Consultant politique, président-fondateur du Réseau Voltaire. Dernier ouvrage en français : Sous nos yeux - Du 11-Septembre à Donald
Trump(2017).
Depuis une dizaine d’années, les
États-Unis sont prisonniers de leur contradiction face à l’islam. D’un côté, ils se pensent comme le pays de la liberté religieuse, d’un autre ils utilisent les Frères musulmans pour déstabiliser
le Moyen-Orient élargi, et d’un troisième ils luttent contre le débordement du terrorisme islamique hors de cette région. Ils ont donc interdit toute recherche qui permette de distinguer l’islam
en tant que religion de sa manipulation à des fins politiques. Après avoir rompu avec le terrorisme des Frères musulmans, Donald Trump a décidé de rouvrir ce dossier, au risque de provoquer des
violences dans son propre pays. Car aux États-Unis, la liberté de pratiquer l’islam n’implique pas celle d’entrer en politique.
Lorsque Donald Trump déclare « Je pense que l’islam nous hait », fait-il référence à la religion musulmane ou à l’idéologie politique
homonyme ?
Dans sa nouvelle Stratégie de Sécurité nationale, le président Trump modifie la terminologie officielle et désigne les groupes armés musulmans comme
« jihadistes terroristes ».
L’islam : religion ou idéologie ?
Après les attentats du 11-Septembre, attribués à Al-Qaïda, une violente polémique avait agité Washington : les groupes terroristes étaient-il ou non
représentatifs de l’islam ? Si oui, il convenait de considérer tous les musulmans comme ennemis de la patrie. Si non, on pouvait établir une distinction entre musulmans « modérés »
et « extrémistes ».
Cependant, les Britanniques employaient les mêmes termes avec une autre acception : les « modérés » sont des musulmans « modérément
anti-impérialistes » comme le Hamas qui ne voit aucune objection d’ordre politique à Israël, mais refuse uniquement que des musulmans soient gouvernés par des juifs ; tandis que les
« extrémistes » sont des musulmans « extrêmement anti-impérialistes » comme le Hezbollah qui remet en cause la victoire de l’État colonial israélien sur les arabes.
La polémique atteint son sommet, en juin 2006, lors d’une conférence du New York Metro InfraGard. Un agent et expert du FBI, William Gawthrop, assura qu’il est
vain de distinguer les différents groupes terroristes musulmans, alors que tous se fondent sur la même idéologie, l’islam. Cinq documents internes du FBI fuitèrent alors [1]. Destinés à la
formation de leurs officiers, ils posent que plus on est « islamique », plus on est potentiellement « radical », et que le prophète Mahomet était le leader d’une secte
violente. Gawthrop s’appuyait sur une étude indiscutable du Coran, des Hadits et des principaux textes théologiques. Il montrait que, tout au long de l’Histoire, des théologiens
des quatre principales écoles sunnites ont soutenu la guerre contre les Infidèles, mais pas de penseurs de l’école chiite. Gawthrop était également instructeur au Counterintelligence Field
Activity (CIFA) du département de la Défense. Il y avait poussé à l’étude de Mahomet en tant que chef militaire.
En 1953, le président Eisenhower reçoit une délégation des Frères musulmans conduite par Saïd Ramadan. Les États-Unis soutiennent désormais l’islam politique à
l’étranger.
Cette polémique n’était pas nouvelle. D’une part, depuis 1953 et la réception de Saïd Ramadan par le président Eisenhower, la CIA et le département de Défense
travaillaient à l’étranger avec les partisans de l’islam politique, les Frères musulmans. D’autre part, durant la ségrégation raciale, il était admis que les descendants d’esclaves
puissent être musulmans, mais ils ne devaient pas en faire une revendication politique. En 1965, le leader politique noir et musulman Malcolm X fut assassiné, probablement avec l’aide passive du
FBI. Agonisant sur le sol, il tenta de donner à sa secrétaire juste avant de mourir un message pour Saïd Ramadan.
En rétorsion à ce point de vue, une importante personnalité musulmane US, Salam Al-Marayati, menaça d’appeler à cesser toute coopération avec le
FBI [2].
