Les tout petits canons de Wagram

par le Col. Michel Goya - le 13/09/2016.



Le 6 juillet 1809, la bataille de Wagram a longtemps été indécise. La victoire a finalement été remportée grâce à la puissance de nos canons et au courage des grognards du Maréchal Mac Donald. 
 
J’ai eu le privilège d’être invité le 8 septembre dernier à la salle Wagram pour écouter le discours du Président de la République sur la guerre en cours (ici). Je n’y ai malheureusement vu que peu de grognards et surtout aucune grande batterie susceptible de terrifier l’ennemi. 

Qu’avons-nous appris justement sur cet ennemi ? Qu’il s’agit du terrorisme islamiste et même de l’islamisme radical (pour ceux qui croyaient que l’islamisme était déjà une radicalité), affublé des qualificatifs adéquats : barbarie, fanatisme meurtrier, obscurantisme religieux. Le chef de armées se posait visiblement en audacieux en déclarant cela (« Voilà l’ennemi, nous le nommons »), il n’était que flou. Il est vrai qu’il allait plus loin que les déclarations de janvier 2015 où on faisait la guerre à la « barbarie » ou, plus étrange encore, au « terrorisme ». On ne fait donc plus la guerre à un qualificatif, un mode d’action, mais à une idéologie, l’islamisme, sans préciser cependant aucunement, sinon par antiphrases, de quoi il s’agit vraiment, quelle est son origine et surtout ce qui fait qu’elle existe et croît. Aurait-on pu imaginer un discours de guerre contre « le communisme », sans aucune précision que « barbare, etc. », ou « le nazisme (voire le « nazisme radical ») sans citer l’Allemagne ?
 
Ne pouvait-on être plus précis en n’évoquant pas juste un vague dévoiement d’un Islam sunnite unique mais, par exemple, le courant wahhabite-salafiste ou, celui plus politisé des Frères musulmans, en opposition à l’ancien courant soufi (le modernisme n’est pas forcément où on croît). On aurait pu parler plus restrictivement de la mouvance jihadiste (mot totalement absent du discours) ? Ces qualifications sont pourtant importantes car elles renvoient précisément à des champs d’opposition un peu plus précis qu'un « islamisme » issu du néant.

Si l’ennemi est une idéologie, ce n’est plus seulement une réunion de psychopathes isolés. Le combat à mener n’est alors plus simplement une « recherche et destruction » d’individus mais il s'exerce aussi dans le champ des idées, encore faut-il savoir quelles idées on affronte et accessoirement comment. Faut-il placer dans le même combat l’interdiction du niqab, voire du burkini, avec la prise de Mossoul ? Le salafiste dit quiétiste fait-il partie du même camp que le poseur de bombes ? En bref, on aimerait connaître un peu plus précisément les limites de la lutte.
 
Et puis, cet ennemi, il n’est pas fumeux, il est incarné et organisé. Le Président de la République évoque Daesh une seule fois mais comme dans Qui est l’ennemi du ministre de la Défense il s'agit apparemment de la seule organisation ennemie existante. On pourra faire remarquer d’abord que l’Etat islamique n’étant plus « en Irak et au Levant », l’acronyme Daesh ne veut plus rien dire depuis deux ans et que le coup de « refuser d'appeler l'ennemi par son nom par mépris et parce que ce n'est pas un Etat » devient un peu ridicule, presque puéril. On constatera au passage que l’ « islamisme radical » de cette organisation n’est pas très éloigné de celui de nos amis saoudiens. On s’étonnera donc que l’un paraisse être tellement moins barbare que l’autre qu’on n’y fasse jamais allusion. On notera surtout le grand oubli d’Al-Qaïda, jamais nommée alors qu’une de ses franchises a revendiqué l’attaque de Charlie Hebdo (au fait, les terribles représailles contre AQPA, on en est où ?), que nous en combattons une autre au Sahel et que cette organisation nous considère toujours autant comme un ennemi. 
 
