIA l’ait répété à plusieurs reprises au Bureau, ce dernier n’en a jamais fait part à la FISC, chargée de délivrer les mandats d’écoute.

Dans son rapport, Horowitz relève que dans une demande de renouvellement du mandat FISA, un avocat du FBI a modifié un e-mail reçu de la CIA pour faire disparaître le fait que Page collaborait avec l’agence.

Par ailleurs, le FBI n’a pas transmis à la FISC le fait que les allégations selon lesquelles Carter Page avait manipulé la Republican National Convention (RNC) de 2016, pour la nomination du candidat du parti aux présidentielles, afin de favoriser Trump, étaient infondées.

Ainsi pour obtenir l’accord de mettre Carter Page sous surveillance, Michael Horowitz accuse le FBI d’avoir fourni des informations incorrectes ou incomplètes à la FISC. Le juge Boasberg a donc réprimandé le Bureau pour avoir caché des informations essentielles à son tribunal, alors même qu’elles affaiblissaient considérablement le fondement des demandes de mise sous surveillance de Page.

 

LA HIÉRARCHIE DU FBI IMPLIQUÉE

Selon les règles en vigueur, les demandes de mandat FISA doivent être signées par la direction du FBI et des hauts fonctionnaires du ministère de la Justice. En ce qui concerne les mandats d’espionnage sur Page, le rapport Horowitz a observé que :

– la première demande, (octobre 2016) a été signée par le directeur du FBI, James Comey, puis par le sous-procureur général Sally Yates. La juge Rosemary Collyer a approuvé la demande.

– La deuxième demande (janvier 2017) a également été signée par Comey et Yates. Le juge Michael Mosman l’approuvé.

– La troisième demande (2017) a été signée par Comey et le procureur général par intérim Dana Boente. La juge Anne Conway l’a approuvé.

– Enfin, la quatrième demande (juin 2017) a été signée par le directeur adjoint du FBI, Andrew McCabe, puis par le sous-procureur général Rod Rosenstein. Cette demande a été approuvée par le juge Raymond Dearie.

Horowitz a constaté des “inexactitudes et omissions importantes” dans deux de ces demandes de mandat, qui n’ont pas de fondement et n’auraient pas dû être émises. Il est donc clair que les dirigeants du Bureau et des représentants du Doj étaient au fait de ces irrégularités… ou bien n’ont pas fait leur travail de vérification des demandes de leurs services.

 

DE FORTS SOUPÇONS DE PARTI PRIS POLITIQUE

Depuis plus de trois ans, Donald Trump et ses partisans demandent au DoJ « d’enquêter sur les enquêteurs » dans l’affaire russe, affirmant que le FBI a abusé de son pouvoir pour espionner injustement le futur président et son équipe de campagne. Ils n’hésitent pas à parler d’une « chasse aux sorcières » à motivation politique qui visait à anéantir sa candidature et sa présidence.

Horowitz attribue principalement les problèmes observés à « l’incompétence et la négligence grossières » du FBI, plutôt qu’à des malversations intentionnelles ou à des préjugés politiques : « Nous n’avons trouvé aucune preuve que des préjugés politiques ou une motivation inappropriée ont influencé la décision du Bureau d’ouvrir l’enquête ». Cependant, s’il met en lumière les errements et les irrégularités du FBI, Horowitz n’écarte pas la possibilité d’une motivation politique derrière certaines décisions.

Ces déclarations ont immédiatement été reprises et déformées par les Démocrates et les médias anti-Trump pour montrer que la théorie du complot de l’hôte de la Maison-Blanche était une vue de l’esprit et une manœuvre politique. Ils ont fait tout leur possible pour minimiser l’impact du rapport, prétendant que celui-ci prouvait que l’enquête du FBI n’était pas motivée politiquement, omettant évidemment de préciser que l’Inspecteur général du DoJ n’avait pas eu pour tâche de d’enquêter sur ce sujet. Sa mission était de vérifier si les comportements des agents du FBI impliqués dans l’obtention des mandats d’écoute contre des membres de l’équipe Trump étaient conformes à la charte du DoJ, ou si des irrégularités avaient été commises[5].

C’est pourquoi Michael Horowitz a réagi en contredisant directement les affirmations Démocrates évoquant l’exonération du FBI. Il a rappelé que « les motivations [du FBI] ne sont pas claires. D’un côté, [ce pourrait être] une grossière incompétence, de la négligence. D’un autre côté, [serait-ce plutôt] un caractère intentionnel ? et où entre les deux ? Nous n’étions pas en mesure – avec les preuves dont nous disposions – de le déterminer. Mais je n’exclus pas [cette hypothèse]. »

De plus, le procureur général William Barr, a déclaré après la publication du rapport, à NBC News que le FBI, sous la direction du directeur James Comey, avait peut-être agi de « mauvaise foi » quand il a ouvert l’enquête.

 

LA MISE EN CAUSE DU FBI

 

Sur le plan des procédures qu’il est tenu de respecter, le FBI a donc commis une importante série d’erreurs. Ses enquêteurs n’ont pas présenté toutes les pièces nécessaires pour justifier leurs demandes de mandats auprès de la FISC, violant ainsi les procédures internes du Bureau. 

« Il y a eu un tel éventail de comportements inexplicables », a déclaré Horowitz, « et les réponses que nous avons obtenues n’étaient pas satisfaisantes, qu’il nous reste à essayer de comprendre comment toutes ces erreurs ont pu se produire sur une période d’environ neuf mois, parmi trois équipes – triées sur le volet – du FBI, et jusqu’ au sommet de l’organisation », alors même qu’il s’agit de l’une des enquêtes les plus délicates du FBI.