Immédiatement, l’adjoint de l’Attorney General, James Cole, interdit l’ensemble des documents de cet acabit, non seulement au FBI, mais dans toutes les
administrations.
Sauf que les documents du FBI étaient conçus pour des cours où les instructeurs spécifiaient longuement qu’ils ne traitaient pas de l’islam en tant que religion,
mais en tant qu’idéologie politique [3].
Les États-Unis : pays de la liberté religieuse ou de l’islamophobie ?
C’est à cette période que le département d’État créa plusieurs structures chargées d’influencer les opinions publiques US et étrangères de manière à ce qu’elles
n’accusent pas les États-Unis de mener une guerre contre la religion musulmane. Ce dispositif comprenait notamment une cellule d’une vingtaine de personnes, s’exprimant en plusieurs langues, qui
intervenaient sous de fausses identités dans des forums pour orienter les débats.
Quelle que soit la manière d’aborder la question, les États-Unis revenaient toujours au même problème : dès le VIIème siècle, le mot « islam » sert
aussi bien en arabe à désigner une religion qu’une idéologie politique, pourtant parfaitement distincte.
Finalement, en janvier 2008, le département de Sécurité de la Patrie publia, à l’initiative du secrétaire Michael Chertoff, la Terminologie pour définir les
terroristes (Terminology to Define the Terrorists : Recommendations from American Muslims). Puis, le bureau du directeur du Renseignement national (alors dirigé par Mike McConnell)
rédigea, en mars 2008, une note sémantique à l’attention de l’ensemble de l’administration. Ces instructions visaient à laver l’administration Bush —qui avait parlé en 2001 de « croisade
contre Al-Qaïda »— de tout soupçon d’islamophobie et de rétablir l’honneur du « pays de la liberté religieuse ».
Le fait de porter à la Maison-Blanche Barack Hussein Obama devait suffire à régler le problème. Mais ce ne fut pas le cas, notamment parce qu’alors qu’un
tiers de ses électeurs le croyaient musulman, il précisa qu’il était chrétien issu d’une famille musulmane ; ce qui semblait valider le schéma identitaire des immigrants venus d’Europe du
Nord : on peut être États-unien en étant culturellement, voire religieusement musulman, mais un président se doit d’être chrétien. D’où la violence de la campagne financée par le promoteur
immobilier Donald Trump sur le lieu de naissance d’Obama (Hawaï ou le Kenya britannique ?). Certes, la réponse conditionnait la constitutionnalité de son élection, mais plus encore, elle
impliquait qu’il soit né chrétien ou musulman.
Avant de lancer les « printemps arabes », Barack Obama et Hillary Clinton ont truffé leur administration de partisans de l’islam politique.
En 2011, le sous-secrétaire d’État chargé de la Propagande (Public Diplomacy) créa le Centre pour les communications stratégiques sur l’anti-terrorisme (Center for
Strategic Counterterrorism Communications). En 2016, cette structure prit le nom de Centre d’engagement global (Global Engagement Center) et étendit ses compétences à la lutte contre la Russie.
Son budget fut alors multiplié par 13. Le fait de confier la lutte contre le terrorisme et la rivalité avec la Russie au même organisme n’a évidemment pas contribué à clarifier les choses. C’est
dans cette période que Washington adopta l’expression de l’Onu « extrémisme violent » pour désigner l’idéologie des terroristes [4].
Revenons en arrière : le 22 décembre 2012, le magazine égyptien Rose El-Youssef révélait la présence de plusieurs responsables des Frères musulmans
au sein de l’administration Obama, dont Salam Al-Marayati. Il avait notamment représenté la secrétaire d’État Hillary Clinton et présidé la délégation officielle US à la conférence de l’OSCE sur
les Droits de l’homme. Son épouse, Laila, était proche d’Hillary Clinton lorsqu’elle était first lady et membre de la Commission sur la liberté religieuse internationale. L’intervention
d’Al-Marayati contre Gawthrop, six ans plus tôt, n’était donc en réalité qu’une manœuvre des Clinton, utilisant les Frères musulmans pour faire changer d’avis le FBI et le département de la
Défense.