Quant à savoir comment vaincre, à défaut de stratégie on a eu droit à une série d’incantations sur la certitude de la victoire finale parce que « les démocraties gagnent toujours » (les anciens combattants de 1940, de l’Indochine ou de l’Algérie, entre autres, apprécieront). On se contentera aussi d’un long développement sur le maintien absolu et intégral de l’Etat de droit par opposition aux odieux projets des adversaires politiques (la mouvance Sarkozyste occupe un place aussi importante dans le discours que la mouvance  jihadiste). Ce rappel est évidemment nécessaire mais étrangement, en écoutant ce passage, on ne peut s’empêcher de penser à la série de lois qui dépassent le Patriot Act (pourtant fustigé dans le texte), à l’Etat d’urgence permanent ou à la pantalonnade du projet de déchéance de nationalité, ce qui en affaiblit quand même tout de suite la force.
 
On passera rapidement sur la pénible séquence d’auto-justification (« Je fais tout pour protéger les Français »« Qui peut dire […] que nous n’avons pas tout fait..», « Qui peut dire que nous ne nous voulons user de tous les moyens pour annihiler notre ennemi ? ») qui se conclut par un « Ce que je peux en revanche garantir aux Français, c’est que toute la puissance de l’Etat sera engagée pour venir à bout de l’ennemi » qui induit subtilement comme un doute sur la véracité de la litanie précédente. 

On rappellera qu'alors que, comme cela est heureusement rappelé, la guerre contre les organisations jihadistes a commencé il y a trente ans, que Mohammed Merah avait déjà frappé en 2012, le nouveau pouvoir a commencé par poursuivre la politique du prédécesseur de réduction des instruments de protection des Français. Il aura fallu l'action, par ailleurs prévisible, de trois salopards en janvier 2015 (et non le discours de nombreux citoyens sensés) pour infléchir, et seulement infléchir, cette politique inconséquente. Surprise et inflexion, dans les deux cas il y avait plutôt matière à remise en cause et excuse plutôt qu'à un suffisant « Pour avoir conduit pendant plus de quatre ans le combat de la République contre un fanatisme meurtrier, je n'ai aucun doute ». On attendra encore un petit moment un chef qui reconnaîtra qu'il y a eu des erreurs, sous son mandat et non le précédent.


Un mensonge ne devient pas une vérité parce qu’il est répété. Qui peut dire que tout n'est pas fait, Monsieur le Président ? Et bien à peu près tout le monde. Bien évidemment que tout n’est pas mis en œuvre car si tel était le cas, nos soldats seraient, par exemple, en train de combattre sur le sol irakien ou syrien et non à patrouiller inutilement dans les rues de Paris. Petit détail, la France va engager un groupe de canons de 155 mm en Irak. C'est très bien mais si tout a déjà été fait, si tous les moyens ont déjà été engagés, d'où sort ce groupe d'artillerie ? S'il était disponible (évidemment et beaucoup d'autres moyens encore), pourquoi n'est-il engagé qu'au bout de deux ans ? 
 
On passera sur le reste du discours, qui avait beaucoup moins de lien avec le sujet (La démocratie face au terrorisme) qu’avec la campagne présidentielle. On notera juste cette petite charge étrange contre ceux qui voudraient parler au nom du peuple et fustigent les élites, rappelant cette « conception du communisme où le prolétariat était l’avant-garde » (ce qui pourtant avait une certaine gueule, et autant que je me souvienne, était aussi un peu un credo socialiste). Il est donc interdit de critiquer les élites françaises quand on est issu…ce qui est quasiment le cas de tous ceux qui ont la capacité de s’exprimer, et même visiblement quand on en est pas issu. 

 

Au bilan, on attendait Churchill, c’est finalement le bon docteur Queuille qui parlait dans la salle Wagram. Ne changeons rien mais faisons-le avec moi à votre tête. 

Pour quelque chose de plus sérieux sur le thème inscrit sur le pupitre, lire plutôt ici

 

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