« Nous croyons que cette circonstance reflète un échec, non seulement de la part de ceux qui ont préparé les demandes d’application FISA, mais aussi de la part des gestionnaires et des superviseurs de la chaîne de commandement du programme Crossfire Hurricane, y compris les hauts fonctionnaires du FBI qui ont été informés à mesure que l’enquête avançait » a déclaré Michael Horowitz, ajoutant : « Dans les affaires les plus sensibles et les plus prioritaires du FBI, et en particulier lorsqu’il s’agit d’obtenir l’autorisation du tribunal d’utiliser un outil intrusif tel qu’une ordonnance FISA, il incombe à toute la chaîne de commandement, y compris les hauts fonctionnaires, de prendre les mesures nécessaires pour s’assurer qu’ils connaissent suffisamment les faits et circonstances qui appuient et peuvent compromettre une demande FISA ».

Le rapport n’a pas seulement montré « quelques irrégularités », a-t-il affirmé. « Ce qui s’est passé, c’est que le système a échoué. Les gens au plus haut niveau du gouvernement se sont accaparés la loi. »

 

LES AUTRES DÉRIVES DU FBI

Le rapport de Michael Horowitz est dévastateur pour le FBI taxé d’incompétence systémique. Il a révélé un schéma plus large de négligence de la part du Bureau à travers ses demandes de mandats FISA pour espionner sur le sol américain dans le cadre des affaires de sécurité nationale. La FISC a déclaré que les erreurs dans les demandes de surveillance concernant Carter Page « remettaient en question la fiabilité des informations contenues dans d’autres demandes du FBI ». Tout semble indiquer que d’autres cas sensibles de contre-espionnage et de lutte contre le terrorisme ont été également entachés d’erreurs.

En effet, le FBI négligerait régulièrement les procédures appropriées lorsqu’il sollicite des mandats FISA pour espionner secrètement les Américains[6]. Le point marquant semble être le non-respect des procédures Woods, mises en place en 2001 afin de s’assurer que chaque fait et détail dans une demande de mandat FISA est soigneusement vérifié pour en justifier les fondements. L’inspecteur général du DoJ a déclaré qu’il effectuerait un audit plus approfondi pour voir si les responsables du FBI suivaient les procédures appropriées concernant les autres demandes de mandats de surveillance secrètes présentés à la FISC.

Ce rapport intervient au plus mauvais moment pour le FBI, alors le Congrès débat de nouvelles limites à la loi sur la surveillance du renseignement étranger (FISA).

 

LA RÉPONSE DU FBI

Les élus Républicains ont accusé le directeur du FBI, Christopher Wray, d’avoir apporté une réponse totalement inadéquate au récent rapport de l’OIG. Lors de son audience devant le Congrès, Wray, qui n’était pas en fonction au moment des faits[7], a reconnu que « les échecs mis en évidence dans ce rapport sont inacceptables », ajoutant « la façon dont nous faisons ce que nous devons faire est importante. (…) Le peuple américain attend du FBI non seulement qu’il obtienne le bon résultat, mais qu’il le fasse de la bonne façon ».

Le directeur du FBI a déclaré que la plupart des hauts fonctionnaires et superviseurs mentionnés dans le rapport de l’inspecteur général avaient quitté l’agence. « Certains d’entre eux ont été licenciés. Certains sont partis d’eux-mêmes ».

 

*

 

Les irrégularités constatées dans le cadre des enquêtes relatives au Russiagate sont importantes. Si l’on peut comprendre que les soupçons de connivence de l’équipe Trump avec les Russes aient été préoccupants, le doute en a été levé dès janvier 2017.

Notre propos n’est nullement de prendre parti dans cette affaire, mais de constater combien la présidence Trump et la vie politique américaine ont été perturbées depuis près de quatre ans par des investigations aux fondements douteux, l’orientation de certains enquêteurs en charge du dossier et de faux récits propagés par les médias dominants. La politisation généralisée du débat a totalement gangréné la démocratie et la justice américaines.

  


[1] The Office of the Inspector General (OIG).

[2] Department of Justice.

[3] https://www.fisc.uscourts.gov/sites/default/files/Misc%2019%2002%20Corrected%20Opinion%20and%20Order%20JEB%20200305.pdf

[4] En décembre 2018, Christopher Steele a confirmé lors d’un procès avoir été embauché par Fusion GPS, une entreprise de recherche recrutée par Perkins Coie, le cabinet d’avocats de la campagne d’Hillary Clinton, pour obtenir des informations sur les relations commerciales de Trump à l’étranger en préparation d’une éventuelle contestation des résultats de l’élection présidentielle de 2016.

[5] Cet acharnement des médias contre Donald Trump rappelle une autre affaire. Moins de deux semaines après sa prise de fonction (janvier 2017), le FBI avait conclu que son conseiller à la Sécurité national, l’ex général Michael Flynn, n’était pas impliqué dans une collusion avec les Russes, contrairement aux soupçons qui avaient pesés sur lui. Mais cette conclusion du FBI ne sera jamais reprise par les médias Mainstream, qui continueront pendant de nombreux mois, à écrire des articles mensongers laissant entendre que les soupçons étaient fondés.

[6] Le bureau obtient environ 1 500 mandats FISA chaque année, et une écrasante majorité n’a aucun lien avec la politique intérieure.

[7] Christopher Wray avait démissionné de ses fonctions de procureur au DoJ en 2005, en signe de protestation contre le programme de surveillance de la population mis en place par l’administration Bush dans le cadre de la lutte antiterroriste.

 

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