Le droit de réfléchir
La polémique rebondit en juillet 2017 avec le dépôt d’un amendement à la loi de programmation militaire (NDAA) autorisant le département de la Défense à étudier
« l’usage de doctrines religieuses musulmanes violentes ou non-orthodoxes pour soutenir la communication des extrémistes ou des terroristes et la justifier ». Le texte fut rejeté par
217 voix contre 208, toujours au nom de la protection de l’islam comme religion.
Le président Trump a donc finalement tranché en appliquant le mot « jihadiste » aux terroristes musulmans, bien qu’originellement le jihad ne
soit pas la lutte armée contre les Infidèles, mais une introspection et une remise en cause personnelle.
Or, jusqu’ici les décisions de Donald Trump ont fait l’objet des pires quiproquo. Son décret suspendant l’immigration en provenance de pays où les délégations
consulaires n’avaient pas les moyens de vérifier l’honnêteté des candidats a été interprété comme « islamophobe » car ces pays ont une population à majorité musulmane.
Sa décision est une véritable révolution intellectuelle pour les États-Unis. Jusqu’ici, le département de la Défense, appliquait la stratégie de l’amiral Arthur
Cebrowski, détruisant —pays après pays— toute forme d’organisation politique au Moyen-Orient élargi, tandis que le département d’État veillait à assurer que cette politique n’était pas en soi
anti-musulmane.
Toutefois, d’un point de vue moyen-oriental, ce n’est pas ce qui était perçu. Comme durant quinze ans les États-Unis mirent en œuvre la stratégie de
Cebrowski [5] uniquement dans la partie du monde majoritairement musulmane, il était impossible aux Afghans, aux Perses, aux Turcs et aux Arabes, de comprendre quoi que ce soit aux slogans
US. C’est d’ailleurs à cette contradiction que Barack Obama se heurta lors de son discours du Caire, en juin 2009.
Si l’on comprend parfaitement les objectifs de la propagande US, on ne peut qu’observer qu’ils en ont été la première victime. En effet, la contradiction entre leur
discours lénifiant et leur soutien aux Frères musulmans à l’étranger (et non pas leur stratégie de destruction du Moyen-Orient élargi) les a conduits à interdire toute recherche sur l’origine de
l’islam politique, aussi bien chez eux que chez leurs alliés.
Pourtant Mahomet était un général et un gouvernant. Cette situation historique particulière a permis, dès les premiers jours de l’islam, à un courant de pensée de
tenter de manipuler cette religion pour s’emparer du pouvoir. La plupart des musulmans a été élevée avec des Hadiths, composés longtemps après la mort du prophète, qui lui attribuent des
exploits militaires et une pensée politique particulière. Les Frères musulmans actuels s’appuient sur de lourds antécédents.
En 1965, le leader de l’islam politique US est assassiné avec l’aide probable du FBI.
Au demeurant, les États-Unis ne parviendront pas à distinguer les deux sens du mot « islam » tant qu’ils n’auront pas réglé la question de leur propre
identité. Donald Trump et ses électeurs admettent sans difficulté que des Noirs et des Hispaniques soient citoyens des États-Unis, mais difficilement qu’ils exercent des fonctions politiques de
premier plan.
Paradoxalement, alors qu’il conviendrait que des intellectuels musulmans entreprennent cette recherche et permettent ainsi de séparer leur religion de sa
manipulation politique, ce sont probablement les États-Unis qui vont conduire seuls cette exploration. Bien qu’il existe un grand nombre de chercheurs musulmans aux USA, il est peu probable que
ce pays ne projette pas ses propres problèmes culturels sur ce sujet d’étude au risque de le mésinterpréter.
Thierry Meyssan
[1] Le lecteur trouvera ici les principaux
documents cités dans cet article.
[5] The Pentagon’s New Map, Thomas P. M. Barnett, Putnam Publishing Group, 2004. « Le projet militaire des États-Unis pour le monde », par Thierry Meyssan, Haïti Liberté (Haïti) , Réseau Voltaire, 22 août 2017.
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